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 Péremption

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Nicolas




Masculin Nombre de messages : 1504
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Localisation : Tentaka
Date d'inscription : 25/11/2007

Personnages RP
Pseudo: Murène de Virtù
Pseudo : Andy de Falque
Pseudo : Antoine

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MessageSujet: Péremption   Péremption Icon_minitimeJeu 5 Fév - 17:02

Péremption






13



Sept heures quarante. Station République. Un connard de mendiant à guitare entre dans la rame et finit de saturer l’espace vital des autres passagers alors qu’il entame une version massacrée du Wonderwall d’Oasis. Charlotte n’a plus d’ongle à portée alors c’est la peau du bout des doigts qu’elle attaque à coups de dents. Les acariens se dissolvent dans la salive en d’inaudibles cris. And after all… Charlotte n’a dormi que deux heures cette nuit. A cause du compte-rendu des prospections Huysmans que ce gros enculé de Marin voulait im-pé-ra-ti-ve-ment voir sur son bureau ce matin. You’re my wonderwall… Mais Charlotte sait que c’est juste pour la faire chier, que le mercredi Marin étale son cul d’ours des Pyrénées sur son siège sur mesure et passe la journée entière au téléphone avec le siège, à Zurich. Cette saloperie de guitare n’est même pas accordée correctement. Charlotte n’a pas pu terminer le compte-rendu, alors ce matin c’est le tout pour le tout ; les quinze premières pages sont tapées et imprimées, les trente qui suivent, ce sont des feuilles vierges – il y a eu un moment d’hésitation sur la possibilité d’intercaler la liste des animaux charognards à laquelle son chef faisait penser, mais ça fait déjà un certain temps que l’héroïsme est indexé sur le SMIC. Putain de matin et putain de mendiant. Alors Charlotte va foutre le dossier l’air de rien sur le bureau de l’autre con et Marin ne le regardera certainement pas avant demain : ça lui laisse du temps pour taper le reste aujourd’hui et intervertir le tout discrètement. Il lui rappelle quelqu’un, vaguement. Charlotte pense que ce mercredi sera le pire depuis longtemps ; fatiguée, stressée et obligée de travailler dans l’urgence pour un fils de pute d’obèse obséquieux dont les seuls rapports sexuels ne devaient relever que d’un onanisme acrobate. Et ce putain de mendiant incapable de jouer correctement ! Antoine ?

Le guitariste s’interrompt et un son hideux, entre deux notes, se dissout dans le brouet de transpirations mêlées qui gonfle l’air de la rame. Mêmes les moins mélomanes sont soulagés. Des yeux, il cherche qui l’a appelé.

12



Un monstre moussu dont les excroissances membraneuses, distorsions pourrissantes et/ou infectieuses, rampent contre la gravité jusqu’aux derniers refuges immaculés de la prison de gel où il était reclus, une marée verdâtre qui étend sa contagion écœurante jusqu’au sol, offrant une seconde vie sulfureuse aux chairs décomposées ; les premières carcasses s’extirpent de leur cloître et exhortent leurs benjamines à rejoindre les rangs de la révolte cadavéreuse, la floraison incontrôlable des condamnés à la dévoration ; la Vraie Grosse Pourriture, dont les germes nécrosés s’infiltrent au cœur de la moindre particule, empestant pour toujours l’espace de son odeur et du souvenir de cette odeur ; une flaque d’anciens poissons.

C’était ce à quoi s’attendait Antoine depuis que Gérald, le voisin de pallier SMPT – sympa mais pas trop –, l’avait informé de la panne de courant dont avait été frappé le quartier pendant près de quarante-huit heures. Lui, il avait appelé juste pour savoir si Candice avait refait surface. Et, non, elle n’était pas réapparue. Antoine avait demandé à Gérald d’aller sauver les nombreux restes du repas organisé par la famille de Candice, dans son super nouveau frigo américain ; mais le voisin avait répondu un ouais ouais des moins rassurants et depuis n’avait décroché le téléphone que pour faire semblant d’être confronté à un problème de ligne. Tu passes sans doute dans un tunnel avec ton fixe, sale con !

Mais rien de tout ça. Ni odeur, ni moisissure. Dans le landau, Nathan beuglait car il sentait que c’était bien le moment de faire chier le monde, un monde actuellement focalisé sur l’absence incongrue de champignoïdes. Les restes avaient résisté à deux jours de canicule ? Le Zdàva paraissait plus propre que jamais. Ça ne semblait pas très cohérent ; quelque chose clochait sérieusement. Nathan, mon chéri, ferme ta gueule cinq secondes ou je te défenestre. Le bac à légumes contenait une salade apparemment encore ferme qu’il aurait de toute manière dû manger avant de partir. Enfin, s’il avait su que l’autre connasse se barrerait sans rien dire à personne ; sans se soucier de son fils. Longtemps il avait culpabilisé lorsque – de nuit, toujours, quand la lucidité complotait en compagnie d’un onirisme réconfortant – lui venait l’idée indigne de laisser Candice en plan, avec Nathan. S’il avait seulement imaginé qu’elle le ferait la première ! On ne pouvait décidément pas faire confiance à une punkette à chienne, comme elle aimait s’appeler, parfois, en évoquant l’errance de ses débuts de vie adulte, image qui lui recollait maintenant parfaitement, libérée d’une éventuelle prévisibilité dans l’errance clocharde et les piercings crado.

Pas de lumière ! C’était ça : le Zdàva était plongé dans l’obscurité relative d’un début d’après-midi sans ombre. Et, maintenant qu’il y pensait, Antoine ne sentait pas non plus le moindre souffle de fraîcheur sur son visage alors que ça faisait presque deux minutes qu’il avait la tête à moitié enfoncée dans le réfrigérateur. La sueur lui offrait de petites larmes tièdes : le stress. Et peut-être aussi la canicule.

Un aller-retour vers l’interrupteur confirma ses craintes : il n’y avait pas eu une coupure d’électricité pendant son absence, mais deux. L’une accidentelle, qui avait concerné tous ses riverains ; l’autre volontaire, orchestrée par un cadre inférieur de chez EDF qu’il n’aurait pas eu de scrupules à être, et qui avait concerné un certain Antoine Siguier, endetté notoire.

Et Nathan beuglait comme au jour de sa naissance, que tous les trois en étaient venus à regretter.

11



« Et alors t’as démissionné de chez Lait’nor’ ?
_ Oui, Candice voulait qu’on s’installe à Paris, tu vois. Son taf est ici et, de toute façon, j’en avais marre des Laiteries Normandes. On a grandi à Caen tous les deux ; on sait qu’on souhaite pas ça à Nathan.
_ Je comprends, ouais. »

Charlotte sourie au bébé, qui joue des sourcils sur un rythme propre aux moins de deux ans. On dirait des essuie-glaces déréglés. Son landau est d’un motif gris poussière et le gosse semble complètement à la ramasse, comme atteint d’un autisme précoce. Ça et l’ambiance glauque et sale du trois-pièces : tout lui fait penser à un reportage de Strip-tease, et cette pensée la dégoûte d’elle-même.

Antoine a posé sa guitare dans un coin. Il déguste un couple de yaourts dont l’étiquette présente un ananas tout sourire sur fond vert – le fruit est au choix cannibale ou follement réjoui du sacrifice de ses pairs.

« Je peux t’en piquer un ? »
Non ! Antoine a presque rugi, comme s’il fallait à Charlotte de quoi valider son sentiment que l’appartement fleure la déficience mentale.
« Ne te fâche pas.
_ Oui. Heu… désolé. »
Il ne semble même pas vouloir se donner la peine d’expliquer son comportement d’abruti. « Les hommes sont des ours tarés », sentence habituelle exprimée par Coralie, sa collègue lesbienne, lui semble pour la première fois pouvoir être le réel sujet d’une thèse scientifique. Il paraît complètement perdu, aussi. Mais entre pitié et colère, Charlotte fait le choix de ses nerfs, dûment éprouvés par la semaine.

« Je vais devoir y aller, Antoine. On m’attend (ah ouais, qui ça ?), et j’ai… (quelques courses à faire ?) quelques courses à faire.
_ D’accord. Je… ok. »
Ce fut aussi un plaisir de te revoir, Antoine.

Une bise sur une joue hirsute ; une autre, veloutée. Et un courant d’air brûlant claque la porte, gentille catharsis estivale.

10



« Zdàva ?
_ Ouais, c’est tchèque. Tu le prends ou tu le prends pas ?
_ C’est bien un frigo américain, ça ?
_ Le plus américain des frigos tchèques, Tony. Capa de trois mètres-cubes, quatre bacs étanches, un congélo avec six compartiments, de quoi contenir une quinzaine de bouteilles, la machine à faire de la glace pillée devant…
_ Putain, mais j’ai pas besoin d’ça, moi.
_ C’est ce que tu m’as demandé. Décide-toi. Tu le prends ou pas ?
_ C’est Candice qui veut un frigo comme ça. Je sais pas pourquoi ; elle me tape des crises. J’ai vraiment l’impression que y’a que ça pour la calmer. »
Antoine parlait pour lui-même, le regard inconsciemment accroché à un chien qui jouait avec un gros mille-pattes encore vivant bien que tranché en deux, dans l’arrière-cour. La camionnette était pleine de matériel électroménager en plus ou moins bon état.
« C’est Candice qui veut ça.
_ Ouais, d’accord. C’est une fille qui a besoin de luxe. Tony, il faut vraiment que tu te décides, là.
_ D’accord. Est-ce que… est-ce que je peux avoir une garantie avec ?
_ Une garantie ? Une garantie ? Mais oui, Tony. Même un bonus environnemental et un doigt dans l’cul si tu veux. »

9



Dix-huit heures trente. Station République. Charlotte sort de son petit sac Hello Kitty la cuillère à café chipée à la cantine. Denis est venu la voir aujourd’hui et tous les regards, même Sauvez Willy, se sont tournés dans leur direction alors qu’il se penchait vers elle et que Charlotte faisait semblant d’être toute entière plongée dans les bilans prévisionnels – mais les giclées de sang d’un cœur en délire inondaient des zones peu propices à la réflexion, au détriment des chiffres turquoises du croisé-dynamique. On est très content de ton travail chez les DK. Tu nous mâches vachement le travail en amont. Charlotte extirpe du sac le yaourt à l’ananas confisqué en douce à celui qui lui faisait à l’époque l’effet actuel de Denis et qui est maintenant devenu une épave caractérielle. Le mot mâches avait été prononcé à contretemps des autres, comme pour en dégager un double-sens – pur fruit de son imagination, voyons –, figeant un instant les lèvres en un rictus irrésistible. C’est triste que tu doives te taper Jabbah le Hut dans ce département. Elle avait pouffé, sans bien évidemment savoir qui était Jabbah le Hut – un hobbit ? – et Marin, qui était con sans être idiot, avait capté le regard en coin qu’on lui avait jeté. Elle le paierait naturellement une fois que le sumotori serait redevenu le mâle dominant de l’open-space, en l’absence du responsable DK et sa carrure d’athlète. Charlotte porte à ses lèvres le mélange lacté avec de « vrais morceaux d’ananas » et son imagination fait le reste. Magalie part à la DG Vierzon en septembre ; si tu le souhaites… je récupère son poste. Et le chef le plus craquant sur terre. Chef qui avait clôt l’entretien informel par un clin d’œil. C’est doux. Sucré. Charlotte quitte un instant la compagnie des anges, son regard tombe benoitement sur la date de péremption notée sur l’étiquette et elle recrache bruyamment la dernière cuillerée, tachant la chaussette multicolore d’une touriste japonaise.

8



20 août. Plus d’électricité. Les restes de rôtis de porc témoins entament leur seconde semaine d’incubation caniculaire dans l’inutile carcasse du Zdàva.
23 août. Toujours pas de nouvelles de Candice. Le rôti se porte bien.
25 août. Nathan fait profiter son père de sa nuit blanche. Le rôti est au top de sa forme.
28 août. Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué.
1er septembre. Rôti, ô rôti, comme au premier jour.
2 septembre. Nathan crie ce qui semble être ses premiers mots. Cette découverte l’enthousiasme jusque tard dans la nuit.
4 septembre. Antoine est licencié. Le rôti, lui, pète le feu.
7



Sylvie Graham
Chef-adjointe de projet marketing
Laiteries Normandes
Caen 14000
+332.31.27.23.63
sylviegraham@laitnor.com


Salut Charlotte,

La fabrication des yaourts Crème & Fibres à l’ananas a bien été stoppée il y a un an, en février. Les six premiers mois de commercialisation n’ont pas été concluants et nous nous sommes recentrés sur les produits « plaisir » accrédités bio, comme les assortiments Fruits des bois. J’espère que ça te sera utile, grande mystérieuse. On se téléphone. Bises.

6



« Ça fait bizarre de te revoir, tu sais. »

Nathan, ne sachant que répondre à cette déclaration d’amour paternelle en demi-teinte, rétorqua un mot-cri qui ressemblait désagréablement à maman.
« Elle est partie il y a déjà un certain temps, Maman. »
(Enfin pour toi, ça doit faire moins longtemps ; je suppose.)
Candice était barrée avant qu’il ne sorte son premier mot, et ce n’était certainement pas lui qui lui avait appris celui-là. Une seule possibilité : ce gosse jouait la provocation. D’ailleurs, il persista en une nouvelle occurrence bruitesque.
« Nathan, je veux PLUS EN ENTENDRE PARLER, ok ?! »
(Ou je te remets au… coin.)

Dans l’urgence de la venue de Charlotte, qui s’était plus ou moins invitée de force, il avait ressorti tout le matériel du placard qui servait auparavant pour les affaires de Candice. Le landau était encore plein de poussière ; quel con ! En plus d’être pris en flagrant délit de mendicité par une ancienne copine – et les excuses improvisées à propos d’un quelconque pari fait avec des collègues n’avaient pas l’air d’avoir convaincu –, en plus de l’avoir accueillie dans un appartement sans électricité, sans doute vétuste d’un point de vue, hum, objectivement neutre… il avait dû passer pour un père indigne – et faire croire qu’il était toujours avec Candice avait sans doute été un autre échec.

Le joli petit merdeux qu’il était...

« Il me faut un yaourt. »
Nathan beugla, pour rester dans un registre laitier.
« Tu… tu en veux un aussi, c’est ça ? »
Antoine frotta énergiquement son menton mal rasé.
« D’accord, Nathan, juste un alors. Parce que tu as été (bien sage ?) un petit garçon… très courageux. Mais après, il faudra… tu sais… (y retourner) je ne peux pas te nourrir. J’ai pas les moyens, Nathan. Plus tard… oui, plus tard, j’aurai de l’argent… Et alors. »
Comment un visage juvénile pouvait-il à ce point se contracter, former un tel masque de haine ?
« Ok… ok…alors, deux yaourts. »

Le Zdàva s’ouvrit sur sa pénombre habituelle. Soigneusement empilés dans leur emballage cartonné, quelque chose comme un demi-millier de pots, rescapés de la demi-palette que lui avait fait passer en douce Jamel avant de se faire lourder des Laiteries, le dominaient de leurs ombres. Et les ananas avaient troqué leur sourire ahuri contre un regard culpabilisateur.

« Allez tous vous faire foutre. »

5



« Qu’est-ce que tu fous, Charlotte ? Il est même pas six heures. »

Les yeux plissés vers l’affichage digital du réveil, Denis grommelle.
« Viens te recoucher. » Il sourit. « C’est un ordre. »
Mais tu n’es pas encore mon chef, aurait-elle répondu si elle n’était pas si préoccupée. Ils auraient alors sans doute joué au boss intransigeant et à la subordonnée coquine pendant une petite heure avant de se préparer à partir (j’ai un dossier brûlant dont je vous voudrais que vous vous occupiez.). Charlotte ne dit rien, se contente de renverser sur le sol le contenu de ses tiroirs à souvenirs.
« Mais qu’est-ce que tu fouuus ? »
Ah, les voilà ! Les souvenirs de Caen. Beaucoup de photos, des cartes postales, des lettres. Et, au milieu, une petite souris illustrée, entourée de dentelle beige. Un phylactère s’élève du rongeur.

Candice et Antoine sont heureux de vous annoncer la naissance de Nathan, un magnifique bébé de deux kilos tout rond.

La date la fait hoqueter. C’était il y a quatre ans.

4



La porte fut refermée et les cris cessèrent instantanément.

Antoine eut subitement envie d’un autre yaourt mais il ne voulait plus s’approcher. L’appartement sombre était plongé dans le silence inconstant d’un immeuble isolé au siècle dernier. Assis sur l’unique chaise de la cuisine, il se dit qu’il ne fallait pas pleurer. Mais comme les larmes ne lui venaient de toute façon pas, il trouva la situation plus honteuse encore ; même dans son échelle de valeurs cabossée par deux années à vivre en ermite en plein Paris, dans un logis qui ne lui appartenait plus mais dont on ne semblait pas prendre la peine de l’expulser.

Il ne sortait que pour mendier, un peu, et guetter le remplissage des poubelles du Monoprix, ce qui lui permettait d’éviter de taper systématiquement dans le stock de yaourts. Depuis quand lui avait-on adressé la parole, outre la politesse forcée des caissières et les interpellations policières ? Depuis quand avait-il un contact corporel avec un autre humain, même pas sexuel, juste toucher une main autrement que fortuitement ? Charlotte avait mis fin à cet affreux chronomètre de réclusion. Mais il lui avait fait peur. Il aurait voulu parler, dire autre chose que des mensonges qui ne rassuraient personne. Si elle avait pu le prendre dans ses bras, là encore sans le moindre sous-entendu, juste comme une mère son enfant ; il aurait pu se confier, lui parler de toutes ces choses : de Candice, de son licenciement,… du Zdàva. Il avait eu peur, peur de son jugement, que son tourment ne soit pas compris. Puis peur d’être découvert. À découvert. Nu. Comme un enfant. L’enfant qu’il niait en lui-même. Et celui qu’il niait en l’enfermant.

Son pied se souleva sans même son consentement et sa rage éclata sur la table, qui s’affaissa, avant d’être presque coupée en deux. Il pleurait pour de bon maintenant. Et c’était de la faute de cette pute. Qui les avait abandonnés tous les deux. Pour quoi ? Pour retourner cracher du feu dans la rue avec ses copains ivrognes ? Et quand ils étaient définitivement bourrés, ils devaient s’allonger dans les jardins publics, leurs chiens autour d’eux et faire ça mollement entre deux régurgitations de bière forte. Antoine eut la nausée, peut-être aussi parce qu’il prit conscience de l’odeur indigne qui enveloppait son antre.

3



Six heures quarante-et-une. Station République. Charlotte bat inconsciemment une mesure imaginaire avec son pied. Elle revoit Nathan dans son berceau. Quel âge semblait-il avoir ? Dix-huit mois, tout au plus.

Au grand maximum.

2



La chaleur dans la pièce doublait la gravité et Antoine avait retrouvé un semblant de calme. Il avait peut-être bien parlé tout seul pendant quelques heures ; il ne s’en souvenait que vaguement – à part d’un moment bien précis où il avait remporté le quarté trois fois de suite, mais c’avait été une hallucination, sans doute, car on ne gagne pas le quarté sans sortir de son appartement et en discourant avec soi-même. Candice s’était faite prendre par un labrador borgne et un berger allemand et Nathan parlait à haute et intelligible voix depuis son bac à légumes : j’apprécierais que tu me sortes de là. Ces ananas n’ont rien d’inoffensif.

Et lui était un petit enfant. Qui n’avait pas demandé à vivre ça. Il rêvait d’évasion. Et jamais Zdàva le Grand ne lui avait semblé si attrayant. Comment cela faisait ? Une fois le blindage clôt, on était cryogénisé par l’absence de froid générée par un réfrigérateur tchèque et on parcourait le temps perceptible de façon aussi indolore que si l’on était un glacier millénaire ? Hibernatus ? Austin Powers ? Ou bien s’engageait-on dans une dimension parallèle où la dégénérescence cellulaire n’était que l’apanage de drogues extraterrestres que s’offraient les Saturniens friqués…

Il devait bien faire trente degrés dans l’appartement mais Antoine grelottait. Il se vit poser la main sur la poignée blanche et tira vers lui l’épaisse porte, jusqu’à pouvoir contempler l’édifice architectural yaourtier dans son ensemble – habituellement, il gardait l’engin ouvert le moins longtemps possible, pour éviter de voir remuer ou chouiner le bac à légumes. Nathan, reprenant le cours de sa pénible existence, poursuivit le cri entamé des heures auparavant.

« Chhht, mon chéri. »

Les produits laitiers furent intégralement balayés par deux revers du bras, transformant le sol en un amoncellement de ferments brusqués. Quelques pots éclatèrent, rejoints par les grilles et socles en plastique séparant les compartiments.

L’espace était immense. Antoine prit son fils dans les bras, dans un geste de tendresse paternelle inédit. Il ne pleurait plus ; les deux se souriaient.
« Est-ce que tu crois qu’il y aurait de la place pour papa ? »

1



« Antoine, Antoine, tu es là ? »

Charlotte tambourine sur la porte de l’appartement. Dans la cage d’escalier derrière elle, quelqu’un a inscrit au feutre indélébile sauter, en six lettres ? En dessous, deux réponses, de deux mains différentes : baiser ! ; bondir ?
Charlotte, peu férue de délinquance cruciverbiste, continue de marteler. La sonnette du perron indique, en lettres défraîchies Antoine Siguier et Candice Helm.

Une main manucurée de frais se pose sur son épaule et une voix féminine l’interpelle, sèchement.
« Pourquoi est-ce que vous tapez comme ça chez moi ? »

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Green Partizan
Littéraire et rôliste
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MessageSujet: Re: Péremption   Péremption Icon_minitimeDim 22 Mar - 13:33

Décidément, c'est une manie de fonctionner par section ?
Cette descente aux enfers est vraiment millimétrée, on se laisse glisser tranquillement jusqu'à l'angoisse. C'est assez lancinant au niveau du rythme, avec les thèmes qui reviennent, le môme, le frigo tchèque, ces putains de yaourts, la bouffe qui daube, c'est infernal.

Et puis des petites perles glissées à droite à gauche (j'adhère à la délinquance cruciverbiste).

Rôlliste
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Péremption
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