A toi qui te croyais au dessus des lois
J'imagine qu'il n'y a rien de plus pénible que de vivre ton calvaire. Toi qui savais dire la loi,toi qui voulais la plier à ton image, tel un jouet divin mis entre tes mains. Tu étais démiurge au pays des corbeaux et des courbettes. Maintenant c'est à toi de courber l'échine, face à tes pairs, face à Celle que tu avais juré de servir, levant la main, prêtant serment. Et te voilà enserré au sarment des viles. Toi qui déclamait Dura Lex Sed Lex, te voilà jeté en pâture devant la plèbe une nouvelle fois. Pauvre petit ange déchu, comme j'ai pitié de toi. Ta vie que tu n'as pas vu passer, tout occupé à oeuvrer pour la grandeur de l'Epée, tu en as oublié jusqu'à la mettre en balance. Et déjà ta dignité se balance-t-elle au bout de la corde.
Comme il doit être difficile de subir de triste jeu de miroir. Les chaises musicales se jouent rarement dans les salles des pas perdus. Te voilà face à toi même, de l'autre côté de la barre. Là où tu trônais jadis, se dresse désormais ton reflet déformé. Souviens toi, alors qu'assis, les autres se tenaient chancelant face à toi et la Chancellerie, que tu voulais illuminer de ta prestance. Oui car c'est bien là ton crime : vouloir épater la galerie, vouloir briller en société, brûler tes ailes, tes noires ailes, devant le feu de la rampe, consumer ton âme dans le bûcher des vanités.
Comme cela doit être terrible d'être déchu, d'être humilié, conspué par le peuple au nom duquel tu rendais la Justice. Mais toi tu n'étais pas adossé à un chêne. Cependant tu ne rompais pas, tu tenais bon, alors que tes accusés pliaient sous la tempête de tes certitudes.
Penses-tu que ton calvaire vaille le leur ? Penses-tu que tu vailles mieux que ces hommes et ces femmes brisés ?
Dis moi petit homme, que penses-tu de la Justice des Hommes maintenant que tu la connais vraiment ?
Rassure-toi, la Grande Dame dans son aveuglement ne saurait tolérer pareille faille. Elle sauvera son âme en sacrifiant ton corps, mais comme elle est impartiale, comme elle est juste et droite, elle n'admettra pas ton erreur. La Justice ne se trompe jamais, tandis que toi, petit juge tu n'es qu'un homme. Tu es l'errement humain, le facteur d'incertitude.
Tu vois petit homme, je me permets de te juger. Sans vraiment connaître ton dossier, ta procédure, ta défense, sans même écouter Son réquisitoire ! Je n'aurai pas ta prétention, je ne me permettrai pas de détenir La Vérité. Je me contenterai juste de faire comme toi : t'acculer, t'accuser, te juger, te condamner. Car tu vois, moi aussi je ne suis qu'un homme. Qu'une erreur humaine. Qu'un facteur de certitude !