Devant que d’écrire, il vous faudra réfléchir,
Et toujours penser à ce que vous voulez dire ;
Mes vers, s’ils sont laids, disent toujours quelque chose ;
On voit la raison être suivie dans la prose,
Par quelles lois vos vers devraient perdre leur sens ?
Car sans la raison, vos efforts sont impuissants.
-Ah ! Me répond-on, pourquoi suivre ce chemin,
Pourquoi la raison, là où il en faut le moins ?
Je dirai bien : au long de vos alexandrins,
Parlez sans détours, toujours raisonnablement :
« Un coup de dés » n’est jamais compris clairement.
Cherchez le droit esprit, comme une fondation,
Puis rajoutez les ors de l’art, sans être abscons.
Quoi que vous disiez, si vous n’êtes entendue,
On ne vous verra pas, vous ne serez pas lu.
Et pourquoi mes vers sont-ils partout recherchés ?
C’est que dans mes œuvres, j’imite le passé.
-Et pourquoi suivre les Anciens, ces vieux barbons,
Si c’est assez que d’être armé de la raison ?
- Allons ! Connaissez-vous un art plus abouti
Que celui de l’Iliade, ou bien d’Iphigénie ?
Qui forgea de plus beaux vers que Boileau, Racine,
Qui vaut d’Urfé ou Chénier, la Fontaine ou Pline ?
Formez votre gout à l'école des anciens,
Si nous les lisons encor, ce n'est pas pour rien !
Toute chose est dicible, il faut trouver les mots,
C’est là que l’on voit le chef d’œuvre ou le brûlot.
Surtout que vos phrases aient toujours une matière,
C’est peu de bien parler, de faire des beaux vers,
Que votre art apparaisse en tout temps à propos,
Je ne regarde pas les débauches de mots.
Chassez la basse critique de vos discours,
C’est pour être oublié un rapide secours.
De même, n’écoutez point ceux qui vous critiquent,
Ils sont semblables à ces teignes et ces tiques,
Tout leur vil venin ne saura point vous blesser.
Qu’écrire soit pour vous une nécessité,
Quittez Apollon, si vous n’êtes pas doué,
Et contentez vous d’admirer les vrais poëtes.
Que les discours de ces derniers soient toujours nets :
Usez de peu de mots, utilisez les biens.
Au temps jadis, les Ronsard et les Mallarmé
Se plaisaient dans les vocables inemployés ;
Enfin, l’on finit par ne les plus comprendre,
Mêmes les muses ne les purent plus entendre.
Et que la pureté règne dans vos écrits,
Les œuvres précieuses, grotesques, sont sans vie,
Employez un français toujours naturel, clair,
Que vos mots m’étonnent comme des éclairs.
Néanmoins, que votre expression soit variée,
Mêmes paroles, trop près les unes des autres,
Vous enverrons dans d’autres fleuves que les nôtres.
Que votre technique suive l’inspiration,
L’une suit l’autre, pour entrer au Panthéon ;
C’est trop peu que d’avoir d’excellentes idées,
Si vous n’êtes capables de les ordonner,
Aussi, il ne suffit pas de savoir rimer,
Si votre égérie ne veut pas vous inspirer.
Que toujours vos sujets soient très simples et uns,
Dès que vous en faites trop, l’esprit n’a plus faim,
Et vous rejette tout d’un coup en gémissant.
Que vos textes soient originaux et vivants,
Frappez sans cesse l’esprit de votre lecteur,
Car il vous oublie vite, ou vous apprend par cœur.
Que le début amène le milieu, la fin,
Dirigez vos phrases d’une puissante main.
Que ce que vous faites soit toujours nécessaire,
Et que l’on se régale en lisant vos beaux vers.
Enfin, il vous faudra contrôler votre verve,
Et qu’en tous lieux, le sens et le gout se préserve.
Il est des livres où les fautes s’amoncellent :
Evitez soigneusement ces tristes modèles !
Ayez des tons variés, un style remarqué,
Des figures de style heureusement trouvées,
Et de l’esprit ; le tout savamment distillé.
Mon esprit, toi dont l’élégance est si sure,
Sont-ce là les lois pour plaire aux goûts les plus purs ?
« Non mon ami, il en manque une, et la voilà :
Plaire à son lecteur, en tout lieux, dans tous les cas. »