« Reste pas là petit. Tu vois bien qu'on doit intervenir sur la voiture ! Allez va t'en ! Laisse nous faire notre boulot. »
Un des pompiers l'éloigne.
Il est là, devant la carcasse. Il pleure à chaudes larmes. Il ne sait plus pourquoi il a commencé à pleurer.
Est-ce à cause la joie soudaine qu'il a ressenti.
Ou alors juste l'instant d'après, quand il a pris conscience de son geste.
Il a la gorge serrée. Ca lui fait mal et ça l'empêche de respirer, comme un caillou coincé.
Il regarde. Il voit un pompier sortir un enfant. C'est l'autre. Il est vivant. Des policiers s'approchent de lui. Dans quelques instants l'autre le montrera du doigt. Les policiers viendront alors le chercher.
Il pleure de plus belle. L'idée de fuir lui traverse la tête. Mais il sait que c'est inutile. On sait qui il est de toute façon. Et ce qu'il a fait.
Le gamin repense à ce matin. Il a trouvé une pierre en venant à l'école. C'est un beau caillou. Il a de petits points brillants, et aussi des cristaux de couleur. Il aime bien cette pierre. Il l'observe tranquilement, et imagine que c'est une sorte de talisman. Peut être que ce caillou recèle un pouvoir magique qui le protègera contre les méchants.
Il joue avec son talisman. Mais l'autre vient le lui arracher des mains. Violement, comme à chaque fois. Et avant qu'il n'ait pu réagir, les deux copains jouflus de l'autre le tiennent fermement , l'empêchant de bouger. Comme à chaque fois.
« Qu'est-ce que tu comptes faire avec ce caillou ? Hein ! Réponds-moi, idiot du village ! »
Tout le monde rit. Une petite foule s'est déjà réunie autour de lui. Comme à chaque fois il va être l'attraction de la récréation.
« Alors ? réponds ! Tu comptes faire quoi avec cette pierre ? Tu vas la jeter dans la vitre de la classe, c'est ça ? »
L'enfant ne répond pas à la provocation. Il sait que quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, ça ne fera qu'empirer sa situation. Alors il se tait. Comme à chaque fois.
« Bon puisque tu ne réponds pas on va te tourturer jusqu'à ce que tu nous le dises. Nous avons les moyens de vous faire parler !! »
De nouveaux rires. Cruels, enfantins. Comme à chaque fois,
«Ca y est ? Tu avoues ? C'est bien ça que tu essaies de faire ? Lancer des pierres sur les voitures ? Et bien je vais le dire à la maîtresse alors. »
De nouveaux coups, de nouveaux jeux. Cruels, enfantins.Comme à chaque fois.
Mais cette fois-ci s'en est trop. Il n'en peut plus. Il se met à pleurer. Cette fois-ci c'est la dernière fois. Comme à chaque fois.
Alors l'enfant, dans son abominable colère hurle à l'autre : « Cette pierre je vais la lancer sur ta mère pour la tuer. Comme ça tu souffriras encore plus que moi !! »
Il ne ressent plus rien; la détresse s'en est allée. Il ne reste plus que la haine.
L'enfant se souvient de ce matin. Il repense à l'autre lui lançant un caillou en plein visage. Il revoit la tache de sang sur sa manche.
Il se souvient du moment où il a dit à l'infirmière qu'il s'est cogné en jouant. Comme à chaque fois.
Il se rappelle aussi le moment où il a vu l'autre repartir de l'école dans la voiture de sa mère,
Et aussi le moment où il a lancé la pierre contre la voiture.
Ce caillou qu'il aime bien.
Il ne pleure plus.
Il sourit quand on le montre du doigt.
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Un autre de mes premiers textes d'il y a quelques mois.
En le relisant avec du recul, je vois qu'il y a des lourdeurs, notamment les redites assénées ("comme à chaque fois", "l'autre", "cruels, enfantins"...). C'est vrai que je voulais marteler le message comme autant de coups sur la tête du gamin, jusqu'à inspirer le raz le bol... et je crois qu'il y en a un trop par contre maintenant ^^
La naïveté du ton, et la simplicité de la syntaxe, que je voulais pour relater la scène avec la justesse d'un enfant manque très certainement de spontanéité. Par contre, pour ce qui est des mots, expressions incongrues, trop poussives que j'ai mis dans la bouche des enfants... je ne les ai pas inventé, puisqu'issus de souvenirs de cours de récréation, où les enfants n'ont pas forcément la "conscience" du verbe ou même de l'acte.