Qu'à cela ne tienne ! Nicolas a ôté le trophée Zola à Juliette, donc Juliette contre-attaque et cherche le récupérer.
Le thème choisi par l'ouragan écarlate est celui-ci : « Carnaval », le tout en moins huit mille signes.Les votes débutent à l'instant et se termineront le mercredi 4 novembre 2015, à 23h59. - Citation :
- Texte n°1 :
« Because I’m a freak, I’m a weirdo … »
Claire avance parmi la foule en fredonnant le classique de Radiohead, sans réellement savoir pourquoi. Peut-être l’a-t-elle entendu dans la voiture avant de venir. Peut-être que sa mère chantait sous la douche ce matin. Dans sa bouche, les paroles sonnent d’ailleurs plus comme « aïm Afrique, aïm a wirdo », mais peu importe. Elle ne s’en rend pas compte, et qui la corrigerait ? A six ans, Radiohead fait quand même rarement partie du répertoire.
Aujourd’hui, c’est la kermesse de l’école primaire, et tous les enfants sont déguisés : il y a bien entendu les éternelles princesses, toutes de velours vêtues (les duchesses, les marquises et les compresses étant évidemment comprises dans le lot), les imbattables pompiers avec leur casque de chantier, les cowboys, les indiens… C’est créatif, un enfant, quand on lui laisse le choix.
Claire, elle, a opté pour une superbe tenue de poisson bariolé, hommage à un livre illustré qu’elle aime beaucoup. Sa nourrice s’est occupée de la couture, Claire de la sélection des couleurs. Elle a même fabriqué le masque, savamment découpé dans une boîte de Chocapics et habillé de paillettes. Une écaille sur deux est recouverte de papier aluminium, pour reproduire l’effet sur la couverture de l’ouvrage. Le travail a été laborieux, mais le résultat est plus que satisfaisant. Le soleil s’y reflète d’ailleurs si bien que les autres enfants ne savent plus où se mettre. Ils courent dans tous les sens et lui tirent sur la queue en rigolant.
« Tu t’es déguisée en quoi toi ?
– En princesse. »
Claire sourit à la petite fille d’un air engageant. Ce n’est pas de sa faute, après tout, si ses idées sont creuses. Une princesse, c’est banal, mais peut-être que cette princesse en particulier représente quelque chose de spécial pour elle. Peut-être que son papa lui lisait tout les soirs un chapitre du roman de la princesse rousse à la robe rose. Peut-être que son papa est parti maintenant et que cette jolie robe de tulle, c’est tout ce qui lui reste pour se souvenir de ces bons moments. Peut-être qu’elle aime simplement les princesses, et il n’y a pas de mal à ça. Ce n’est pas bien de juger les gens sur leurs goûts. Sa mère le lui répète d’ailleurs régulièrement.
« Pourquoi un princesse ?
– Parce que j’aime bien. Et toi, t’es un poisson lune ? »
Claire fronce les sourcils, c’est la quatrième fois qu’on lui pose la question en une heure. Pourquoi un poisson lune ? C’est vraiment spécifique comme supposition. Elle se creuse la tête pour essayer de voir à quoi ressemble un poisson lune, mais rien. Il ne doit pas y en avoir à l’aquarium, ou dans le livre d’images.
« Mais non, je suis un poisson arc-en-ciel ! Regarde, il y a les sept couleurs …
– Moi je pense que tu es un poisson lune, l’interrompt sa camarade. C’est sûr. »
Elle repart en courant vers les autres. Les enfants pouffent et se tiennent le ventre, et Claire les observe sans comprendre - qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? Un poisson, c’est un poisson, non ? Oui c’est joli comme nom « poisson lune », mais « poisson arc-en-ciel » aussi, et puis surtout c’est différent. Quand on y pense, les deux représentent un phénomène météorologique, alors pourquoi rire de l’un plus que de l’autre ? Elle se dirige vers sa maman qui prend un café avec d’autres parents.
« Maman, ça ressemble à quoi un poisson lune ? »
Sa mère la dévisage sans comprendre. Claire répète la question plus fort.
« Maman, ça ressemble à quoi un poisson lune !
– Je ne sais pas ma chérie, pourquoi cette question ?
– Parce que tous les autres disent que c’est mon déguisement ! »
Claire a envie de pleurer, et ne comprend pas. Les parents se regardent les uns les autres, gênés. Certains tournent les yeux et font semblant d’admirer leur progéniture en pleine bataille d’eau, cachés derrière leurs masques fades. Une génitrice se lève pour retoucher le maquillage de sa marmaille. Du rouge à lèvres à six ans. Bien sûr, pourquoi pas ? A l’angle le plus éloigné de la table, une femme se rapproche de son mari d’un air entendu et chuchote :
« Poisson lune ? Ils en ont de ces idées les gosses. Moi j’aurais dit baleine. »
Son murmure était discret, mais pas assez. La mère de Claire se lève en trombe et gifle la femme qui vient de parler. Elle ne s’y attendait pas, tout le monde est abasourdi. De mémoire d’école publique, on n’avait jamais vu ça.
« Alors c’est comme ça que vous les élevez vos enfants ? En leur apprenant à détruire les autres ? C’est une kermesse ou un cirque d’un autre siècle ? Ma fille, pour vous, c’est une bête de foire, c’est ça ? Prochaine étape, on paye pour lui jeter du riz ? Ah quoi que non, pas de nourriture, ce serait pire ! Jamais, JAMAIS je ne vous laisserai la traiter comme ça. Viens Claire, on s’en va. »
Claire prend la main de sa mère et trottine derrière elle. Tout le monde est debout. La princesse à la robe rose est venue voir en pleurant si sa maman allait bien après que la grosse dame l’ait frappée. Claire entend la femme battue grommeler au loin :
« Oui bon ça va, c’était juste une blague. Mais vous l’avez vue me cogner la furie ? Pas étonnant que sa fille roule plus qu’elle ne marche, si on lui laisse tout faire comme ça ! Et avec ce genre de gènes, forcément qu’elle va gonfler la gamine. Elles passent probablement leur vie assises devant la télé à manger des chips. Autant la déguiser en truie ! »
Claire entre dans le Scénic. Sa mère tremble de colère, une larme brille sur sa joue.
« Mais c’est pas grave maman, je sais bien que je suis plus grosse que les autres. Je m’en fiche tu sais. »
Sa mère l’embrasse et démarre, sans un mot. Demain, elle changera sa fille d’école.
- Citation :
- Texte n°2 :
Lucille
Elle est en nage sous son masque de macaque mais elle n’en a rien à faire. La batucada et la liesse populaire la mettent en transe. Lucille hurle et bondit. À côté d’elle, un groupe de cinquantenaires aux visages peints de rouge et de noir essaye de chanter malgré le tapis de bombes que les percussions font tomber sur l’asphalte. Elle se dit que c’est ce qui fait toute la différence entre le Nord et Paris : un évènement de catharsis paroxystique comme le carnaval de Lille, aux effets sur la foule d’une pluie corrosive, la mettant à nu sous les déguisements et la lavant durablement d’une épaisse couche de tension qui termine dans le caniveau. Ça lui fait une âme de poète, à la jeune Lucille. Dommage. Car la marche des évènements s’ébranle et la foule avec elle. Les premiers cris d’effroi retentissent. Des coups de feu, aussi. En un rien de temps, cette masse de gens devient un troupeau d’animaux apeurés et indisciplinés. Quelque mots-clés sont lâchés au milieu des cris. Attentat. Attaque. Aveuglée par son masque qu’un coup d’épaule a fait pivoter, bousculée, Lucille s’écroule. Et c’est le grand piétinement.
Carl
Depuis le rez-de-chaussée de son bar - dont la mairie a ordonné la fermeture exceptionnelle en raison des débordements de l’année passée, à la fois pour sa joie et son malheur -, Carl observe les festivités avec une certaine mélancolie. Cela fait déjà deux ans que sa fille s’est barré. Il voudrait lui envoyer un message mais chaque lettre lui prend bien dix secondes à taper. Il soupire et se serre à la pression. À l’extérieur, des cris retentissent. D’horreur. Une bande de jeunes s’est jetée dans la foule. Ils sont maquillés comme des cadavres. Une fille est tombée au sol et ils se sont précipités sur elle comme des bêtes affamées. Elle se fait mettre en charpie. Il y a du sang qui jaillit. Beaucoup. Des gens s’enfuient dans tous les sens. Ce n’est pas du maquillage. Ce sont des zombies, des vrais ! Comme dans le film avec Brad Pitt ! Carl passe derrière le comptoir en renversant les bocks et s’empare de sa carabine. Sans hésiter, il déverrouille la porte du bar et avise la tête du monstre le plus proche. Il tire.
Donatien
« Il est clairement en état de choc. Après tout, c’est juste un jeune con...
- Ouais. Dans le meilleur des cas un jeune con responsable d’une trentaine de morts.
- Et dans le pire ?
- Un calculateur qui joue les geignards.
- Sa grand-mère est quand même dans la liste des piétinés.
- Ouais. L’aubaine. Il pourrait presque pleurer sans se forcer, ce psychopathe. »
Les enquêteurs entrent dans la salle d’interrogatoire.
« Tiens, on t’a ramené de l’eau. Tu vas t’assécher à force de chialer.
- Heu... bon, on va récapituler. Tu t’appelles Donation Delaserre et tu es président du bureau des élèves à la SKEMA... Business School, une école de commerce, quoi !
- Dis oui si c’est oui.
- C’est oui.
- Et avec tes amis, vous avez une idée géniale. Et si pendant le carnaval on se maquillait en zombies pour faire paniquer tout le monde ?
- Ça s’appelle une zombie walk.
- Je m’en fous de comment ça s’appelle, abruti ! Tu sais combien il y a eu de gens qui sont morts piétinés à cause de tes super idées ?
- Vingt-neuf, je crois.
- Hé, il a réponse à tout ! Pas mal, oui. Vingt-neuf !
- Mais c’est pas de notre faute si les gens ont paniqué ! Un malade nous a tiré dessus ! Il a tué Clément !!! C’est lui qui devrait être ici, pas moi !
- Carl Mosshein, bistrotier. On l’a arrêté hier. Il voulait s’enfuir mais il a fini par se rendre. Des antécédents alcooliques. Tout joue contre lui. Et, au fait, ton Pote Clément, il survivra. Par contre, ce Mosshein nous a dit que votre petite bande de zombies se jetait sur des gens pour les mettre en pièces. Et étrangement, il n’est pas le seul à avoir vu ça. Qu’est-ce que... sérieusement, vous poussez pas le jeu de rôle un peu loin ?
- J’avais tout organisé pour la cohérence du... pour rendre les choses plus réalises. On avait des membres de l’association... elle s’appelle Zombie Party... des membres de l’asso’ déguisés normalement. Ils faisaient les complices. On avait des membres en plastique, des poches de faux-sang. Et eux, ils devaient crier quand on leur tombait dessus. Putain, mais... je ne sais pas. On voulait juste faire les choses bien !
- Donc, tout ça, c’était juste de la mise en scène, Donation ?
- Oui... juste de la mise en scène... on pensait pas...
- D’accord, d’accord. Une dernière chose, Donation ; est-ce que tu peux nous expliquer ça ? »
L’inspecteur Longet pose théâtralement la photo d’un corps déchiqueté devant le prévenu. Dans une flaque de sang qui paraît marron sur le bitume recouvert de confettis, on distingue clairement deux membres littéralement arrachés d’un tronc entamé par des plaies béantes. Partout, la peau semble avoir été attaquée à coups de dents et le visage est indescriptible au-dessus de la mâchoire.
« Ça, tu vois, c’est pas du plastique. »
Donatien semble littéralement perdu. De son regard hagard, il tente d’accrocher celui de l’inspecteur. Et ce dernier pense oh merde, il ne sait rien du tout...