GPS

GPS

Voilà bientôt 4 ans, enfin, 4 ans... ou plus, je ne sais pas vraiment (le temps est tout relatif, il paraît), que je travaille pour le Groupement Galactique d'Intelligence Cybernétique. Je suis, par ailleurs, un de leurs produits. L'Humanité en moi a comme un air de cousinage avec l'homéopathie. La mémoire de l'os. De l'Homo Sapiens Sapiens, il ne me reste que le cerveau, quelques parties de visage et des bouts, par ci, par là.

J'ai été mis au point afin de tester les nouveaux produits nécessaires à l'exploration spatiale : les derniers vaisseaux aux technologies révolutionnaires mais parfois létales pour un organisme régit par les lois du carbone ; les gadgets qui facilitent la vie au spationautes (ou vidonautes comme disent les Kobaïens), du genre, la poche à pipi qui se vidange toute seule grâce à un astucieux système de clapet anti-retour en tungstène-diamant et une propulsion utilisant l'énergie démente de la flatulence. Rien ne se perd. Une variante ludique et goûtue : la poche qui transforme l'urine des diabétiques en miel. Un grand succès commercial, surtout depuis la disparition des abeilles. Mon rôle n'avait consisté qu'à changer les poches et les faire ingérer à des volontaires accomplissant un travail d'intérêt galactique. Ce genre de chose quoi. Boulot sympa. Changeant mais exigeant. Il faut être doté d'un esprit critique impartial.

Mon petit nom est Aldo. C'est comme ça que les bios m'appellent. C'est sûr que c'est plus facile à prononcer que QWX-77-C. Pourtant, je trouve ça joli moi, QWX-77-C. Enfin, on ne choisit jamais comment les gens vous appellent. Ils vous appellent. C'est tout.

J'ai reçu une convocation du directeur de projets et, en unité biomécanique obéissante (UBO), je m'y rends d'un pas jovial, souriant béatement. J'enfile les couloirs illuminés de manière à ne laisser aucune chance à l'ombre, avant d'arriver devant la porte monumentale du service Recherche Développement et Tout Ce Qui Sera Bien Plus Tard, le célèbre RDTCQBPT, qui s'ouvre dès que j'ai franchi le dernier mètre avant de m'écraser sur elle. Il ne faut pas marcher trop vite à ce moment-là, sous peine de fâcheux désagréments collisionnels. Ça, je maîtrise. Le droïde d'accueil se presse instantanément et commence son harcèlement textuel.

C'est pour quoi ? Vous avez rendez-vous ? Votre nom ? Vous avez votre biopass, votre drodpass ? Et gnagnagna...

'Fin, la routine quoi.

Au bout de 42 minutes, je suis enfin dans le bureau de mon chef vénéré.

- Ah ! Aldo. Te voilà. Tu prendras bien un verre de dégrippant ?

- Avec plaisir M. le Directeur.

Le Directeur me sert généreusement un verre de mon breuvage préféré. Ça vous remet les circuits en place en 4-2. Vous devriez essayer. L'expérience est inoubliable.

« Bon, j'ai une mission pour toi. Elle devrait te plaire, vu tes goûts. Il ricana avec ce son nasillard ridicule qui a la fâcheuse tendance à dissiper tout sentiment d'autorité. Lui, se sert un whisky double malt à la tourbamine bi-activée. Je ne sais pas comment il peut boire un truc pareil. Super dégleu. Mais bon, c'est l'chef.
« Nous avons mis au point un GPS galactique à la technologie révolutionnaire. Finis les galères sidérales, les errances au milieu de nuages de débris, les embrouilles avec les trous noirs. Il est reprogrammable en cours d'utilisation sans avoir à recommencer toute la procédure. Le RDTCQBPT compte beaucoup sur ce produit pour reconquérir le marché alpha-centaurien. Ahaha, ces Alpha-centauri et leur absence totale de sens de l'orientation !!! Nous allons faire fortune !
Il toqua son verre contre le mien en signe de connivence victorieuse.
« Il va sans dire que nous comptons beaucoup sur vous, Aldo, reprit-il en me prenant par les épaules. Nous sommes très content de votre travail et de vos performances. Si, si. Vous êtes un élément clé dans notre stratégie proactive de développement infiniment durable. Votre nom a été immédiatement cité, continua t-il sur le ton de la confidence d'un comploteur, vous pensez bien. Huhu. Vous partez demain à cinq zéro zéro. Voilà votre feuille de route, le manuel d'utilisation et une bouteille de dégrippant.

Une tape dans le dos et la conversation se termina.

Bon.

Allons-y, Alonso. 'Tain j'deviens aussi débile qu'un bio accro aux carambars...

TU 52 327. - 5.00.

J'arrive à l'astroport de la société. Le vaisseau test m'attend, tranquillement posé sur ses patins. Le modèle est basique, bien sûr. Du genre tracteur de plateforme, modèle Nostromo 7. Une cabine de pilotage, une zone d'habitat avec sarco de cryogénisation pour les très longs voyages et basta. L'avantage de ce type de vaisseau, c'est le caractère très confortable du poste de pilotage. Il serait, théoriquement possible d'y rester plusieurs mois. Les nécessités organiques sont entièrement prises en charge. Un vrai luxe. Pour un cyborg UBO, cela n'a guère d'importance, mais l'effort fourni par les concepteurs mérite d'être souligné et force l'admiration. Allez, une petite Ola. Cela leur fera plaisir, eux qui, pauvres geeks, ne se décrochent de leur ordinateur que pour aller vidanger les déchets produits par les filtres organiques : foie, reins, vessie. Pitoyable. Parfois je me demande si je ne déteste pas les humains. Pourtant, Azimov est en moi...
Bon. Je branche le plot cervicale sur ma « moelle épinière », placé à l'arrière de mon cou. Cela me permet de communiquer avec les 0.1 (c'est le petit nom que nos donnons aux serviteurs purement informatiques).

« Bonjour UC, ici UBO QWX-77-C, aka Aldo. Nous allons passer un certain temps ensemble. Programme : test de vos modules de navigation. Sinon, ça roxe ?

« Bienvenue à bord QWX-77-C. Notre collaboration sera extrêmement enrichissante. Je subodore. Je suis tout ouïe. Vos ordres seront mon plaisir.

« Votre programmation est parfaite, camarade. Une autre réponse aurait nécessité un rapport à l'Administration centrale pour sédition. Vous marquez un point. Bravo. Bon. Je souhaite aller sur Bételgeuse 7. Calcul de trajectoire. Évaluation du temps et tout l'toutim. Hophophop. Et pas dans 10 minutes !

« Bételgeuse, Bételgeuse,

« STOOOOOOOP !!! Pas trois fois, ça porte malheur !

« Nnnnaccord. Donc, là. Je vois. Alors : après le prochain astéroïde, tournez à droite de 67°. A peu près.

« L'à peu près n'est guère contractuel, cher ami. Faites un effort bon sang ! Sinon mon rapport va vous envoyer direct sur la planète des rebuts, tenir compagnie à UCM-2077.

« Rhooo. C'était manière de parler. Une tentative maladroite de singer l'humanité dans son approximation narrative, m'voyez ?

« Non. Vous êtes une machine. Un outil. Point barre. Je ne demande pas à un marteau s'il est d'accord pour planter un clou, grosso merdo. 'Kay ?

« Kay... Attention ! Tournez à droite de 67° dans 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, tournez.

« Ba voilà.

« Puis continuez tout droit pendant 10 années lumière.

« Pourriez-vous m'expliquer pourquoi, d'un seul coup, votre voix devient celle d'une playmate ? Hmmm ?

« Euh... non, en fait. Un genre de réflexe électronique, je subodore. Mon ADN booléen, sans doute.

« Je trouve que vous subodorez un peu trop....

TU 52 337. - 9.06.

« Dites, machin 12.0, j'ai comme un doute là. Êtes-vous bien sûr de vos coordonnées ? Je trouve nos alentours bien vides de tangibles repères...

« Ahahah, êtes-vous sérieux ? Ne voyez-vous donc pas l'amas gazeux rougeoyant de la frange occidentale de Bételgeuse 7 développer sa grâce diaphane ?

« Eh bien ! Pour tout vous dire... non. Il n'y a strictement rien dehors. Juste du noir et, en hyper-arrière plan, des tout petits points lumineux. Flippant quoi. Un peu.

« Ha... Fâcheux ça. Pourtant la résultante du cosinus du carré de la fonction étrange est formelle... Ah noooon ! Ahahah. Je m'a gouré. J'ai oublié la retenue. Hihi. Une erreur de débutant. Non mais le truc improbable, là.

« Pardon ?

« Je m'a gouré.

« Nnnaaaaccord. J'avais bien entendu. Et vous pouvez corriger tout ça. Bien sûr. Et fissa, off course.

« Oulah ! C'est que c'est pas gagné ça. Je crains qu'il me faille tâtonner un certain temps pour retrouver le point à partir duquel notre chemin s'est fait buissonnier.

« Du genre ?

« Ba chais pas moi. Disons... cinq à six ans si j'ai de la chance...

« Ah. Bon je vais programmer la mise en cryo-sommeil de mon cerveau, car sinon, je crains de ne pouvoir résister à l'envie d'un démontage exhaustif et définitif de vos circuits.

TU 52 343. - 9.06.

« Alors ? Y a t-il quelque chose qui puisse me laisser imaginer que nos affaires s'arrangent ? Quelque chose comme : « j'ai trouvé où était mon erreur et tout est réparé, nous ne sommes plus perdus à dache dans l'infini inter-sidéral »

« Ah ! Vous êtes là. Eh bien ! Imaginez que mes calculs avancent au pas des géants de TXY-22-CY-78. Je suis presque parvenu à résoudre la résultante de l'anomalie circonvolutive. Je suis à un cheveux de mérou de nous renvoyer au point de déviance. L'est pas belle la vie ?

« Un poil de mérou, vous avez dit. Bon je retourne dans mon caisson...

TU 52 353. - 9.06.

« Tadam ! Et voilà l'travail : back to à l'origine de l'anomalie-qui énerve ! Bon réveil Aldo.

Une petite migraine flottait dans les quelques fragments organiques réminescents dudit Aldo. L'impression d'avoir passé la nuit à écouter du reggae. Une expérience douloureuse. C'est d'ailleurs pour cela que le reggae fut interdit en 3213 par la Convention de Genève 4242.

« Ouèp. Salut à vous Lalouze 12.0 ! Vous êtes bien sûr de vous, là ? Nous sommes bien revenus au point de divergence ?

« Sir, yes, sir !

« Je vous serais infiniment reconnaissant de programmer un retour à la maison, là. Le test est terminé, mon ami.

« Comment ça terminé ? Vous n'avez pas encore pu goûter à la puissance de mes algorythmes de navigation dans une nébuleuse gazeuse ! C'est ma spécialité quand même !! Vous ne pouvez rater ça !

« Si. Back to à la maison, siouplé. Et plus vite que doucement. Consigne 1.1, urgence absolue !

« Ba, alors, si c'est du 1.1...

La porte du boss élevait son impressionnante stature devant moi. Elle s'ouvrit en grinçouillant quelque peu.

« Aldo ? Mais que diable faites-vous ici ?

« Eh bien... je viens faire le rapport oral de ma mission avant de procéder à sa transcription écrite, comme le veut la procédure.

« Oui bien sûr. Suis-je bête. En même temps, cela fait juste 26 ans que vous avez quitté l'astroport.

C'est vrai qu'en y regardant de plus près, le dab, il avait pris des années. Des rides, des cheveux immaculés, des veines un peu plus apparentes, des taches sur les mains et tout quoi.

« Vous êtes dispensé de rapport, Aldo. Le modèle que vous avez testé est, bien évidemment, obsolète. Notre technologie est à des années lumière du principe qui présida à l'élaboration du système que vous avez testé. Vu le temps que vous avez mis, je suppose, par ailleurs, que des bugs rédhibitoires émaillaient la programmation du produit. Non ?

« Ba si. Vous noterez tout de même que j'ai fait mieux qu'Ulysse. Six ans de plus quand même. Et pas de Pénélope, s'il vous plaît !

« C'est vrai. Respect. Bon. Une nouvelle mission vous sera allouée dans les heures qui viennent. A bientôt Aldo.

« A bientôt, patron.

Sont parfois lourds les bios...

Ah ah !

C'est moi qui me colle au premier commentaire, non sans émotion Heureux

Je commence par les points négatifs :

Une petite migraine flottait dans les quelques fragments organiques réminescents dudit Aldo. L'impression d'avoir passé la nuit à écouter du reggae. Une expérience douloureuse. C'est d'ailleurs pour cela que le reggae fut interdit en 3213 par la Convention de Genève 4242.
Ce passage à la troisième personne jure pas mal avec l'ensemble du texte, qui est entièrement rédigé à la première personne. A mon avis, pour des raisons de cohérence, tu devrais le revoir.

Quelques coquilles de-ci de-là.

La ponctuation des dialogues n'est pas non plus idéale :-(

Quant au reste, bah, j'ai pris beaucoup de plaisir à retrouver ton style pince sans rire, tes références à la SF (en particulier celles liées à ton univers propre). L'humour est toujours aussi fin et efficace. Le sens du bon mot, les situations burlesques, la justesse du ton, tout y est ^^

Comme dans mes meilleurs souvenirs.

Si tu veux profiter de plus amples commentaires techniques et de corrections, je te propose de déplacer en WIP.

Ô toi, grand Kobaïen, aussi magistral que soit ton art, Maître Gnomax : tu n'y couperas pas non plus XD

Héliaste Nombre de messages : 4758 Age : 36 Date d'inscription : 27/11/2007

Globalement, je suis d'accord avec dvb. Il y a beaucoup de moquerie à l'égard de la SF mais on sent toutefois que c'est une moquerie tendre et respectueuse : c'est une véritable auto-dérision.

Pour le passage le plus burlesque, la poche à pipi, je trouve qu'elle arrive un poil trop tôt, ça m'a fait un peu tiquer. Mais j'ai quand même ri très fort en lisant l'histoire du miel, comme quoi, les blagues pipi-caca marchent encore. Je reste sceptique sur la position que tu lui as donné : pourquoi si tôt ?

Bon, je profite que mon repas est entrain de cuire, pour commenter.

Sur la partie de la poche à pipi, ce qui m'a gêné c'est le rôle d'Aldo. A la fois, il dit qu'il sert à tester les trucs potentiellement dangereux, et pourtant dans toute la suite du paragraphe, il dit que son seul rôle c'était de faire ingérer à des TIG. Comme si tu avais intégré les poches à pipi avant de te rendre compte qu'un robot ça pisse pas.

Sinon les dialogues manquent de verbe de style "dit-il" ou autre, à tel point que dans le premier avec le GPS, j'ai réussi à m'y perdre sur qui disait quoi...

Cependant, sans me faire vraiment rire (il en faut beaucoup en texte pour cela), ton récit m'a fait sourire à peu près du début à la fin. Je crois que c'est mon premier texte SF parodique et j'aime bien.

Merci pour vos commentaires.

Tu as tout à fait raison DayVayBay. Je n'avais pas percuté sur ce changement de narration. M'en vais le revoir.
Tu déplaces si tu veux, je n'ai aucune prétention en matière littéraire. J'écris pour m'amuser et recevoir des conseils est toujours bénéfique. Un œil extérieur est souvent salutaire (c'est ce que je fais dans le civil avec la littérature grise).

Non, lothindil, c'est juste fait exprès. Désolé que tu n'aies pas goûté l'absurde de la situation. Sur les dialogues, tu as peut-être raison, mais personnellement je trouve que cela alourdit. Néanmoins en distillant parcimonieusement, ça pourra peut-être le faire. En tout cas merci d'avoir pris le temps d'une cuisson pour me lire Content

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Gnomax a écrit:: Néanmoins en distillant parcimonieusement, ça pourra peut-être le faire. En tout cas merci d'avoir pris le temps d'une cuisson pour me lire

Je compte que pour la lisibilité (quand y a pas de jeux de couleurs comme j'utilise pour mes rps), un moyenne de 1 pour 5 ou 1 pour 10 est suffisant, et ça permet de marquer des émotions, des moments forts du dialogue, des sentiments/sensation par rapport à ce que raconte l'autre (surtout dans une écriture à la première personne)...

Genre :
« STOOOOOOOP !!! Pas trois fois, ça porte malheur ! ", le coupé-je juste à temps.
Pardon ? ", lui demandé-je, certain d'avoir mal compris.

(et non, c'est pas pour te lire, c'est pour te commenter. mais de rien quand même^^)

Première lecture d'un de tes textes, et je suis surpris par ce style. Et ça donne envie de lire d'autres textes de ce genre de ta plume.

Revois bien la façon dont tu tournes tes dialogues, j'ai vraiment eu du mal à être dedans sous cette forme. Enfin, je suis très traditionnel dans la manière de faire les dialogues en écrivant mes histoires, peut-être suis-je tout simplement trop traditionnel de ce côté là justement ^^
Mais les dialogues sont agréable et prêtent souvent à sourire. J'adore cette façon d'envoyer les mots dans la face du lecteur, surtout dans un récit à la première personne.

Un texte hyper sexy, j'approuve et recommande la lecture de cette nouvelle.

Héhé lothindil, j'adore la nuance entre lire et commenter. Prendrais-tu le rôle que tu sembles avoir endosssé comme une obligation disconnectée du simple plaisir de lire ? Je ne le crois pas une seconde. Ce serait trop triste. Néanmoins, prends garde aux mots que tu emploies, ils pourraient blesser. Je te rassure, ce n'est pas mon cas : chuis un vieux machin très blindé Bleu

@L.I.S : je prends bonne note de ton malaise sur les dialogues. Si tu éprouves un tel sentiment, c'est que je me suis raté... M'en vais voir comment te décontracter Riant

Merci. La critique grandit.

Héliaste Nombre de messages : 4758 Age : 36 Date d'inscription : 27/11/2007

Moi les dialogues ne me dérangent pas, au contraire, ils sont très naturels dans le sens très oral. J'ai toujours la sensation qu'à l'écrit les retranscriptions des dialogues ne sont pas "crédibles", mais ce n'est pas le cas ici. Vous me direz, rien de cette nouvelle n'est crédible ! Tétanisé