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| Lettre à Pierre | |
| | Auteur | Message |
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Tr0n
Nombre de messages : 3306 Age : 44 Date d'inscription : 13/03/2008
Personnages RP Pseudo: Sucedebout Pseudo : Grocube Pseudo : Tron
| Sujet: Lettre à Pierre Lun 20 Juil - 16:29 | |
| Bonjour.
Je m'appelle Naïma. J'aime beaucoup mon petit papa moustachu comme les gendarmes des années soixante dix. Il est beau mon petit papa, c'est le plus beau des papa. J'aime beaucoup ma petite maman à la peau mat et l'ascendance musulmane. Elle est belle ma petite maman. J'aime beaucoup mes deux grands frères qui me protègent dans la rue.
La France, Terre d'accueil de ma famille pendant les trente glorieuses. Nous vivions dans une grande tour dans la proche banlieue parisienne. Tu te rappelles la mer où l'on gambadait quand on avait dix ans ? La maison de tante Jasmine à côté de la palmeraie ? Tu te souviens cette cicatrice, à la vie à la mort ? Nous étions si jeune... Et puis nous avons rejoint les exilés lors de la guerre, fuyant... Il y eut Alicante, Montpellier, Paris. J'avais cru t'avoir perdu toutes ces années. Le café jaune à l'angle de la rue Lampoie et le boulevard Clémenceau, quand tu m'as dit je t'aime avec la fougue d'un jeune homme prêt à dévorer la vie. J'y ai longtemps cru. Tu as bien réussi ta vie : mécanicien pour Renault, le fleuron de l'industrie française. Tu travaillais tard le soir pour satisfaire les gentils français et à la nuit tombée nous nous retrouvions en bas de l'immeuble. Nous avions vingt ans. Tu te souviens ? Des projets, un avenir radieux, refaire le monde dans le jardin d'enfant, la balançoire. Fils de pieds noir, fille de Harkis. Nous avions échappé à la mort là bas préférant la valise au cercueil promis par le FLN, les jouets de l'Histoire de ce foutu De Gaulle. Mais la politique nous nous en fichions. Le camp de Rivesalte quand ma famille est parti vers Paris et la tienne vers Toulouse. Quelle chance de s'être retrouvée une fois.
Cette vie... La nôtre... La tienne.
Nos grands projets parisiens.
Et j'ai disparu.
La peur au ventre, le ventre en pleurs. J'ai disparu. Maman l'a su avant toi. Maman jamais n'aurait du le savoir. Ni ma tante, ni la cousine Hanna, ni la grand mère, ni toutes ces sorcières. Ça fera 5 ans demain. Tu as hurlé plusieurs fois à la porte et mon père t'a jeté comme une chaussure. Tu as crié à ma fenêtre du cinquième étage, téléphoné cent fois, mille fois mais la porte de ma chambre fût fermée par maman. Les paroles dures de mon papa, je les entends encore... Des mensonges. J'ai pleuré, gémis, j'ai voulu m'enfuir au bord de la folie. L'hystérie de l'injustice de pratiques horribles. Je les aime tous mais je les hais. Aujourd'hui maintenant que je suis libre je peux te le dire. Pierre : je t'aime de tout mon cœur. J'attendais une petite fille mais elles n'ont pas voulu. J'attendais une petite fille et elles l'ont tuée. J'attendais une petite fille d'un pied noir, déshonneur familial en ces temps où notre communauté, persécutée. L'horreur, le sang, ce cintre... Ce maudit cintre.
C'est la nuit où tu m'avais donné rendez vous à Montreuil. C'est la nuit où tu allais te déclarer. Sonia m'avait dit pour la bague achetée place Vendôme en dépensant plusieurs milliers de francs. C'est cette nuit où cinq, elles furent là à détruire mon corps, mon cœur, ton sang, notre vie. Jamais je n'oublierais, jamais ensuite je n'ai osé te retrouver, te revoir, te parler, sortir. Mais, au fond de moi, je n'ai cessé de penser à toi. Souvent la nuit l'angoisse me réveille car tu es là, froid devant mon lit. D'un index inquisiteur, tu juges de mon comportement, de mon abandon en vociférant contre quelque chose que tu ne comprends pas. Puis tu cours vers mon père pour l'étrangler. Chaque nuit c'est le même cauchemar, chaque nuit je revis cette douleur où attachée à mon propre lit, le sang s'écoule sur mes jambes, les autres femmes prenant un soin ironique à s'occuper de ma santé. Mes yeux gueulent à l'assassin sans qu'aucun mot ne sorte. Le hoquet de la souffrance et de l'incompréhension. Je sais que je rêve, je sais que tu ne m'as pas attendu, je ne veux pas t'inspirer de la pitié. Aujourd'hui j'arrive enfin à prendre un stylo pour te le dire Pierre. Aujourd'hui enfin j'arrive à revoir la lumière du soleil. J'ai mal, j'ai mal à en mourir. J'ai mal d'être née là-bas, d'avoir cette petite maman et ce petit papa. J'ai mal d'être le jouet de ma famille, de n'être qu'une extension de la volonté parentale. J'ai mal d'avoir cru en une liberté que nous n'aurons jamais.
Sache juste que depuis nos dix ans, je t'aime.
Je les aimais tous, beaucoup. Jusqu'à ce jour.
Si tu lis ces mots c'est que ma mère a bien voulu respecter mes dernières volontés. Je repose désormais au cimetière d'Oran.
A toi mon Pierre Ta naïma. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Lun 20 Juil - 19:24 | |
| Tu as de la concurrence, je viens de poser L'insoutenable légèreté de l'être sur mon bureau pour lire ton texte! Faire une critique de ce que tu as écrit, j'en suis parfaitement incapable. Néanmoins je peux te témoigner pelle-mêle quelques ressentis confus qui me sont venus au fur et à mesure de la lecture du texte. Premier souvenir du texte..son style. On sent évidemment que tu es très très à l'aise avec la langue que tu utilises, que tu n'es plus du tout dans la recherche des mots compliqués ou de l'élimination des répétitions..Bref, tu as indéniablement l'aisance nécessaire d'un véritable auteur. Néanmoins, le texte ne m'a pas constamment frappé, le style en lui-même n'a pas su me tenir en haleine à chaque instant. S'il s'agissait d'un combat de boxe, tes punchs auraient été la plupart du temps corrects mais pas imparables, ponctués cependant parfois de quelques crochets mémorables. Je pense par exemple à cette petite phrase - Citation :
J'ai mal d'être le jouet de ma famille, de n'être qu'une extension de la volonté parentale . Elle me fait furieusement penser à un passage d'un bouquin de Milan Kundera justement (on n'échappe pas à ses lectures): Tereza se lamente de n'être que la continuité d'un geste, le geste de sa mère, et se compare à une boule de billard propulsée dans l'avenir par le geste rancunier et haineux de ses parents. L'auteur brode sur la métaphore pendant une demie-page (petit format)..C'est sublime. Sans t'inciter au plagiat, j'aurais vraiment aimé voir ton aisance et ton cynisme au service d'une aussi belle image. Maintenant, le deuxième sentiment, bien moins positif cette fois: l'incohérence. Evidemment, je comprends qu'on puisse recherche un fond puissant à travers des idées complexes, ou encore qu'on garde tout au long d'un texte un peu de flou afin de rendre la chute gigantesque. Mais ici, je n'en vois pas l'intérêt. En effet, le propos est décousu, le style employé par la narratrice n'a aucune continuité et enchaîne les naïvetés du premier paragraphe avec le brutal réalisme de la fin du texte...Mais d'une phrase à l'autre, j'ai trouvé ça plus désagréable que surprenant. Même si évidemment j'aurais pu apprécier une lente montée en clairvoyance et en haine du personnage au fur et à mesure...Ce à quoi tu as préféré un chaos total; un choix légitime mais ici mal exprimé à mon goût. Enfin, il y a cette espèce de téléologie perçue assez rapidement et qui nous conduit sans surprise vers la mort du personnage. Attendue, elle n'est sans aucune surprise et c'est presque avec lassitude que j'ai lu les dernières lignes du texte, qui me sont plus apparues comme un effet de style un peu collégien qu'un vrai choc. J'aurais préféré...soit que tu gardes plus longtemps l'énigme de Naïma et que tu prépares ces dernières lignes de façon à être une brutale révélation...soit que tu essayes autre chose. Ce mélange de cynisme et de mièvrerie aurait pu être explosif et, sous ta plume, le thème choisi aurait pu être brillamment traité. Mais je le ressens comme un entre-deux étrange et finalement assez loin de toi. Je pense sincèrement que tu as tous les outils pour être un brillant auteur, du cynisme à l'originalité en passant par la richesse de la langue. Mais si tu n'exploites pas ces qualités en créant une histoire véritablement originale dans laquelle tu flingues ce que tu décris grâce à un style superbe, ou que tu gâtes ton talent en rendant ton récit flou et sans trop de sens, tu risques de laisser pourrir une grande qualité.
Dernière édition par Plumo le Lun 20 Juil - 21:50, édité 1 fois |
| | | Tr0n
Nombre de messages : 3306 Age : 44 Date d'inscription : 13/03/2008
Personnages RP Pseudo: Sucedebout Pseudo : Grocube Pseudo : Tron
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Lun 20 Juil - 20:04 | |
| J'vais voir ce que je peux faire. Ca reste une ébauche pour le moment : j'ai le thème, l'idée philosophique, et la mélange naïveté barbarie. Mon souci, toujours le même, l'envie de montrer avant d'avoir fini, résultat j'ai encore du brouillon qui va pourrir sur ma clé USB parmis les centaines de textes qu'il faut que je termine et retravaille. Merci de ton commentaire. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Lun 20 Juil - 22:14 | |
| Ah! Si seulement je pouvais avoir la réponse à ça....Ceci dit, ton dilemme me rappelle une interview de Paul Auster sur Arte. Son expérience prévaut de loin sur la mienne et je trouve sa phrase en rapport direct avec ton problème. - Paul Auster a écrit:
- S'il fallait résumer l'écriture d'un roman à un sport, ce serait la course de fond, certainement pas le sprint.
Et moi qui croyait naïvement qu'écrire, c'était être libre...Owned. |
| | | dale cooper
Nombre de messages : 7649 Age : 46 Date d'inscription : 08/09/2008
Personnages RP Pseudo: Pseudo : ▲ Pseudo :
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Mar 21 Juil - 0:25 | |
| Ah oui ... ben moi je pourrai pas faire de comparaison avec de grands auteurs ou des lettrés connus (vu que j'en lis pas !); j'en irai donc de mon seul ressenti (comme à chaque fois !).
En effet ce mélange naïveté-barbarie s'opère assez facilement, si ce n'est peut être au tout début puis à la fin, avec cette intro au sujet de son petit papa et de sa petite maman, même si l'idée est reprise à la fin dans un écho qui n'a pas tout à fait l'impact escompté. En fait je pense que la construction est trop "construite" justement, l'intention dépasse la forme et l'esprit du personnage.
De même pour l'effet final, qui s'il se conclue élégamment par une "chute", est un peu rogné par cette dissonance naïveté / barbarie, qui n'a plus lieu d'être une fois tous les éléments en mains, la brutalité sociale, culturelle, cultuelle ou historique, l'ayant définitivement emporté sur la fraîcheur d'un aveu enfantin.
Je rajouterai aussi que je suis un peu mitigé quant à la chute en question, ne sachant pas si elle a trouvé son destinataire ou si elle a fini brûlée par une dernière décision familiale.
Sinon c'ets super bien écrit et j'ai trouvé ça cool ! (bah oui ! au moins avec des mots simples on se fait pas de fausses idées sur mon opinion !!) | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Mar 21 Juil - 0:54 | |
| - dvb a écrit:
- Sinon c'ets super bien écrit et j'ai trouvé ça cool !
(bah oui ! au moins avec des mots simples on se fait pas de fausses idées sur mon opinion !!) Absolument. I agree, sans ironie quelconque. |
| | | Tr0n
Nombre de messages : 3306 Age : 44 Date d'inscription : 13/03/2008
Personnages RP Pseudo: Sucedebout Pseudo : Grocube Pseudo : Tron
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Lun 27 Juil - 11:28 | |
| - Citation :
- Et moi qui croyait naïvement qu'écrire, c'était être libre...Owned. Pleure
L'écriture est une passion mais avant tout un travail intellectuel.
Travailler pour être libre ?
Des balivernes de notre éducation dans un monde d'esclaves.
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| | | dale cooper
Nombre de messages : 7649 Age : 46 Date d'inscription : 08/09/2008
Personnages RP Pseudo: Pseudo : ▲ Pseudo :
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Lun 27 Juil - 11:34 | |
| - Citation :
Travailler pour être libre ?
Des balivernes de notre éducation dans un monde d'esclaves.
Je pense que le concept a déjà bien vécu, il est pas vraiment nouveau ... | |
| | | Tr0n
Nombre de messages : 3306 Age : 44 Date d'inscription : 13/03/2008
Personnages RP Pseudo: Sucedebout Pseudo : Grocube Pseudo : Tron
| Sujet: Re: Lettre à Pierre Lun 27 Juil - 11:45 | |
| Entre autre.
Mais pas forcément le travail en tant que réussite professionnelle. Le moindre travail est pour moi : une prison potentielle. Écrire en fait donc entièrement partie, au même titre que créer c'est le même principe que soulever un parpaing. La société classe les hommes et noie le poisson. Mais créer ce n'est pas plus difficile que de faire de la maçonnerie; tout du moins, pour moi. Raison pour laquelle je vous maintiens qu'écrire bien ce n'est qu'une question de travail. Il n'y a pas de talents naturels : il y a des sensibilités différentes.
Si tu savais le nombre d'artistes qui ont été prisonnier de leurs folies...
C'est la pire des prisons. | |
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