Pêche.

Bleue.
C'est une bille bleue.
Une immense bille bleue sur laquelle je repose, alangui ou plutôt affalé. Mon regard au niveau du sol me laisse entrevoir les étendues folles de la couleur unie. Uniformément appliquée, tâche répliquée à l'infini dont l'aura sereine reste figée. Figée sur cette grosse bille.
Je suis sur le dos, la tête renversée en arrière scrutant un horizon à l'envers, un horizon bleu de bille avec un soleil blanc trop chaud en contrebas. Je n'aime pas ce soleil, j'aimerais qu'il soit moins lumineux, moins blanc et moins chaud. Mais par dessus tout, je n'aime pas le vrombissement du moteur qui se remet à tourner, je n'aime pas le savoir à nouveau vivant, prêt à m'emmener avec lui encore une fois. J'entends un coup de klaxon, pour me prévenir qu'on redémarre, je ferme les yeux et je soupire.

Dans un sursaut, je suis le moteur qui s'est élancé, je le poursuis à distance raisonnable sans toutefois lui laisser prendre de l'avance. Je survole brièvement le sol dans un cahot avant de le retrouver dans une étreinte brutale. J'esquisse une plainte, mais ma gorge est trop sèche pour sortir le moindre bruit. Je m'en remets donc simplement à ma douleur, tentant maladroitement d'oublier que je suis là et pas sur cette formidable bille bleue qui me supportait tout à l'heure. Maintenant et même en tordant le cou, entre deux raclements rouges de mon dos sur la terre vitrifiée, je ne perçois plus rien de ma vision délicate. Fumées, poussières masquent mon plaisir et ne laissent qu'une traînée à ma couleur sale sur le sol, je me sens seul.

Mes poignets attachés contre mon ventre battent la mesure de la corde qui se tend et me rappelle à suivre le moteur furieux. Mes chevilles concassées par un lien trop serré s'évertuent à maintenir mon corps dans la course. Bientôt, je verrais les urkas sauvages apparaître en galopant après moi. Puis je ne verrais plus rien. J'vais crever dans ce désert, appât de traîne. Connerie.