Laissez moi partir

8h30. Amphi I. Examen d'Expression
No Feels and no Dream.

Le Rêve s’installe. Il est 8h30. Je n’ai pas commencé. Je regarde la salle. Je dois être la seule tête relevée. Baisse-la. Tous les autres travaillent. Ils savent. Ils sont en examen. Je le suis aussi.

Je rêve d’une angoisse, d’une peur brusque qui me fasse plier cette tête et activer mon stylo. Mais il n’y aura rien. Pendant trois heures il n’y aura rien. Je suis au seuil d’une inspiration hasardeuse. L’introduction est bientôt finie. Au final, ca ne m’intéresse pas. Au final, pourquoi suis-je ici ? Je fais des pauses régulières, je n’ai pas grand-chose à dire. Il faut prendre son temps. Rien ne presse. Je n’écris plus grand-chose.

A la question, pourquoi suis-je sur cette chaise ? Peut être faisait-il chaud, j’avais froid, de la lumière filtrait. Je me suis assis. Non. Je suis un élève consciencieux qui suis ses cours, qui passe ses examens, et qui n’apprend pas. Qui n’apprend pas. Il n’y a pas de sens à ce que je fais. Je l’ai toujours fait. Corneille puis Molière, Molière puis Kafka, Kafka puis Corneille. Au fil des heures, j’aime écouter ceux qui savent. Je n’aime pas leur ressembler. Il faudrait des heures pour écouter et personne qui me demande ce que j’en ai retenu. Je ne retiens pas. J’admire seulement.

Navré.

J’ai perdu foi en ce que je fais, Corneille ne me parle plus. C’est un vieil air. Madame, laissez moi sortir, je voudrai dormir.

Parfois, je voudrais me lever, brusquement, prendre mes affaires, m’en aller. Au diable surement l’apparence de l’élève prodige. Je suis en Examen et je m’ennuie.

Non pas que je ne sache pas disserter. Seulement, je ne sais pas ce que je fais ici. Non posses. Il y a ces deux mots dans ma tête qui trainent. Avancez Monsieur, vous avez quatre, c’est de la moquerie. Non, Monsieur. C’est que je n’ai plus foi. J’ai perdu ma foi au détour d’un examen. Quelqu’un l’aurait trouvé qui ne me l’aurait pas rendu. Je suis seul maintenant. Il faut prier Monsieur. Je suis une brebis égarée. Non. Je suis d’accord, mettez moi quatre. Et laissez-moi dormir. Cela fait un an que je rêve de dormir. Laissez-moi dormir.

Au fond, je ne vous demande pas grand-chose. Je suis seul dans cet amphithéâtre, laissez moi juste partir. Qui rêve de rester ?

Si vous vous demandez ce que je fais, pourquoi je le fais ; si votre réflexion veut pousser mon âme à dresser un bilan, ne vous donnez pas cette peine. Monsieur, sachez que j’aime ce que vous faites, malgré tout, j’aime. Mais qu’il est des jours ou ca n’a plus de sens, ce que nous faisons, et bien ce jour là, c’est aujourd’hui. Devant ma feuille.

Laissez moi prendre mes affaires, sourire faiblement et retourner rejoindre mon lit, là où rêver est légitime, dit-on.

Sanz

On dirait moi le lundi quand je bosse ...

J'aime cette plainte, ce moment d'égarement, cette fenêtre entrouverte vers la liberté ultime : le choix de partir ! C'est un phantasme très humain, vouloir tout lâcher, sans avoir à rendre de compte, en invoquant la fatigue, l'envie, l'oublie, la nausée. Partir... franchir cette fenêtre entrouverte parce qu'ici plus rien ne peut nous retenir, et qu'ailleurs c'ets toujours mieux.

Mais d'abord, il faut finir, le devoir, finir le bilan, finir le chantier, finir sa soupe, finir ce commentaire !!

J'aime l'idée de ton personnage, qui admet pouvoir faire cet examen, et qui justement parce qu'il en est parfaitement capable éprouve le besoin de vaciller, pour échapper au "devoir". Il se plaint, il supplie mais il ne le fait pas au final. Parce que la liberté est à ce prix : c'ets l'absence de certitude, c'ets la plus grande agoraphobie de l'esprit humain.

Bref, les bons élèves peuvent se permettre ça, on le leur pardonnera plus aisément, les autres doivent bûcher sans se poser de question ! Quels sont les plus méritants ?