[Lunaires] Choisissez de vous aimer

Une Amazone au regard bleu de lune, au front marqué d'un regard de dragon, enharnaché d'un long arc et de dagues dissimulées dans ses bottines. Une Amazone qui court, saute au dessus des obstacles, frôle l'herbe et les animaux qui s'éveillent à peine dans une nuit épaisse. Elle filait, gracieuse et silencieuse, de lointains pays verdoyants jusque dans les contrées plus sombres de la Confrérie lunaire, se gaussant de tous ceux qui surveilleraient la région, passant les murailles et atterrissant avec souplesse dans la cour intérieure. Puis ses yeux d'ombre bleu trouvèrent, funambule des étoiles amarrées à la brume comme si elle s'en servait de jupe tournoyant au rythme des chansons qu'on entendait percer jusque en bas des jardins vespéraux. Il fait si froid, comment peut on vivre au dehors? Elle trouva une liane près des longs murs couvert de lichen. Telle acrobate de talent, l'étrangère des Palais Lunaires escalada discrètement les parois jusqu'à atteindre cette équilibriste qu'elle connaît que trop. Son corps se mua, d'amazone elle retrouva un pelage doré rayonnant sans que son regard ait changé. S'asseyant sur ses pattes arrières elle fixa Cordelia Melicerte.

Telle merveilleuse âme qui n'est qu'un vent de matière, l'insatiable mouvement d'une pensée confuse. Toujours aussi belle et pourtant lourde déjà du destin qui approche, plus violent et plus amer que tous ceux qui étaient encore possible. Et tu auras ton rôle, pourquoi as-tu décidé de venir aussi?

Le mouvement ralentit, et de l'inconstante métamorphe le Lion perçut quelque grimace traverser ce corps qui se forme et se déforme sous ses yeux. Toujours immobile, éclairé faiblement par une torche lointaine, confondu dans un clair-obscur qui faisait de son ombre une fantasque chimère envahissant les pierres lunaires, il modulait avec douceur sa voix mentale au rythme des chansons effrontées.

Il est si proche le temps de vous comprendre... . Choisissez de vous aimer, douce amie.

Cordelia, jeune chouette au plumage de neige, fixa Anwen de ses grands yeux étonnés et naïfs. Dans le dos de l'oiseau, deux immenses cornes ramifiées luisaient sous la lune. Elles dégoûtaient de sang, si sombre, si sombre en la nuit. Une voix s'éleva, une voix comme il n'en existe que dans les rêves paisibles des enfants.

Vois, ma douce amie. Vois ce que ton maître a fait de moi. J'ignorais la violence. Je refusais la destruction.

Deux ailes membraneuses se déployèrent soudainement sur les cornes, en un claquement sec.

VOIS CE QU'IL A FAIT DE MOI !! Ce foutu vampire ne sait rien faire d'autre que se battre ! Il a usé de mon corps comme d'un garde-manger, puisant dans ma vélocité l'énergie lui permettant de détruire. Peuh !

La chouette cracha d'un air indigné et rageur.

Et maintenant, j'y ai pris goût, à ses conneries. Impossible de ne pas l'observer. Impossible d'essayer d'échapper à cette frénésie tellement il y prends de plaisir ! Maudit soit le Sang et ses tueries ! Ce ne serait que justice que je le détruise en retour, ne crois-tu pas ?

S'effaçant dans un brouillard, la métamorphe pris ensuite forme humaine. C'est un bambin, lèvres carmin sur peau d'albâtre qui s'approcha de la lionne et enfouit son visage dans le pelage doré. D'une voix zozotante, elle murmura :

Ne crois-tu pas ? Oh, ma belle Anwen, tu m'as manquée, sais-tu ?

Le Sang ne se détruit pas, ma douce amie, il faut juste essayer de le comprendre.

Tournant son museau vers l'enfant elle le lapa doucement comme une mère le fait à son enfant, portée vers une tristesse infinie ; au regret d'avoir toujours été ce qui les retient de s'anéantir mutuellement. Cela n'a pas toujours été ainsi. Un moment elle se souvient de leur rencontre, de leur surprise, elle se souvint qu'ils ont essayer de partager quelque chose loin des heures sanglantes de chacun. Attirant plus encore l'enfant contre son pelage, elle essaya de le réconforter mais dans ce vent elle sentit pour la première fois d'autres inspirations plus ténébreuses. C'est proche d'elle qu'Anwen comprit qu'offrir tant de soi, un corps et bien au delà ne se fait pas un certain prix, sans certaines conséquences et qu'aujourd'hui le Prince et Cordelia avaient lié leur vie d'étrange façon.

Le Sang s'est confié à toi, et se mêlant à ta vie, il te propose de détruire et de créer, il prend soin de toi comme il te demande de prendre soin de lui... .

Le Lion se transformait peu à peu et c'est une mère aimante berçant l'enfant Cordelia qui lui murmurait et voulait la rassurer au mieux.

Si tu le détruis, tu me tuerais bien aussi... Tu m'as manquée, bel enfant.

Cordelia éclata en sanglots devant la solicitude de sa compagne. Des larmes de sang vinrent éclabousser la robe de la Mère. Anwen, tout en délicatesse, passa son doigt sur la joue de l'enfant et en lécha le Sang. Le visage de la métamorphe se brouilla de rouge et l'instant suivant, un renard de feu courrait en rond autour d'Anwen.

Finalement, il se calma. Léchant nonchalament sa fourure irrisée, Cordelia prit à nouveau la parole.

Tu sais, Anwen, tout a un prix. Je paie pour mon don en ce moment même. Mais que devra le Prince, en retour de son corps ? Acceptera-t-il mes conditions ?

Puis le renard se figea, le regard perdu dans le lointain.

Et quelles sont-elles, mes conditions ?

Les conditions d'une liaison ne se découvrent qu'en certain moment, parfois tard, parfois jamais... .

La voix d'Anwen s'était comme empreinte d'un ton prophétique lointain. Ses yeux bleu sombre se teintaient de lueurs écarlates tandis qu'elles serrait plus encore contre elle ce qu'un Jour le Prince avait nommé " l'Echo qui viendra bientôt", cette lame d'anomalie qui renverse soudainement la réalité pour en écrire une autre. Cordelia... que se passerait-il si l'affrontement venait? Elle avait du mal d'imaginer ce qui pourrait bien arriver. Cette vision angoissait la Mère et ridait son front diaphane. Dans ses bras le renard devenait de plus en plus nerveux. Dans son regard, Anwen lisait une envie furieuse tel qu'elle avait connu il y a longtemps ; cette maladie de l'âme, l'insatiable soif qui convulse et arrache des cris de rage bestiale, le manque atroce d'une faim terrible et violente. Elle tendis son bras droit et tirant de sa taille une fine dague runique s'entailla le bras l'approcha du museau :

Lape, lape mon bel enfant...

Le sang venu se mêler aux tourbilllons d'inquiétude de Cordelia était comme un soulagement. Une réponse. Une renaissance. Elle n'avait, jusqu'à présent, pas pris conscience de cette faim qui la dévorait : elle cherchait le sang, la violence, la fureur, quand en fait tout ce qu'il lui fallait c'était de quoi rétablir l'équilibre brisé par l'arrivée de Sanz dans son vortex.

Et le Sang ne signifiait pas peu.

En un battement de monde, elle fit sienne l'essence qu'Anwen lui offrait. Une vague de puissance déferla en elle. De bête apeurée, Cordelia devint Dragon rugissant. Elle pouvait sentir dans son coeur les pulsasions des membres du Sang. Elle pouvait voir par les yeux du Prince. Mais, surtout, elle pouvait puiser en lui comme il volait en elle.

L'immense créature cracha vers la Lune des traits de flammes amusés. Puis elle baissa le museau vers Anwen.

Et bien... je crois que nous venons de découvrir la contrepartie que devra payer ton maître !

Anwen se releva comme effrayé même si son geste n'était pas anodin. Passant ses mains dans ses cheveux blancs elle soupira. Elle entendait déjà dans ses membres, et dans le vent furieux qui fragilise sa volonté que le regard sombre du Prince approchait dans ses veines. Se retournant pour fixer les vastes entendues qu'on observe depuis les murailles des Palais Lunaires, elle murmura:

Maintenant que tu sais, petite enfant, protège et sauve nous... . Libère nous de son emprise.

Retournant sa tête, elle laissa apercevoir des petites larmes de cristal qui vinrent tomber et résonner d'un son si pur que la nuit lui fit un écho somptueux.

Il le sait désormais.

Sa voix était tremblante, et son corps se convulsa étrangement comme mû par une possession qui s'infiltrait dans ses veines. Peu à peu ses membres se contractèrent et gémissant sous la douleur Anwen tomba au sol. Enfin foudroyée par un cri perçant elle perdit connaissance.

Anwen ? ... ... Mamoune ?

Cordelia, redevenue petite fille appeurée, se mordit les lèvres devant la vue du corps inanimé de son amie. Un sang bleu de peur coula sur son menton. Son goût fut comme une réminiscence. Un éclair traversa son regard et l'enfant releva la tête, décidé.

Non. Non, Cordelia chérie, tu ne te laisseras pas abattre !

La métamorphe s'agenouilla aux cotés d'Anwen et posa les deux mains potelées sur l'entaille que la Lionne avait au bras. Le Sang l'aiderait. Il avait la réponse, ou bien tout cela n'avait aucun sens.

Plongeant dans les volutes sombres du sang, Cordelia chercha. Et trouva. Son corps prit peu à peu la forme d'une gracieuse nymphe, la peau constellée d'étoiles. Dans sa main droite, elle tenait un caducée. Et dans la gauche, un coeur palpitait. Ses lèvres s'étirèrent en un doux sourire amoureux.

Vois, ma belle, je peux t'aider.

L'étrange lumière dans cette nuit obscure, où son corps s'effaçait peu à peu laissait Anwen vide et inconsciente, jusqu'à ce que remonte du plus profond d'elle-même une rage sourde et aveugle, le cri sourd et menaçant d'une voix furieuse. Bien qu'elle eut essayée vainement d'y résister, le rituel qu'elle venait d'entamer avait fragilisé ses forces. Et ce fut lentement mais sûrement qu'elle se laissa gagner par la puissance de son Maître. Les traits de son visage se tordirent, le corps de la Mère sembla se déchirer et se reformer sous l'impulsion d'un architecte recomposant dans la douleur chaque composant de sa composition. Puis ce fut le silence et l'horrible vision d'un corps ensanglanté et recousu. La monstruosité se releva brusquement et ce fut non la voix de l'enfant Amazone mais celle de Sanz qui trancha dans la nuit dans un hurlement frénétique:

Que crois tu, que crois tu faire de mon sang et de mon âme? Comment oses-tu y toucher de tes mains sales et..ho criminelles ?! Ravale tes jeux, ravale tes mimiques et tes transformations, tu as plongé et je le sens bien, je le sens trop que tu t'insinue dans ma tête. Arrête! Ce sang... la voix se fit plus lente, haletante tandis que le corps monstrueux avait réussi a plaquer Cordelia contre le sol et l'haleine fétide couvrait son visage d'odeurs insoutenable. Ce sang n'est pas le TIEN! REND moi ça, petite... tu vas te faire du mal. Tu ne sais pas ce que cela vaut, ce que cela fait. Peu à peu tu n'es plus rien, peu à peu, si tu veux, tu vas m'appartenir et je vais respirer, ressentir à nouveau, et tu vas hurler dans ta petite cage de sortir, de vivre, de parler. Mais il n'y aura plus rien que le sang pour t'écouter, et te noyer dans sa vase de mémoire. Regarde bien quand tu touches au sang ce que je fais de toi... Petite...

Lentement, la tête déformée d'Anwen se retira et laissant libre l'enfant lunaire la fixa en lui soufflant:

Saute!

Et Cordelia sauta de la muraille, conscience muselée, atterrissant dans la cour plus bas dans le craquement significatif d'os qui venaient de céder. Incapable de pouvoir se transformer, enfermée dans une emprise fugace mais suffisante, elle ne put que crier et le sang qu'elle avait troublé filait mollement, absorbé par les rainures des pavés.

La bouche d'Anwen se tordit d'un rictus terrifiant et un rire aigu arracha la quiétude de la nuit aux seuls qui dormaient encore. Alerté des gardes arrivèrent et saisi d'horreur face au monstre s'approchèrent prudemment. Quand ils virent la jeune femme au sol, baignant dans une mare de sang ils ne réfléchirent pas plus longtemps et s'armant de courage tentèrent d'encercler la bête afin de l'enchaîner. Mû par d'étrange pensées l'enfant possédé ne chercha pas à se défendre. Sa voix seule faisait frémir ceux qui l'emportaient. Comme pour conclure elle lança un cri en direction de la suicidée.

Je n'oserai te faire retenir qu'une unique chose: Le Sang n'appartient pas aux faibles.

A la fin de sa phrase on l'emmena, solidement lié par des fers. Elle suivit mollement les gardes tandis que très lentement ses traits revenaient et que l'Appel lent et vengeur du Sang refluait dans ses veines jusqu'à s'endormir.

Quand on l'envoya heurter brusquement le sol , mordant la poussière et la pierre avec son menton, Anwen ne se releva pas. Elle supposa aux dires de ses geôliers que la situation n'était pas courante et qu'ils hésitaient sur la marche à suivre. Effectivement, ils se réunirent autour d'elle et semblèrent attendre tandis qu'un des leur quitta le groupe et s'en alla rapidement. Quand elle se mit à parler tout doucement, les visages éberlués des gardes la fixèrent:

Vous devriez me tuer, maintenant. Après il sera trop tard.

Un moment l'un des agents la dévisagea, comme surpris, les yeux grand ouvert et la bouche ouverte. Il la fixait, incapable de répondre puis se tourna vers son employeur.

Elle a perdu ses balafres et son visage est redevenu normal, chef, c'est ... il n'eut pas le temps de continuer, les mains d'Anwen tirèrent sur le fourreau de l'épée du chef avec insistance. Il la renvoya au sol avec une claque violente. Basculant en arrière elle atterrit la tête contre un mur. A peine pouvait-elle dans la douleur encore répéter :

Tuez moi, Monsieur.

Ton heure viendra rassure toi, en attendant tu vas dire bonjour aux rats du coin. Ca va être notre meilleure solution.

Reprenant leur route, ils la tirèrent tel un boulet. Anwen refusait de les suivre, se laissant traîner de force tout en criant qu'elle devait être abattue. Quand elle fut jetée violemment dans les fossés qui semblait jouxter des égouts elle reçut de plein fouet la boue crasseuse et l'odeur fétide assiégea ses sens. Relevant sa tête maculée elle leva des yeux emplis de larme, tendis ses bras en direction d'eux et murmura une dernière fois - Tuez moi, Monsieur - avant de s'effondrer contre les bords glissants, laissant sa tête dodeliner lentement sur sa poitrine.

Alors que la fillette s’écroulait dans la putréfaction délétère des égouts de Galvorn, la boue macula les pieds pales d’un être a coté d’eux. Il ne put s’empêcher d’agir. La crasse avait décidé dans l’inclure, il faisait donc partie de l’histoire. Il se leva lentement s’approchant de la jeune fille et il s’accroupi pour lui tendre la main. Sont sourire bienveillant traversait sont visage pale que la lune éclairait de teinte bleuté.

- Prend ma main ma fille viens a moi, et laisse donc la putréfaction de sang ronger elle-même les goules qui la servent. Prend ma main ma fille, et rejoins le sein de la lune, laisse sa pale lumière te montrer le chemin.

Une musique sortait de nulle part donnant aux mots du primera, le poids qui leur convenait. La méta morphe ne put que remarquer le changement d’air, comme si la soif de souffrance de l’ange c’était éteinte. L’ange remarqua son regard étonné.

- Je suis le prince des rêves, la folie est mon épée, la souffrance mon bouclier, je revêts le sombre manteau de douleur qui couvre la pâleur mortuaire de mon âme immortel, derrière moi dans la tempête de ma haine flotte l’oriflamme de vos visage. La destruction sera le cheval de haineuse cavalcade, les cris de ma peine seront les carillons messager du déchu destructeur, je ne suis plus qu’un dans ma multitude.

Sa voie était restée calme, tout en prononçant ces paroles lourdes de sens. Sa main tendu restait la a attendre la réponse de sa confrère.

Brisée. Perdue. Une foule. Morts. Sang. Douleur. Oh oui, douleur. Pas la sienne, mais pas loin. Le sang l'avait emmenée trop loin. Elle s'était égarée dans la mémoire folle du Prince, sans point de repère parmi ces trop nombreuses âmes étrangères. Qu'elles avaient peur ! Elles criaient si fort et pourtant, leur silence était plus profond et plus noir que les limbes. Ce n'était que des bouts de passé arrachés ; oubliés. Des témoins muets de ce qui avait été.

La présence de l'ange fut comme un second souffle, un point de repère. Elle permit à Cordelia de retrouver, petit à petit, le chemin vers son corps. Doucement, elle reprit forme mouvante, léger tourbillon de sable fin.

Teysa lui disait la guerre à venir.

Vous êtes tous fous. Mais je crois préférer ta folie à celle du Sang ! Je serai des vôtres lorsque l'heure du combat viendra. Le Prince est bien trop puissant ; si personne ne se dresse devant lui, j'ai peur, je dois le dire, pour la mémoire de notre chère Aelis. Alors, que dois-je faire ?

Puis, brusquement, le sable se figea et prit l'apparence d'un chien de prairie, levé sur ses pattes, toute son attention tournée vers le palais.

Dans les égouts. Teysa, fais moi une faveur : va secourir mon amie que tes gardes ont capturée.

Teysa le Sombre s'en était retourné comme il était venu : sans crier gare, sans faire un bruit. À nouveau, Cordelia se retrouvait seule, quoi que sa solitude fut hantée d'une foule de souvenirs qui criaient son nom. Soit, elle tenterait d'accéder à leurs suppliques ; après tout, elle n'avait rien de mieux à faire !

De chien de prairie, la métamorphe devint rat. La forme parfaite pour là où elle devait aller. Son pelage était blond, aux reflets roux sous la lune. Un hommage à celle vers qui elle accourrait. Elle trottina - clic clic - sur les pavés qui entouraient le palais, se dirigeant vers les soupiraux menant aux égouts. De l'un d'eux s'élevait une litanie funèbre.

Tuez moi... tuez moi...

Tuez moi... tuez moi... tuez moi

Tuez moi...

Cordelia rentra son gros ventre de rat et se faufila entre les barreaux de la grille. Elle atterrit dans la fange avec un bruit d'éclaboussures, interrompant les suppliques qu'Anwen répétait à mi-voix.

Tendre amie... me voilà ! Te voilà ! Et te voilà dans un drôle d'état. Que puis-je pour toi ?

Cherchant le moment et l’instant, caché dans l’ombre d’un rat, Teysa attendait de comprendre. Qui était cette amie que recherchait Cordélia. Quel était cette litanie qui résonnait dans les brumes de l’inconscient. Curieux, à pas de chat, Teysa suivait la métamorphe, attendant patiemment l’instant qui répondrais a ses questions et qui lui permettrais d’aider sa consœur.

Cordelia attendait encore une réponse de la part d'Anwen quand elle fut pris d'un frisson violent qui délita tout son corps. Celui s'affaissa en un tas de poussière, dans lequel étaient tracés quelques mots épars :

Désolée. Courage. Retour ?

Voilà que je suis lente souricière perdue dans mon sang, dans mon silence, voilà que je me perd, voilà que tout s'enfonce dans la fange, dans la boue, dans les odeurs macabre d'une vie éparpillée. Voilà qu'il faut me tuer mais que personne ne veut et me voilà qui me répète inlassablement: qui étais-je, que suis-je devenu? J'ai encore faim, j'ai encore soif, rendez moi vie, rendez moi mes souvenirs ; je ne suis qu'un enfant vampyre qui se serait perdu dans des rêves trop grands ; car je vois encore ces monolithes de pierre immobile tel des héritages que je crois comprendre, qui ne porte aucun sens , ces cavernes de mémoires tachée d'images confuses et de lac gonflés qui débordent sur mon âme , car je vois toutes ces rues chargées de fontaines, déchargée d'un monde, d'une foule absente, disparue. Voilà que je vais presque jusqu'à mon souvenir, et qu'il me fuit... .

Anwen respira lentement tout en psalmodiant ce vieux rêve qu'elle se répétait souvent. Dans les égouts noirs elle voyait fondre cette Cordelia qui avait osé boire le Sang des Princes et qui lui ressemblait peu à peu. Elle aurait voulu lui crier : fuis, fuis, fuis! Il te rattrapera, et il t'ordonnera tel qu'il m'a ordonné. Mais ordonné quoi? Sa mémoire vacilla, ses sentiments aussi, elle semblait à son tour se liquéfier dans de noires marasmes, qui la confondait : peut-on fuir ce qu'on a oublié?

Une rage brusque l'ébranla, sauvage et violente, une rage désespérée. Elle fit jaillir son arme et dans les poussière d'une Cordelia planta son arme.

Toi qui te meut en tout, toi qui finira l'ombre de tes métamorphosera et chassera le Prince tel une possédée, Toi qui sait ce que c'est désormais que d'être plongé dans ces fleuves de Sang: relève toi, nous ne serons jamais, jamais, totalement soumises... .

Teysa s'avança lentement sortant de l'ombre, il plongea sa main dans les poussières, les laissant s'écouler entre ses doigts. Une larme coula lentement sur sa peau diaphane, s'écrasant plus bas sur le sol corrompu des égouts. Il se redressa et posa son regard sur Anwen.

- Qui es-tu ? Toi que je dois sauver, Toi qui est si plein de noirceur, tes sombres couleurs empuantissent ma vue. Pourquoi dois-je te sauver. Tu as l'odeur de ce prince sanguinaire. Tu sens la cruauté et la mort a plein nez.

Les cendres de Cordelia s'envolèrent tournoyant autour de Teysa, se multipliant sans cesse. Six grandes ailes noires sortirent du dos du primera dans un atroce bruit de déchirement, du sang suintant des plaies ainsi crées. Teysa leva le regard vers le plafond des égouts, donnant l'impression de voir bien au-delà, dans les cieux lunaires.

- je suis Teysa le sombre, Teysa Netzach Wesrina, ô ma pâle mère, entend ma prière, garde précieusement en ton sein l'âme de mon amie soigne la, qu'elle revienne parmi nous, quand sera venu le temps, pour elle, de nous rejoindre à nouveau.

Il posa de nouveau le regard vers Anwen plongeant ses yeux dans les siens, toujours avec cette impression de voir bien au-delà, les profondeurs de l'esprit, les méandres de la pensée

- dit moi qui es-tu ?

Elle releva la tête, puis se tordit dans la fange, foudroyée de spasmes. Quand elle étira un sourire, ce fut une grimace. Un rire cinglant approcha ses lèvres, ses bras décharnés se tendirent vers ce qui ressemblait à un ange avant de retomber mollement. Elle murmura doucement vers cet être:

Tu crois me faire peur à coup d'ailes, hein...? J'en ai déjà vu, des ailes comme, au nombre pareil, volant dans d'improbables ciels pour aller se faire déchirer une à une au soleil... . Ce ne sont pas mes souvenirs mais je m'en rappelle tout de même, étrange n'est ce pas?

Elle fit une pause, cracha un peu de sang dans une toux acre, puis repris dans un souffle :

Je ne suis pas grand chose, pas humaine, pas vivante. J'ai du sang froid dans mes veines, et mon corps...je ne sais plus à quoi il ressemblait. Il devait pourtant être quelque chose.

Se relavant avec difficulté elle planté ses yeux dans ceux du Prince sombre, fixant de ses pupilles fendues l'ange primera qui la toisait du haut de sa stature.

Toi et moi, nous nous ressemblons. Des semblables dieux se déchirent et nous subissons leur querelle au fond de nos âmes comme de poignants dards divins qui s'entredéchirent et nous laissent exsangue. Et quand nous nous effondrons, nous devons nous relever pour supporter le poids d'un monde dont nous sommes les héritiers... . Quel est ton monde, toi, le Prince?

Ce n'était pas vraiment une question, simplement l'évasion d'une parole sur les lèvres d'Anwen. La fatigue rompait ses pensées, et peu à peu elle s'éloignait du réel pour plonger dans des rêves sans fin. Quand elle retomba dans la boue, elle ne s'enfonça pas, flottant dans son sommeil comme elle flottait sur cette mer sombre, elle s'endormit gracieusement.

Quel ne fut pas la surprise d'Anwen quand, ouvrant les yeux dans ses rêves, elle vit devant elle le visage souriant du prince.

- J'aime ta façon de penser petite créature, de toute façon j'ai toujours eu tendance à me rapprocher des déchus et des abandonné de l'unique.

il ferma les yeux et inspira profondément pour profiter du moment présent.

- Je ne t'abandonnerais pauvre âme, je ne sais pas qui tu es, ni pourquoi tu as l'odeur de mon ami destructeur et sanguinolant, mais tu me plaît...

il alluma une longue pipe, tira une bouffer, puis recracha un nuage bleuté. il tendit ensuite l'instrument à Anwen.

- Bien, maintenant dis moi de quoi je doit te sauver.

Les phrases du Seigneur lui arrivaient par bribe, parfois difficile à comprendre, parfois limpide. Son esprit jetait des vagues d'effort pour ne pas sombrer dans le néant. Enfin ses paupières se relevèrent lentement , ses yeux se remirent lentement a briller et se dirigèrent vers le Prince. Ses souvenirs en lambeaux glissaient des images terrifiantes de son visage, lui rappelant ses métamorphoses monstrueuses puis son visage parfait de Reine. Elle reprit lentement sa respiration froide, avant de répondre lentement :

Ce Prince sanguinolent cherche un Artefact pour remplacer la destruction d'une de ses âme.S'il réussit, nous autres, âmes, seront a nouveaux enfermés pour quelque siècles. Nous ne voulons pas être enfermés.

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