Papa était enfin rentré. Il était en retard comme à son habitude. Maman le laissait faire, de toute façon elle n'avait pas vraiment le choix. En temps normal, je serais resté dans ma chambre à écouter cet air doux et mélancolique des Beatles. Mais aujourd'hui, des éclats de voix parvenaient jusqu'à ma porte fermée et se glissaient sournoisement sous le battant pour parvenir à mes oreilles.
Les cris s'accentuaient. Je connaissais déjà la suite d'un scénario bien trop huilé à présent. Je soupirais, blasé.
On frappa à la porte. Ma petite sœur entra. Maddie ne se tenait pas très droite, sa jambe gauche faiblissait de jour en jour. Je portais mon regard désolé sur elle. Il était loin le temps où Papa l'appelait sa petite Madonna de qui elle tirait son prénom ... Sa voix me ramena à la réalité.
"Hugo, viens voir vite ! C'est magique !"
Je me levais donc et entrepris de suivre ma sœur jusqu'à l'exigüe salle de séjour.
Je ne sais pas ce qui était le plus ébahissant à regarder, cette nouvelle télévision qui trônait au milieu des cartons ou bien le spectacle que mes parents nous offraient. D'un coté cette télé semblait émerveiller ma mère, mais au fond à quoi allait servir cette grosse machine noire ? Nous n'en avions jamais eue et cela n'avait pas d'intérêt pour moi. Nous n'avions pas d'argent et il était temps de faire face à notre niveau de vie. Pourquoi étais-je le seul à penser à l'avenir ? Ce n'était pas le moment de faire une telle folie.
C'était dans un sens l'avis de Maman. Elle semblait partagée entre l'acceptation de futures soirées de propagande télévisuelle, mais je voyais bien à ses yeux qu'elle était furieuse. Furieuse de voir que son mari n'avait rien dans la tête et qu'il avait dépensé l'argent du mois, peut-être même plus.
Mais Maman était trop faible pour s'opposer à lui, à croire que les couples finissent toujours pareils. L'homme domine, la femme s'incline.
Cette fois ci quelque chose me choqua. Maman cria. Elle cria très fort, presque trop d'ailleurs. Maddie partit en courant en emmenant la petite dernière jusqu'ici restée silencieuse.
Je restais seul à contempler l'horrible spectacle qui s'offrait à moi. Maman les yeux révulsés par un mélange de colère et de peur, ses petits poings blancs abimés par le travail qu'elle brandissait honteusement vers son mari. J'étais trop sous le choc pour intervenir ou même pour faire demi-tour. C'était tellement inhabituel. Maman, d'ordinaire en retrait et soumise, s'exprimait enfin.
Elle criait tellement fort que l'on ne comprenait rien. Papa s'agitait de plus en plus, rouge de colère. Il attrapa le bras de ma mère et le positionna de manière à ce qu'elle ait mal. Pas trop mais mal tout de même. Elle se calma.
Le conflit ayant pris fin, j'allais retourner dans ma chambre, quand des pleurs traversèrent l'appartement. Je revins vite sur mes pas accompagné de Maddie alertée par le bruit. Un désastre s'offrait à nous. Je vis les cartons éventrés, l'écran de la télé cassé et Maman assise par terre sur ses genoux en train de pleurer. Elle agitait les mains en l'air comme si elle se demandait ce qui avait bien pu se passer. Mon père était déjà parti, entrainant dans son sillage des petites gouttes de sang.