La chaleur était telle qu’il ne pouvait s’empêcher de maudire le Soleil : pourquoi cet astre si souvent salvateur établissait-il désormais son règne léonin, écrasant le jeune homme de sa puissance ? Celui-ci avait l’impression de progresser dans un désert sans fin, dont il ne croyait pouvoir sortir. La douleur l’envahissait : bras et jambes ; gauche, droite. La tête, le cœur. Tout le brûlait. Inexorablement, il se consumait. Bientôt, poupée de porcelaine, il ne serait plus que l’urne de ses propres cendres. Sans vie, figé dans une inexpression douloureuse, de celle qui vous observe avec une sincérité faussée, triste et mortifiée, et dont on ne peut pourtant se détacher, captivé par cette coquille vide, enveloppe d’un message qui n’existe plus, que le destinataire ne recevra jamais. Marque d’une brûlure au delà de toute souffrance.
Et puis, au milieu de cette désolation aride, il aperçut ce qui pour lui était le contour indistinct d’un mirage : la colline qu’il venait de gravir donnait sur un verger de pêchers en fleurs.
Il entra dans l’ombre des arbres, et marcha quelques instants sur le parterre de pétales tombés au sol, goûtant la fraîcheur du lieu.
C’est alors que son regard fut attiré irrépressiblement par une silhouette se détachant des branchages. Il se demanda si ce n’était un rêve : le monde en prit soudain l’apparence fragile et opaline. Il vacilla devant la beauté qu’on offrait à ses yeux. Elle était là, de dos, assise, ses cheveux détachés flottant dans le vent naissant. Le cœur du marcheur brûlait toujours, mais ne se consumait plus.
La sérénité de cette fresque, irréelle de par sa splendeur, avait calmé son angoisse. Il alla s’asseoir doucement auprès de cette jeune femme dont il ignorait tout. Elle était pieds nus. A son désarroi, elle ne répondit pas au signe de la main qu’il lui adressait. Son visage avait pour lui une grâce irrésistible. Ses yeux, d’une pureté souveraine, révélaient un éclat sans lumière, tel un hurlement étouffé. Ils ne voyaient plus. Ils ne voyaient pas, mais peut-être sentiraient-ils la flamme s’élevant dans la poitrine de l’homme.
Elle avait entendu un bruissement presque indécent parmi ces arbres. Un pas léger qui s’était approché, petit à petit, se fondant dans une harmonie intacte et brisée, recomposée et sublimée. Il s’était finalement arrêté à son côté. Un long silence s’était installé. Mais ce ne fut pas le silence pesant ou gêné qui suit la découverte d’un monstre ou d’une créature pathétique. Ce fut un silence tendre et plaisant. Pour la première fois depuis longtemps, elle sourit.
Sa main s’avança, paume contre le sol. Elle caressait les pétales mêlés à cette terre ébène, dégageant la forte odeur de la vie. On lui la prit, avec douceur et force. Ses doigts enserraient un soyeux et irrégulier mélange de rose, de blanc et de noir.
Sans une parole, ils s’étaient liés là par une promesse inaudible. Au cœur de ce verger coloré, les arbres noueux avaient vu un homme et une femme arracher la simplicité d’un amour, à l’abri du Soleil aveuglant et brûlant qui s’imposait sur le reste du monde.
Un texte que j'avais écrit il y a de ça un certain temps, quelque peu remanié avant d'être présenté.
Il est inévitable que certains verront ici un énième et basique coup de foudre, avec tout ce qu'il peut y avoir de ridicule et de mièvrerie. Ils n'auront surement pas tout à fait tort, peut être est-ce ma façon de jouer dans mon texte.. et puis, l'expression de son ressenti ne se commande pas toujours, après tout.