Teclis flairait un peu partout autour de lui, à la manière d'un fin limier, bien qu'il n'en eut que l'attitude. Il avait beau renifler, renifler et renifler encore, il ne sentait rien.
Ce détail ne l'aurait pas inquiété en temps normal, car l'odeur qui imprégnait l'intérieur de sa truffe suffisait en général à tromper ses cinq sens à la fois. Mais aujourd'hui, il en était certain, c'était différent. Il en aurait mis la main de quelqu'un d'autre à couper !
Ter Aelis paraissait vide.
Le chien métamorphe sortit de sa grotte, où il avait hiberné durant plusieurs mois. Et au sortir de ce long sommeil, il s'était mis à humer l'air ambiant, espérant y trouver les senteurs enivrantes qu'il connaissait bien. Celles de ses amis, de la peinture fraiche, de l'encre ruisselante ; de la toile ou du vieux parchemin...
Pourtant, en cet instant, le vent apportait un doux mélange de saveurs ambivalentes. Comme si tout le continent pleurait mélancoliquement de suaves larmes au parfum sucré, et aux reflets de miel. On lisait ainsi de la nostalgie, mais aussi de la joie. Surtout de la joie.
Timidement, Teclis décida de s'aventurer plus en avant, et s'approcha de la cité de Bethil, qui se trouvait distante d'un ou deux kilomètres. Sa tour élancée perçait les cieux tel un glaive, et pourtant, le bourdonnement frénétique qui l'agitait habituellement était mort.
Les portes, grandes ouvertes, étaient toujours gardées par deux robots vigiles, gardiens infatigables aux rouages magiques et mécaniques ; mais rien d'autre... Pas de vie, à proprement parler. Personne, si ce n'est quelques échos. Il n'y avait plus rien.
On avait vu des civilisations disparaître ou décliner, sombrer ou émerger mais jamais aucune ne s'était engloutie dans une telle léthargie en aussi peu de temps. Cela faisait peur à Teclis, et ce sentiment troublant s'intensifia à mesure qu'il passa l'ouverture béante de la cité administrative, qui l'avala comme un fac gobe une feuille de papier. Toutefois, là encore, dans ce frisson qui parcourait l'échine, se dissimulait une agréable sensation.
Elle était lointaine, mais violente, et un peu perfide... Et elle se laissait aimer, cajoler, dorloter, tout autant qu'elle rassurait Teclis, et qu'étrangement, elle agrémentait sa peur.
Où étaient-ils donc tous partis ? A cette question, seule une rafale de vent consentit à apporter une réponse bien vide de sens. Autour, rien ne fonctionnait, ou plutôt, si, au ralenti. Quelques écrans d'ordinateurs continuaient de cracher des informations éparses sous forme binaire, incompréhensible aux non-initiés, d'un bourdonnement saccadé. Un peu plus loin, une chimère d'argent « soufflait » par sa tête de dragon un jet d'eau continu, de faible intensité, dans un petit bassin scintillant.
Sous la surface claire, des carpes cybernétiques nageaient paresseusement. Insouciantes, qu'elles étaient, du monde alentours.
Teclis eut l'idée de se rendre dans les autre cités, pour voir si elles somnolaient toutes comme Bethil, mais il sût que c'était inutile. C'était sûrement le cas. Le continent entrait dans un songe. Oui, c'était cela, Ter Aelis n'était qu'un rêve, et simple et unique rêve. Mais ce rêve, cette pensée imaginaire, ne possédait jamais plus de prise sur le réel, n'hantait mieux la matière, qu'en ce moment.
Quelque chose, dans le vent murmurait que le rêve se concrétisait, ou plutôt, que le rêve s'effondrait, disparaissait pour laisser place au « vrai », au véritable...
Et pourtant, le rêve ne mourrait pas. Il restait là, à attendre son heure, tapi dans les recoins obscurs de l'imaginaire, pour ressurgir après une brève et éphémère parenthèse de vérité.
La réalité était un songe pour les aéliséens, et le rêve, une réalité. Ainsi donc s'étaient ils presque tous endormis dans le bénéfique cauchemar de l'espace et du temps, pour un jour ou deux. Et inéluctablement, ils se réveilleraient ensuite dans le monde de l'illusion et de l'imaginaire, des arts et de la poésie, du débat et de la grogne, de l'amour et des jugements perspicaces.