Je fonce sur le macadam. Des braises voltigent à l'intérieur de ma gorge sèche. Mes poumons sont en feu. Mais je continue à courir.
Les réverbères défilent les uns après les autres. Blafardes, les lumières se reflètent dans le sol mouillé telles d'énormes étoiles, absentes d'un ciel nuageux et noir. Une voûte de sédiments crasseux, polluée par les fumées et le fourmillement des néons de la ville.
Un très fin crachin tombe. La pluie me réveille un peu plus. Ils ne sont plus très loin. Je tourne à ma gauche. La rue est étroite. Le trottoir, en pente, est parsemé de quelques déchets. Mes chaussures éclaboussent une mare de vomi. L'ivrogne semble avoir mangé des frites...
Je vois ma voiture, garée ou je l'avais laissée. La peinture noire est particulièrement belle à la lueur des lampadaires. Je croise rapidement une jeune fille qui promène son chien. Bizarre à cette heure. Elle ne dépasse pas la vingtaine, et je n'ai juste que le temps d'apercevoir une petite masse velue et grise à ses pieds. Un cabot qui sent l'urine.
D'instinct, je sors mes clés en arrivant à coté de la Mercedes. Je l'ouvre le temps d'un battement de cœur, m'engouffre place conducteur et démarre le moteur. Dans mon affolement, je prends étrangement le temps d'allumer les phares, par habitude. Je presse l'accélérateur, passe la première et m'engage sur la route.
En quelques secondes, j'arrive à un carrefour. Je ralentis de manière infime, rien à gauche, rien à droite. Je tourne le volant dans la dernière direction. Avant de disparaître derrière le pâté de maisons, j'entrevois la promeneuse et son chien.
***
Au moment ou une voiture noire quitte la rue, une autre apparaît. Elle est grise. Trois hommes sont à l'intérieur. Le véhicule roule assurément, mais pas excessivement vite. Le passager semble chercher quelque chose. Mais il n'y a rien. Simplement une ado et son clebs.
Le conducteur écrase une cigarette dans le cendrier, au moment ou l'individu assit à coté de lui chuchote.
- 'Tends, arrête toi.Dans un gémissement propre aux grosses cylindrées, la voiture stoppe. Le passager baisse sa vitre.
- Hey ! Mademoiselle.L'interpellée se tourne étonnée. Un peu surprise, elle s'approche avec son petit chien, assez sale. L'homme est vêtu sombrement. Une légère odeur d'urine lui pique les narines. Mais il tente de paraître poli.
- Vous auriez pas croisé quelqu'un...Court silence. La sotte ne semble pas très bien comprendre.
- Oui oui. Un homme, en parka. Il est monté dans une voiture.- Et merde...Le type à l'arrière semble agacé. L'interlocuteur de la jeune femme vrille du regard son visage. A t-elle entendu ? A coté de lui. le conducteur tapote agacé sur son volant.
- Et... Il est parti par où ?Elle redoutait la question, ou du moins s'y était attendue. Elle n'y comprend pas grand chose. Un choix... Son chien tire légèrement sur la laisse.
- Heu... A Gauche...- Merci.La vitre commence à se relever.
- Pas de témoins...*Clic*
- La ferme. Range ça. C'est une gourde... En route.La grosse voiture passe son chemin, écrase une canette vide, s'arrête un instant au carrefour, puis tourne à gauche. Les feux rouges des freins enflamment les pupilles de la passante. Puis, enfin, le véhicule disparait à son tour en cahotant légèrement lorsque les pneus rappent contre une bouche d'égout.
***
Je roule pleins phares dans le néant d'une route de campagne. Je suis en vie. La mauvaise musique de la radio, qui grésille dans ce coin paumé, retentit à mes oreilles comme un chant de triomphe. Le chauffage réchauffe l'habitacle déjà confortable.
J'ai sommeil, mais roule toujours. S'arrêter n'est plus possible. La stabilité ne m'est plus promise; ou celle qu'incarne une tombe miteuse s'il me vient la folie de faire halte trop longtemps. La mort au trousse, je prends le chemin de ma propre destinée. Destinée que j'ai forgé à tout instant par mon unique personne...