Ina

Dieu est dans la Pluie

Il est resté sous la pluie. Comme l’enfant au fond d’une nuit. Seul. En fin de compte. Il observe les lents balais de l’averse. Vent de travers. Le bateau file vite. La voile claque un peu. Il dérive. Qu’importe, le lac est vaste, mais trop peu pour s’y perdre. C’est un Monde fini. Il voudrait voir son navire s’envoler. Dépasser les rivages sombres, toucher la lune, adopter la course d’une étoile.

C’est l’orage qu’il attendait, il n’a que la pluie. Son cœur gémit. Le tonnerre manque à la lente houle. Trop calme. Cela fait dix minutes qu’il n’a pas touché à la dérive, et qu’il ne fait que tanguer sur l’eau autant qu’une balançoire hasardeuse dans un jardin désert. Une balançoire. Reculer. Il a surement froid. Il ne le sait pas encore. Il compte les gouttes. Avant qu’elles ne disparaissent dans l’eau. L’eau dans l’eau. Son esprit tourne à vide plus qu’il ne réfléchit. Autant qu’une vague, vague à l’âme, autant qu’un rasoir en fin de compte sur sa peau qui cherche la veine et qui se perd en chemin, oublie son rôle, tombe au sol. Disparaît. En face de lui, l’unique miroir d’un regard hagard.

Il est sur l’eau comme on est dans son lit. Le plafond est trop bas, ou trop grand, le lit trop petit pour un corps décharné, la nuit trop épaisse pour voir. Mais trop peu pour oublier. C’est bien dans cette désespérance maladive d’une Mémoire mécanique qu’il se perd et finit par se haïr.

L’esquif touche le rivage, s’enfonce dans la vase, il se réveille. Le monde ne titube plus, et pourtant il sent encore son cœur manquer des battements et gronder irrégulièrement dans ses veines. Le sol est mou, ses pas s’enfoncent, pas assez sûrement. Il s’agrippe à un branchage pour atteindre la berge. Un moment il tourne la tête pour regarder le lac. Un orage eut été mieux qu’une pluie finie.

Il a froid maintenant. Il le sait. Et c’est cette impression glacée qui l’empêche de respirer. Il sent qu’il grelotte, sa veste est trop lég ère et il est trempé. La demeure et de l’autre côté du lac. Elle dessine à l’horizon une fantasque découpe, une tache noire, visible en chaque point d’ancrage du lac.

Il a froid. Son corps se courbe. Il s’assied par terre en resserrant ses bras contre son corps. La houle lui revient, dans des frissons convulsifs. Elle a quitté l’eau pour ébranler son corps. C’est lui qui tangue, au fond d’un vide. C’est lui qui dérive, au fond de rien. Ses paupières bleues se ferment.

Il a froid.

Je suis ravie de te voir poster un nouveau texte dans cette bibliothèque qui veillait en t’attendant car, comme souvent lorsque tu écris, sa lecture me procure une profonde émotion.

Le texte que tu nous présentes est autant une petite nouvelle qu’un poème. Nouvelle car il est écrit comme un récit, poème par le ton qu’il emploie.

Bien-sûr, il y a du vent, de l’eau, la voile…. Mais cela n’est pas suffisant à rendre ce texte attractif à mes yeux.
Il m’émeut surtout par la force des émotions qu’il véhicule.

En lisant ce texte, j’ai eu une première lecture littérale : « Il » navigue sur des eaux cernées de berges noires dans un espace fini, trop petit sans doute, et ne reçoit que la pluie alors qu’il attend l’orage et le tonnerre et rêve de voler vers la lune. Il veut la force et la colère ainsi qu’un monde sans limite mais il n’est même pas sûr d’avoir froid, il n’agit pas, il laisse le bateau dériver. En désespoir de cause, il se replie sur lui-même, trempé. C’est replié sur lui-même qu’il tremble et a froid, que le monde l’atteint.

Ceci était ma première lecture. Puis, en le relisant, une deuxième lecture s’est imposée : « Il » est dans sa chambre et rêve, ses rêves l’emmènent naviguer au-delà des eaux dans la force de l’orage, image d’une vie souhaitée. Mais il ne voit que la pluie tomber, cette pluie qui ne le touche pas et lui, perdu, le rasoir à la main, est prêt à s’entailler les veines.

Citation :: L’esquif touche le rivage, s’enfonce dans la vase, il se réveille. Le monde ne titube plus, et pourtant il sent encore son cœur manquer des battements et gronder irrégulièrement dans ses veines.

C’est là, qu’il passe le pas, et la blessure le réveille au monde.

Citation :: Il a froid. Son corps se courbe. Il s’assied par terre en resserrant ses bras contre son corps. La houle lui revient, dans des frissons convulsifs. Elle a quitté l’eau pour ébranler son corps. C’est lui qui tangue, au fond d’un vide. C’est lui qui dérive, au fond de rien. Ses paupières bleues se ferment.

Il a froid.

Le froid de la mort.

On m'avait parlé de toi. J'ai voulu en voir plus. Et que de mieux pour cela que de lire un de tes poèmes.
Tu écris vraiment bien: tu joins l'émotion à la belle écriture.
Je suis un peu crevée et juste au dessus d'un bowling qui diffuse de la musique à fond alors un commentaire plus développée ça sera pour plus tard, notamment sur le fond et le sens( et encore c'est un avis de novice)
Ce que je sais juste c'est que j'ai été transporté , j'ai eu une boule au ventre. Il y a une histoire et du sentiment en même temps. ca ressemble en quelque sorte à une nouvelle mais aussi tellement un poème avec son caractère intemporel et intouchable dans le sens où on ne capte pas tout le sens mais que ça nous touche, nous fait écho sans savoir pourquoi.