Une énorme pile d'archives dégringola du bureau depuis l'équilibre précaire qu'elle occupait un instant plus tôt. Paul n'y prêta même pas attention, il avait bien d'autres préoccupations que de veiller au confort de quelques paperasses. Cela faisait déjà quatre bonnes journées qu'il s'abîmait les yeux en déchiffrant des manuscrits et imprimés vieux de presque un siècle. Le café qu'il ingurgitait comme un automate commençait à avoir un effet plus néfaste qu'appréciable sur son acuité et, surtout, sur son estomac.
Paul pris une pause, s'allongeant un instant sur le canapé de la vieille salle. Sa thèse avançait bien, il avait compilé une masse colossale de données sur son ordinateur, agencé le tout en un ensemble cohérent. « L'impact des Guerres Mondiales sur la démographie en milieu rural et péri-rural » était un sujet comme un autre pour se mettre un jury dans la poche, les guerres ça a toujours passionné les foules et les pontes de l'intellect aiment qu'on cherche la petite bête au milieu du reste. L'idée ne le séduisait pas plus que ça lui-même, mais l'objectif n'était pas de se faire plaisir. Il soupira en étendant le bras vers quelques documents traînant à même le sol et en porta un à ses yeux. Le papier était jaunissant et l'encre qui avait perdu de son pigment tendait à devenir translucide, ce n'est pourtant pas cela qui retint son attention alors que son regard glissant sur les lettres et les chiffres. Il fronça les sourcils tout en se relevant. Pris d'une inquiétude, Paul se hâta de rejoindre son ordinateur et pianota dessus quelques minutes, fébrile. Un silence s'installa alors que l'internet lui prodiguait sa sciences.
-Merde ! S'exclama-t-il.
XXX
Un vieil homme s'approcha de Paul, la main tendue et le geste franc.
-Paul Delrault ?
-Lui-même. Il lui serra la main, dans l'attente des présentations.
-Ah, bonjour. Je suis M. Vignac de la Mairie d'Abilly, c'est moi qui suis chargé de vous accueillir.
-Merci à vous.
Son hôte lui indiqua une direction du doigt tout en se mettant en marche.
-Venez, je vais vous faire faire un tour en ville, que vous visitiez un peu le coin.
-Je préférerai aller tout de suite aux archives de la ville si vous le voulez bien, mon travail est quelque peu urgent.
Monsieur Vignac s'arrêta pour étudier Paul, l'air contrarié qu'il ne décline sa proposition.
-Si vous le dîtes... L'atmosphère s'était rafraichie tout d'un coup, sûrement la brise légère de ce début d'octobre, ou la froideur de la réponse du vieillard.
Le trajet en voiture lui paru particulièrement long, une heure et demie quand on est avec quelqu'un qui se tait ostensiblement, c'est très long. Paul en profita donc pour réfléchir à ce qu'il lui restait à faire sur place. Prendre le train Paris/St Pierre des Corps lui avait semblé une bonne idée de premier abord, lui permettant d'aller vérifier sur place les données contradictoires qu'il avait à disposition à la capitale. Pourquoi pas même aller voir quelques anciens s'il en restait. Maintenant qu'il y était, il se demandait s'il n'aurait pas mieux fallu faire l'impasse sur le document et le traiter comme une anomalie sans conséquence dans ses tableaux de traitement.
XXX
Finalement, l'étape dans les archives de la mairie avait été plus simple qu'il ne l'avait craint, malgré quelques réticences administratives, il était parvenu à mettre la main sur les dossiers qui l'intéressaient. Son problème était désormais le suivant : comment la commune d'Abilly, malgré la réquisition de plusieurs centaines d'hommes, a pu voir sa population rester stable lors de la première guerre mondiale ? Les familles Duchamps, Tourrain, Cliquot, Périsson Soignon, Trevoux, Morvan...
Paul décortiquait avec fébrilité des papiers vieux de presque un siècle, certains réédités il y a de ça plusieurs décennies. Les chiffres auraient dû être clairs, près de 20% de la population française avait été mobilisée lors de cette guerre, presque 17% de ceux-ci n'en reviendraient pas et Abilly n'avait pas fait exception à la mobilisation. Alors pourquoi tout continuait de lui indiquer que cette ville avait été comme épargnée. La population entre 1914 et 1918 à Abilly était restée quasi-identique, pourtant, le déficit en naissance aurait dû impacter la ville. Même si cela avait pu ne pas créer de trou démographique, comment expliquer qu'il n'y ai pas de pertes militaires ?
Loin d'être un statisticien hors pair, Paul restait tout de même quelqu'un de pragmatique, si plus de deux cents hommes se sont vus mobilisés, si normalement une quarantaine aurait dû périr, si les femmes de ces hommes n'avaient pu enfanter durant ce laps de temps, c'était pratiquement impossible que la population n'aie pas changé. Pourtant, les chiffres qu'il ne cessait de lire et relire lui attestaient avec une ténacité agaçante que c'était bel et bien le cas.
Paul se leva, allant s'allumer une cigarette et s'asseoir à la fenêtre de sa chambre d'hôtel, regardant en face de lui les petites rues de la ville, claire et chaleureuse malgré la nuit qui venait de poindre. Sur quelle singularité statistique était-il tombé ? Fumant, le regard perdu dans les probabilités de ses calculs contradictoires, Paul était seul dans son travail. Non pas qu'il soit un être asocial et dépourvu de talent humain, il était plutôt de ce genre d'individus qui trouvait que partager son labeur était se le multiplier. A quoi bon avoir à relire et comprendre les analyses d'un autre là où une seule personne pouvait très bien ne pas avoir à se perdre à s'expliquer lui-même ce qu'il avait fait ? Quel temps perdu que de devoir attendre les résultats d'un autre, d'avoir à se les faire transmettre, d'être dépendant à ce qu'on lui apporte ce qu'il cherche. Non, Paul était un solitaire par choix, quand un cerveau se suffit à lui-même, il est superflu d'en ajouter un second pour en brouiller l'efficacité.Il écrasa son mégot dans le pot de géranium et ferma la fenêtre sans en clore les stores, appelant ainsi le soleil du mâtin en réveil naturel. Le lendemain, il irait regarder dans les archives de la presse du coin les éditions d'époque, parfois plus parlant que les myriades de paperasse administrative. Toujours propre, nette, froide.
Il ferma les yeux en tentant de mettre en sourdine ses questions. Trop propre, nette et froide pour raconter avec précision les faits. La presse, elle, savait mettre ce pathos et cette dose d'humanité dans les données brutes. Les pistes des investigations improbables.
XXX
Il rencontra au petit mâtin Martine Michelle, journaliste à Centre France, et s'entretint une longue heure avec elle. C'était une femme charmante, sur la fin de la trentaine, quelque peu athlétique, portée sur la politique et la cause humanitaire dans le tiers monde. Elle avait un chat qui s’appelait Minou et même que ça désolait que l'ancien propriétaire ai eu aussi peu de bon goût. Il apprit aussi qu'elle avait travaillé avec une archiviste l'année passée afin de numériser tous les numéros des journaux locaux depuis 1883. Ça avait été une expérience éprouvant malgré les pépites sur lesquelles elles avaient pu mettre la main. Paul lui demanda avec chaleur où il pourrait trouver ces numérisations et ils convinrent d'un heure l'après-midi même pour qu'elle lui montrât.
Au rendez-vous, ils passèrent encore une heure à discuter des numérisations ainsi que des diverses possibilités qu'offrait le logiciel. Paul fut heureux de découvrir qu'il pourrait à loisir sélectionner des mots ou des phrases pour se faciliter la tâche. Dès que Martine s'en alla, il s’attela au travail et entra ses premières recherches. Tout d'abord, voir les feuilles de choux qui parlaient des naissances durant la première guerre mondiale.
Le café coula longuement tandis qu'il usait de l'ordinateur mis à disposition par la mairie. Cela avançait lentement car malgré les facilitations, il se perdait souvent dans les digressions journalistiques et devait s'extirper d'articles sans fond dont il ne comprenait souvent pas grand chose tellement le patois était présent. Il téléchargea le logiciel sur son ordinateur portable alors que la nuit tombait et rentra à l'hôtel pour continuer son labeur jusque tard dans la nuit. Une fois réinstallé plus à l'aise dans un espace qui lui était davantage intime, il entreprit d'imprimer et d'afficher au mur les articles à intérêt qu'il arrivait à trouver dans la toile immense qui lui était mise à disposition.
Un article tout particulier avait rendu à sa recherche la fébrilité qui l'avait amené dans ce trou paumé. Madame Cliquot, dont le mari avait été mobilisé dès l'été 1915 après son travail aux fouilles du site paléolithique, avait accouché en mars 1918 du petit Joseph Cliquot. Sauf qu'à moins que ce dernier ne soit un bâtard ou que sa mère aie accouché en retard de presque deux ans, ce n'était pas possible. C'était aussi le cas de Germaine Trevoux qui avait hypothétiquement un ans et cinquante sept jours de retard sur l'accouchement de son bébé. Plusieurs autres étaient dans le même cas, plus d'une demi-douzaine. A chaque fois, le père avait été mobilisé dans l'été 1915 après la fin des fouilles et l'enfant naissait dans le début de l'année 1918. Paul se demanda l'espace d'un instant s'il n'y avait pas eu une sorte de viol collectif ou d'espèce d'insémination de masse, mais une recherche supplémentaire sur des éventuelles photos des enfants plus vieux lui appris que chacun ressemblait comme deux gouttes d'eau à leur père. Tous différents donc.
Il prit un instant avant de réfléchir. Déjà, c'était étonnant que ces hommes, ces maris, puissent n'être mobilisés qu'à partir de 1915. Il alla donc gratter davantage autour du site paléolithique, une cinquantaine d'hommes d'Abilly avaient été embauché de l'été 1911 à l'été 1915, sur des temps fragmentés pour la plupart. Seule une demi-douzaine avait reçu une mission complète sur la totalité du temps de fouille. Comme par hasard, il s'agissait des familles sur lesquelles l'anomalie natale était présente. Rendu à ce point là de ses recherches, Paul ne savait pas quoi penser, le hasard n'était que trop absent de l'équation et les chiffres et données ne concordaient pas, ou concordaient trop, suivant les cas. Il compris assez rapidement qu'il ne trouverait pas le sommeil cette nuit là et que tant qu'à avoir le matériel adéquat sous la main, il pouvait toujours mettre les bouchées doubles pendant la nuit et résoudre son mystère. Ce serait autant de temps d'économisé pour le reste de la thèse.
XXX
Effectivement, Paul avança énormément pendant la nuit, cela lui avait permis par ailleurs de suivre sa piste avec une grande assiduité. Il se sentait tel un chasseur tapi dans l'ombre, progressant derrière sa proie, invisible. L'outil qu'on lui avait mis entre les mains était basique, mais d'une richesse assez incroyable. C'est ainsi qu'il avait arpenté l'histoire même des fouilles du site paléolithique, les premiers grands travaux de 1911-1915, abandonnés avec les guerres et repris en 1976 par Jacques Allain, un docteur renommé du coin. C'est en lisant par hasard des articles sur lui qu'il avait été davantage intrigué, Jacques disait ceci : « Nous avons personnellement conscience d'évoluer dans une pénombre qui rejette dans un passé désuet les attitudes péremptoires. Dans cette conviction, nous avons progressivement adopté, quant aux industries humaines objet de nos recherches, une attitude de plus en plus libre vis-à-vis des notions reçues ». Au fond, qu'avait-il découvert là-bas pour qu'il en fuit les investigations et se terre chez lui jusqu'à mourir en 1983 d'une « mort paisible » telle que se l'imaginaient les journaux ?
Le téléphone sonna dans la chambre, Paul décrocha le combiné.
-Monsieur Delrault ? Demanda la voix d'emblée.
-Oui.
-Claude Vazejvnick à l'appareil, je suis chargé des missions culturelles de la ville d'Abilly. On m'a dit que vous portiez un grand intérêt au fouilles du site des Roches d'Abilly ?
Paul hésita un bref instant, perplexe.
-Heu... Oui, c'est le cas, comment êtes vous au courant ?
-Le logiciel que vous utilisez est sous contrôle du service technique et informatique, nous avons donc les relevés des recherches effectuées.
-Ah.
-Puis-je vous demander pourquoi vous faites ces recherches ? Si je lis bien le mail que vous nous aviez adressé, votre thèse porte sur « L'impact des Guerres Mondiales sur la démographie en milieu rural et péri-rural », n'est-ce pas ?
Il attendit encore un instant avant de répondre, quelque peu pris au dépourvu d'une telle inquisition.
-Et bien, j'essaie de trouver les liens qu'il y a entre les diverses personnes ayant travaillé sur ce site dans le début du vingtième. Par exemple, certains...
Il se fit interrompre.
-Vous m'avez mal compris monsieur Delrault. J'ai assez peu d'intérêt pour votre thèse, mais nous souhaiterions vivement que vous vous cantonniez à celle-ci. Nous n'avons pas mis à votre disposition ce logiciel afin que vous satisfassiez une curiosité saugrenue.
-Je...
-Nous serions contraints de vous en supprimer l'accès si vous vous écartiez encore de votre sujet. Me suis-je bien fait comprendre ?
-Oui. Paul répondit simplement, abasourdi.
-Bien, finissez vite vos travaux.
-Merci.
La tonalité se fit entendre, son interlocuteur avait raccroché, laissant Paul Delrault hébété devant le téléphone avec un sourire interloqué sur le visage. Cette conversation était surréaliste ; surveillé dans son utilisation du programme de numérisation, on lui faisait comprendre qu'il allait trop loin, ce qui n'avait évidemment pas d'autre effet que de créer chez lui une formidable envie de s'engouffrer plus profond dans le mystère qu'il effleurait du doigt. Son regard se posa sur l'ordinateur, les pages des journaux punaisés au mur, mais plus question de passer par ce logiciel. Maintenant, c'était un travail de terrain qui l'attendait. Il prit son manteau, calepin, stylo et paquet de clope avant de sortir.
XXX
« J'apporte ici un témoignage sur des temps révolus rendus alors plus accessibles du fait de l'isolement imposé par la guerre. J'ai tenté de restituer quelques aspects authentiques d'un pensée, de croyances et de comportements faute desquels il sera bientôt impossible de toucher du doigt le socle millénaire de notre Pays. »
Certaines allusions du docteur J. Allain étaient nébuleuses et mystérieuses. Paul se remémorait ces mots lus et qui lui évoquaient davantage qu'un simple remerciement à une région qui avait été chère à l'initiateur des fouilles de 1976. C'est pourquoi il avait pris la décision d'aller trouver en personne le fils Allain pour discuter de son père. Il ne put toutefois l'approcher et dû rapidement se résoudre à lui téléphoner plutôt que de le rencontrer, il composa sur son portable le numéro trouvé dans l'annuaire, préférant éviter d'utiliser le téléphone de l'hôtel, faute à un début de paranoïa. Une voix se fit entendre.
-Allo ?
-Bonjour, je me présente, Paul Delrault, je souhaiterai parler à monsieur Allain, s'il vous plaît.
-C'est lui, que voulez vous ?
-Ah. Très bien. Je fais une thèse qui m'a poussé à m'intéresser aux travaux de votre père, pourriez-vous m'éclairer sur quelques points ?
Un silence pesa quelques secondes avant la réponse, un léger soupir l'accompagnant.
-Dîtes toujours, je peux peut-être vous aider.
-Je vais aller droit au but pour ne pas abuser de votre temps alors. Le docteur a dirigé les fouilles de 1976 sur le site des Roches d'Abilly. Cependant, il a abandonné en cours de route et je n'ai trouvé que de vagues mentions de ses travaux... Comment cela se fait-il ?
-Rappelez moi pourquoi vous posez ces questions ?
-Je suis sur une thèse et les découvertes supposées de votre père sembleraient en être un point important.
Cette fois-ci, un long silence s'installa, laissant Paul dans l'incertitude d'avoir encore quelqu'un en ligne avec lui. Mais la voix reprit.
-J'aimerai clarifier quelque chose déjà. Mon père n'a pas abandonné ses travaux, on l'a forcé à le faire. Je ne sais pas qui parce que ce n'était pas mes affaires et que ça ne m'intéressait pas, mais il est certain qu'il s'est vu obligé d'y mettre un terme. Ce qu'il a fait là-bas l'a démoli à l'époque, il ne s'en est jamais remis. J'étais jeune quand il est revenu à la maison pour s'y cloîtrer, j'ai peu de souvenirs, toujours est-il qu'il nous est revenu vieilli et en mauvaise forme.
-Je vois... Dîtes moi, vous auriez des traces de ses recherches de l'époque encore ?
-Désolé, je ne crois pas.
-Je vous en prie, après autant de temps, c'est bien très compréhensible. Je vous laisse mes coordonnées si vous trouvez quelques chose.
Peu de temps après, Paul raccrochait, la curiosité à peine satisfaite et la ferme impression que le fils Allain avait nettement minoré les événements. Pour quelle raison, Delrault n'en savait rien, mais il tâcherait de le découvrir.
XXX
De retour à l'hôtel, Paul s'installa une nouvelle fois devant son ordinateur, se demandant s'il allait contrevenir à la demande de la mairie ou non, les mains calées de chaque côté du clavier, prêt à transgresser. Un mail lui parvint avant qu'il ne choisisse, lui ôtant le choix par la même occasion. Le message était anonyme, mais il était évident qu'il venait du fils Allain. Le corps de texte était vide, mais il y avait une énorme pièce jointe. Paul se frotta les mains en entamant le téléchargement.
L'attente fut pénible et c'est à coups de clics fébriles qu'il ouvrit le dossier lié. Des dizaines de photos ainsi que quelques pages de mémos et de notes passés au scanner. Paul fit de grands yeux, ouvrant une bouche béate, en découvrant la teneur des photographies. Des crânes, des dents, des squelettes entiers et dépouillés jonchaient ce qui devait être un terrain de fouille. Ce n'était pas ça qui subjuguait Paul, mais les annotations faites à côté des cadavres reconstitués. Chaque mort était un habitant d'Abilly. Gérard Trévoux, Marc Tourrain, Etienne Deraixe, Robert Cliquot... Le docteur Allain avait même fait dater au carbone 14 les ossements et était formel. Tous étaient morts en 1918.
Paul imprima toutes les images pour en avoir un aperçu plus net, avec davantage d'ouverture. Il constata avec désarroi que non seulement ces hommes n'étaient pas censés être morts, mais n'étaient pas non plus censés être morts plusieurs fois ! Sur l'une des photographies, on pouvait clairement lire l'annotation « Robert Cliquot – Janvier 1918 » à côté d'une des dépouilles, puis « Robert Cliquot – Février 1918 » près d'une autre.
Il laissa la révélation le submerger. Soit Jacques Allain était un fou doublé d'un manipulateur pernicieux, soit... Soit quelque chose de glauque et d'absolument malsain s'était passé dans les Roches d'Abilly. On toqua à la porte et Paul dû se retenir de ne pas se cogner au plafond en sursautant comme un beau diable, il ne répondit pas, encore sous le choc de la nouvelle monumentale qui commençait à s'imposer à lui.
-Monsieur Delrault, êtes-vous là ?
Cette fois, il donna signe de vie.
-Oui ?
-Ouvrez je vous prie.
Secouant la tête pour tenter de chasser son regard hagard, Paul s'avança vers la porte et s'apprêta à la déverrouiller lorsqu'il s'arrêta.
-C'est pour quoi ?
La voix se fit plus insistante.
-Ouvrez, nous devons parler.
-Qui êtes-vous ?
Paul entendit des murmures colérique à moitié étouffés derrière le bois avant de recevoir sa réponse comme un grondement menaçant.
-Ouvrez ou je défonce cette porte.
Il s'écarta et chercha instinctivement du regard une échappatoire. Quelque chose lui disait qu'il était dans un sacré pétrin. Il cria « Non ! » et la porte vola en éclat dans le même temps, laissant apparaître une foule d'hommes masqués. Il reçu avec une force démentielle un coup dans le ventre, puis à la mâchoire, qui l'envoyèrent valser contre le mur et s'affaisser au sol. Les hommes prirent toutes les photos, tous les articles, les déchirèrent, éclatèrent l'ordinateur au sol en le piétinant férocement avant de vider méticuleusement toutes les affaires de Paul dans la pièce, examinant tout. Il devina que c'était fini pour lui quand il vit la lame du grand couteau briller à la lumière de la lampe dénudée.
XXX
Paul balaya de la main une pile de papier qui le gênait. Il se rongeait les ongles, en général, c'était quand il éprouvait de la frustration ou de l'impatience. Le café qu'il ingurgitait par seaux entiers n'aidait en rien et ne faisait qu'ajouter à sa mauvaise humeur. Il frappa du poing sur la table et finit par souffler un grand coup. Paul s'alluma une cigarette et en inspira la fumée en se passant une main sur le visage. Il lui fallait relativiser, après tout, une donnée perdue au milieu du reste ne restait qu'une singularité et pas une contradiction. Le fait qu'Abilly refuse de lui donner accès à ses archives n'affecterait finalement que très peu sa thèse après tout. N'est ce pas ?