- Sem ? Jo… Joli nom ! Vous m’avez l’air très sympa… thique, mon bon monsieur. Quand vous par… parlez de me tuer, c’est une blague, pour faire peur aux enfants, n’est ce pas ?
- Non.
Froid, glacial, net. La réponse ne laissait aucune alternative. Le maitre leva son scalpel.
- Comprenez. Il nous est totalement impossible de faire quoi que ce soit pour vous, si ce n’est abréger vos souffrances. Regard…
Un toussotement discret, jaillissant de derrière lui, l’interrompit.
Sem se retourna immédiatement. Pour trouver Solom, tenant un gros sac rouge, debout à ses cotés.
- Donc si j’ai bien tout suivi, vous refusez de le sauver parce que vous pensez en être incapable ?
Un juron se glissa insidieusement entre les lèvres du Semoule. Non seulement son disciple lui manquait ouvertement de respect, omettant volontairement d’employer les termes glorifiants qui devaient ponctuer l’ensemble de ses phrases, mais, en plus, il fournissait au moribond une échappatoire.
- En effet, répondit-il, rassemblant toute sa hargne dans ce simple ensemble de mots, histoire de faire comprendre à Solom qu’il n’avait aucun intérêt à continuer sur cette voie.
Lequel ne sembla pas remarquer le sens caché de la phrase. Ou n’essaya pas.
- Ben. Désolé de vous couper dans votre élan de destruction, mais l’objet que je tiens entre les mains se nomme une trousse à pharmacie. Je pense pouvoir y trouver, en cherchant un peu, quelques baumes miraculeux anti-brulures… Enfin bref. Réjouissez-vous, on peut le sauver.
- Youppie…
Difficile d’imaginer un cri de joie ayant une telle ressemblance avec une marche funèbre. Sem semblait sur le point d’enfoncer le scalpel dans la gorge de son compagnon de route. Ce qu’il ne fit pas. Dommage. Il resta debout, figé en position de combat, pesant le pour et le contre. Puis, rabaissa son arme.
Cet instant de flottement permit à Raymond de se trainer jusque derrière Solom, s’éloignant ainsi du danger le plus grave. Puis, tenant de trouver un semblant de force dans ses poumons carbonisés, il prit la parole.
- Arhem… cher ami… Vous avez parlé d’un bo… Baume miraculeux. Pourriez vous m’en tarte… Tartiner vite fait avant que je finisse de me désagréger ? Ce serait sympathique de votre part. Pas que je veuille déranger, ca va de soi… Seulement…
- Permettez un instant ? Derrière cette banale discussion se trouve un véritable conflit d’autorité. Donc, silence je vous prie ! S’exclama Solom.
Pour toute réponse, le concerné poussa un râle d’agonie, tout en songeant que c’était sur cette « Banale discussion » que se jouait son futur.
- Devrais-je comprendre, Disciple, que tu remets en doute ma suprématie ? Très bien. Quels sont tes atouts ? Tu as… Voyons voir. Le sac à pharmacie. Dans ce dernier, deux trousses complètes, avec un réparateur d’ongle intégré, une bouteille de baume miraculeuse antitout… Penses-tu vraiment pouvoir me renverser avec des ustensiles de soins ? J’ai toujours mes bagages personnels. Et, dans mes affaires… Il y a…
Solom n’abandonna pas le combat, continuant à regarder son maitre dans le blanc des yeux.
*Silence*
Un nouveau cri de douleur interrompit le duel oculaire. Durant quelques secondes, Les deux combattants continuèrent à s’observer. Puis, finalement, emporté par une poussée d’humanisme aussi déplacée que stupide, Solom baissa les yeux, tout en marmonnant :
- On retourne à son cas, Ô maitre ? Sans vouloir défier votre majestueuse autorité, bien sur.
- Ca ira, petit disciple de rien du tout. Sauvons-le. Je ne peux plus le hacher menu. Ca va me donner des scrupules, sachant que j’aurais pu le guérir. Du coup, ma sublime personne va avoir du mal à dormir.
Solom poussa un grognement, à l’intention de Sem, qui semblait prendre un plaisir mesquin à l’enfoncer dans la bouse à coups de mots doux. Puis, avec une lenteur recherchée
1, il sortit le baume du sac, écoutant avec grand plaisir les hurlements de douleur de Raymond, qui subissait ainsi le déshonneur dont il avait été victime.
Après avoir longuement savouré la torture que subissait le pauvre Semoule, il daigna le tartiner, avec une violence peu commune, de crème magique. Il se passa quelques secondes entre le moment où le disciple acheva de tabasser le carbonisé à coups de baume, et l’instant où il se prit un poing dans la mâchoire.
En toute délicatesse.
- Aya ! Efpefe de cloporte ! Tu ma brifé la maffoire ! Moi qui vient de te fauver la vie ! Je fuis même plus fiffu de prononcer les « f » et les « f » normalement ! S’exflama - Euh, pardon, s’exclama - Solom, hors de lui.
- Tu as pris tout ton temps ! Puis, j’avais plutôt l’impression que tu me considérais comme un punching-ball plutôt qu’un malade !
Raymond avait totalement retrouvé la forme. Il était donc à nouveau apte à provoquer toutes sortes d’apocalypses. Génial. Cette histoire manquait un peu de punch. Le Semoule observa un instant son ventre, contemplant les miracles que la médecine avait opéré sur son corps au paravent carbonisé. Puis, reprit, un sourire carnassier aux lèvres.
- Bien sur, vous devez avoir une quelconque crème réparatrice de mâchoire dans votre sac. Vous voulez que se vous en badigeonne ?
Solom comprit que, dans ce contexte, le terme badigeonner signifiait : Tabasser, briser, écarteler, désintégrer, et finalement, écrabouiller.
- Je vaif le faire moi-même, Néanmoinf, f’est gentil de proposer.
Tout en frommelant, il sortit un tube de crème écarlate de son sac, l’ouvrit, renversa le contenu dans un bol, avant de boire le tout. Ce n’est qu’a ce moment qu’il se rendit compte qu’il s’agissait au fait de la crème aux piments de tante Ursule. Solom eut alors l’impression qu’on lui enfonçait une centaine de rasoirs aiguisés dans la gorge. A son tour, il hurla de douleur.
Raymond se désintéressa vite du spectacle, pour se retourner vers l’autre personnage, lequel contemplait la scène, un rictus moqueur collé à ses lèvres.
- Excusez-moi, Sem, c’est ca ?
Le concerné acquiesça.
- Je ne connais que votre nom, et celui de votre compagnon de route. Pourriez-vous m’éclairer sur le reste ?
~
Qui était Sem ?
Tout ce qui se trouvait autour de lui criait « Un savant ».
Le code vestimentaire à la fois négligé et luxueux, accompagné de l’inséparable blouse blanche.
La multitude de sacs encombrants qui l’accompagnaient, assurément remplis d’une grande quantité de calculettes, de livres innombrables, de graphiques inexplicables, de bonbons pour la gorge…
Puis, il y avait le Disciple surexploité, constamment torturé par un maitre infâme. Qui, exception faite d’un scientifique légèrement imbu de sa personne, jugerait avoir assez de valeur pour s’encombrer d’un esclave ?
Personne. Sem était bien un savant.
Il n’était pas un chercheur parmi tant d’autres, l’un de ceux qui se contente de suivre la masse.
Non. Si son invention qui avait le mieux fonctionné restait le glorieux « Fil à couper le beurre », il possédait d’autres trophées à son palmarès.
Certes, ses idées farfelues, ses réflexions illogiques, lui avaient rapidement attiré la haine de ses collègues.
Oui. Il ne pensait pas comme les autres. Alors que le reste de la communauté semoulesque cherchait les raisons de leur existence dans l’ensemble des domaines scientifiques
2, Sem considérait que la réponse à cette question se trouvait dans la construction, puis l’étude, du peuple semblable au leur, afin de comprendre pourquoi les Semoules s’étaient retrouvés dans un saladier géant, dans un univers vide d’existence, sans aucun souvenir de leur passé.
Il s’était alors lancé dans l’écriture du créationnisme, un véritable mode d’emploi pour les bâtisseurs de monde. Ce gigantesque ouvrage, considéré comme l’œuvre de sa vie, mit des années à être achevé. Pour être hué par ses confrères. Sem fut massacré, humilié, ridiculisé. Ses crédits furent coupés, et le grand savant condamné à travailler dans les domaines les plus ennuyants de la science : L’amélioration du système de ramassage des ordures, la vérification du bon fonctionnement des véhicules d’entretiens…
Notre héros avait perdu tout espoir d’un quelconque changement quand Raymond déclencha la catastrophe.
Par chance, La destruction du saladier n’avait pas entrainé la fin des succursales interstellaires
3.
Toutes les matières premières étaient à portés. Il lui manquait seulement un peu d’argent.
La Banque des Semoules ferait l’affaire. En partie ravagée par l’explosion, la plupart des gardiens catapultés dans l’espace… C’était parfait.
N’écoutant que son courage, ainsi que son envie de voir son projet aboutir, Sem prit d’assaut la forteresse monétaire. Il se faufila entre les pièges, aidé en cela par les multiples ustensiles de nettoyage dont il avait contribué à la création, lesquels se rappelant encore de l’être qu’ils nommaient autrefois, avec énormément d’affection, « Tonton Sem ».
Aucune porte ne résista à sa hargne. La B.C.S.
4 fut vidée de fond en comble. C’est juste avant de sortir que le Semoule se souvient d’un détail. Dans le bureau du directeur se trouvait surement un nombre incroyable de passe-droit pour les zones dangereuses, ainsi que des bons pour les véhicules prioritaires…
Seulement, dans le bureau du directeur, il y avait le directeur. Un bonhomme rond, au demeurant sympathique, mais qui, malheureusement pour lui, avait participé à la mise au ban de Sem. Pourquoi se contenter des passe-droits alors qu’on peut embarquer l’une des figures du Saladier ? Le savant se posa la même question.
Puis embarqua le dénommé Solom, maitre incontesté de la plus grande banque de l’avant Big-bang. Il pouvait être utile. Conscient qu’il faudrait tout de même brouiller les pistes, le Semoule rentra illico presto chez lui, embarqua tout son matériel, le rangea dans des sacs, pour finalement empiler ces derniers sur le dos de son nouveau compagnon de voyage.
La suite, nous la connaissons. Alors qu’ils marchaient sur les routes, à la recherche d’une base valable pour leur monde, une comète manqua de les écraser.
~
- Et le fameux bouquin, on peut le voir ?
Solom bondit sur Raymond, tentant de le bâillonner. Trop tard. Le mal était fait. Il n’eut plus qu’à retenir son geste, histoire de ne pas passer pour un malade mental.
Tout en levant un sourcil interrogatif quand au comportement de l’ex directeur de la B.C.S, Sem hocha de la tête.
- Ca va de soi. Disciple, va chercher le manuel. Dans l’un des sacs marron.
Le visage de l’interpellé devient translucide. S’il n’assurait pas avec une défense d’enfer, sa vie risquait fort d’en pâtir.
- Euh… Vous vous rappelez le moment ou je vous ai proposé de vous pousser, majestueuse majesté ? Quand cet énergumène nous fonçait dessus sous la forme d’une boule de feu.
- Oui.
- Eh bien, vous ne m’en avez pas donné l’ordre. Du coup, je suis resté coi. Je suis un être très obéissant, voyez vous. Du coup, quand il percuta le rocher sur lequel je me trouvais, je fus légèrement secoué, mon seigneur. Ce qui entraina la chute intempestive…
Sem comprit.
- Tu veux dire que mon œuvre, le travail de toute une vie, a été catapulté dans le vide, à cause de ton incompétence ? Pourquoi n’a tu pas plongé à sa rescousse ?
L’art de rester calme dans les circonstances les plus dramatiques, tout en s’énervant pour des broutilles.
- Un seul mot de vous, et je l’aurais fait. Hélas… Vous étiez déjà en train de vous précipiter vers l’autre.
Le savant inspira un grand coup, puis se retourna vers Raymond.
- Je vais avoir besoin d’un nouveau souffre douleur. Je dois compenser le manque de données par une performance plus grande. À vrai dire, si je n’ai qu’une personne à tabasser, mes nerfs risquent de craquer. Cette horrible perte est en partie due à votre personne. Vous venez avec nous.
Raymond le regarda d’un air amusé.
- Et si je refuse ?
- Vous ne refuserez pas.
- Ben si, je refuse.
Le visage de Sem devient totalement inexpressif. Puis, tout en douceur, il sortit un magnifique objet métallique, qui, au nombre de canons, semblait être une arme. Pour le pointer sur la tête du contestataire.
- Il m’a sorti le même argument, lors de notre rencontre. Je n’ai pas moufté. Je vous conseille d’accepter. Il a l’air d’être assez fou pour vous descendre, souffla Solom à l’oreille du Semoule.
- Bien.
Raymond se retourna vers le savant.
- Pas de possibilité de négociation ?
- Non.
- Rémunération ?
- Aucune.
- Horaires ?
- Disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
- Repas ?
- Peu fréquents.
- J’accepte.
- Vous avez fait le bon choix. Votre nom ?
- Raymond.
- Bienvenue, Raymond.