Dix minutes et Deux

J’ai encore bien mal appris. Je n’en doute pas que tu m’en veuilles. La vie, c’est un peu dur ; un jour je m’étais un peu habitué et puis j’ai oublié. Je ne sais plus trop comment cela a commencé, mais je sais que c’est bien fini, aujourd’hui. Je traine en rond dans le froid des pierres, j’habite une conscience tellement rigoureuse qu’il m’est permis de penser seulement à heure régulière, entre le premier tocsin et le second ; le reste du temps il me faut dormir, il me faut compter, il me faut fixer le lent déroulement en admirant la mécanique grinçante. J’ai toujours bien trop peu de temps pour

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Pour manger, pour boire, pour dormir, même penser est difficile quand on vous arrête brusquement : stoppez Messieurs ! Trop écrire, c’est se faire du mal. Je vous crois, je ne peux que vous croire, ca me va bien. J’essaie de noyer ce que pense mais cela revient quand même. Autrefois, mon encre aurait crié, tâché le trop blanc ; mais elle aussi, elle aussi s’est endormie. J’ai

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J'ai trop peu de temps, et cela est déjà trop. Que fais je encore ici ? Laissez moi sortir, lâchez moi, il faut que j’arrête. Je veux hurler, ce n’est pas bientôt fini ? Mon encrier ne sèche jamais assez vite, je dois encore tourner en rond, en rond tous ces mots là. Je veux retourner, tourner, nez au silence de ma petite fenêtre. Je vous en prie, j’ai trop peu de temps, et je m’ennuie la dedans comme homme de rien, de si peu déjà et qu’on exhorte encore : Monsieur, écrivez votre mort.

***

J’ai encore mal appris. Cela aurait pu être ma chance de me dire : Tu as pleuré en me lisant. Dix minutes par jour. Il ne faudra pas m’en vouloir, la vie, je ne m’y suis jamais habitué. Je passais par hasard, je suis bien mal tombé. Je continue de compter, je continue de fixer la mécanique. Entre le premier et le second tocsin, je sais qu’il y en aura pas de troisième qui se réclamera premier demain. Monsieur, vous avez bien mal agi, vous avez volé une pomme. Marchez bien droit, faite cela comme il faut. Pour une fois, soyez fier de ce que vous faites. Quinze ans à mal faire, cela ne vous suffit pas ? Montez, les marches ne tombez pas.
Ne tombez pas, on vous offre deux minutes de plus, il faut savoir en profiter. Après, votre lettre sera envoyée. Choisissez bien vos derniers mots. Lesquels seront-ils déjà ?

J’ai volé une pomme de trop. Je suis désolé, Père. Je suis désolé. J’aurai voulu te voir pleurer. Mais je n'ai pas les mots qu'il faut pour le dire en deux mots.

En deux

Nombre de messages : 2050 Age : 26 Date d'inscription : 07/02/2008

J'ai du mal à comprendre ce texte à cause des tocsins qui me font buter. En revanche, la forme assez particulière de ton texte, je sais pas pourquoi, elle me donne l'impression de rendre ton texte plus fluide tout en obligeant le lecteur à faire attention à certains passages.

A chaque relecture, il m'apparait un peu plus simple mais pourtant, j'arrive pas à tout comprendre.

Le plus simple, c'est le dernier paragraphe que j'apprécie beaucoup.

Pas très constructif comme commentaire au final, mais tant pis.

Pas mal. Les "coups de tocsin" donnent un large cachet au texte, toute sa forme dira t-on. Plus de puissance dans l'esprit du lecteur.

L'intérêt se veut dans la chute qui donne son sens aux interrogations précédentes. Peut-être cette pomme volée "de trop" est-elle justement "de trop" dans le texte. Une inutile précision.

Le tout est bien écrit. Rythmé, assez simple. Pas de décalage dans l'expression hormis peut être ici :

Citation :: stoppez Messieurs ! Trop écrire, c’est se faire du mal. Je vous crois, je ne peux que vous croire, ca me va bien. J’essaie de noyer ce que pense mais cela revient quand même. Autrefois, mon encre aurait crié, tâché le trop blanc ; mais elle aussi, elle aussi s’est endormie

Non pas que ce soit mal écrit, mais un peu de reformulation pour coller au reste me parait une judicieuse idée.

En résumé. J'ai franchement apprécié lire cette petite nouvelle. Le titre me parait également mériter une rapide salutations. Dix minutes en deux... En deux mots. Que dire face à une mort imminente et inéluctable ? On se sent perdu. Tellement de choses qui ressortent à la surface comme un bouillonnement et cette impossible objectif : les quintessencier en deux malheureux... mots.

Un plaisir de te lire dans un autre lieu que les confréries Sanz.

Outch. Le désespoir de l'homme en cage qui compte à rebourd le temps qu'il lui reste. Dur sujet, bien mené. Rien à dire. J'ai pris plaisir à lire ce texte et mon coeur s'est serré avec lui.

"j'ai volé une pomme de trop"... j'ai pensé à Adam et Eve, et la pomme volée dans le jardin d'Eden.
Ton texte sonne dans ma tête comme religieux. Le tocsin aussi, un retour à l'époque des paysans quand ils sonnaient la cloche pour annoncé une guerre ou une émeute ou autre, bref, ils étaient fort croyant eux aussi.
Et puis ce rapport sur la mort et la vie, le regret des belles années -guerre, religion, croyance- Un Amen en fin de texte aurait été juste à son aise aussi (rapport à une autre nouvelle).

J'ai bien aimé te suivre dans cette lutte infernale entre la vie et la mort. On est tous dans le même bateau, mais on l'appréhende tous différemment.

Après tout, cette pomme, il aurait pu la goutter tant qu'il y était, il n'aurait pas gardé ce gout amer au fond de son gosier.

J'extrapole, désolée.

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