Anne

J’ai gardé de toi deux souvenirs qui ont marqué ma mémoire par les images contrastées qu’elles véhiculaient. Tu n’es pas un vulgaire individu, tu pourrais même être désignée comme étant hors du commun alors que tu te mêles à la masse bien pensante et soignée qui tous les jours emprunte les chemins de la vie menant du métro au dodo, en passant par le boulot.

Le premier flash t’a éclairée au sein d’une foule bruyante et chaleureuse qui t’acclamait toi et tes amies qui chantiez à tue-tête « Alexandrie, Alexandra » dans un parfait désaccord vocal.
Tu étais perchée avec elles sur la table centrale de la salle du restaurant. Debout, tes bras moulinaient au rythme de la musique puis tu les lançais un coup à droite, un coup à gauche avec un temps de retard sur les autres tout en roulant voluptueusement tes épaules d’une blancheur nacrée et en déhanchant tes fesses charnues montées sur de longues et solides jambes de filles des campagnes.
Ton rôle de Claudette t’allait à ravir et je ris encore de voir ton compagnon qui te cherchait partout pour te montrer la scène hilarante qu’il avait sous les yeux. Il ne t’avait pas reconnue sous la perruque blondasse qui cachait en partie ton visage rayonnant. Toi, sur la scène improvisée, tu l’appelais, lui faisant de grands signes de la main, la bouche rieuse et pulpeuse.
Tu jouais ton rôle avec le comique d’une femme assurée et joueuse.
Quand radieuse, tu t’es retrouvée dans ses bras, sans pudeur tu t’es frottée à lui et d’un ton badin velouté par la caresse de ton amour pour lui tu t’es moquée de sa méprise. La perruque enlevée, tes cheveux en broussaille s’éparpillaient en boucles souples autour d’un visage offert comme une friandise. Tu dégageais un parfum sucré et ta bouche gourmande se fendaient d’un rire onctueux. Tu gloussais encore dans ses bras quand ta crinière ambrée m’a caché tes baisers de femme voluptueuse.

Le surlendemain, le second flash t’a immortalisée devant un tout autre regroupement non moins sympathique et accueillant. Ta haute silhouette te rendait alors colossale devant les enfants que tu appelais à se ranger. Ta chevelure dorée était à peine visible, domptée et serrée par un catogan noir, elle dégageait une face dure et sévère et ta mâchoire forte et volontaire s’avançait pour exiger une discipline qu’ils ne semblaient pas être prêts à t’offrir. D’un ton sec et tranchant, tu as rappelé à l’ordre celui qui tentait de quitter l’ordre établi. Comme la marmaille poursuivait allègrement ses jeux commencés en récréation, tu as du sévir et lever la voix. Ton visage, blanc de craie, d’impassible est devenu l’expression de ta mauvaise humeur. Tes lèvres épaisses ont perdu alors leur rondeur pour ne former qu’un trait irrité et rude. Comme tu les regardais les bras croisés sur la veste sombre et rigide d’un tailleur d’une coupe parfaite, l’expression volontaire et inflexible que dégageait ta personnalité établit rapidement le calme souhaité. Alors, le rang s’est avancé sans un murmure sous ton œil impassible et autoritaire et tu as clos la porte de la classe sur le silence de l’enfance.


(Portrait d'un individu - Atelier mené par tr0n)

Très bon dans l'idée. Encore une fois tu vas au delà de l'exercice pour offrir un texte complet.

Très bonne tournure que celle que tu as choisi, en nous livrant deux facettes du même personnage.

Cependant, le regard extérieur semble un peu trop "partisan". On ne ressent pas un regard neutre, mais plutôt un certain désir pour la jeune femme; ce qui dénote une description forcément subjective et donc faussée (mais je chipote ^^).

Le contraste violent entre les deux parties est étonnante de réalisme.

Un seul regret peut-être : dans la seconde, tu t'éloignes un peu du sujet, pour aborder d'autres thèmes qui cassent un peu la matière principale, savoir la description en elle-même.

Mais à la limite je préfère, parce que les textes à contraintes, j'aime les voir bifurquer pour étonner le commanditaire :p