With or without you

Hop voilà, reposté ici pour la clarté, vieux texte d' il y a une dizaine d' années. Idée de "nouvelles-chanson" à venir comme jeu littéraire?





With or without you



Il enfourcha son vélo blanc modèle femme, déniché à cinquante dollars dans une vieille boutique quelques jours plus tôt, pressa de son poids sur une pédale, et s’ élança sur la piste de gravier. Il tourna entre les bâtiments de bois bleu, le vieil escalier rongé, et s’ engouffra dans la rue. Il regarda le ciel un instant, les gouttes lui brouillaient la vue. Les roues projetaient un peu d’ eau crasseuse sur le jean noir. Il verrait plus tard dans sa chambre la ligne terreuse que la roue arrière avait dessinée sur le dos de son blouson, couleur charbon. L’ air et la pluie lui frappaient le visage. Il était dans une journée ensoleillée. Le froid balayait son cerveau. Il revoyait une fleur, une marguerite, un coquelicot séché pris dans les cordes nylon d’ une guitare. Il vira au bout de la rue, évitant les plus grosses flaques, et les crevasses de l’ asphalte. Les nuages filaient, au dessus de ses yeux, filtrant quelques rayons. Quand il tournait la tête, il voyait ses cheveux blonds, répondant à la chaude lumière coulant sur ses traits. Sa peau était plus fine que le brouillard du matin, sur la campagne. Tout rayonnait. Une voiture le doubla. Les roues bondissaient sur les bords accidentés de la route. Ca cognait. Il la tenait par l’ épaule, dans une grande rue étrangère, quelquepart sur la planète. Elle lui prit la main. Il déboula sur la route qui borde le fleuve, sombre, qui cachait quelque vieille colère sous les rides de la pluie. Elle parlait, si doucement que ses mots étaient des nuages. Le fleuve le fixait, pénétrait ses chairs, sa tête. Il sentait la chaleur de sa joue sur son épaule, ailleurs. Et les étoiles chantaient, elles jouaient Yellow, pas loin d’ un lac au profond turquoise, endormi. Elle aussi, chantait. Il lui répondait, parfois. Il voulait l’ emmener tourner dans le vide stellaire. Un oiseau, ballotté sur le sombre fleuve cria. Personne ne l’ entendit. Lui n’ avait que son souffle. Son haleine tiède dans la nuit. La voiture filait, elle dormait à l’ arrière. Il pensait à son odeur. Des moutons paissaient sur de l’ herbe jaunie, devant un unique mont, enneigé. La pluie battait ses yeux. Elle mordait dans un muffin tiède, devant un café brûlant. C’ étaient les derniers dollars. Son pull blanc était doux, d’ une chaleur apaisante. Le son des voitures le berçait. Il la voyait rire, les yeux fermés. L’ humidité glacée traversait son jean. C’ était froid. Il avait chaud et mal. Il glissait en elle. Elle l’ aimait. Tout doucement. Elle s’ essoufflait. Il ralentissait, attendait. Elle le reprenait. Ils transpiraient, elle le repoussa. L’ odeur le rendait ivre. Les voitures passaient violemment. La roue cahota encore. Sa voix murmurée s’ agitait. Elle cria, ils pouffèrent. Il la serrait, elle avait froid. Son coeur à lui était brûlant. Ses mains tiédissaient sur son ventre. Elle lui tirait des poils. Il frissonna. Elle était belle. Il avait besoin de vitesse. Il filait, sur son vélo blanc, dans la grisaille du décor. Il s’ acharna sur une côte. Elle ne dansait plus, il voulait l’ étonner. Elle se moquait. Le vin pétillait dans la bouteille, des mots anglais, un autre voyage. Ils rentrèrent, elle était saoule, il la porta. Il se pencha pour prendre une autre rue, de l’ eau gicla. Les feuilles tourbillonnaient, l’ entouraient d’ un feu enchanté, et elle se cachait dans son manteau. Les roues froissaient des feuilles lourdes de boue. Elle l’ embrassa devant le bateau. Il prit ses lèvres entre les siennes. Il l’ aimait. Elle le mordit. Ils se serrèrent. Ils partirent manger. Quelqu’ un prit la photo derrière la vitre du restaurant. Il slalomait, se battait contre le vent griffant. La lumière verte rendait la rue magique. Toujours, promis? toujours. Il la prit dans ses bras, sa peau glissait dans l’ eau tiède du lagon. Elle lui plaisait dans son maillot. Ils se caressaient…

Il abandonna le vent, attacha son vélo, et rentra dans la vieille bâtisse. Il grimpa les marches de l’ escalier grinçant, ses chaussures sombres et lourdes faisaient du bruit sur le linoléum. Il glissa ses clés dans la serrure, tourna, et pénétra dans sa chambre en désordre. Il s’ assit sur le matelas, alluma son ordinateur portable, et le mit devant lui, sur le sol. Il rentra dans le fichier musique, chercha U2, mit « with or without you ». Il alluma un petit cigare vanille. Ca puait le tabac. Il écouta la chanson, sans émotion définissable. see the sun set in your eyes. Il ne savait rien de précis, ni sur lui, ni sur quoi que ce fut. And i wait for you. La fumée montait vers le plafond blanc. Des voitures passaient, en bas. Through the storm we reach the shore. La fumée piquait. Il voyait son manteau, devant lui, noir, tâché de gouttes beiges. And i wait, without you. L’ appartement était immobile, juste des volutes piquant les yeux et les narines. And you give yourself away. Les volets à persiennes étaient tous descendus, filtrant une lumière pâle. I can live, with… Sa plante lui semblait aussi seule que le reste… or without you. Des livres, des habits, les emballages de la dernière bouffe. And you give yourself... envie? de quoi… away. Le temps, immobile, fuyait… I can live, with or without you… pourtant. La chanson continuait. Elle dura plus que d’ habitude… with, or without you. Elle dépassa sa durée usuelle, 5, puis 10 minutes. I can live… Lui n’ y faisait pas attention. Il ne pensait plus. Ne sentait rien sur rien. and you give yourself away… 20 minutes, 1 heure… or without you… 3, 10 heures… with… 3 jours … I can live…

But i still haven’t found… what i’m looking for…

Effectivement, nettement plus facile a lire. Et pas moins bien du tout d'ailleurs, c'est juste a mon sens un sujet plus simple a traiter.

Si tu veux parler de choses plus "psychologiques" comme ton dernier texte c'est un terrain assez glissant et sans doute difficile a arpenter ^^ peut-être une idée pour. Rendre épisode douce plus facilement lisible et assimilable par le lecteur, serait d'essayer de récupérer des sensations, des émotions que le lecteur connait, ou su moins qu'il peut facilement imaginer. C'est pas évident, ca impliquerait de réussir a te mettre dans la tête de quelqu'un d'autre, mais pour améliorer ton texte qui est déjà très bien, ca sera vraiment pas simple ^^

Après le fait qu'il ne soit pas forcément évident a lire au vu des retours que tu as eu, c'est peut-être aussi que les gens qui t'ont fait des retours ne sont pas super familier de la littérature en général ? En tout cas moi c'est le cas, essaie d'avoir des avis des rats qui peuplent wilmarin, ca sera sûrement plus intéressant pour toi :-)

Je suis un peu rassuré. Après la lecture de l'autre texte, j'avais un peur peut de découvrir un autre pavé hors de portée.

J'aime assez l'effet d'éclatement temporel, entre souvenirs et moments présents. La syncopée stroboscopique est assez sympathique, mais elle devient vite trop systématique et le rythme des phrases tend vers le pénible à certains moments. Sans doute beaucoup de phrases sont trop courtes, et certains va et vient trop rapides.

Je pense que le fond et le sentiment que tu veux amener auraient gagné en intensité si tu avais opter pour une forme un peu plus posée et lente.

Désolé du retard du coup j' avais pas lu tous les posts ^^

@Choupinne pour les "vécus", en soi, tout c qui a trait à Yss, voire les sensations froides du New South Wales (à voir comme une terre au bord des eaux, tournée vers les territoires froids et marins, rêves aquatiques etc... on y retrouve une référence au "paradis blanc" de berger...) sont des sensations qui sont censées évoquer des vécus volontairement imprécis pour les rendre plus universels. Ca marche donc pas?
Et la nature de "spécialistes de la littérature", on y trouve absolument de tout tu sais, comme chez les gens qui ont une lecture plus fraîche, en soi tous les points de vue m' intéressent.

@Louve ben oui tu vois tu as bien compris y' a une alternance qui s' installe entre les sensations extérieures ( Québec, automne, temps de pluie) et les mémoires à l' intérieur (un peu autour du monde). Et ça essaie de jouer entre la rudesse du présent, et la douceur des souvenirs, un coup par le rythme es phrases plus courtes et saccadées, ou par le vocabulaire plus agréable utilisé... Jusqu' à ce que ça finisse par cascader un peu et que le rythme soit moins clair, genre "putain j' en ai mal à la tête de repenser à tout ça". Et puis le final c' est une espèce de métaphore du temps qui passe sur fond de chanson.

@Dvb tu veux dire quoi exactement par "une forme un peu plus posée et lente"?

@ tous, merci des commentaires ^^

Je vais prendre un extrait de ton texte :

Citation :

Elle lui tirait des poils. Il frissonna. Elle était belle. Il avait besoin de vitesse. Il filait, sur son vélo blanc, dans la grisaille du décor. Il s’ acharna sur une côte. Elle ne dansait plus, il voulait l’ étonner. Elle se moquait. Le vin pétillait dans la bouteille, des mots anglais, un autre voyage. Ils rentrèrent, elle était saoule, il la porta. Il se pencha pour prendre une autre rue, de l’ eau gicla.

Le mélange des deux temporalités est déjà bien assimilé à ce moment là du texte. Toutefois, le rythme très découpé, ne laisse pas vraiment le temps pour profiter des deux ambiances. L'idée que je me ferais plus naturellement d'un tel sentiment, tiendrait plus en un développement de la partie "souvenir" avec des phrases plus longues, plus construites, plus calmes, entrecoupées de quelques phrases courtes se rapportant à la partie "présent".

Peut-être aussi est-ce dû à ce choix de tout mélanger sans séparation. Une construction narrative plus classique, pourrait être l'alternance de paragraphes développés sur les souvenirs (sans pour autant dénaturer cet effet de bribes),et de paragraphes très courts (une ou deux phrases) sur la course du vélo.

Tu pourrais dire que c'est purement visuel comme effet, et pourtant, je pense que ça pourrait mieux révéler la sensation que tu sembles chercher.

Hésite pas non plus à utiliser le point-virgule dans ta syntaxe. Le texte s'y prête bien



Ah oui, une dernière chose à propos de la fin.

Cet effet de style avec les extraits de chansons, j'ai toujours trouvé ça assez laid. Ca rend rarement un effet intéressant, et la plupart du temps je ne lis même pas les morceaux de chansons. Ca passerait sans doute un peu mieux, s'il y en avait moins et s'ils étaient plus séparés et pas aussi proches et aussi présent dans ce final.

En plus, la toute dernière phrase serait sans doute mieux mis en exergue et on retrouverait plus facilement la sensation liée à la chanson (à mon avis hein !)