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 La Légende de Liertes

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rei
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Date d'inscription : 09/02/2008

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MessageSujet: La Légende de Liertes   La Légende de Liertes Icon_minitimeJeu 14 Fév - 18:52

Prologue

La canopée dense oppresse Myar. Elle perturbe son sens de l'orientation. Même en plein jour, seuls quelques rayons de lumière cisèlent l'épais toit de feuillage et transpercent l'obscurité. Et ils s’atténuent. La nuit approche.

  Il se dirige vers un arbre élevé, à peine plus haut que ses voisins, et y grimpe. Ses longues mains et phalanges sont idéales pour cet exercice. Il atteint en un rien de temps la cime. Depuis son poste d'observation, il cherche un abri. Les mouvements irréguliers des cimes balayées par le vent s'étendent sur des lieues à la ronde. De la verdure à perte de vue, toujours pas d'indice de civilisation. Sortir de cette forêt lui demandera encore deux ou trois jours.

  Ixarve est la plus vaste forêt connue. Elle recouvre toute la côte est de l’île de Poepia, l'île principale d'un archipel isolé. Cette étendue sauvage fascine les aèdes autant qu'elle les terrorise. Elle abrite de nombreuses espèces agressives ; lutins, Liiars, Napées... Pénétrer au coeur de cette forêt relève de la folie ou du désespoir.

  Myar repère un arbre proche qui semble confortable, pour la nuit. En trois bonds, il descend du résineux, puis rejoint le gîte de fortune.
Au cours de ses nombreux voyages, le baroudeur a appris à construire un refuge confortable, à partir de matériaux trouvés sur place. Cela lui permet de voyager avec un simple baluchon porté en bandoulière et sa petite harpe. L'instrument fétiche de son peuple. Les elfes.

 Une fois l'abri de fortune terminé, il noue sa longue chevelure émeraude héritée de ses ancêtres, dont la brillance et le volume ne laissent pas transparaître son âge séculaire. Il s’installe dans ses couvertures de fortune, et contemple les derniers rayons de Soleil qui s'évanouissent derrière l'horizon boisé.

  Cette nuit s'annonce plus calme. Le ciel arbore déjà une imposante pleine lune. La plupart des créatures d’Ixarve craint l'astre nocturne et s'aventure rarement hors des repaires, ces nuits-là. Et comme les pleines lunes s’étalent sur trois jours et trois nuits complets, l'elfe devrait finir plus sereinement la traversée de cette forêt.

  En fixant le ciel assombri, ses pensées vont vers le grand conseil elfique, qui a fixé la date du départ avec force calculs. Ce même conseil qui l’a désigné pour quérir le soutien armé du royaume de Liertes, le royaume du centre. C'est la première mission de ce type entreprise depuis les Vieilles Guerres, depuis la signature des pactes. L'elfe a été l'un de leurs architectes, à l'époque. Un diplomate émérite. Son périple actuel engendrera de grandes conséquences pour son royaume. Saurais-je exercer de nouveau ?
 
  Les elfes n’ont pas l’âme de guerriers. Les pactes de non agression, signés deux vies d'homme auparavant avec les royaumes voisins, leur ont permis de s’épanouir et de prospérer, chose rare, sans entretenir de puissance militaire. Tout en conservant leur lien avec la nature, ils ont alors fait des découvertes prodigieuses au niveau des sciences et des arts, menant ces disciplines à leur sommet.

  L'attaque de leur royaume, Lfith, change la donne. Des elfes sont morts sans riposter. Et ce n'était qu'une attaque désorganisée d'une milice locale. La rumeur parle d'une opération du royaume du Sud. L’entrée en guerre menace, et le diplomate est chargé de sensibiliser au plus vite le roi de Liertes à la situation. Il est devenu vital que le négociateur obtienne l’alliance entre les deux peuples. Refoulant ces souvenirs, le voyageur ferme les yeux et s'endort.

  Un ciel empourpré par le Soleil levant éclaire son réveil. La lune, toujours visible, presque à la même place, rougit de partager le ciel avec l'astre flambant. En-dessous, le frémissement des feuillages éblouissants de rosée lui rappelle sa mission. Il s'imprègne de la scène quelques instants, tout en buvant de l'eau de rosée fraîchement recueillie dans une sorte de vase qu'il a confectionné la veille. Puis il saute à terre et reprend sa course vers le Nord-Est.

  A deux jours de Neirret, la ville la plus occidentale du royaume de Liertes, il se sent pousser des ailes. Les sept jours passés dans cette forêt luxuriante confortent sa hâte. Le sage aventurier se répète en boucle les différentes étapes de son trajet, traquant la moindre faille, lorsqu'un bruit assourdissant, comme une sorte de cri, déchire l’air épais. Un mélange insupportable de crissements stridents et de grondements terrestres. Pas du genre impressionnable, Myar se fige sur place. Il n'est pas le seul : plus un signe de vie ne parcoure la forêt alentour. Un profond silence s'est installé. Même les oiseaux se sont tus. Ce nouveau silence étourdit l'elfe plus encore que le cri. A l'étouffante obscurité des bois s'est ajoutée l'étrange atmosphère. Abasourdi, le voyageur veut comprendre. Il cherche l'origine du hurlement.

  Presque perdu dans cet amas de plantes, il ne se rappelle plus d'où est venu le bruit. L'écho généré a de toute façon été trop important pour qu’il puisse s'y fier. Non, il doit faire appel à d'autres sens que l'ouïe. Chaerchant un moyen de localiser le son, il se met à marcher plus prestement. La distance séparant l'elfe de l'auteur devait être assez conséquente. Elle grandit peut-être. Il presse le pas.

  Lui d'ordinaire sage et posé est gagné par l'excitation. Ses tempes palpitent plus fort à mesure qu'il avance. Il court bientôt à en perdre haleine, sans être certain de la direction qu'il emprunte. Toutes ses questions s'évanouissent aussitôt qu'il y pense, elles traversent la brume nouvelle de son esprit. Il n'arrive plus à réfléchir. Il court. Il n'a jamais couru ainsi, volant presque sur le tapis de mousse qui recouvre le sol bosselé. Il ressent quelques émotions primaires ; la sueur gouttant de l'écorce des arbres, les parfums farineux de la forêt. La seule chose qu'il voit est cette lumière naissante devant lui.

  Il tente désespérément de se concentrer, il veut rassembler ses esprits. La lumière s'intensifie. Il court toujours, cherchant à retrouver une pensée cohérente. La lumière est de plus en plus pressante.

  Il commence à se rappeler ; la forêt, le bruit. Le cri... le... CRI ! Dans un dernier élan, alors que la lumière devient éblouissante, l'elfe tend un bras et s'accroche à un arbre pour arrêter sa course. Il s'écroule de tout son long, à bout de souffle.

  Il tente de reprendre son souffle. Petit à petit, il prend à nouveau conscience de son environnement. Il ne sait pas exactement combien de temps il a couru, mais il comprend qu'il n'est pas le seul : plusieurs animaux passent rapidement à côté de lui, qui le suivaient, avant de s'engouffrer dans la lumière. Myar cligne des yeux. Il se trouve à l'entrée d'une clairière, dont la luminosité tranche avec la sombre lueur de la forêt.

  Alors qu'il reprend un peu ses esprits, il se lève doucement et espionne la clairière, tapi dans un buisson. Ce qu'il voit dans cette clairière surpasse de loin son imagination. Avec le recul, tout concorde... Ce cri, qu'il n'avait jamais entendu, que d'autres lui avaient maintes fois décris. L'irrésistible attirance qu'il a ressentie, suivie d'une perte progressive des facultés intellectuelles. Une seule créature chasse ainsi, grâce à son aura. Le voyageur expérimenté s'en veut d'avoir été leurré comme la plupart des animaux, sans s'empêcher d'admirer la scène. Devant lui, finissant tranquillement les restes d'un cerf gigantesque, se tient certainement l'un des plus beaux spécimens de l'espèce. Son sourire s'estompe rapidement, et l'elfe saisit sa dague ; l’heure n’est plus à la diplomatie.


***


L’île de Popia était l’île principale d’un archipel, cerné par d’immenses océans. Des océans dont les limites n’avaient encore pu être établies. Seuls quelques bateaux s'étaient aventurés au-delà de la zone de ténèbres, mais aucun n’en était revenu. Cela était suffisant à beaucoup pour arrêter les expéditions, à l’exception du Roi de Liertes et de son insatiable soif de connaissance. Liertes était l’un des quatre empires qui se partageaient l’île de Popia. Myar, lui, venait de Lfith, le royaume des elfes, mais l’enthousiasme légendaire du Roi de Liertes était connu de tous. Tout comme la réputation du belliqueux Occis, dont l’empire s’étendait sur la partie Sud-est de l’île. L’empire d’Occis qui, sur les ordres de ce dernier, était récemment entré en guerre contre le Royaume de Liertes. Enfin, le mystérieux royaume des Mages, à l’Ouest de l’île de Popia, était isolé des autres par les montagnes d’argent. Ce royaume peuplé de Mages aux pouvoirs étranges n’inquiétait personne, car ces derniers étaient pacifiques. Les elfes étaient également d’ordinaire pacifiques, mais la mission de Myar annonçait une nouvelle donne.


[font=comic sans ms]Cernée par le Fleuve d'Argent et la forêt d’Ixarve, Neirret était une des plus grandes villes du Royaume de Liertes. Sa liaison avec la capitale était assurée par un flot quasi-incessant de caravanes, terrestres et fluviales. Myar avait l'intention d'utiliser l'une de ces caravanes pour rejoindre plus rapidement Taldês, la capitale ; son objectif.


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rei
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MessageSujet: Re: La Légende de Liertes   La Légende de Liertes Icon_minitimeSam 23 Fév - 18:04

Chapitre 1 :

Le soleil se lève enfin sur Neirrett ; l'heure de se lever. Illân n'a presque pas fermé l’œil de la nuit. D'un geste, il soulève sa couverture et bondit dans ses sandales. L'air est lourd comme un soir d'été dans la chambre sombre où son frère dort encore.
Il se faufile sans bruit jusqu'à la cuisine. Hier soir, il a décidé de faire une surprise à son grand frère en lui préparant le petit-déjeuner. Mais sur la table en bois massif, ce matin, le garçon découvre, en face de l'écuelle de son père, celle de son frère. Illân court jusqu'au lit de son frère.

-Daragh ?

Le lit est vide. Ils sont partis sans lui. Il devait dormir. Le garçon retourne dans la cuisine, à la recherche d'un message.
Son père, avant d'aller travailler, lui a préparé de quoi manger. Mais le jeune archer n'a pas faim.
Il ne trouve pas de message en tant que tel, mais son petit-déjeuner est prêt. Des oeufs. Son frère a eu la même idée, son petit-frère ne s'est pas réveillé.

 Il retourne ouvrir le volet de la chambre. Le soleil s'engouffre dans la pièce.
Illân, ébloui, s'appuie sur le rebord de la fenêtre, qui manque de s'écrouler. C'est un rebord en pierre dangereux, vétuste, à l'image du logement, sombre et délabré.

 La maison est construite tout en hauteur. Elle se situe dans les bas quartier de la cité, les plus populaires, près du fleuve. Les murs de pierre s'encastrent dans ceux des maisons voisines. Ils suintent été comme hiver.
 A Neirrett, plusieurs colonnes de ces maisons vouées à s'effondrer descendent de la haute ville et convergent vers le centre portuaire.

  De sa dalle bancale, le garçon a une vue imprenable sur le port, où des bateaux stationnent en nombre. Les cris des mouettes qui les survolent est assourdissant. Comme la foule qui grouille sur les quais. Daragh est peut-être là... Impossible de le repérer.

 Ce matin, la foule est concentrée autour d'un vaisseau, flanqué "Le Phocéan". Le navire de commerce, arrivé la veille, fait étalage de marchandises rares.

 L'odeur des épices cuites de la ville d'Etayahj se mêle aux effluves de produits de la mer et du fleuve. Neirett est réputée pour ses poissons et ses forges. Pour tout le reste, sa population est ravitaillée par des commerçants ambulants. Ceux-ci parcourent les fleuves principaux du royaume de Liertes pour acheter puis revendre tout ce qui peut l'être.

  Illân observe un commandant diriger son équipage depuis le ponton d'un imposant navire. Ces ordres précis résonnent dans le port fluvial. Ils ajoutent au vacarme du port. A chaque hurlement, deux ou trois marins réagissent au quart de tour, exécutant la tâche demandée sans marquer la moindre hésitation. De sa fenêtre, l'enfant ne peut s'empêcher de respecter l'homme. Son autorité naturelle l'impressionne. Il a dû parcourir tout Liertes, peut-être même tout Poepia. Plus encore.

- Illân ?

 Le petit sursaute. C'est Hominn, l'un de ses meilleurs amis. Du moins, à en croire le temps qu'il passent ensemble. Il le salue, lui fait signe d'attendre, rentre dans sa chambre en refermant la fenêtre et le rideau derrière-lui. Il enfile une veste par-dessus ses vêtements de nuit, change de pantalon et de chaussures, passe dans la cuisine, boit un verre d'eau sale, saisit son arc, son carquois, puis descend les escaliers.

 Hominn l'attend assis sur un parapet. DESCRIPTION. Il tient une cigarette de sa main moins musclée.

- Ton frère est parti ?

- Pas encore, mais il ne m'a pas réveillé avant de sortir de la maison.

- Où est-il parti ?

- Aucune idée, pas très loin, sans doute... Illân jette un coup d'oeil derrière lui, presque machinalement. Peut-être au Sandre noceur ; tu m'accompagnes ?

Ils empruntent ensemble l'une des ruelles pavées qui remontent vers les remparts de la ville.

- Il aurait pu me réveiller, quand même... Hominn ne répond pas, comme souvent. Comme tout Arcitéen qui se respecte, Hominn déteste les armées humaines. Une aversion héritée des Guerres éparses, qui ont déchiré les deux peuples pendant de nombreuses années. Hominn en garde un mépris tacite pour les Hommes. Seul Illann fait exception.

 Le frère d'Illann n'est pas plus tolérant envers les Arcitéens. Il leur reproche souvent leur manque d'initiative -critique récurrente à Neirrett. L'espèce incarne la synthèse de l'agilité des elfes et du caractère irascible des hommes. Il faut avouer que leur physique ne les aide pas. Ils sont à peine plus grands que les plus grands des hommes, ils ont de naissance un des deux bras beaucoup plus musclé que l'autre. De légères déformations aux bras et aux poignets ont découlé de leur passion pour le tir à l’arc. Ou l’inverse.

 Leur visage, bien qu'harmonieux, semble aux Hommes difformes, avec leurs arcades protubérantes. Ils impressionnent par leurs yeux recouverts d’une pellicule blanche, ce qui leur donne au mieux l’air aveugle, bien qu’ils aient une excellente vue, au pire, l'air spectral.

 Daragh, lui, est un homme assez grand, musclé, blond, les yeux verts. Son petit frère est blond aussi, et musclé, grâce au tir à l’arc. Et il a les yeux verts. Mais… ça ne rend pas pareil. L'autre court les bars, et les filles. Il attire ces dernières comme un aimant. Jusqu'à présent, il travaillait l'après-midi, dans la même fabrique du centre-bourg que leur père. Ils travaillent comme des acharnés pour faire survivre ce qu'on devrait appeler une petite famille. Illân voit très peu son frère. Ce sera pire, maintenant qu'il a choisi de s'engager dans l'armée de Liertes.

 Tout à leurs pensées, les deux amis s'engagent dans une rue, à leur gauche. La chaussée, jusqu'ici pavée, devient boueuse. Les maisons à colombages se rejoignent presque au-dessus d'eux, cachant le soleil. A mesure que la rue s'assombrit, les trottoirs s'égayent. Cracheurs de feu, violonistes, saltimbanques... la bien nommée rue des Abîmes regorge d'animations, du matin...au matin. Mais ses protagonistes semblent plus intrigants, plus préoccupés que d'habitude.

 Le vieux Juyn, par exemple, s'affaire autour de la grille cassée de son soupirail. Ce vieil humain borné habite à Neirrett depuis des lustres, à croire qu'il y a vécu les Guerres éparses. Cela expliquerait son animosité envers les Arcitéens. Le vieux les voit venir, il interpelle Hominn.

- Tu sais qui a fait ça, L'espeneur !

- B’jour, grommelle l’autre sans ralentir.

- Graine de pleutre ! Quand on vient d’une famille comme la tienne, on se tient à carreaux. Il ne vaut mieux pas, dans ton intérêt, que je me fasse piller.

- Qu'est-ce ce que tu peux me faire, vieil homme ? 

 Le vieillard grommelle une réponse incompréhensible. Ils le laissent là, tournent une nouvelle fois sur leur gauche et entrent dans une taverne que surplombe une enseigne miteuse en bois. "Au Sandre noceur."

 Depuis l’embrasure, ils inspectent la salle bondée. Les matériaux des murs alternent entre du bois aussi miteux que celui de l’enseigne et des pierres taillées grossièrement. La lumière des bougies y fait trembler les ombres. Deux, trois babioles font office de décorations.

 Les occupants sont de toutes origines. Humains, Arcitéens, Hommes du sud… tout Liertes se tient dans ce boui-boui. Le brouhaha auquel s’ajoutent les tintements des bocs qui se cognent agace Illân, mais semble enivrer son ami. Il en va de même pour l’épaisse odeur de tabac et d’herbes.

- Mon frère n'est pas là, je vais voir si mon père sait où il est.

- Pas de dernière séance d'entraînement, du coup ? Seras-tu prêt pour le concours ?

- J'essaierai de repasser.

 Illânn rebrousse chemin. La porte se referme derrière lui. Hominn repère quelques amis attablés, isolés autant qu’ils peuvent l’être. Il s’avance, enfonçant les planches en bois sous ses pas. A sa vue, un géant courbé, coincé derrière son zinc, lui lance de sa voix grave : « Nom d’Ahskçète ! Comment vas ? » C'est Hardinn, le barman. L’Arcitéen n'a pas le temps de répondre que le géant pince déjà une chope entre deux doigts immenses et, d’un mouvement de son index boudiné, la remplit de la boisson préférée du visiteur. La bourque. Amer comme de la peau d'orange mais revigorante comme aucune autre boisson. En tout cas, de ce côté des montagnes d'argent.

 Deux tauliers gèrent la taverne, mais on pourrait jurer que celle-ci a été bâtie autour du géant, toujours assis en tailleur. La réputation de ses breuvages lui ont valu le surnom d’« Alchimiste », jusque loin au-delà des murs de la cité.

 Pour la cuisine et le service en salle, c’est Laureï, le deuxième tenancier, qui le relaye. Aussi aimable qu’il est toujours affairé, ce dernier est grand, fin, et, à en croire les traits de son visage, il doit appartenir autant à la race des humains qu’à celle des poissons. Sa voix nasillarde tranche avec la voix bourrue de son collègue. Surtout quand ils se disputent. Les échanges entre Laureï et Hardinn prêtent souvent à rire, ils ont dû former un duo comique, dans un autre monde.

- Ton ami ne nous rejoint pas, L'espeneur ?, lance avec un air sournois l'un de ses amis.

- Laisse courir le gamin, Eldinn, il cherche..."
Hominn se ravise aussitôt. Les choix et le discours du frère d'Illân l'ont rendu moins populaire que n'importe quel être humain chez les Arcitéens. "...quelqu'un.

- Ce mioche n'a aucun intérêt.

- Ne recommencez pas ! Il est plus arcitéen que certains d'entre nous. Trouvez-lui cinq défauts et je le battrais moi-même.

- Il est méprisant, se mêle de tout, et il est nul aux concours.

- Ca fait trois, Eldinn. Et il n'est pas nul."

 Le jeune homme pourrait être le meilleur tireur à l'arc de l'espèce humaine qu'Hominn a rencontré. Ils se connaissent depuis tout petits. Le garçon a beaucoup appris aux côtés de son ami. Il pourrait surclasser la plupart des Arcitéens. Mais il abandonne à la moindre contrariété.
"De quoi parliez-vous ?"

Il saisit sa bière et s’attable avec ses amis. Ceux-ci semblent réaliser à cet instant qu’ils sont dans un bar.

- L’endroit est trop fréquenté pour continuer ici, lâche l'un deux, dont la barbe blanche et hirsute trahit l’âge.

- Hardinn, peut-on aller en bas ?, hurle un autre, plus jeune, vêtu d’un pantalon bouffant et d’une chemise qui devait être blanche à l’origine.

- Teuh ! Sûr ! Vous reprendrez bien un verre ?

- Mets ça sur mon compte, l’Alchimiste, s’écrie le nouvel arrivant.

- Et cinq pintes, cinq !

La bande descend à la file indienne dans une deuxième salle, jusqu’alors déserte. Aucune décoration n’est accrochée aux murs, la seule ambiance sonore est constituée du bruit étouffé provenant de la salle supérieure. Un peu plus poussiéreuse, l’annexe accueille en son centre une longue table en vieux bois de chêne, entourée de bancs d’un bois plus fin. Les six compères s’y installent. Puis les regards se tournent vers l’un d’entre eux. Un humain entre deux âges, mal habillé. Son couvre-chef indique qu’il est marin. N’ayant jamais vu cet homme, l’Arcitéen l’a tout de suite remarqué parmi ses amis. En dépit d’un léger enivrement, il ne laisse transparaître aucune émotion.

-Voici Arcène, présente un confrère entre deux âges sans laisser le silence s’installer. Almiit fait partie de ces personnes qui vous tiennent en haleine par l’élégance de leur phrasé. Au bout de son bras le plus fort –le gauche, il tient une pipe sculptée qu'il porte nonchalamment à la bouche lorsqu'on lui reprend la parole.

- Arcène est marin sur "Le Phocéan", reprend-il calmement.
L’archer hoche la tête.

- Il revient de la ville de Taskcite, dans le sud.

- Je sais où se trouve Taskcite. Où voulez-vous en venir ?

- La rév..., lâche tout excité son voisin de droite, le plus jeune du groupe, interrompu par une bouffée de fumée accusatrice lâchée par Almiit, qui reprend :

- Un groupe de paysans s’en est pris aux Soldats royaux.

- Quand ? Ils sont devenus fous ?

- A cause de la nouvelle taxe, pardi !, maugrée cette fois son voisin de gauche.

 Le marin reste silencieux, le regard tentant de se poser sur celui qu'il vient d'identifier comme un nouveau venu. Il se lève, renversant sa chaise, pointant son index et son regard vers deux endroits peu précis mais différents.

- Ils n’étaient pas fous ! mhmhm sont des héros !

- Des héros mal organisés, nuance Almiit, ils se sont fait massacrer, tu penses bien, fourches contre lames.

Hominn secoue la tête.

- S’ils se sont fait massacrer, leur exploit va rester lettre morte.

 Les autres s’échanges des regards gênés.

- Au contraire, leur exploit fait le tour de la région. Arcène ici présent raconte que tout le monde les approuve.

 Ce dernier se rassoit, encore ivre de colère et rouge d'alcool.

- Arcène ici présent ?, répète l'autre avec ironie. Et que comptez-vous faire ?

Almitt tire une bouffée de sa pipe. La fumée qu'il recrache dessine des volutes évanescentes.

- C’est le moment d’agir. Tu le sais, l’émeute appelle la révolte.

- Trois paysans inconscients ne vont pas porter notre cause. Les humains frappent les humains, la belle affaire.

- Précisément. Les yeux pétillants de son voisin de droite se ternissent. Des humains sont dans le coup. Personne ne va manquer cette opportunité.

- L'opportunité !? Mais que... ?

- Tu devrais le savoir, Hominn. Ce dont nous parlons ici chaque jour. Etaient-ce pour toi des paroles en l'air d'arcitéen ivre ? Ca se passe demain soir. Prouve-nous que tu es des nôtres.

 L’archer finit d’un trait sa chope, sans bouger. Ses amis se lèvent et quittent la table.

- Avec ou sans toi, souffle Almitt en frôlant l'espeneur. Choisis ton camp, cette fois.

 Hominn reste là, seul, avec le marin. Il ne réagit pas, il comprend. La révolution est un vieux rêve. Depuis que son peuple a perdu son territoire, à la fin des Guerres éparses. Mais il demeure inaccessible, les descendants sont trop peu nombreux.

 [Que les humains suivent le mouvement suit une certaine logique. L'accumulation des taxes a toujours eu cet effet secondaire.

 La création d’une nouvelle taxe, sur le papier timbré, alors que le conflit contre l'empire d'Occis est terminé, met le feu aux poudres. Mais que le roi lâche du lest et les autres humains se retourneront contre les Arcitéens. La mort de ses proches a résulté de ces sautes d'humeur.]



-------

Car ce qui définit le mieux ce peuple fier et guerrier, c'est son habileté au tir. Si les Elfes ont fabriqué les meilleurs arcs qui ont jamais existé, les Arcitéens sont indéniablement ceux qui savent le mieux s'en servir. Ils possèdent tous une adresse et une puissance innée pour cet exercice. Et Hominn, surnommé l'espeneur, n'est pas le plus mauvais d'entre eux.

L'ami d'Illânn vit lui aussi dans les bas quartiers de Neirrett. La ville la plus occidentale du royaume recense un nombre important de citoyens arcitéens. La moitié de sa population. Il faut souligner qu'avant les Guerres éparses, il y a plusieurs siècles, la ville était arcitéenne. Et à l'époque, leur peuple était majestueux.



***











Neirrett est la ville du royaume de Liertes la plus réputée dans le domaine militaire, après Taldês bien sûr ; la cité du Roi a plus de moyens. Cependant le concours est le plus grand du royaume. La fierté des Neirrettois. Leur ville est mal située, en bordure de la dangereuse forêt de Sombreterre, trop éloignée de la capitale et isolée du reste du royaume ; mais pendant trois jours, la compétition ameute des gens de tout horizon. Grâce à lui, la ville périclite moins vite que prévu.

La compétition a lieu juste après la dernière nuit de la première pleine lune de chaque été. Toutes les disciplines guerrières y sont représentées, réparties en différents tournois. Chaque fois, le gagnant du tournoi de tir à l'arc n'est autre qu'Hominn. Depuis trois ans qu'Illânn avait le droit d'y participer il n'a jamais réussi à battre l'Arcitéen. Mais cette année sera différente. Il s'est entraîné encore plus dur, tout seul, des jours et des nuits entiers. Il sait qu'il faut au moins cela pour avoir une chance de battre son redoutable adversaire.


  L'Arcitéen s'en veut déjà. Ce n’est pas comme s’ils ne se chamaillaient jamais, mais il a peut-être tapé un peu fort. Le souvenir de sa dernière humiliation doit être encore frais. C’est juste que l'arrogance du jeune garçon l’agace. De là à le blesser... Il n'insiste pas. Il reprend sa marche, en changeant d'objectif.


 Le petit tente de s'imaginer ce qu'il pourrait y avoir en dehors de l'île puis se ravise. Tout le monde sait que l'archipel forme la seule étendue de terre existante. Les navigateurs ont parcouru la dangereuse mer Oléum, et les immenses océans. Sans jamais parvenir à trouver quelconque trace d'une autre terre. Le Roi de Liertes leur confie ses plus beaux navires. Peu reviennent.


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rei
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MessageSujet: chapitre 1   La Légende de Liertes Icon_minitimeSam 23 Fév - 18:06

suite

 Myar se rapproche de Neirrett. Les derniers rayons du soleil l'éblouissent de temps en temps. Les clairières sont plus fréquentes. Même s'il ne croise aucun bûcheron, de plus en plus d’arbres sont coupés, taillés, arrachés. L’odeur de l’herbe remplace celle de la mousse humide.

 L'elfe épuisé s’extirpe peu à peu de la forêt. Cette nouvelle étape est aussi éprouvante que les précédentes. Il veut dormir, ses blessures se réveillent, il trébuche à plusieurs reprises, se relève. Il lui semble que la forêt le retient. Mais il en sort.

Devant lui, des collines vert sombre descendent vers Neirett et le fleuve, large en cet endroit comme deux fois la ville.

  Entre la cité militaire et son château, d’immenses installations en bois, affrétées de longues toiles de multiples couleurs plus éclatantes les unes que les autres s'enroulent autour d’arènes jonchées de lices.

  Il se pose quelques minutes dans l'herbe. Ce château est célèbre. Il est posé au milieu du fleuve, construit au centre d’une gigantesque cascade. Une prouesse technique qui rend la bâtisse majestueuse et imprenable. Cette position la rend néanmoins inutile. Le château ne protège aucune habitation.

 Des remparts ont donc été construits autour de la cité. Elles accueillent des garnisons importantes. Une sorte de deuxième château, en somme, assure la sécurité des habitants mais demande autant de gardes que le vrai. La rumeur veut que l'hôtel de ville ait créé son propre centre d’entraînement pour pallier le manque d'effectifs. Le centre est devenu le plus grand de l’époque, offrant à la ville la réputation militaire qu'elle connaît.

  Le diplomate se relève. La blessure au bras que lui a laissée la lutte sylvestre le secoue de douleur. Il a retiré le poison, mais le coup de corne a mal cicatrisé. Il se tient le bras, alors qu'il s'approche des installations en bois et des lices de fortune. Le gigantisme du camp l'inquiète : ces installations sont celles du concours. SI c'est le cas, celui-ci compromettrait sa mission.

 Neirrett est la ville du royaume de Liertes la plus réputée dans le domaine militaire, après la capitale, Taldês, bien sûr. Cependant le concours de cette ville est le plus grand du royaume. La fierté des Neirrettois. Leur ville est mal située, en bordure de la dangereuse forêt de Sombreterre, trop éloignée de la capitale et isolée du reste du royaume ; mais pendant trois jours, la compétition ameute des gens de tous horizons. Grâce à lui, la ville périclite moins vite. Une myriade de marchands s'installent dans la ville à l'occasion du tournoi. Et avec eux un cortège de voleurs. Le gouverneur de la cité coupe tout trafic pendant le concours. Une méthode radicale destinée à limiter les vols, en tout cas ceux d'envergure.

  Personne à Lfith n'avait prévu cet obstacle, Myar se voit déjà bloqué. A mesure qu'il avance, les maisons à colombage s'agglutinent de part et d’autre du chemin menant à la ville. L'environnement se resserre autour de lui. Les habitations s'enchevêtrent, deviennent un amas irrégulier de bâtisses à l’allure instable. Il est soulagé d'arriver à une petite place dégagée, au pied des fortifications.

  Deux grandes portes, gardées chacune par deux hallebardiers, permettent de pénétrer au cœur de la cité. En haut du premier pilier de pierre qui sépare les portes est sculpté le buste en pierre d'un homme couronné, tourné vers l'arrivant. De l’autre côté des portes, regardant vers la ville, un buste féminin, lui-aussi couronné, complète le couple.

 Étrangement, les gardes sont tournés vers la ville intra-muros. Myar se présente à l'un d'eux, qui le laisse passer sans poser de question, visiblement peu préoccupé par l'arrivée d'un étranger. Sitôt passé sous le porche imposant, l'atmosphère de la cité semble changé. Plusieurs volets sont fermés.

 Peu de gens se promènent dans les rues, seuls des gamins les traversent, courant d’une impasse à une ruelle, d’une ruelle à un sentier. Quelque chose se trame dans les quartiers malfamés. Pas de mendiant, pas de saltimbanque.

  Les passants plus calmes, comme lui, sont des gens de passage. Personne n'ose croiser son regard. Les Arcitéens fixent leurs yeux blancs sur sa blessure, les humains s'attardent sur sa chevelure. C’est comme si toute la ville était inquiète de le voir arriver. On ne l’attendait pas. La cité craint autre chose.

  Le visiteur arpente la rue principale, en direction du port. Le soir se livre à la nuit. Seul le ciel bleu foncé, clairsemé d’étoiles, rappelle que l'obscurité profonde patiente. En passant devant certaines ruelles obscures, l’elfe distingue, du coin de l’œil, des flammes naître et mourir, des impressions furtives sur sa rétine, qui ne trompent pas. Deux soldats débouchent d'une rue et courent à sa rencontre.

- Qui va là ?, demande le visage de l'un d'eux, éclairé par une torche. L’autre interpelle un deuxième quidam. Une ronde de soldats, encore une chose inhabituelle, ici.

- Myar, diplomate elfe, du royaume de Lfith.

- Que venez-vous faire ici ? Vous êtes blessé !

- Je cherche à me rendre à Taldês. Cette blessure…

- Peu importe, coupe le garde. Cherchez une auberge, ne traînez pas dehors ce soir.

- Que se passe-t-il ?

- Rentrez vite !

  Il rejoint le deuxième garde qui a lui aussi expédié son contrôle, puis ils poursuivent leur ronde vers la haute-ville, ponctuée de qui-va-là.
Le diplomate se retourne. Une brise sentant le souffre, mêlé aux odeurs de crustacés, lui fouette le visage. Quoi qu’il se passe, il est temps de rentrer, en effet.

  Une torche fend tout à coup le ciel étoilé. Elle est comme éjectée d'un toit et s'écrase aux pieds des hallebardiers. Ceux-ci s'éloignent en courant, répétant "Ca commence !".

  Un cor retentit bientôt, auquel répondent les cloches de l'église. Une nuée de cris gronde depuis le port, résonne dans chaque ruelle. Des centaines de torches et de flèches sont aussitôt lancées, impossible de savoir ce qu'elles visent.

  L'elfe se réfugie dans une ruelle étroite et noire. Un régiment de Hallebardiers dévale au pas de course la rue principale. Lorsque les soldats atteignent son niveau, des hurlements à glacer le sang émanent de derrière lui. Une volée de saltimbanques fond sur les gardes, en leur jetant de lourds cailloux. Armés de fourches, ils frôlent l'elfe tétanisé. Les gardes, surpris par la manœuvre, sont massacrés devant ses yeux. La volée disparaît dans la ruelle d'en face.

  L'écho d'une caisse claire retentit au-dessus des toits de la citée. Le sol se met à trembler au rythme des percussions. La marche monte le long des rues, depuis le port. Les flèches redoublent, les incartades continuent, rien n'arrête la ritournelle qui va crescendo.

 L'elfe se concentre sur son objectif. Il court et s'abrite de temps en temps pour éviter d'éventuelles flèches perdues. Mais toutes visent la haute ville. Lui atteint bientôt les bas-fonds de la cité portuaire. Quelques foulées plus tard, il arrive devant la taverne qu'il cherchait.

  Alors seulement, le diplomate réalise qu'il est à bout de souffle. Une explosion suivie de cris retentit depuis le port. Il ouvre puis claque la porte derrière lui, sur la ville qui s'embrase. Il respire, choqué. L'air de la salle est lourd et enfumé, le chaos du dehors est étouffé par les discussions des clients nombreux.

  Derrière le comptoir, le géant qu'il s'attendait à voir l’accueille d’un « teuh ! » à peine surpris, aussi aimable qu'inconscient, au vu du contexte. Le géant courbé derrière le zinc discute avec un Arcitéen robuste et saoul.

- Bonsoir, Hardinn, que se passe-t-il dehors ? s'enquit l'elfe.

- Ils ont commencé, n'est-ce pas ?, interroge l'Arcitéen sans attendre de réponse, en fixant son boc de ses yeux dépourvus de pupilles.

- Que puis-je te servir, Myar ? demande le taulier, sans masquer son air préoccupé.
La mémoire des géants est aussi prodigieuse que leur taille. Celui-ci est petit pour sa race mais sa mémoire honore la réputation. De toute évidence, il sait des choses. C'est pour cette qualité que l'elfe a fait de cette auberge un lieu privilégié lors de ses voyages.

- Comme d’habitude, tente le nouvel arrivant avec succès. Le géant s’empare d’un couteau et de feuilles séchées qu’il frotte avec quelques baies entre ses mains.

- Teuh ! Et quel vent t’amène chez nous, l’ami ?

  Conscient d'être l'objet des attentions (les elfes ne courent pas les rues du royaume des Hommes, Myar s’assoit au comptoir et murmure presque, d'un air aussi apaisé que possible, bien que sa propre question vienne d'être déboutée.

- Je suis en mission. Il s'interrompt. Pardonnez-moi, la ville semble subir un cataclysme, sauf ici...

- Pas un cataclysme, une révolte ! sourit son voisin de zinc.

  Celui-ci hoche la tête par moment, comme pour l’empêcher de tomber. Il a les cheveux roux, assez courts sans être ras. Il porte une boucle de cuivre à l’oreille gauche, un cardigan bleu lacé de cordelettes blanches, par-dessus une chemise un peu sale. Il porte un arc semi-long en bandoulière et un carquois fermé dans le dos.

  Il est gaucher au tir à l’arc : son bras le plus fort est le droit, au bout duquel vacille en ce moment une chope, dont le contenu goutte sur son pantalon marron à chaque hochement de tête. Il porte une protection au majeur et à l'index de sa main gauche.

  Myar regarde quelques tableaux représentant des rues de l’ancien temps, sans doute neirrettoises, accrochées aux murs en bois.

- N’es-tu pas au courant que tout va changer en une soirée ?, ironise le soûlard, en dirigeant son regard livide vers l’elfe.

- Tout ?

- Mes amis, l’étranger, ils lutent pour une nouvelle ère et moi je reste là.

Il regarde sa chope vide.

- Contre qui luttent-ils ?

- Ouvre bien tes esgourdes, l’ami : ils luttent… il trace dans l’air un mouvement en arc en ciel avec sa main. …contre le système. Autant donner un coup de pied dans la paille, crois-moi. Comme si mourir en tuant trois soldats ce soir allait changer notre condition.

- Les Hommes et les Arcitéens sont-ils à nouveau en guerre ? s'enquit l'elfe.

 Une guerre, même civile, compliquerait sa mission.

- Nous n'avons jamais été en paix, mais là, c'est différent.

- Les humains se joignent à la révolte, reprend le tavernier. Les soldats ont eu vent de ce qui se trame, ils sont prêts. La nuit sera longue. Il nous reste quelques lits, si tu veux.

 Le commerçant ne perd pas le nord. Des cris retentissent soudain au dehors. Il sait qu'il n'ira nulle part ce soir.

- Je veux bien, je dois repartir demain pour la capitale.

- Tu ne pourras partir demain, l’étranger, s'amuse son voisin, après un court silence. Il échange un regard complice avec le géant.

- Le concours a lieu ce weekend, souffle ce dernier, de sa grosse voix gênée. Ces trois prochains jours, la cité reste enclavée.

- Les liaisons sont arrêtées, les caravanes à l’arrêt, poursuit l'autre, plus rieur. Tu es bloqué ici, comme moi...

- Avec les massacres, vous pensez que le concours aura lieu ?

- C'est même certain. On ne touche pas au concours, les soldats le savent. Les mutins se révolteront la nuit mais au petit matin, tous seront en tribune comme si de rien n'était. Ce ne serait pas la première fois.

 Les calculs du grand conseil ont prévu l’imprévisible et facilité la traversée de l'elfe dans une forêt mortelle. Ils ont tiré partie de la pleine lune comme des énergies dégagées par le sol...

- ...Et c'est un concours de lancer de flèches qui retarde la mission, lâche-t-il malgré lui.

- Un peu de respect, vermillon. La compétition a lieu après la dernière nuit de la première pleine lune de chaque été, tout le monde le sait, ici. Pas chez vous ? C'est pourtant  l'une des rares occasion de croiser des vôtres par chez nous.

- Des solitaires, peut-être. Nous sommes restés trop longtemps isolés pour nous rappeler ce genre de coutumes.

- Et pourquoi êtes-vous là ?

- Et vous ?

- Un Arcitéen à Neirrett est plus commun qu'un elfe, non ?

- Je dois me rendre à Taldes rapidement, ne connaissez-vous personne qui puisse m'emmener ?

- Pour enfreindre la loi et sortir d'ici le jour du concours ?, tranche le gérant. Pendant trois jours, tout le monde vient ici. Alors, non vous ne trouverez pas un Neirrettois qui se respecte qui veuille vous amener ces jours-ci !

 Soudain, la porte s'ouvre à la volée. La musique s'est tut, dehors, mais un petit groupe d'Arcitéens entre avec fracas, répétant : "ils les ont tous tués !". L'un d'eux entrouvre légèrement la porte pour surveiller, les autres exigent un verre à Hardinn. Myar est à présent entouré de deux Neirrettois, dont l'un se ramasse comme il peut.

- Hominn ? Tu es venu te réfugier ici, toi aussi. Combien tu en as eu, mon frère ? Tes flèches sont imparables.

  Son enthousiasme s'échoue sur son interlocuteur, qui finit lentement sa chope, en silence. Tout le monde le regarde désormais, sauf le guetteur.

- Aucun.

- Comment ça, aucun ?

- Excuse-moi, mais je dois conduire cet elfe à sa chambre. A tout de suite. En attendant, tournée pour tout le monde !

 Un classique. Mais le petit groupe n'est pas dupe. Mélangés à la foule qui se précipite au comptoir dans les éclats de rire, trois paires d'yeux restent fixés sur les deux compères qui montent les escaliers.

- Tu vas devoir me prêter ta fenêtre, Myar. Si je redescend par les escaliers, je suis mort.

- Tu devras t'expliquer à ces jeunes surexcités tôt ou tard. C'est peut-être mieux ce soir.

- Tais-toi, Vermillon, tu ne les connais pas. Ils sont prêts à tout, et moi, je n'ai rien fait. Je les ai trahi.

- Tu as trahi leur cause, au pire.

- Merci, tu as vraiment les mots pour réconforter, toi ! Si un elfe me dit ça, je suis déjà mort. Ils se sont fait massacrés.

- Vous les aviez prévenus, non ?

- Autant chier dans un boc.

- Je ne saisis pas l'expression.

- Je viens de l'inventer, ces gars sont tordus.

- Fais-toi oublier quelques jours... Pourquoi ne pas venir à Taldes, avec moi ?

- Nom d'Askçète, tu ne lâche pas l'affaire facilement !

Ils entrent dans la chambre indiquée par le taulier, Hominn regarde une dernière fois dans le couloir. Des bruits de pas montent des escaliers. Il ferme la porte.

- Je suis vraiment foutu, ils sont armés. Ils me tueront, si ce n'est pas ce soir, ce sera au concours, demain.

On frappe à la porte. La voix de Laureï retentit : "Messieurs, veuillez laisser cet hôte..." Il ne finit pas sa phrase.

A l'intérieur, l'Arcitéen regarde la porte, l'elfe, puis la fenêtre. Il s'y précipite.

- Attends-moi au port, demain, à l'aube. Reste bien en évidence, je te retrouverai.

Il saute. Les autres enfoncent la porte, regardent par la fenêtre. Puis ils redescendent quatre à quatre les escaliers, en jurant.

 Laureï est à terre, sonné.

- Je veux bien une autre chambre, s'il vous plaît.






 La conversation s’engage autour de ce retard improbable. Le géant s’appelle Hardinn, un nom trahissant son lien de parenté avec les ogres de l'est. L’Arcitéen s’appelle Hominn, il est un tireur à l’arc de renom. Il possède un bateau qui pourrait servir à amener l’elfe à Taldes. Mais il est inscrit au tournoi, et sa race n’est pas en reste côté compétition. Des humains rejoignent la conversation en cours de route, aucun n’a de solution. Des gens entrent, donnent des informations sur les émeutes en cours. L’elfe est prêt à renoncer et patienter quelques jours en attendant que le tournoi passe, quand la porte s’ouvre.
+++
Illan se sent un peu patraque. Il a peu mangé ces deux derniers jours. Et ni son père ni son frère n'ont acheté de la nourriture cette nuit. Ils ne sont pas rentrés. Lui n'a pas fermé les yeux de la nuit ; la bataille était proche. Comment peut-on passer à côté de la révolution ? avait brandi le père d'Illan, avant de partir au travail.
Lui et son frère ont participé à toutes les réunions de préparation. Le rebond, qu'il appellent ça. Vu le calme régnant ce matin sur le port, peu de chance que le rebond ait été efficace.

EN ouvrant son rideau, le visage d'Illan perd sa suffisance. Si le port est calme, ce n'est pas qu'il est désert, ces u'il sert de lieu funébre pour reconnaître les morts Des centaines, alignés parallèles au quai.

















Myar sait depuis un moment qu'il n'est plus très loin de Neirrett, De plus en plus de troncs coupés à la scie jonchent le sol. Mais il a du mal à contenir sa joie lorsqu'il sort enfin d’Ixarve. Le soleil éblouissant de l'après-midi lui extirpe quelques larmes.



































  Devant lui, des centaines de fleurs colorées tapissent les vertes collines qui plus loin chutent dans le Fleuve zébré.  Mais alors qu'il s'apprêtait à passer les portes, l'un des gardes l’arrêta.

- Qui va là ?

- Mon nom est Myar, Elfe du royaume de Lfith.

- Avec cette chevelure, je me doute bien qu’il n’est pas humain, ricana le portier, que vient-il faire ici ?

- Il cherche une caravane qui pourra le conduire à Taldês.

- Que va-t-il faire à Taldês ?

  Après neuf jours passés dans la forêt, l’elfe avait perdu un peu de sa légendaire diplomatie. Certes, ils étaient en période de guerre, mais Neirret était loin de la frontière, et Myar ne supportait pas d'être considéré comme une bête curieuse. De toutes façons, il était hors de question de dévoiler la vraie raison de sa présence ici à qui que ce soit, il en allait de sa propre sécurité, et de l’avenir de son royaume.

- Et bien, je vais d'abord poser mes affaires, ensuite je vais ripailler, mais bien, hein ! Et puis ap..., plaisanta-t-il.

- Ne te fiche pas de moi, que viens-tu faire ici ?

  Le zèle du soldat commençait à énerver Myar. Il posa son baluchon, saisit sa harpe, et entama sur-le-champ l'un de ses airs spéciaux, laissant tout juste le temps aux gardes de pointer leurs hallebardes. Il se dit qu’un simple et court hypnos aria devait suffire, et entama le chant :

"Neirret, Neirret !
Sauras-tu un jour pardonner
A ton soldat si vil
Qu’il m'usa la santé ?
"

  L'elfe savait très bien que ses paroles n'auraient aucune incidence. Le secret de son art résidait ailleurs. Les airs spéciaux avaient été découverts par hasard par les elfes. Certaines notes jouées simultanément à une certaine intensité formaient une alchimie étrange et envoûtante qui pouvait influencer l’esprit. Les elfes avaient d’abord appris à s’en prémunir, puis à les contrôler ; les effets étaient aussi variés que la musique elle-même et, entre de mauvaises mains, pouvaient être dévastateurs. Ce petit couplet, lui, suffirait amplement à plonger quelques personnes dans un état hypnotique. Les gardes oublieraient juste le petit incident.

  L'elfe se retourna pour déposer la harpe dans le baluchon.

- Ah, oui. J'y suis peut-être allé un peu fort, lâcha-t-il à mi-voix.

  En effet, derrière lui, toute la place s'était figée, les regards vides braqués vers l'elfe. Il se décala d'un pas sur le côté ; aucun regard ne suivit. La durée de l'hypnose étant proportionnelle à la durée du morceau, il valait mieux ne pas traîner s'il ne voulait pas revivre la scène.

Reprendre là ::::  Il remit son baluchon en bandoulière et passa tranquillement la porte sous l'oeil évasif des gardes. A peine avait-il fait dix pas de plus qu'un puissant « qui va là ? », venant de l'autre côté des remparts, lui assura la fin de l’enchantement. Mais déjà autre chose frappait Myar ; la ville intra-muros était presque déserte. Dans son souvenir, les rues de la cité étaient bondées, sonores et odorantes. Aujourd'hui, la cité montrait un tout autre visage, et l’elfe se sentit encore un peu plus perdu dans ces rues vides, au silence pesant, que seul le trot d’un cheval tractant une calèche vint briser. Même les commerces, qui tendaient obstinément leurs étalages au moindre quidam, semblaient assoupis.

« ECARTEZ-VOUS ! » cria une furie depuis l'embrasure de sa porte avant de jeter un seau d'eau sale ou d'il ne savait quoi d’autre au beau milieu de la rue. Il eut un mouvement de recul ; cela se rapprochait déjà plus de son souvenir. A gauche, puis à droite, cent pas en contrebas... Il se rappelait quand même le chemin menant à la taverne principale de Neirret. Il n'était venu que deux fois dans cette ville, mais il arpentait maintenant les ruelles avec l'assurance du citoyen le plus fidèle. Cent pas en contrebas, il se retrouva devant l'entrée de la taverne qu'il franchit sans hésiter.

  Myar fut encore une fois étonné de voir l'endroit si peu fréquenté ; décidément, il se passait quelque chose d'inhabituel par ici. Cependant, l'odeur particulière de tabac qui flottait dans l'air et l'ambiance envoûtante de l’établissement eurent tôt fait de le rassurer. L'immense tavernier recroquevillé derrière son bar discutait vivement avec deux arcitéens et un humain. D'après ce qu'il pouvait comprendre, l'un d'entre eux tentait tant bien que mal de convaincre ses interlocuteurs, visiblement d'humeur moqueuse. Le tenancier sortit de la conversation, la mine réjouie et tourna la tête vers Myar.

- B’ jour ! Que puis-je pour te ? demanda-t-il de son accent si particulier.

- Tournée générale ! Pour ma part, je boirais volontier un Treuil.

- Messieurs, vous avez entendu ? Tournée générale de la part de...

- Myar !  

  L'ambiance se réchauffa considérablement dès cet instant ; il avait maintenant toute la sympathie des occupants de l'auberge ainsi que leur attention. Personne ne semblait le reconnaître de son dernier passage, et cela n'avait rien d'étonnant car pour les humains, les elfes se ressemblaient tous. Mais Myar avait retrouvé sa sérénité habituelle, et, sans éprouver la moindre amertume, il commença donc par mieux se présenter.

- Je viens de Lfith... annonça-t-il avant de commencer son Treuil. Le breuvage était réussi. Excellent ! adressa-t-il spontanément au géant.

- Teuh ! T’as traversé Ixarve ? Ou t’as passé par al’ mer ? coupa l'aubergiste.

- Heu, je suis passé par la forêt, oui...

- Teuh ! Tu dois être affamé... Laureï ! Réchauffe l’ marmite, tu veux ? Et fixant Myar de son air rigolard, il ajouta : C'est de la bonne pitance, ça, du poisson... ç'te changera un peu. T'aimes ça, eul' poisson ?

- Oui, c'est parfait, merci bien, répondit l'elfe, qui avait oublié ce dialecte si particulier. Heu... j-je cherche une caravane en partance pour Taldês.

- T’en trouveras pas avant après-demain, mon gars. Teuh ! Aucune caravane ne quitte Neirret durant eul’ Concours !

L'elfe faillit régurgiter sa boisson.

- Après-demain !? Vous plaisantez ?

Myar ne comprenait pas en quoi un simple tournoi pouvait immobiliser la cité. Il devait bien y avoir un moyen de rejoindre Taldes.

- Il doit bien y avoir une petite caravane en partance pour la capitale ? relança-t-il.

- Pas la moindre, répondit simplement le serveur d’une voix nasillarde.

  Myar n'en revenait pas. Lui qui pensait avoir tout prévu, voilà qu'il se retrouvait coincé par un vulgaire tournoi. Il était désemparé.

- Mais je dois être à Taldês le plus rapidement possible ! Qu’a-t-il de si important, ce tournoi ?

- Tu ne connais pas le Concours de Neirret !? s’exclama l'un des arcitéens en fumant sa pipe. Nom d’un chien, c’est bien la première fois que j’entends ça ! Ecoute, petit, ce que ce tournoi, comme tu dis, a de si important, c’est qu’il est le plus grand de tout Liertes et peut être même de toute cette foutue île ! Il joue un rôle primordial dans le moral de nos troupes, sans lui, Liertes ne serait plus de ce monde, mon p’tit gars !

Le bonhomme avait un peu trop bu, et signait son forfait par son exagération. Il était inutile de converser avec lui, cependant Myar ne pouvait se résoudre.

- Désolé, mon gars, c' t’impossible avant quat’ jours, acheva le tenancier.

  Un sentiment étrange s'empara de l’elfe. Il ne serait pas à la capitale à temps. Il avait fait tout ce chemin pour rien. Il avait échoué. Il resta ainsi bouche bée un moment, se demandant comment il en était arrivé là. Mais c’était sans doute le plus dur à digérer : il n’y était pour rien. C'est alors qu’un autre arcitéen intervint. Il semblait assez jeune, à la fois costaud et élancé, et la tête un peu rentrée dans des épaules tombantes. Un front d’arcitéen que ne cachaient pas ses courts cheveux châtains, et un air sérieux que lui donnaient de lourds sourcils et des cernes prononcées.

- Si tu es si pressé d’aller à Taldês, c'est pour te présenter comme candidat à la Quête royale dans trois jours, n’est ce pas ?

  Il dit cela en regardant fixement l’elfe dans les yeux. Myar n’avait jamais entendu parler de quelconque quête. Toutefois, personne ne devait connaître son véritable objectif, ce qui le poussa à acquiescer, avec le plus d’assurance possible.

- Je dois m'y rendre également, relança calmement l'arcitéen.

- Quand partez-vous ?

- Dans la nuit de demain, après le tournoi.

  L'elfe n'en revenait pas.

- Comment voulez-vous parvenir à Taldês en moins de deux jours ?

- J'ai un ami Mage qui me fournira l'équipement nécessaire.

- Quel sorte d'équipement peut...

- Chacun ses méthodes, Myar. Vous le saurez en temps voulu.

- Une dernière chose, pourquoi m'aidez-vous ? Et pourquoi ne pas partir plus tôt ?

- Si je dois faire cette quête, je pense simplement qu'avoir à mes côtés un elfe expérimenté sera utile ! Et nous partirons après le Concours ; un bon nerretois  ne le rate jamais !

Myar fronça les sourcils.

- Et qu'est ce qui vous fait penser que je suis expérimenté ? interrogea-t-il.

- Et bien, je me suis dit qu'un elfe capable de traverser Ixarve équipé d'un simple baluchon est soit extrêmement chanceux, soit expérimenté.

  Le visage de Myar s'éclaircit subitement.

- Tes connaissances et ta clairvoyance me plaisent bien. De toute façon, je n'ai pas vraiment le choix... Marché conclu ! lâcha-t-il en tendant la main vers son bienfaiteur. L'arcitéen la serra vigoureusement.

- Parfait !

  L'arcitéen se leva, paya l'aubergiste, et donna rendez-vous à Myar, lui expliquant très brièvement leur programme du lendemain.

- Au fait, je suis Hominn, dit l’Espeneur, lança-t-il avant de disparaître dans l'embrasure illuminée par le soleil couchant. [/font][/color]






La compétition a lieu tous les deux ans. Toutes les disciplines guerrières y sont représentées, réparties en différents tournois. Chaque fois, le gagnant du tournoi de tir à l'arc n'est autre qu'Hominn. Depuis trois ans qu'Illânn avait le droit d'y participer il n'a jamais réussi à battre l'Arcitéen. Mais cette année sera différente. Il s'est entraîné encore plus dur, tout seul, des jours et des nuits entiers. Il sait qu'il faut au moins cela pour avoir une chance de battre son redoutable adversaire.

Entré de Neirrett :
Une figure patriarcale tourné vers l’extérieur, à la fois défenseur de la ville et s'ouvrant à la vie sociale, et une mère tournée vers l'intérieur, enrobant les habitants dans un cocon. Une vision simpliste mais efficace dans cet ouvrage.


Dernière édition par rei le Dim 23 Aoû - 17:54, édité 26 fois
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MessageSujet: Chapitre 2   La Légende de Liertes Icon_minitimeMar 25 Mar - 21:20

Chapitre 2 :

Myar se leva d'une traite, dès les premiers bruissements de la ville. L’alcool ingurgité la veille lui martelait encore le crâne. Il s'empressa de se vêtir, avant de rapidement se toiletter. Le tout le plus silencieusement possible pour ne pas réveiller la compagne qui couchait encore dans son lit.
Il sortit de sa chambre à pas de loup, évitant de trop faire craquer le vieux plancher, lorsqu’une douleur l’assaillit. Il s’arrêta un instant pour presser fermement le tissu qui couvrait sa blessure ; une sueur froide le parcourut de tout son long. Le bandage que Laureï lui avait fait ne faisait plus effet et il fallait d’urgence le remplacer. Il emprunta le couloir puis l'escalier qui menaient à la salle principale du Sandre Noceur.
Il salua en entrant l’immense tavernier et le frêle serveur qui se montrèrent étonnés de le voir déjà levé.

- Je suis exténué, Hardinn, n'auriez-vous pas un remontant ?

Le géant, assis derrière son bar, le considéra d'un air grave et s'attela à la tâche.

- En général, j’ donne aux matinaux un simple feng chaud, mais vu la soirée que t’as passé j’ te fais ma curation spéciale. Teuh m'en diras des nouvelles !

- Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité, mais je pense également qu’il va falloir refaire mon bandage. Ma blessure me lance atrocement, ce matin.

Le serveur examina rapidement le bras du voyageur, puis il se retira dans la cuisine pour en ressortir avec son matériel.

- J’ai l’impression que ma tête va exploser, plaisanta l’elfe pendant que le serveur retirait l’ancienne bande. Qu’est ce que tu mets dans tes treuils, nom d'un chien ?

- Teuh ! Secret d’ la maison, rien que du naturel !

- N’écoute pas ces boniments, mon garçon, interrompit son complice, la dernière fois que ce sottard m’a proposé quelque chose de naturel, j’ai fini la nuitée à quérir une riace sur les courtines !

Les deux compères rirent aussitôt à gorge déployée. Myar se joignit à eux, bien qu’il ne comprit pas tout à ce dialecte humain. La joie fut de courte durée pour l’elfe ; son soigneur tentait de nettoyer la plaie en la frottant avec un tissu humide. A chaque passage il avait l’impression qu’on lui entaillait la chair avec un rasoir. Heureusement les soins furent bientôt terminés et son silencieux supplice avec eux ; l’Alchimiste versa au même moment les derniers ingrédients de son breuvage dans une tasse, qu’il tendit à son destinataire. L’elfe s’empressa d’en boire le contenu.

Il sentait la douce chaleur l'envahir à mesure que le breuvage coulait le long de sa gorge. La sensation était agréable. Tout à coup sa vue se troubla, et tout s’obscurcit.

Il s'écroula subitement, sa tête percutant violemment le comptoir.


***



Sur le port fluvial, un terrible sentiment de déception envahissait Hominn.
Cela faisait tellement longtemps qu’il attendait, que même les habituels retardataires avaient quitté la place pour se rendre au tournoi. L’arcitéen décida d’attendre encore un peu. Il était juché sur l’un des parapets qui ornaient les murets du port. De vieilles murailles, d’un gris anthracite terni par le temps, témoins des plus rudes batailles qui avaient marqué Neirret. Il aimait particulièrement cet endroit. Il aimait surtout l’esprit de liberté et d’aventure qui s'y imprégnait. Tout en effet respirait le voyage et l’évasion, depuis le sol pavé qui s’inclinait doucement vers le fleuve, jusqu’à cette splendide statue centrale qui rendait hommage aux bourlingueurs. Et le fleuve, magnifique.

Il regardait une superbe frégate manœuvrer, un peu plus loin. C’était un jeune mousse qui dirigeait, sans doute abandonné par un capitaine peu scrupuleux pressé de rejoindre le tournoi. Au terme d’interminables essais infructueux, la manœuvre aboutit enfin, sous l’œil contemplatif du spectateur improvisé. De lourds nuages vinrent alors cacher le soleil, achevant sa patience. L’elfe ne viendrait visiblement pas au rendez-vous. Il avait certainement dû trouver un autre moyen de se rendre à la capitale. L’arcitéen pensait au moins qu’il aurait pu être prévenu ; leur collaboration dans cette quête commençait très mal. Il sauta du parapet. Il s’était déjà mis en retard pour le tournoi, mais décida tout de même de passer par la taverne, pour demander au tenancier la raison de l’absence de son futur coéquipier.

Une pluie légère et fine mouillait le pavé lorsqu’il franchit le seuil orné de la vieille enseigne. L’auberge était sombre ; en un vestige de la lumière extérieure, une empreinte lumineuse l’aveuglait. Dès son entrée, ses narines avaient été assaillies par une forte odeur qui embaumait la salle. Plus qu’une odeur, c’était l’air lui-même qui était imprégné, poisseux, âpre. A chaque respiration, le parfum nauséabond pénétrait un peu plus ses poumons. Il toussa.
Dans la taverne, où chantaient habituellement les bruits de verre et les plats mijotant, traînait un lourd silence. Tout en appelant les tenanciers, il se décida à avancer prudemment, les bras tendus devant lui. Mais son pied glissa sur une flaque d’eau, et le fit tomber, dans une formidable explosion de jurons. Sur le sol, il remarqua que l’eau s’apparentait plus à une sorte de colle ou de pâte visqueuse.

- Bon sang ! Vous pourriez laisser quelques bougies allumées, quand même ! cria-t-il en direction des étages supérieurs.

L’empreinte lumineuse qui jusque là l’aveuglait se dissipa enfin, lui rendant peu à peu la vue. Des verres, et des chaises brisées semblaient joncher le sol de l’auberge, toujours plongée dans l’obscurité. C’est alors qu’il aperçut le patron, la tête posée sur son zinc, assoupi. Soulagé, il se précipita vers le comptoir. La soirée avait dû être mémorable pour retrouver la salle et le géant dans cet état.

Tout en toussant son prénom, il tendit le bras par-dessus l’obstacle pour remuer –ou tenter de remuer- le géant. Dès le contact, il eut un mouvement de recul ; l’épaule était enduite du même liquide que le sol. En observant sa main à la lueur de la porte, il reconnut de suite la teinte rougeâtre foncée du sang coagulant. Le tenancier en était couvert. D’un bond, il passa du côté du blessé. Il souleva avec difficulté la tête énorme, la tourna vers lui, et la lâcha aussitôt en détournant son regard. La lourde tête retomba comme un bloc de plomb sur l’établi. L’estomac de l’arcitéen se noua par le fond, comme si le seul moyen de sortir pour son contenu était de repasser par sa gorge ; il vomit. Un coup de lame tranchait profondément la face de l'Alchimiste de haut en bas et se terminait sur le côté du cou. Figé dans une horrible expression, le teint spectral parsemé de giclées rouges, et les yeux révulsés, le visage ne laissait aucun doute quant à l’agonie de son maître.

Autrement hanté par cette odeur abjecte de mort, il se hissa de toutes ses forces de l’autre côté du bar. Là, les jambes flageolantes, un coin de sa chemise appliquée sur le bas de son visage, il entreprit de fouiller la taverne, à la recherche du serveur. Il ne s’arrêtait que pour contenir ses propres convulsions. Maintenant habitué au noir, il se rendait compte de l’état chaotique de la salle. Il plongeait ses doigts dans les amas de bois ensanglantés pour les soulever, avec une boule au ventre et l’appréhension de tomber sur un spectacle aussi effroyable que l’image qu’il avait encore en tête. L’Alchimiste était toujours là, mort, à quelques pas de lui. L’arcitéen se sentait oppressé par cette présence macabre, et son odeur nauséabonde. Il trouva Laureï dans les cuisines. Le pauvre s’était débattu dans son propre sang, en vain. Il se baissa pour fermer les yeux du serveur. Puis il tomba à genoux sous son propre poids. Quels dieux pouvaient accepter de telles atrocités ? Qui étaient capable de tels crimes ?

Ses mains agrippaient sa poitrine, comme pour serrer son cœur. Il aurait voulu crier, mais aucun son ne sortait. L’odeur de putréfaction lui était insupportable. Rien ne pouvait excuser l’horreur de ces crimes. A genoux, les yeux humides, seul dans cette pièce, il réfléchit. Il les connaissait depuis longtemps, les tenanciers ne pouvaient pas faire de mal à une mouche. Que s’était-il passé ? Des voleurs pouvaient-ils être assez cruels ? A moins que...
Il repensa à l’elfe. Il se releva et monta quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait aux chambres des voyageurs. Il était peu probable qu’un elfe puisse être l’auteur de tels crimes, à moins d’être un Elfyre.

« Si les étages supérieurs ont été épargnés... »

Il hésita devant la première chambre, avant de pousser la porte, mais elle était vide, le lit n’avait pas servi. Il inspira profondément, puis se tourna vers la deuxième porte. Ce qui l’attendait à l’intérieur dépassait de loin ce qu’il avait vu jusqu’alors. Il manqua de s’évanouir à la vue de la macabre scène qui oscillait devant ses yeux. Des membres, séparés, et une odeur de putréfaction encore plus avancée qu’en bas. Dans un cri mélangeant révolte et dégoût, il claqua la porte, descendit tant bien que mal les escaliers et courut au dehors pour échapper à ce lieu de mort.

Il suffoquait, totalement paniqué. La bouffée d’air frais le calma un peu ; il s’adossa au mur, tremblant de fièvre. Encore une fois, il régurgita. Trois cadavres dans de telles circonstances, c’était plus que quiconque ne pouvait supporter. Une pluie battante tombait à présent sur la cité. L’arcitéen sentait les gouttes d’eau se fracasser sur son visage, et ruisseler à travers ses vêtements, avec l’agréable impression de purification. Il serrait les dents. La rue était déserte et les chances de trouver de l’aide étaient minimes, car le tournoi avait depuis longtemps commencé.

Trois hommes apparurent pourtant au bout de la rue et vinrent dans sa direction. Enfin de l’aide ! Soulagé par la perspective de leur soutien, il leur cria de l’aider, que des meurtres avaient eu lieu. Voyant qu’ils ne réagissaient pas, il commença à trotter vers eux, quand un détail le frappa : quelque chose clochait chez ces humains. Ils étaient tous trois vêtus des mêmes longs imperméables noirs, et avaient couvert le bas de leur visage à l’aide de foulards. Ils avançaient d’un pas décidé, d’une troublante sérénité, et regardant un peu partout autour d’eux. Impressionné, l’arcitéen ne put s’empêcher de s’arrêter et de faire machinalement un pas en arrière. Aussitôt les hommes pressèrent le pas ; l’un deux laissa apparaître une dague dans le prolongement de son bras. L’arcitéen comprit qu’ils n’étaient pas étrangers à ce qu’il venait de voir, mais à trois contre un, ses chances étaient maigres. Sans réfléchir d’avantage, il s’enfuit en direction du fleuve.
Un objet siffla à son oreille, et se planta dans une caisse en bois devant lui. La dague ; les trois hommes s’étaient lancés à sa poursuite.

Hominn redoubla d’effort ; la pluie frappait son visage et l’obligeait à plisser les yeux. Il connaissait ces rues et ruelles par cœur, ce qui n’était pas le cas de ses assaillants, qui perdirent du terrain. Il jeta un coup d’œil en arrière ; il n’en voyait plus que deux ; toujours aussi acharnés à le rejoindre.
Il empruntait des voies de traverses pour semer ses poursuivants, inventait des stratagèmes, dessinait de grandes boucles parmi les ruelles de sa cité ; mais à chaque fois qu’il se retournait, ils étaient là, oppressants.
Ils semblaient même regagner du terrain. Lui commençait à s’essouffler. Après avoir rendu deux fois, son corps manquait de ressources, et son allure en pâtissait clairement ; il devait trouver un moyen de les semer pour de bon, s’il ne voulait pas finir comme ses camarades.

Le fuyard déboîta alors dans une petite ruelle qui menait directement au port. C’était l’une de ces ruelles que les commerces accaparaient, encombrée d’étoffes et de bibelots. Mais il se glissait sans réfléchir entre les caisses et les étalages, avec une dextérité étonnante. Il l’empruntait quotidiennement pour se rendre à son boulot, mais jamais il ne l’avait parcouru aussi rapidement ! Il filait entre les obstacles avec l’agilité d’un lièvre, et profitait de son aisance pour renverser un maximum de marchandises derrière lui.

Il vit enfin le fleuve, tandis que ses assaillants s’empêtraient encore dans les tissus et les voilures de navire qui s’alourdissaient au contact de l’averse. Il allait déboucher sur la place lorsqu’il se trouva un plan parfait. Il passerait bientôt devant la maison du vieux Juyn ! Dans sa course, il empoigna alors une voile qu’il lança au-dessus de lui le plus haut possible pour se cacher aux yeux des deux ténébreux, qui de toute façon étaient trop occupés à pester contre les obstacles pour le regarder. Puis, quelques coudées avant le port, il se jeta en un éclair sur le côté, droit dans le soupirail dépourvu de barreaux du vieux radin. A peine eut-il franchi le soupirail que la voile se déposa sur le sol. Il avait réussi. Il chuta lourdement sur le sol, et perdit connaissance.


***


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MessageSujet: chapitre 2   La Légende de Liertes Icon_minitimeMar 25 Mar - 21:24

suite

A l’autre bout de la ville, sur une colline située en bordure de la forêt, le bruit de la foule était étourdissant. Le concours de cette année s’annonçait très festif. Illân se sentait minuscule face aux énormes tribunes qui l’encerclaient, notamment la tribune d’honneur. Il était terrifié. C’était chaque année la même chose : toute l’année durant, il pensait méticuleusement à chaque instant de cette journée si importante. Et lorsque celle-ci arrivait enfin, il perdait tous ses moyens. Il s’efforçait bien de le cacher, mais ses frasques habituelles dans le tournoi, quasi traditionnelles, contrariaient la duperie. Le garçon ne profitait donc absolument pas de l’ambiance survoltée qui régnait dans l’arène.

Perdu au milieu du chahut qui se renforçait à chaque tir des participants, il cherchait sa famille du regard. Il aperçut les deux têtes en haut de la tribune de droite (les tribunes étaient disposées de part et d’autre du terrain de tir, formant une sorte d’ovale qui s’ouvrait vers l’extérieur du site, de façon à laisser toute la distance nécessaire aux tirs finaux).
Leurs mines étaient un peu sombres. Mais il ne pouvait pas leur en vouloir, au vu des humiliations qu’ils enduraient au fil des tournois. Trois concours, trois humiliations.

Pour se changer les idées, il examina la rangée des participants. En effet, lors des premières épreuves, tous les participants étaient alignés côte à côte, chacun face à sa cible. Deux lignes de candidats se succédaient tour à tour, jusqu’à n’avoir plus que le nombre de candidats nécessaire pour les quarts de finale. Sur son rang, il était le plus petit. Ce n’était déjà pas un grand homme, mais à côté des arcitéens, il était ridicule. Pourtant autre chose le perturbait : Hominn n’était toujours pas arrivé. C’était surprenant. Avait-il oublié que le tournoi de tir à l’arc ouvrait le concours de cette année ? Peu probable. Le plus plausible, bien que le jeune homme eût du mal à le croire, était qu’il n’avait pas encore dessaoulé de la veille. Ce qui augmentait quelque part les chances du garçon.

De toute façon, en tant que vainqueur de l’année précédente, l’arcitéen était inscrit d’office pour les quarts de finale, alors qu’on ne compte pas sur lui pour aller dénicher le soûlard ! Cette année, c’était son Concours. Le garçon reprenait un peu d’assurance. Son tour arrivait. Enfin concentré, il sortit l’une des flèches de son carquois. La pluie fine et légère qui tombait jusque-là sur Neirret et son Concours commença à s’intensifier. Une main frappa doucement son épaule. Il se retourna et vit Almiit, saoul lui aussi et visiblement tourmenté :

- As-tu vu Hominn ?

- Non. C’est ce que j’étais en train de me demander, justement. Je pensais qu’il était... avec toi.

Il continuait de dévisager le pochard en souriant. Il admirait presque ce talent qu’avait développé l’arcitéen, d’être à la fois rond comme une queue de pelle tout en gardant sa déconcertante lucidité ; son verbe était correct malgré des intonations hasardeuses, et seules ses titubations régulières et son œil imprécis trahissaient complètement son état d’ébriété. La pipe qui tenait à ses lèvres semblait plus stable que lui.

- Je ne l’ai pas vu depuis hier après-midi, dit-il. C’est vraiment très inhabituel. Il ne t’a rien dit ?

Si le garçon détestait l’arrogance de son vieil ami, il n’en pensait pas moins de la ferveur de ses admirateurs, autrement dit des habitants de Neirret. De plus, Almiit était un passionné, un peu fou, qui aimait principalement s’écouter parler de ses théories de complots. Il en trouvait une nouvelle chaque semaine.

- Rien. Tu m’excuses, c’est mon tour...

En effet les regards venaient de se tourner vers lui après avoir bien ri du tir raté de son prédécesseur. A mille lieues de ces frivolités, le garçon avait au moins gagné une certaine sérénité dans l’affaire. Sans hésiter, il décocha sa flèche, qui fendit le centre de la cible.
La foule l’acclama. Très fier, il salua humblement.

- Bon, ben, moi je vais aller le chercher, hein ! lança derrière lui l’arcitéen un peu gêné.

Mais l’humain était ailleurs. Enfin, il était bien dans ce tournoi. Il regardait d’un nouvel œil les cibles alignées, la foule en liesse, d’un nouvel œil aussi les épreuves, et ses adversaires...

« Un jeu d’enfant », se dit le garçon.

Cette année, c’était son Concours.

***



Hominn ouvrit lentement les yeux. Sa chute ne lui laissait heureusement qu’un bon mal de crâne. Il renifla. Les odeurs de mort de la taverne étaient ici remplacées par des odeurs de bois pourri et de vieille cire qui agrippaient tout autant ses narines. La cave était comme hantée de vieux fantômes. Impression relayée par les grands draps blancs qui recouvraient la plupart des meubles. Le silence était pénétrant, et semblait régner sans partage sur ce royaume lugubre et humide. L’humidité. L’arcitéen avait les mains salies par les moisissures qui recouvraient le sol. Toute la partie de son corps qui s’était couché lors de sa chute en était également enduite.

Il se redressa pour s’asseoir, ce qui lui demanda un plus gros effort qu’il ne l’aurait cru. Il s’essuya les mains sur son pantalon, releva les genoux, puis posa dessus ses bras croisés. Il reposa enfin sa tête sur cet édifice, et resta quelques secondes ainsi, à observer la pièce. En vérité, il n’en voyait presque rien, car seul le soupirail par lequel il était entré éclairait la pièce. Même les voiles blancs y paraissaient gris ternes. L’ajour était accessible, mais assez haut, ce qui expliquait la lourde chute. Il n’en sortait pas de véritable trait de lumière, mais plutôt un éclat très léger et diffus, qui faisait que de l’extérieur, on n’y voyait pas grand-chose. Ce qui dans son cas, arrangeait évidemment l’arcitéen.


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MessageSujet: chapitre 2   La Légende de Liertes Icon_minitimeMar 25 Mar - 21:27

suite

Il n’était pas resté inconscient très longtemps, puisque ses poursuivants, après s’être empêtrés dans la ruelle arrivèrent seulement au port. Ils s’arrêtèrent à deux pas du soupirail. Dans la cave du vieux Juyn, le clandestin se félicitait d’avoir eu une si brillante idée en si peu de temps, et se promit de remercier le vieillard et son obstination salvatrice, dès qu’il serait sorti d’affaire.
Puis il se leva doucement pour voir les assassins. L’arcitéen se positionna de façon à observer sans être vu. Mieux valait ne pas tenter le Diable, qui semblait particulièrement zélé en ce jour.

- Par Ancékolpe, ce n’est pas croyable ! Où est-il passé !?

- L’empereur a été clair : aucun témoin. Ce n’était quand même pas compliqué de camoufler des corps ! s’emporta celui qui devait être le chef. Si le bruit se répand...

L’homme se serra le cou avec la main.

- Il faut qu’on le retrouve.

- Regardez, chef, voilà Omer.

Effectivement, le troisième larron s’approchait d’eux depuis le port. Il faisait machinalement tournoyer sa dague dans sa main, sans y prêter attention ; Hominn reconnut tout de suite l’homme qui lui avait lancé une arme. Il remarqua aussi qu’ils avaient tous les trois les mêmes bagues, assez grosses, mais il ne parvenait pas à en discerner les motifs.

- Tu as fermé la taverne ?

- Oui. Vous l’avez réduit au silence ?

- Il nous a semé. Il est quelque part dans ce port !

- Heu, non, c’est impossible. J'attendais sur les quais, je l’aurais vu déboucher, or je n’ai vu que vous.

Voilà donc où était passé le troisième, il surveillait le port. L’arcitéen s’en voulait d’avoir été si prévisible ; il était maintenant coincé dans ce maudit soupirail, sans échappatoire. Et les autres n’allaient pas tarder à comprendre.

- Mais... il était devant nous, juste là, dans cette ruelle...

- Il est forcément passé ici !

- Sauf mon respect, chef, je n’ai vu personne sortir de là.

Le temps lui était compté. Dans quelques instants, les trois malfaiteurs allaient fouiller la rue à sa recherche. Ils trouveraient le soupirail sans barreau. Ils y entreraient à leur tour, et le tueraient. L’arcitéen sentit l’air lui manquer, la peur s’emparer de lui. Le plus discrètement possible, il fureta la petite pièce à la recherche d’une autre issue. Sans trop y croire, car la seule porte de sortie était faîte d'un bois épais et fermée de l’intérieur. Impossible à enfoncer sans alerter de sa présence, ni sans y laisser son pied. Il se concentra donc sur les meubles ; parmi ceux-ci, un grand buffet, quelques tables et les restes d’une magnifique armoire putréfiés. Il fouilla le buffet. Il trouva un poignard dans l’un des deux tiroirs. Il aurait préféré un arc, mais au moins pourrait-il se défendre. Peut-être même en tuer un, ou deux ; venger ses amis.

Il serra fermement le poignard dans sa main et attendit son heure, face à l’ouverture. Le temps semblait s’étirer. Il pleuvait toujours des hallebardes à l’extérieur, ce qui devait gêner la recherche des sous-fifres. Il se rappelait leurs paroles. Ils avaient parlé d’un empereur. Il n’existait qu’une seule personne dans tout Popia assez orgueilleuse pour se proclamer empereur : Occis. Mais quel intérêt avait-il à ordonner la mort de deux taverniers et d’un elfe... La quête, peut-être. C’était pour ça qu’ils le pourchassaient. La quête jouerait un rôle primordial dans le moral des troupes du royaume de Liertes, et Occis tentait sûrement de la saboter. Mais comment connaissaient-ils les prétendants ?
Des pieds passèrent furtivement dans l’embrasure du soupirail, le tirant de ses pensées.

- Bonjour messieurs...

Il reconnut la voix et s’approcha de l’ajour pour voir la scène ; Almiit était comme à son habitude débraillé et légèrement ivre, sa pipe pendouillant au coin des lèvres.

- Navré de vous importuner, mais n’auriez-vous point vu un arcitéen passer, les cheveux courts, et affublé d’une chainse blanche plissée ?

- Une quoi ?

- Une chain-se, une chemise ! Z’êtes pas du coin ?

C’était le genre de détails inutiles dont l’arcitéen était friand. Mais à trop s’intéresser, l’ivrogne se mettait en danger. Dans sa cachette, l’autre arcitéen saisit son poignard, prêt à défendre son ami. Mais celui-ci se reprit aussitôt :

- Bon. Si vous le voyez, dites-lui que le tournoi a commencé sans lui. Moi, je vais continuer à...

- En fait nous le cherchons nous aussi, monsieur !

- Ah oui, vous connaissez Hominn ?

Les hommes se regardèrent furtivement, Hominn grimaça.

- Tout à fait, nous sommes de vieilles connaissances, de bons amis... d’Hominn. S’il vous plaît, prévenez nous si vous parvenez à le trouver, mais ne lui dîtes rien, c’est une surprise, acheva le chef d’un air presque sympathique, pensant duper l’alcoolique.

Celui-ci les regarda de son œil enivré, puis il mit son index devant sa bouche en souriant encore plus bêtement.

- Pas... de problème, j-je ne dirai rien ! Au revoir, messieurs...

L’arcitéen caché aurait voulu appeler son collègue mais il savait que c’était les condamner tous les deux. Impuissant, il le regarda remonter la rue en titubant.
Et dire que la veille à la taverne du Sandre Noceur le pochard lui avait parlé de rumeurs de sabotages. Le champion de tir à l’arc ne l’avait évidemment pas cru et s’était empressé de se moquer de lui. Hardinn non plus ne l’avait pas cru. Il revoyait la mine joviale du géant, plongeant à chacune des railleries de l’arcitéen dans ce rire gras et communicatif qu’on lui connaissait. Et voilà où ils en étaient maintenant ; l’un mort et l’autre tout comme. S’ils avaient su...

Mais il était trop tard, et s’apitoyer ne lui servait à rien. Il lui fallait se sortir de là. D’après ce qu’il avait entendu, ils n’oseraient pas le tuer en public, selon les ordres d’Occis. S’il atteignait la place du Concours, il serait donc sauvé. Mais il lui était impossible de se sortir de cette cave.
Il leva les yeux au ciel :

« Les gars, si vous me sortez de ce guêpier, je vous jure de payer ma tournée quand j’arriverai là-haut... »

La réponse à sa prière ne se fit pas attendre.

- Hé, regardez : un soupirail !

- Sans grille... Il est sûrement là-dedans. Omer, va vérifier.

Trop tard pour la prière ; le clandestin se colla le plus possible au buffet, serrant encore plus fort le poignard dans sa main. Il vit une jambe passer l’ajour. Puis une deuxième. Son cœur battait la chamade.

- AH, TE VOILA ! CA FAIT UN MOMENT QUE JE TE CHERCHE !

Les jambes s’immobilisèrent, puis se rétractèrent d’un coup, et les hommes remontèrent la rue en direction de la voix d’Almiit. Il mit un peu de temps à comprendre ce qui s’était passé, mais le soûlard venait de lui offrir une formidable diversion, et l’effet avait été immédiat.

Il s’approcha prudemment du soupirail ; les trois hommes étaient partis, lui laissant la voie totalement libre. L’occasion était inespérée. Il coinça le couteau dans la cordelette qui tenait ses braies et attendit qu’ils disparaissent complètement de sa vue pour escalader rapidement le soupirail. Ne lui restait plus qu'à sortir de la ville sans tomber sur les autres qui devaient déjà se rendre compte de leur erreur.

Il grimpa sur une fenêtre, s’agrippa à la toiture et se hissa sur le toit. En se baissant suffisamment, il pourrait parcourir inaperçu les toits mitoyens et atteindre la muraille.

Il y parvint effectivement sans encombre, bien qu'une mauvaise surprise l’y attendait : l’un des meurtriers surveillait les grandes portes de la cité. A un contre un, l’affaire était tout de même plus abordable.



Omer se gratta nonchalamment l’aisselle. Décidément, les choses commençaient à leur échapper. Il s’en voulait d’avoir été aussi bête. Le chef avait raison ; c’était pourtant évident qu’il fallait au moins cacher les corps, ou fermer la salle. Pourquoi n’avaient-ils pas fermé la salle ? Choqués, sans doute. Leurs missions habituelles se limitaient à l’espionnage plus ou moins poussé, mais là c’était différent ; tuer... Le chef leur avait dit combien il était difficile, mais nécessaire, d’exécuter un tel ordre. Il en allait de la victoire de l’Empire.
« Dès que la guerre sera finie, vous serez célèbres et aimés de tous, des héros ! » leur avait-il assuré.
Mais ce qui avait vraiment pousser le subalterne à s'exécuter, c'était sa foi inébranlable envers son chef ; un grand Homme, qui inspirait le respect, un modèle.

L’assassin se rappelait l’atrocité de son geste. Il n’avait pas beaucoup réfléchi, le tavernier s’étant mis à crier, il fallait le faire taire au plus vite. L’affaire de quelques secondes. Mais les images lui revenaient sans cesse en tête, le hantaient. Il devait les refouler, les cacher dans un coin de sa tête, s’il voulait un jour ressembler au chef.

Mais voilà, dans leur hâte de lui rapporter leur prisonnier, lui et Féz avaient négligé d’effacer leurs traces. Et le pire était arrivé : un témoin. Et celui-ci se baladait encore dans cette horrible cité. Omer aurait tellement aimé le chercher avec le chef. Mais non, il devait garder ces stupides portes, pour empêcher un imbécile d’arcitéen de s’échapper ! L’inactivité l’exaspérait. Il n’y avait plus qu’à espérer que ses compères le retrouvent, et qu’ils puissent rejoindre tous les autres pour finir la mission. Les images macabres hantaient son esprit, transformaient son attente en cauchemar.

Un petit bruit lui parvint de derrière un mur. Pas grand-chose, mais cela lui occupa l’esprit. Ou plutôt l’accapara.
« Lui ! »
Le tueur saisit sa lame, et s’avança prudemment vers l’endroit, jetant de furtifs coups d’oeil derrière lui. Il se voyait déjà félicité par son mentor alors qu’il lui rapporterait le fugitif. Il se rua derrière la caisse d’où provenait le bruit en brandissant son arme. La déception le ramena à la réalité : il n’y avait rien. Peut-être était-ce un piège... Il sentit un énorme choc à la nuque ; un voile rouge masqua progressivement sa vue et il s’écroula, mort.
Derrière lui, Hominn se redressa, son poignard à la main.



Tremblant de tout son corps, il lâcha l’arme. Il allait s’enfuir, lorsqu’il aperçut la bague de sa victime. Il ne put s’empêcher de l’examiner. Il s’approcha de l’assassin rapidement, toujours sur ses gardes. Il expira lentement, saisit la main du cadavre, posa ses doigts sur l’anneau, et tira d’un coup sec.

Le bijou, forgé dans un métal précieux, était gros, d’un terne tirant sur le verdâtre, et s’aplatissait au sommet en un motif circulaire. Il effleura du doigt le motif gravé dans le métal, qui représentait une fleur. Une fleur à cinq pétales larges et tombants, ornés de trois étamines plates hérissées de poils courts, et au centre, serti comme un joyau, le pistil. Il était étonné de voir une si petite gravure contenir autant de détails. Le motif était inversé, et sentait la cire : la bague servait de sceau.

Ce symbole lui était inconnu, et il n’avait jamais vu non plus ce genre de fleur à Neirret, mais celui qui avait fait graver cela était forcément richissime. Or la fortune d’Occis était réputée comme la plus grande de Popia. Suffisamment en tout cas pour que l’on puisse faire le lien. Mais le temps pressait et rester planté là était trop dangereux pour qu’il puisse s’accorder de plus amples réflexions. Il glissa le petit objet dans sa poche avant de sortir de la cité.

Il se mit à courir de plus en plus vite. L’espoir de sortir vivant de ce guêpier lui redonnait des ailes. Sa motivation grandit d'un coup quand au loin, il vit le peuple agglutiné autour des énormes tribunes. Cependant la fatigue alourdissait ses jambes ; il livrait ses dernières forces dans cette bataille.
Les maisons défilaient autour de lui, de moins en moins nombreuses. Il n’était même plus sûr d’avoir fait le bon choix, d’être en sécurité au Concours, mais il n’avait plus le temps de réfléchir. Réfléchir, c’était ralentir, et ralentir, c’était mourir. Si jamais ses ennemis le trouvaient maintenant, il était cuit ; il était pourtant si près du but.

Il détalait dans les herbes folles, manquant de chuter à tout instant sur le terrain irrégulier. Dans d’autres circonstances, il avait aimé se poser là, faire durer le plaisir avant de rejoindre le site qui le rendait chaque fois aussi célèbre ; cette étendue ressemblait plus maintenant à un vaste terrain de mise à mort, un piège pernicieux qui pouvait se refermer à tout moment. La peur le tenaillait et le site lui semblait encore à des lieues. La pluie froide et glacée de Neirret noyait son visage. Sans crier gare, une poignée de flèches se plantèrent à quelques pas devant lui. Sans s’arrêter de courir, il se retourna : les deux assassins étaient à l’entrée de la ville et tentaient de l’intercepter avant qu’il n’atteigne le public absorbé par le concours. Celui-ci n’avait aucune idée de la scène qui se passait derrière lui.

Mais il était trop tard, Hominn n’avait plus que quelques foulées à faire. Il bouscula les premiers spectateurs, qui protestèrent vaguement sans même quitter des yeux leur tournoi. Il se retourna vers la cité ; les deux assassins avaient disparu. Il avait réussi ! Il esquissa son premier sourire de la journée, malgré l’air froid qui irritait sa gorge.

Puis, sans dire un mot, il s’engouffra plus profondément dans la foule animée.
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