Daath
Nombre de messages : 570 Age : 43 Localisation : en dessous mes épluchures d'oignon !! Date d'inscription : 13/02/2008
| Sujet: "ELLE" recueil de trois nouvelles Jeu 6 Mar - 21:20 | |
| - Citation :
1/ Père...
L'enfant est assis dans le fauteuil, seize ans tout au plus, il tapote machinalement sur la télécommande, faisant défiler la guirlande de chaînes. Elle éclaire de sa lumière blafarde son visage triste et pensif, presque sans vie. Sa mère s'affaire dans la cuisine, non loin de là ; l'hiver est déjà bien présent, le feu de la cheminée réchauffe l'atmosphère feutrée du salon, mais laisse de marbre son cœur plaintif.
Le bruit des assiettes s'étalant sur la table le tire de sa léthargie, il lève la tête en l'air, se demandant ce que fait sa petite sœur en haut, pleure-t-elle, souffre-t-elle, ressent-elle ce qui lui déchire l'âme. Tel un fantôme, ombre de sa jeunesse perdue, il se lève enfin, il ne devrait pas tarder à rentrer. Il est vingt-et-une heures et c'est à ce moment qu'il rentre habituellement ; le silence abasourdit petit à petit le jeune homme qui se dirige vers la cuisine. Il s'arrête devant la porte d'entrée, pourquoi ne s'ouvre-t-elle pas, il devrait renter, non ? Mais la réalité implacable et lourde, lui retombe en quelques secondes sur son corps, il sent la lourdeur de cet instant désagréable où il reprend ses esprits. Non il ne rentrera pas... A quoi bon attendre une chimère créée par son esprit, la mélancolie l'envahissant se répand tel une nappe nauséabonde infectant les derniers remparts de sa jeunesse.
Il croise le regard de sa mère qui comprend la détresse de son fils, mais que peut-elle réellement y faire, après tout, son coeur à elle aussi est déchiré et meurtri.
"Appelle ta soeur, il est temps de manger..."
***
Le froid, il ne le sent pas, ni ses jambes... son corps souffle, laissant sortir une fumée hypnotisant son regard juvénile. L'entraînement est fini, les genoux dans la boue, ses camarades commencent déjà à sortir du terrain. Il se relève et récupère ce ballon ovale qui traîne seul, oublié des autres... Enfin, il se sent bien, enivré, sans douleur, sans peine... la nuit obscurcit déjà les nuages quand il le voit... de dos, ce manteau en cuir, ces épaules, cette démarche, il s'éloigne... c'est lui, pour sûr, cela ne peut être que lui, il est venu le voir, comme avant, il était là, prodiguant ses conseils, lui criant dessus, car il ne plaquait pas aux jambes. Son coeur inexistant jusque là, explose dans une farandole de sentiments. Son pied avance vers cette ombre fugace qui s'échappe à son regard, sa bouche s'ouvre pour l'appeler, ses yeux brillent...
"pa..."
Non, ce n'est pas lui... l'instant n'a duré que quelques secondes mais, son intensité l'a porté à son paroxysme. Son âme s'écrase alors dans un fracas silencieux. Lui, reste immobile, coquille vide aux illusions brisées. Il veut crier, cependant il en est totalement incapable, il s'en veut de sa stupidité... il est l'instigateur de sa souffrance... et pourtant, si... non c'est impossible, il ne reviendra pas, mais son esprit s'accroche encore. Il voudrait l'oublier tous en se souvenant. La tête baissée, il rejoint ses compagnons vers les douches, désabusé, anéanti, perdu dans ses pensées.
***
te souviens-tu?
Je me souviens du corps étendu inanimée sur le carrelage de la salle de bain, couvert de spasmes, pas encore trépassé, mais laissant filer déjà les dernières minutes de cette vie si courte.
Je me souviens des bruits subtils de la toux, ou de ceux des vomissement en cachette.
Je me souviens de cette embrassade trop rapide et arrivée bien trop tard.
Je me souviens de ces instants perdus, car inconscient de notre destinée, je n'y avais pas prêté attention.
tu ne te souviens que de cela...
Non je me souviens de son odeur, de son rire...
de cette longue journée à ranger ce garage,
de la fierté de l'avoir comme père...
Je me souviens de ce mot "papa" que je ne dirais plus, mais qui peut être un jour fleurira dans la bouche de mon enfant...
***
L'enfant regarde le ciel, avec une pensée gorgée d'amertume, il voudrait pleurer, mais il ne pleure plus... Avec le temps son cœur c'est durci, devenant hermétique, à certains sentiments...
peut être un jour...
si dieu le veut...
- Citation :
2/ ...
Il veut que j’enlève mon gant, sa main tire sur le latex… le regard insistant dans le mien, je m’exécute et prends sa main, elle est froide, il caresse mes doigts, je ne sais pas s’il tente de les pincer ou de les attraper. Je l’observe alors, ses jambes amputées en dessous des genoux, le bandage suintant, le visage masqué, il n’a plus de nez, et bientôt on lui coupera l’autre main. La toxine nécrose ses extrémités… la respiration est difficile, les râles s’échappent de la trachéo, il tousse, je l’ai déjà aspiré pourtant….
- Je vais devoir t’aspirer je te ré attache.
Je prends sa main et la remets dans la contention, pourquoi je fais cela… pour le protéger, je crois... je sais plus, si elle n’était pas là, il s’arracherait tout, je le comprends, je ferais de même…
J’enlève la chemise interne de la canule et y glisse la sonde ; lentement elle descend dans la trachée, il commence à tousser, cracher, normal il étouffe. J’appuie sur l’aspiration, ses yeux se plissent de douleurs, je ne dis rien, je retire doucement la sonde en aspirant, le bouchon de sécrétion qui vient de lui-même, sanguinolent, il l’éjecte hors de la canule… je referme le tout. Lui passe la main sur la tête, il me regarde, j'essaye de comprendre son regard, mais je suis si loin de comprendre quoi que se soit.
- C’est fini…
La respiration reprend normalement... cela ira, pour le moment…
Je passe la nuit à le veiller, et la seconde aussi peut être que je m'attache, il peut pas me parler, je pense que l’on se comprend et au pire je parle pour deux… des banalités, l’humour c’est mon meilleur remède, enfin c’est tout ce que j’ai…
Pourquoi lui, pourquoi pas moi, ou un autre après tout, je sais pas j’ai aucune réponse, je possède rien et pourtant c’est sur moi que l’on compte… alors nuit après nuit je tente de le soulager, j’attends pas la douleur je joue de suite avec les antalgiques, c’est tellement peu… mais c’est tout ce que j’ai, ça et lui prendre la main, faire en sorte qu’il soit au propre.
Aujourd’hui je me sens pas, c’est trop dur de supporter son regard, c’est fatigant physiquement et psychologiquement. je suis épuisé. Je supporte plus les autres qui pleurent pour rien alors qu’à deux portes se joue un drame dont ils n’auront jamais conscience…
Je préfère me dérober, j’irai dans l’autre unité là où les malades sont tellement mal, qu’on a pas à supporter leur regard. Les jérémiades des voisins seront remplacées par le bruit aigu des respirateurs et des pousse-seringues.
Pourtant dans la nuit je passe quand même le voir, c’est logique, j’y ai pensé pendant mes jours de repos, je téléphonais au collègue pour savoir comment il allait, je suis inquiet, moi l’insensible, suis pris dans une mascarade que je ne comprends pas…
Je passe donc le voir dans la nuit, rien n’a vraiment changé, les pansements blancs, légèrement foncés par les exsudats, par le sang coagulé que l’on devine… le silence lourd et pesant, le bruit du scope... tout ça je connais , c’est la routine, ce qui est triste c’est de penser que lui aussi depuis deux mois… Il a juste la canule parlante, je suis content, demain je reviendrai, on pourra parler, même si je sais que ce sera difficile je lui reprendrai la main, on discutera, je blaguerai, peut-être sourira-t-il…
Demain… il était mort… peu de temps après que j’aie quitté le service le matin, en deux heures de temps… il était tachycarde, la tension chutait, massage, on pouvait rien faire. Le mal tapi avait rongé chaque parcelle de son corps... il avait douze ans.
Dans sa chambre un autre patient, c’est normal, j’ai l’habitude, mais aujourd’hui ce sera dur…
le troisième et dernier texte de cette trilogie est en cours d'écriture, merci de patienter... | |
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