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MessageSujet: .X.   .X. Icon_minitimeVen 16 Oct - 15:16

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J'étais assis dans un vieux fauteuil orange, à fumer du mauvais tabac et à boire de l’alcool frelaté. L’été était sur Paris, étouffant la ville d’une chaleur asphyxiante. J’étais seul dans mon grenier, vieil endroit abandonné depuis des années. Le soleil y perçait par un unique hublot de la taille d'un puits et chauffait la poussière du parquet de bois. Le restant du lieu était sombre. La pièce en elle-même était sobrement meublée, totalement nue par moments. Le même recoin regroupait tous mes meubles: un lit d'officier, un lavabo presque neuf, et un gros coffre en chêne fermé à clef.
Mon fauteuil était au centre du grenier, trônant au milieu de cette petite oasis de luminosité qui transperçait le verre du hublot. Une fois assis, tout Paris semblait s'incliner devant moi. J'étais le vieux roi dans sa tour d'ivoire, distribuant ou reprenant le droit de vie à ses sujets.

Un droit dont j'avais abusé pendant de nombreuses années, donnant peu mais prenant beaucoup. Du héros au malfrat, tous étaient susceptibles d'apparaître sur mes listes. Un meurtre ne signifiait pour moi qu'une rature de plus sur les pages de mes cahiers trop pleins. Un mot de mes employeurs, un souffle, l'indice d'une envie prenant forme me suffisait pour rayer un prénom supplémentaire.
Toujours est-il que j'étais assis là, à regarder défiler plus bas les barques sur la Seine et les passants sur les quais, mus par le courant ou par un amour, par le vent ou par l'ambition. N'attendant rien ni personne mais redoutant une visite, je me terrais dans cet endroit. Car deux ans avaient passés depuis ma révolte contre mes idéaux, l'abandon de mes activités, et cela n'allait pas sans déplaire à ceux dont j'étais l'épée si aiguisée: les Jumeaux. Penser à eux me terrifiait et dans mon oisiveté je fumais et buvais pour me donner le courage de l'oubli et de l'inconscience.

La grosse horloge encastrée dans le clocher de l'église indiquait dix-huit heures. J'avais une notion du temps très vague, me référant uniquement à la lueur du soleil pour connaître la saison et à la mécanique que j'observais depuis mon grenier. D'une main experte, je défaisais la boucle d'argent qui tenait fermée un pochon en cuir et en tirait les herbes convoitées. Froissant le tabac entre mes doigts pour l'insérer dans un papier aux contours jaunis, j'allumais ma cigarette en faisant craquer une allumette. La fumée semblait chevaucher les rayons de lumière pour laisser apparaître des formes mystérieuses, fantastiques.
La porte derrière-moi grinça. Je continuais à observer les volutes de fumée qui s'échappaient de mes lèvres ; on pouvait y voir un corbeau en tournant un peu la tête. Le parquet émit un petit bruit à son tour. J'étais trop absorbé par ces peintures éphémères et portais le goulot d'une bouteille d'eau de vie à mes lèvres ; c'était frais et agréable, quoiqu'un peu fort. Le sol chanta à nouveau, plusieurs fois, de façon régulière, par paire. Mes sens s'enivraient, j'en oubliais ma propre existence, je souriais un peu. Le parquet grinça une dernière fois, mais devant moi désormais. Le soleil semblait s’être éteint, la fumée ne dansait plus: deux ombres cachaient le hublot.

La simple vision de leurs silhouettes suffit pour déchirer le rideau de débauche qui me séparait de la réalité. La lumière dans leur dos formait autour d'eux un étrange halo qui illuminait leurs visages parfaits. Ils étaient en tous points identiques, chacun la copie exacte de l'autre sculptée par un artiste de génie. Vêtus de la même manière, portant sobrement un élégant costume gris d'où s'échappait une chemise en lin blanc, ils me dominaient du regard et de l’apparence. Moi, j'étais vêtu d'un ensemble noirâtre respirant le tabac froid et le laisser-aller.
Tous deux se tenaient la main. Mais il n'y avait dans cette union ni la sensualité et la tendresse d'un geste amoureux, ni l'innocence et l'amitié de deux êtres affectueux. Leurs doigts étaient semblables à des racines s'enchevêtrant les unes aux autres, prêtes à se briser entre elles pour mieux s’accrocher à la terre.
Les Jumeaux...Ils étaient devant moi, tâtant mon corps de leurs yeux bleu glace. Ils m’inspectaient, vérifiaient que la larve qui leur faisait face était bien celle qui les avait tant servis. Satisfaits, ils se lancèrent un regard entendu et l’homme à ma gauche tendit sa main libre vers mon front qu’il caressa doucement. Sa paume était chaude et lisse ; son contact m’apaisa légèrement, me rassurant presque. Il épongea les gouttes de sueur qui perlaient sur mon crâne lisse d’un glissement de sa main.
- Voilà longtemps que nous ne t’avions vu, ami.

Sa voix était un long murmure, une caresse interminable, une mélodie. On retrouvait dans ses mots la même chaleur que dans ses gestes et son sourire. Seuls ses yeux semblaient de marbre.
-Cela fait déjà trois ans...Tu m’as manqué.

Je suais. J’espérais bêtement qu’ils repartent, me laissant dans mes drogues et mes illusions. Le frère Jumeau resté en retrait s’avança vers moi et fixa ma main droite. J’avais toujours un mégot entre les doigts, froissé par ce stress qui tendait mes muscles et paralysait mon esprit. Lorsque son regard se posa dessus, il fit l’effet d’une masse ; le petit bout de cendre et de papier tomba mollement par terre, vaincu.
-Ton exil t’as rendu muet ?

Sa voix était moins mélodieuse, plus forte que l’autre, et ne laissait rien paraître de ses émotions. Que devais-je répondre ? Aurais-je du lui dire de partir, l’insulter, répliquer ? Le silence me semblait une confortable forteresse face à toutes ces questions.
Le plus doux des deux semblait agacé de cette retraite. Il retira sa main qui, étrangement, me paru l’espace d’un instant glaciale. Me fixant droit dans les yeux, il mêlait à son regard sympathie et menace ; il semblait tellement plus simple de parler désormais, et si effrayant de ne pas prononcer un mot.
-J’ai toujours été ici, à vous attendre.

Panique. Je peux sentir dans leur regard qu’ils savent que je leur mens. Parler, oui c’est ça, il faut parler, parler beaucoup.
-Le monde est bien vaste et je pensais qu’en restant ici, au même endroit, je ne vous en serai que plus aisé à trouver.
-Idiot ! Hurla le plus sévère.

Il me gifla. Ma joue me piquait seulement mais le geste m’avait abattu. Ma tête semblait collée à mon épaule gauche, figée par le traumatisme de ce choc pourtant léger. Mes yeux fixaient le tissu du siège dont je voyais les moindres plis lorsque mes lèvres eurent la fantaisie de jouer un rôle dont je n’avais pas écrit la moindre ligne.
-Tu m’apportes ici ce dont je suis seul maître...., murmurais-je.
Les mots sortaient seuls, et j’attendais avec peur et excitation les prochaines phrases que mon esprit irresponsable me ferait prononcer.
-Voilà pourquoi ceux dont le nom est tabou se déplacent jusqu’ici...Pour prendre de mes nouvelles ?

Je ricanais et ma voix se faisait plus forte. Ni l’un ni l’autre ne fit le moindre mouvement : ils écoutaient.
-L’ennui peut-être, la solitude de votre petit monde ?
J’étais fier de leur silence dont je m’attribuais le mérite. Partie l’angoisse, évaporée par la chaleur de ma confiance retrouvée. Mes mains n’étaient plus moites, non, elles étaient sèches, glaciales. Mes lèvres ne tremblaient plus, non, elles étaient closes, fermes. Mes yeux ne brillaient plus, non ; ils étaient froids, ternes, brûlants, acides. J’étais bien ce tueur dont ils avaient le souvenir.

-Qu’êtes-vous venu me demander ?
L’un sourit, l’autre pas. Le plus doux semblait amusé par ce dégel si soudain, son Jumeau était agacé.
-Demander ? Rien, répondit ce dernier. Demande-t-on ce que l’on a déjà ? Nous venons te rappeler de vieux souvenirs.
A nouveau, j’avais peur de ce qui pouvait suivre. Mais comment taire une question lorsque l’on convoite sa réponse ? J’hésitais un instant puis...
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MessageSujet: Re: .X.   .X. Icon_minitimeSam 17 Oct - 10:35

-Quels souvenirs ?
Le même frère sortit de sa poche une feuille froissée et jaunie. Il s’approcha de moi et laissa glisser de ses doigts le bout de papier qui se posa sur mes genoux ; sa main restait immobile. Je saisis l’objet, il recula, souriant.
-La dernière page de tes cahiers qui ne soit pas vierge.

Je tendais la feuille et y posait mon regard. Elle était noircie par l’encre d’une écriture minuscule, rigide. Chaque gerçure du papier, chaque corne était inondée de mots. Une page entière remplie de prénoms, tous rayés d’un trait, tous écrits par ma main. Tous assassinés pour les Jumeaux.

- Nous avons déjà tes services. Nous voulons simplement assurer leur continuité.
Je me sentais vide, plat. Ma révolte me semblait stérile, incapable de créer ou de détruire. J’étais un bourreau, pas un sauveur.

D’autres feuilles se posèrent alors sur mes genoux, elles aussi jaunies et emplies de noms raturés. Toujours plus se posaient sur moi, à mes pieds, partout autour du fauteuil. Jamais les mêmes noms, jamais les mêmes petits chiffres à la suite de chacun d’eux, jamais de prénom épargné par la barre horizontale qui les traversaient inévitablement, signant leur mort. La liste interminable de mes meurtres s’entassait autour de moi comme autant de pelletées de terre jetées sur un cercueil. Lentement, je tournais la tête vers ce petit coin de grenier où s’entassaient toutes mes affaires.
La lourde malle cadenassée ne l’était plus. Son verrou était brisé, comme le secret qu’il protégeait. Des milliers de feuilles. Jaunies, raturées ; jaunies, raturées. Des colonnes entières s’entassaient à l’intérieur de ce tombeau dont les cadavres étaient d’encre. Un léger souffle faisait s’envoler les pages de la malle pour inlassablement atterrir près de moi.
-Tant de temps à nos côtés, murmura le plus doux frère. Pourquoi n’avons-nous plus ton soutien depuis si longtemps? Pour te terrer ici, alors que le monde est à toi ?

De sa main droite il décrivait de larges cercles que mes yeux suivaient bêtement ; sa main gauche restait toujours cramponnée à celle de son semblable. Il semblait me comprendre, ses paroles étaient agréables à entendre. Je ne pouvais qu’écouter.
-Admire l’immense palette des désirs qui s’offre à toi, l’infinité de tons qu’elle te propose. Tu n’as qu’à te servir de tes talents pour exercer ta tâche, et voilà le monde à tes pieds. A quoi bon avoir des remords quand il n’y a personne pour oser te critiquer ? Qui donc irait dire de toi que tu es un meurtrier, un assassin, un tueur à gages, alors que sa vie est soumise à ton bon vouloir? Non, les remords sont pour les faibles, ils sont là pour rappeler aux imbéciles que les grands les méprisent et leur sont supérieurs.

Il s’arrêta un instant. Ses lèvres étaient humides, ses yeux étaient fous, son visage semblait illuminé par ses paroles. Je buvais sa fougue et en adorait le goût.
-Quels services te demande-t-on en échange? Rien ! Rien qui ne te soit impossible! Depuis toujours tu sais que ton âme est celle d’un tueur, d’un dominant, d’un despote. Si ceux que tu épargnes avaient ton talent, ton don, ils n’hésiteraient pas à t’abattre. Mais ils ne l’ont pas, ils n’ont rien qui ne te soit accessible. Tues-les mon ami, tues-les pour nous, tues-les pour toi, tues-les par amour de ta propre vie.
Il avait raison. Je ne comprenais plus, je ne me souvenais même plus de ce qui m’avait amené à me cloîtrer dans cet endroit sordide alors que je pouvais tout avoir. Je lui renvoyais son sourire, acquiesçait ses dires, et regardait à nouveau tous ces bouts de tissu griffonnés qui m’entouraient. Cela me semblait si ridicule désormais de noter les noms de mes victimes. Après tout, quelle différence pour moi entre Romuald tué le 25 Août 1945 et Yuoko abattu une semaine plus tôt ? Deux parfaits inconnus. Quelle bêtise...
D’un geste, je balayais alors tous ces détritus qui s’étaient accumulés sur mes genoux, les envoyant valser dans les airs. Une feuille cependant s’acharna et après un court vol reprit position sur mon genou gauche. C’était la feuille qu’ils m’avaient donnée, la dernière de mes listes. Je la saisissais alors de mes deux mains et m’apprêtait à la déchirer lorsque je lus tout au bas de la feuille un prénom. Un prénom qui n’était pas barré. Seul, reculé dans l’extrémité de la corne de la page, il semblait être le mauvais rejeton d’une immense famille, avec ses voyelles et ses consonnes indemnes. Une légère tâche d’encre au début du mot était visible, mais celle-ci était fébrile, différente des autres. Maintenant...Maintenant, je me rappelais.


Christophe, France, un vieil immeuble de la région Parisienne. Il venait tout juste de naître, sa mère le tenait dans ses bras. Je rentrais dans la chambre d’hôpital, il faisait nuit. Je tuais la mère avant de m’occuper du petit : c’était toujours ça de plus. Marie avait 26 ans, comme l’indiquaient le nom et le chiffre raturé au-dessus de ceux de son fils. Mon regard se posa sur l’enfant, un regard troublé, un regard hésitant ; en rentrant je haïssais déjà mes actes et ma personne. Il avait les paupières très blanches, et des lèvres minces de bébé, ne souriant pas tout à fait mais presque. Ses coudes étaient repliés et ses poings fermés, de sorte à pouvoir les glisser sous son menton, près de son cou. Je déplaçais ses mains sur le côté et encerclait ce petit bout de chaire de mon pouce et mon index. Il ne souffrirait pas.
Je n’avais pas encore serré lorsqu’il ouvrit les yeux. Il me fixa avec un air sérieux, avec l’expression de l’homme qu’il serait un jour. Ma bouche s’ouvrit légèrement et j’interrompais mon action. Il ne pouvait pas me voir, il n’était pas censé me voir, mais pourtant il plongeait son regard dans le mien. Un long moment passa puis je repris mes esprits : les Jumeaux avaient été clair. Je me concentrais à nouveau sur ce cou et commençait à peine à serrer lorsque l’enfant me sourit. Un sourire faible de nourrisson épuisé, mais un sourire j’en étais sûr. J’existais.
Jamais on ne m’avait regardé comme un être existant, comme un éventuel compagnon. Les adultes savaient pourquoi je venais à eux et me craignaient ou tentaient de m’ignorer. Les vieillards m’attendaient depuis longtemps, guettant mon arrivée avec crainte ou la bénissant d’un dernier sourire. Même les enfants dès quelques mois devinaient mon existence au détour d’une rue ou dans un cimetière. Je les effrayai et eux aussi me détestaient, plus même que les autres. Seuls les plus jeunes nourrissons pouvaient me rencontrer en tant qu’être, pouvaient me voir pour ce que je suis et non pas ce que je suis censé être, pour l’âme et non pour l’office.

Car je suis, j’étais, je serais, celui qui prend la vie des hommes et des femmes, celle aux multiples sexes et corps, celui que l’on craint à chaque instant. Car je vis pour vous tuer sans apprendre à vous connaître, je suis celui qui ne sait de vous que votre fin et quelle sera la geôle de votre âme du Paradis ou de l’Enfer. Oui je suis la Mort, votre grand tabou, votre grande ennemie, celle dont vous poursuivez le culte en existant. Car toute existence se termine, s’achève, quelle qu’en soit la durée, et en naissant vous me permettez de vous tuer, en naissant vous me donnez vie, en accouchant vos mères me mettent moi aussi au monde, fils bâtard mais aîné. Je suis la Mort, je suis elle, je suis votre vie puisque j’en signe l’arrêt.
Je suis la Mort mais ce soir je suis un homme. Car il m’a regardé pour ce que j’étais, pour une vie et pas une mort, pour son frère. Le bébé est là et il me regarde ; et la Mort lui sourit, car elle l’aime désormais ce soupçon d’innocence, elle veut le protéger, elle veut l’aimer comme une mère.
Assassin ! Sa mère je venais de lui arracher l’âme, c’est ainsi que j’ai remercié ce bébé qui m’a donné vie ! Je fermais les yeux pour ne pas voir mon crime, je hurlais dans cet hôpital froid aux couloirs gris. Mon sang dont m’avait dotés cruellement mes créateurs, cet artefact de vie qui coulait dans mon âme, il chauffait et transpirait en moi, faisant monter de l’eau jusqu’au centre de ma conscience pour en couler jusqu’au sol. Pourquoi puis-je penser, pourquoi ne suis-je pas une machine idiote, pourquoi tant de tortures quand je ne suis qu’un valet ?
Fou de rage j’ouvrais les yeux et les portais sur mon sauveur. Il me regardait toujours mais ne souriait plus, ses yeux ne bougeaient plus, ses narines ne se gonflaient plus. Je sentais sa peau. Elle était tiède. Il était mort.
-Maman !

Ce cri stupide, bestial, humain, sortit seul de mes lèvres. Elle était morte ma mère devant mes yeux, étranglée par ma propre poigne, par ma propre bêtise. Elle était partie son âme, me laissant seul ici, me laissant agenouillé sur le parquet. Jamais je ne la reverrais, je suis pour toujours orphelin. Car les mortels restent éternellement ensemble, alors que l’immortel est à jamais privé de ses chétifs
compagnons.
Cette maternité était devenue un tombeau : à nouveau j’avais violé la vie en son point le plus chaste. Me tenant à un barreau du lit, je vomissais de l’eau sur le parquet. Mes yeux étaient embués de larmes et je ne voyais plus rien, sentant seulement l’odeur de mon haleine empestée. Relevant les yeux, je me regardais dans une petite glace. J’avais pris forme humaine, une forme unique. Celle d’un homme chauve aux yeux sombres et aux traits creusés. Celle de l’adulte que serait devenu le nourrisson. Mon corps l’avait reconnu comme ma mère et en avait pris les gènes, les apparences, les défauts. Ce corps que j’avais volé me dégoûtait mais je n’en changerai plus. Ce serait ma torture, ma souffrance de le traîner toujours avec moi, preuve de mon horreur, mémoire de mes homicides. J’étais une bête qu’il fallait enchaîner, qu’il fallait isoler.

J’ouvrais la porte et me retrouvait dans un couloir. Des pas résonnèrent, des petits pas de femme. Il n’y aurait pas d’autre meurtre ce soir, ni demain. Un escalier me faisait face, un escalier qui montait mais ne descendait pas. Parfait. Je montais les marches lentement, une à une, résolu à ne plus jamais les redescendre. Je me trouvais devant une porte en chêne foncée et poussiéreuse : personne ne semblait venir ici. Je l’ouvrais et découvrait l’endroit qu’il me fallait, la cage idéale : un vieux grenier Parisien oublié de tous et de toutes. Il n’y avait qu’un lit, un lavabo et un vieux fauteuil orange pour tous meubles. Je déplaçais le siège au centre de la pièce, petit oasis de lumière éclairé par la lune qui perçait à travers un gros hublot de fer. Je m’affalais dessus. Un cri se fit entendre du couloir que j’avais quitté. La femme en talons les avait découverts tous deux, ceux qui dorment maintenant paisiblement, emmitouflés par un manteau de mort. Le cri se répéta, plus strident, plus fort, plus conscient de l’horreur des choses. Je fermais les yeux : plus jamais je ne tuerai.
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MessageSujet: Re: .X.   .X. Icon_minitimeLun 26 Oct - 14:26

* *

Un battement de mon cœur me fit sursauter. J’avais oublié le présent, le vivant, et m’était si bien replongé dans mon passé de mort que cette vie dans ma poitrine me surprenait.. C’était de la colère qui faisait rugir mon corps, la révolte de quelque chose qui m’était inconnu mais dont j’avais toujours soupçonné l’existence. Quelque chose qui avait du attendre qu’une place se libère pour exploser en moi et occuper autant d’espace que possible. L’espace avait été fait lors de la mort de ma mère, la mort de mes croyances et de mes valeurs, la combustion de millénaires d’existence. A nouveau, la mort avait donné naissance : j’avais une conscience.

Elle existait et me torturait, réveillée enfin par ces souvenirs douloureux. Elle me hurlait d’ouvrir les yeux et de faire face à mes Créateurs. Ma conscience voulait que je me révolte contre ceux qui m’avait conçus, qui m’avait imaginé, elle prônait l’insensé. Elle avait détrônée la logique, les influences, les préjugés. J’entendais toutes ses folies, je vivais désormais les yeux ouverts, j’étais impulsif et déchaîné, j’étais révolutionnaire. Il fallait que je brise la chaîne, que je détruise ce dernier maillon qui me reliait à mon passé, que j’en éclate le fer borné d’un coup ferme.
Ils le sentent. Ils le savent. Ils s’approchent de moi.

Tendent chacun un de leurs bras. M’étranglent.
-Viens, murmure l’un.
-Dors, chuchote l’autre.

Tout est flou. Ma bouche s’ouvre désespérément. Mon cœur bat vite.

Quatre coups rapides résonnent dans ma poitrine.
Je sens qu’il n’arrive plus, qu’il peine à monter.

Deux vibrations grésillent fébrilement.
Je ne sens plus grand chose.

Un écho perdu.
Plus rien.

.






















Chapitre II :










Je ne suis pas mort ? Non, évidemment. Alors j’ouvre les yeux. Un bleu immense et sans brèche berce mes pupilles. Qu’est-ce que le ciel fait là? Ils m’ont emporté ? Sorti de mon fauteuil, de mon grenier, de mon exil ? Peut-être. Je sens la brise couler sur mon torse et la terre se fondre sur mon dos. Je sens, je vois. Comme d’habitude. Pourtant… Je porte une main à mon cou qui ne me brûle pas. J’aurais dû sentir cette rougeur chaude des corps étranglés, ces pelures de peau arrachées par les ongles de mes meurtriers, la forme aplatie de ma pomme d’Adam écrasée. Non. Je sens un cou tiède, doux, intact. Mon corps vit, il bouge, je l’entends souffler ce sang dans mes artères. Après tout, tant mieux si je vis ; j’aurais quand même bien aimé savoir. Je me lève.

Jamais plus je ne m’allongerai. Ce que je peux voir maintenant me manquerait trop. Des couleurs et des spectacles coulent dans mes yeux et je ne fais rien pour arrêter cette inondation qui submerge toutes mes pensées. La moindre inclinaison de ma pupille m’expose à des explosions de tons et de formes incroyables. J’avais cet instant, cet arrêt soudain de l’homme qui, pour un bref moment, n’est que le spectateur ébahit d’un chef-d’œuvre.

Il y a devant moi ? Notre recherche et raison d’être. Perfection. Dieu ? Non. Ou presque : sa création. Un minuscule val boisé peuplé de végétaux et d’animaux. Moi qui trouvai les déserts, les océans, les cascades et les falaises ridicules, je suis tétanisé devant le sublime d’un relief sans importance, sans conséquence. Des plantes, des animaux sont là, tranquilles, allongés, enracinés. Quelque chose pourtant m’alerte ; quelque chose a changé. Par rapport à avant. Il y a un chêne à côté de moi. Il n’a pas d’écorce et la sève coule le long de son tronc et de ses branches nues. Des fruits sont suspendus à ses feuilles. Des glands sans doute. Je m’approche de la branche la plus basse et en décroche un. Il n’a pas de coquille. Je croque : c’est délicieux. Tous les glands de ce chêne étrange sont nus, eux aussi, comme s’ils n’avaient rien à protéger. Il y a un fraisier à côté du l’arbre. Les fraises n’ont pas changées elles : leurs petites graines beiges sont toujours à l’extérieur de leur chair, offertes d’une manière charmante au premier venu. Un palmier se dresse à quelques pas. Etrange. La végétation ne semble pas avoir de règles ici. Une sensation de sérénité se dégage de toutes ces plantes sans épines, de ces fruits sans coquille, de ces arbres sans écorce. N’ont-ils rien à craindre ?

Un bruit étouffé se fait entendre derrière moi. C’est un renard qui s’approche doucement du fraisier. Il m’aperçoit, debout, géant en exil. Il ne s’enfuit pas, il marque simplement un temps d’arrêt ; le temps de la surprise plutôt que celui de l’effroi. Je le regarde s’avancer pour dévorer une fraise en m’asseyant en face de lui, près de sa gueule. Il n’a pas de canines, il n’a que des molaires. Ses griffes sont très courtes, à peine de quoi lui permettre de grimper le long d’un arbre. N’a-t-il rien à craindre lui non plus ? N’a-t-il rien d’autre à mâcher, à écraser, à broyer que des fraises ou de l’herbe ? Le renard mange et moi je m’interroge. Je réponds aussi.

Ce qu’il manque à ce val, c’est moi. Moi et l’inquiétude qui m’entoure, la peur de ma venue, l’horreur de mon accueil dans un corps qui faiblit. Il manque aussi l’ignorance et la bêtise. Toutes ces senteurs qui me rendent si effrayant et enivrent les hommes jusqu’à leur libération. On ne fait pas la guerre pour tuer, on la fait pour vivre, pour vivre libre, vivre une aventure, vivre heureux, vivre vieux, vivre voracement, à pleines bouchées, ou vivre en avare, par picorées. Tant que l’on vit, peu importe. Alors on se protège, on s’entoure, on se donne des principes, on en donne même aux autres.

Le renard s’en fout, il mange. Mon pied pourrait se planter dans sa gueule, lui exploser les yeux, lui défoncer la gorge ; et après, je le laisserai crever à roter du sang dans l’herbe jusqu’à ce qu’il s’étouffe avec. Mais non, il reste serein à mâcher sa fraise avec des yeux de bébé. Je ne sais pas trop ce que je fais là, je suis un peu perdu. Autant partir.
Le val est petit et il y a une pente peu escarpée devant moi. Je prends ce chemin. Et si une fois en haut tout était différent ? Si je revenais dans mon monde à moi avec ses imperfections et sa routine ? Peut-être ; sans doute. Encore quelques pas avant le retour de la routine.

Je suis sorti du val mais pas d’ici. Encore, encore, encore, encore de la perfection, à perte de vue. De la perfection au pluriel. Des océans, des déserts, du ciel, un peu de montagnes, quelques vallées, des fleurs et des broussailles. C’est trop pour moi. C’est écoeurant, déprimant. De la perfection à en dégueuler, vraiment. Je me sens tout petit en face de ce foutu paysage. Impossible d’y échapper, d’en faire abstraction. Je cherche désespérément des yeux un peu de bassesse ou une pollution quelconque. Je me sens vraiment mal.
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MessageSujet: Re: .X.   .X. Icon_minitimeLun 26 Oct - 14:36

Postface


Cher lecteur,

Merci de m'avoir lu jusqu'au bout! Si si, j'apprécie, c'est extrêmement flatteur. Si vous pouviez néanmoins rester en ma compagnie encore quelques instants, je vous tiendrais en haute estime! Encore plus qu'actuellement! Juste le temps de vous toucher deux mots sur ce récit. (comment? Que j'abandonne mon ton commercial? Mais pas du tout, pas du tout...)

Commençons par dire que je n'en ai toujours pas écrit la suite. J'ai été pris dans une tempête d'évènements toute une année durant et ce texte a donc été écrit alors que j'avais 17 ans. A le relire, je me rends compte qu'il comporte un peu trop d'emphase dans les dialogues et pas assez de péripéties ou de grands flambeaux qui éclaireraient le lecteur sur les idées que je développe à travers ce texte.
Désormais, je me remets à écrire, tentant tant bien que mal de m'adonner aussi souvent et longtemps que possible à la construction d'un roman (complet, cette fois!). J'ai donc laissé tomber cette nouvelle pour une autre idée qui, je l'espère, vous plaira encore plus.

Ce qui me rend encore plus friand de votre avis! Oh, je sais bien que je ne récolterais pas cent mille commentaires..il aura fallu publier une petite nouvelle, pas quelque chose d'aussi long. Seulement, comme je me lance dans un nouveau projet, j'ai besoin de connaître au plus vite tous mes défauts, tous les écueils à éviter, et toutes les qualités du texte, sur lesquelles je dois jouer. Seulement, c'est le rôle du seul lecteur. Vous.

En vous remerciant encore
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MessageSujet: Re: .X.   .X. Icon_minitime

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