Le calembour, ce procédé stylistique qui consiste à créer des effets d’échos entre les mots. Très apprécié au Moyen-Âge – les troubadours et trouvères sont des gens qui ont un rapport assez décomplexé avec la langue -, moins goûté par la suite. Le calembour est considéré comme une manipulation vulgaire et peu subtile de la langue, on ne tarde à le reléguer au rang de « jeu de mot », de « fantaisie pour enfant ». Il faut attendre le XXe siècle et l’arrivée des surréalistes pour que le calembour retrouve ses lettres de noblesse, sans pour autant se départir de son ambigüité première : à mi-chemin entre la simple boutade et une poésie plus éthérée, entre le louche et le sublime. Et c’est très exactement la position inconfortable dans laquelle ce texte, Sanz, vient placer ton lecteur. Nous hésitons. Faut-il chercher un sens profond – et nous connaissons bien ici ta propension aux abstractions majusculifiantes – ou faut-il nous en tenir à l’idée d’un jeu de mot, d’un amusement autour de la matérialité des mots ? Dans le premier cas, les échos phoniques se doivent d’être porteurs d’une signification occulte, c’est le cas par exemple de ces vers de Robert Desnos :
« Exaucer ma pensée
Exhausser ma voix »
… ou, pourquoi pas, de certains slogans tels que :
« Sarko, fasco ! »
Dans le second cas, les mots doivent se suffire à eux même, l’on s’intéresse aux sonorités, au jeu rythmique et non plus à la signification – du moins, si celle-ci est rarement totalement absente, elle n’est pas l’intérêt premier de l’œuvre -, et je citerais volontiers pour illustrer ce cas l’Equilibriste de Chikoun :
« L'Equilibriste volait dépassé par les vents dépecé par le temps égayant sa vie de pics en pis souriant aux beautés du monde dans un masque d'effroi revêtant sans cesse un voile de froid défiant les abîmes par lesquelles il jonglait marchant de fil en fil de vide en vie l'Equilibriste volait voilé démasqué par le vent il avance recule se fend tel un danseur fou tournoie de mots en maux un fil se rompt laissant choire l'Equilibriste
Volait. »
Le poème que tu nous offres semble se situer quelque part entre les deux : de grands mots (« hérétique » fait échos à « frénétique », l’on parle de « Martyrs » et de « sang »), mais aussi des associations plus banales (« qui use abuse »), voire de parfaits lieux communs (« pleure des rires »). Tu me donnes l’impression d’avoir voulu faire sonner de grandes idées, de les avoir relié tant bien que mal les unes aux autres, un peu comme un cuisto qui additionnerait les produits raffinés sans se soucier de leur préparation, de la synergie qui en naîtra, enfin, d’une quelconque vision d’ensemble. La sauce n’a pas pris : ça manque de trouvailles, ça manque de style.