Dérénice

         J'avais essayé de la convaincre qu'adopter un chat par dépit amoureux était une idée d'une insondable connerie. Elle n'arrivait absolument pas à trouver un mec susceptible de lui porter toute l'attention dont elle avait besoin, c'est-à-dire plus que quiconque n'aurait pu offrir – sans compter qu'elle n'était pas le trophée du siècle – et elle se tournait donc, selon sa logique propre, vers un animal potentiellement aussi ingrat que les queutards sans âme ni intérêt pour lesquels ses yeux brillaient. « Prends un chien, je lui avais dit, si tu tiens à avoir un animal. Ces cons sont des fontaines d'amour. » De toute façon, chat ou chien, c'était une lubie. Elle n'avait jamais manifesté le moindre intérêt pour le règne animal et il ne faisait aucun doute qu'une fois la bestiole adulte, cet intérêt factice crèverait et elle attendrait dans une demi-gène qu'on l'en débarrasse ou qu'elle meure.

         Il faut croire que j'avais noyé mon message dans une diplomatie au vocabulaire trop ambigu ou que je n'y avais pas mis la conviction nécessaire pour me rendre crédible en donneur de leçon ; toujours est-il que je me suis retrouvé avec ce chat au nom idiot sur les bras quand elle a déménagé pour Lyon. Dérénice. Je me suis imaginé qu'il s'agissait d'un hommage étrange à une parente morte en couche ou dans un accident ferroviaire dont l'initiale avait été poétiquement remplacée pour coller avec l'année des D. Comme d'habitude, la poésie s'est écrasée sur un mur de trivialité recouvert d'un crépis de stupidité: « mais non, c'est Dérénice, comme dans Game of Thrones ! » J'en suis resté comme deux ronds de flan. Puis j'ai réalisé qu'il s'agissait d'un mâle, de surcroît. « Oui j'avais décidé qu'il s'appellerait comme ça de toute façon. » J'ai plaint en silence ses futurs enfants alors que Dérénice grimpait sur mes genoux pour renifler la table.

         A chaque fois que je racontais la croustillante anecdote du nom de mon chat, on me demandait pourquoi je ne l'ai pas changé. Je suppose que c'est comme dans Pokémon : on ne peut pas remplacer le surnom d'un animal qui nous a été offert par un autre, ce serait du négationnisme en moins grave. J'étais heureux que ce soit un mâle. Je n'arrive pas à dire une chatte, ma chatte qui plus est. C'est pourtant le terme consacré mais je suis d'une pruderie ridicule, comme un marin qui n'oserait pas dire « accroche donc ce bout à la bitte ! » En même temps, je ne suis pas sûr que les marins ont vraiment besoin d'autant formaliser. C'était un mâle complet, intact, que j'imaginais avec fierté combler les chats femelles du voisinage. Les chats castrés, eux, vous regardent jusqu'à la fin de leur jour avec cette lueur de reproche mêlé d'interrogation résignée, ce regard qui signifie « j'avais des testicules avant, je suis sûr que tu y es pour quelque chose mais je suis trop las pour enquêter. »

         J'ai planté une bougie sur un dôme Sheba poulet-veau pour son deuxième anniversaire. Il l'a bouffée dans la nuit et en est mort. J'étais triste mais étrangement soulagé.

Dommage que ce soit si court ! C'est drôle et ça passe comme une lettre à la poste. Il y a ce je ne sais quoi d'efficace dans ta façon d'écrire et de raconter qui fait que la lecture est plaisante. Et puis c'est marrant d'emblée, Dérénice... Dérénice. Seigneur.
D'ailleurs pour que ça sonne plus juste, ça serait pas plutôt Dénérice ?

A quand la suite ? (: