Il arrive parfois que l’imagination prenne le pas sur la réalité. Quand on est allongé dans son lit, cherchant un sommeil qui ne vient pas. Quand on attend un train qui ne se manifeste point. Dans ces moments nous ouvrons les portes de notre esprit. Nous rêvons éveillé. Nous nous inventons des histoires. Et, afin d’alléger notre tête, nous les écrivons.
Elle dort. Je la regarde depuis mon bureau. La chambre est si petite.
Elle est si belle.
Une superbe chevelure d’ébène, s’étalant telle une couronne autour de sa tête. Un front sans rides, sans soucis, sans vieillesse. Un front simple, parfait. Pas l’un de ceux qui s’étalent jusqu'à occuper la moitié du visage, déformant ainsi une tête qui aurait pu être belle. Une peau d’abricot. On la sait douce sans avoir à la toucher. Cette dernière n’est pas orange, bien au contraire. La croute d’une crème délicieusement chauffée, prenant une couleur brune, bronzée. Un petit nez coupe ce visage, discret, fin, légèrement retroussé. Un joli nez, sans boursouflures, rajouts inutiles, piercings. Un nez a l’état pur. Ses lèvres, minces, d’un rouge sombre, pincé par un sommeil difficile, semblent briller d’une lueur interne…
Elle est si belle.
Ce n’est pas ma femme, ma dulcinée ou mon amour. Pas que je ne le veuille point. Mais non. Juste une amie. Bien qu’elle dorme dans ma chambre. Elle est chez moi, en pleine nuit. Je n’ai pas eu la force, ni l’envie, de la repousser. De lui dire « Va t’en, va réveiller quelqu’un d’autre, il est une heure du matin, je ne veux pas te voir, j’ai cours demain… ». Il y’a des choses qu’on ne peut faire. Quand on aime, on est prêt à tout. Même quand l’on vit dans un rêve non partagé.
Je ne suis pas laid. Je ne suis pas beau. Par choix, par nature. Je ne sais pas. Une masse de cheveux hirsutes, semblables à une armée de tire-bouchons maladroitement plantés, règnent sur ma cervelle. D’un brun sombre, sans véritable charme. Des yeux hésitants, ne sachant que choisir entre le vert et le marron. Un nez montrant un lien de parenté avec Pinocchio. Long, fin, qui semble s’agrandir chaque jour. Un menton poilu, orné d’une fossette. Quelques boutons, ici et la… Des sourcils broussailleux. Des rides de souci. Conscient de ce manque de charme, je me suis bâti des barrières, enfermant l’espoir dans un monde sans fenêtres, sans lumières, le laissant pourrir sans regrets, conscient de son inutilité. Enfin, je pouvais regarder l’autre sexe sans rougir, sans avoir peur de choquer. J’abandonnais peut être une chose, mais je pouvais enfin vivre hors de la honte, me moquant de mes sentiments. Aimer, mais sans espérance, voila quelle était ma devise.
Puis, elle est venue. En larmes. Elle a toquée à ma porte, me suppliant de la laisser renter. J’ai cédé. Nous avons discuté toute la nuit. Histoire de cœurs brisés, de disputes d’amoureux. Enfin, elle commença à s’endormir. Avant de fermer ses yeux, elle souffla une dernière phrase, un petit coup de bélier dans les murs de la prison. Un coup mortel, soufflé insidieusement. Sans force, mais dévastateur.
« De toute façon, je crois que j’en aime un autre… ».
Les mots se muèrent en char d’assaut, attaquant les murs, brisant les défenses. Le bunker, autrefois si solide, s’effondra comme un château de carte. Et tout au fond de mon corps, si faible et pourtant si puissante, jaillit une petite question, douce, fourbe. Tant d’effort s’écroulèrent. L’espoir revient. La question se forma, silencieuse, sur mes levres.
« Cet autre… Est-ce moi ? »