[Auteur] Jean-Luc Caizergues

Né en 1954, Jean-Luc Caizergues est machiniste à l'opéra de Montpellier.
Il n'a entrepris d'écrire « sérieusement » – mais avec une application
sans faille – que depuis quelques années. Il travaille actuellement à la rédaction d'un roman. La plus grande civilisation de tous les temps, qui regroupait ses premiers écrits, est paru en 2004 dans la collection Poésie/Flammarion.

Jean-Luc Caizergues poursuit avec Mon suicide sa joyeuse entreprise de destruction du paysage contemporain. Comme son précédent ouvrage, ce nouveau volume regroupe trois séquences de poèmes (l'auteur préfère le terme générique de "poésie-fiction"): un Petit catalogue de vente par correspondance qui répertorie jusqu'au vertige les objets usuels d'une maison étrangement désertée; Perdant, qui égrène une série de défaites cruelles ou navrantes; Mon suicide enfin, petit musée des horreurs intimes - d'un humour noir à la Topor- où les pères cherchent à se débarrasser des fils (et inversement). Un court récit en prose: Mourad, jette à la fin du volume une lumière plus trouble sur cette singulière entreprise, où le poème se voit littéralement réduit à sa plus simple expression.

J'aime bien cet auteur même si son travail peut soulever la polémique. D'ailleurs c'est aussi pour cette raison que je l'apprécie. Ça façon de mettre des coups de pieds, dans les images du quotidien et dans les dogmes poétiques, est interessante et surtout très construite.

Voici des extraits de "mon suicide".

CAMÉSCOPE, TÉLÉVISEUR, PONCEUSE


LE CAMÉSCOPE

Oublié
dans
le cou-
loir il

continue
de filmer
en gros
plan

au ras
du sol
la vie
des rats.


LE TÉLÉVISEUR

Écran
plat affi-
nant la
pureté

des cou-
leurs.
Demeure
éteint

et reflète
1 homme
assis
ligoté.


LA PONCEUSE

Son
ponçage
ultra-
fin

trans-
forme le
méchant
Visage

pâle en
gentil
Peau-
Rouge.

CHAISE, ALARME, BUFFET

LA CHAISE

Style
campagne.
Dossier
hêtre

verni,
assise
paille de
seigle.

Flotte
au milieu
de la
piscine.


L'ALARME

Une
sirène
intérieure
et 2

détecteurs
de mouve-
ment. La
sirène

extérieu-
re est
en
panne.


LE BUFFET

Chêne
massif.
Largeur
157 cm,

hauteur
90. Bar-
ricade
la porte

d'entrée
fendue
à la
hache.

HONORE TON PÈRE ET TA MÈRE

JEU DE PLAGE

Mon père
saisit ma
soeur par
les pieds,

la fait
tournoyer
et la jet-
te à l'eau.

Moi j'at-
terris
sur les
rochers.


PUNITION

Ma mère
m'inter-
dit
d'aider

mon père
et mon
frère à
étouffer

ma soeur
avec un
oreil-
ler.


RÉCOMPENSE

Mon frère
enfonce
2 doigts
dans ma

bouche
en criant :
Crache !
Puis il rince

à l'eau
claire et
mange le
bonbon.

C'est effectivement très drôle dans l'humour noir, ces petites annonces poétisées. La forme en fait une lecture saccadée je trouve, comme si l'auteur, frénétique, appuyait chaque ligne d'un marteau sur un clou.

Les dernières sont à mourir de rire. Le troisième vers est toujours aussi magique dans la chute (sur les rochers). Belle découverte!

Entièrement d'accord avec toi Airet Syl. L'image du clou est du marteau sied à ravir à cette poésie saccadée et pleine d'humour grinçant.

D'ordinaire je ne traine pas les pieds dans le coin, mais j'ai été attiré par le nom - allez savoir pourquoi. J'ai beaucoup aimé et relu plusieurs fois.

C'est effectivement drôle, et dans la forme et dans l'image. Merci de nous l'avoir partagé. je jetterai un coup d'oeil plus approfondi tantôt.

.S.
Ravi que ce nom, aussi aiguisé que les poèmes de l'auteur, t'ai mené jusqu'ici. Oui, ça vaut le coup de se procurer le livre qui comporte trois recueils en un. Tous de même facture.