A petit feu...

Par le feu, mon âme s'est libérée. Condamnée au bûcher, désignée comme hérétique par le commun des mortels, me voici esprit volant désormais sans attaches, sans contraintes et sans douleur. La chaleur étouffante des flammes ne m'atteint plus de même que l'ardeur de la foi démesurée de la populace paysanne qui ne jurait que par une entité qu'ils nommaient "Dieu" ou "Le Seigneur", déité supposée qui cependant ne semblait leur accorder aucune importance au vu de la disette et autres fléaux qui les frappent. Les dernières parcelles de ma chair se consument et s'envolent en cendres éparses au gré du vent froid, me traversant de part en part, et se redéposeront sur la terre pour la nourrir. Ainsi est fait le cycle de la vie. Je l'appelle "magie naturelle", ils l'appellent "sorcellerie". Mais peut-on vraiment parler de sorcellerie le fait de préparer des potions médicales à base de plantes rares, des mixtures certes nauséabondes mais pourtant efficaces sur nombre de maux et confier sa vie à la Nature plutôt qu'à la Foi ? Pourquoi alors ne pas punir de même les adeptes de "l'autre sorcellerie", ces préceptes qu'ils nomment "alchimie"? Je plane, suivant le cours du vent qui me porte, ne faisant plus qu'un avec l'air, pendant que d'en haut j'observe la bêtise aveugle de l'homme ne jurant que par l'artificiel au vu de l'importance que prend cette supposée science qu'est l'alchimie. Poisons répugnants, explosions violentes, acides dévorant la chair et les os, poudres sombres s'enflammant par une simple étincelle… comment les hommes peuvent-ils confier jusqu'à leurs âmes pour cette folie destructrice qui les dépasse et les consume comme l'a fait le feu avec mon corps? La voilà, la véritable hérésie que de dénigrer ce que la nature nous offre ! La voilà la véritable sorcellerie maligne qu'il faut éradiquer. Pourquoi n'écoutent-ils pas l'appel de la Terre Mère ? Pourquoi se tournent-ils vers l'illusion de l'artifice et la puissance destructrice de leur aliénation ardente?

Je vois l'humanité évoluer, le monde changer de leurs mains. Et bien que le terme de "sorcellerie" relève maintenant plus de l'imaginaire des contes et légendes ou même de l'Histoire, la véritable sorcellerie se développe de manière tout à fait démesurée, expansion entretenue et attisée par le désir de l'homme de créer, découvrir de nouvelles choses, assouvir leur soif de puissance ou de domination. Si j'avais eu encore un corps fait de chair et de sang, si j'avais eu encore des yeux et un cœur battant, de chaudes larmes se seraient versées sans discontinuer, mon pouls se serait mis à pulser avec frénésie jusqu'à n'en plus pouvoir respirer. Décadence et déchéance résument désormais le quotidien de ces hommes, femmes et même enfants, dépendant de la vraie sorcellerie au point de l'intégrer dans leurs us et coutumes, parfois ne pouvant vivre sans médicaments artificiels et autres drogues créées par l'homme aveuglé par le pouvoir. Les armes, pourtant déjà dangereuses par le passé, devinrent d'une puissance dépassant l'entendement et la raison au point de pouvoir décimer tout un peuple. Les possibilités de création que peut fournir cette vile hérésie deviennent monstrueuses pour autant que l'esprit imaginatif de l'homme attise le feu de leur désir d'évoluer de multiples façons. Je regrette le temps où la nature prenait encore une place importante au sein des peuplades, où les druides prêchaient les vraies paroles de notre Terre Mère et veillaient au respect du cycle de la vie. Je regrette même que mon âme n'ait pas disparu par les flammes du bûcher ayant causé ma mort, je regrette de percevoir l'autodestruction de l'humanité par leur confiance aveugle en la véritable sorcellerie. Et la Nature de souffrir de cette avidité : terre souillée, mer salie, air vicié, la véritable sorcellerie que l'on nomme maintenant de multiples manières telles que la chimie, biochimie, ou que sais-je encore, est le Mal, le Diable corrupteur prêt à donner le coup de grâce. Ce n'est plus qu'une question de temps désormais.

La terre est noire et froide, la mer n'est plus que chimère, l'air n'existe tout simplement plus. Ni arbre, ni fleur, ni ruisseau. Pas de gazouillis d'oiseaux ou même aboiement de chien. Cendres et poussière. Tous morts, tous immolés par le feu de leur folle création, le prix à payer pour n'avoir pu écouter l'appel à l'aide de la Nature, le prix à payer pour avoir succombé aux mirages de la sorcellerie et de l'artifice. Plus de ciel, plus de flammes, plus de vie. Mon âme même se meurt, couchée dans un lit de braises glaciales. Ma vue enfin se trouble. Dernière image, celle d'une totale désolation. Le néant. La paix.

Premier texte, première impression et elle est bonne.
J'aime ce style, avec le style historico-ancien ( oui ça veut rien dire et alors!), la métaphore du feu, la réflexion foi, nature etc..
c'est agréable à lire bien que ça soit un pavé. Je ne saurai trop commenter, j'ai juste tiqué une fois ou j'aurai mis du passé au lieu du présent au début.
c'est prometteur, je dois filer, j'éditerai

Quelle coincidence, j'ai justement re-regardé Terminator 2 hier ^^ .

Texte de très bonne facture, sans faute il me semble.

Bien mené, j'apprécie le découpage triptyque, d'autant que le dernier paragraphe suggère plus qu'il ne dévoile, très bien dosé donc.

Le champ lexical de la religion est aussi très efficace, avec son style moyenâgeux. Les envolées lyriques sont bien maîtrisées également.

Juste une petite chose :

Citation :: Les armes, pourtant déjà dangereuses par le passé, devinrent d'une puissance dépassant l'entendement et la raison

Peut-être qu'un passé composé serait mieux passé ^^ .

A priori, je n'ai rien de plus à dire, très bon texte en tout cas.

Mis à part une erreur notée par Green où j'ai malencontreusement mis du passé, le fait de retracer tout le texte au présent est totalement voulu, comme le voyage d'une âme à travers les époques.

Je vous remercie tous deux pour vos commentaires. D'autres textes sont à venir, certains datant de quelques années, je vous en ferai part en temps voulu.

» Dis, mon petit papillon...
» petit et mignon
» Encore un petit!
» [Illustration] A petit feu...