Vendredi 28 Bruyère an XLII
Faubourg de St DvblingLe Lieutenant Kerviel goûtait à quelques jours de congés bien mérités. Il jouissait de la tiédeur automnale des derniers rayons d'étoile, adossé sur l'une des collines surplombant la belle cité de St Dvbling. Il y avait une propriété coquète où il aimait passer ses jours de vacances en compagnie de son petit chien Spawny et de sa fiancée Eskèle.
« On est bien hein ?
- Quoi ?! Qu'est-ce que tu dis ?
- Je dis « on est bien hein ? »
- Ah oui ! Rho dégage sale bête ! Kervy ?! Ton chien mosh me met plein de poils partout !!
- Spawny ?! Viens là mon chien ! Oh oui ! Ça c'est un bon chien ça ! Regarde ! Va chercher ! Il est où le caillou ? Hop ! Va chercher !
- Mais tu vois bien qu'il voit rien ton chien ! Il a plein de poils sur les yeux ! Je t'ai déjà dit qu'il faudrait lui mettre quelque chose sur la tête pour faire tenir tout ça.
- Ah oui... On est bien hein ?
- Je sais pas moi ! Mets lui un slip sur la tête. Pour lui tenir ses cheveux !
- Hein ?
- Tu sais, un de tes grands slips mosh... »
Kerviel ne voulait pas se donner la peine de répondre. Il ne savait pas trop où Eskèle voulait en venir. Est-ce qu'elle trouvait ses slips moches ? Eskèle avait-elle vraiment dit ça ? Est-ce qu'Eskèle préférait les caleçons ?
Le chien Spawny finit par se rouler lui aussi dans l'herbe, ne comprenant pas pourquoi son maître faisait de grands gestes pour attraper les étoiles avec sa main et encore moins pourquoi il lui demandait de faire une recherche sur Kayhoo.
Le lieutenant posa sa tête sur ses mains et mit ses mains derrière la tête pour les poser sur la colline.
Eskèle soupirait classieusement derrière lui en s'ébrouant pour se départir des poils de chien. Elle était si douce et si gentille et si...
Une trainée orange zébra le ciel assombri de ce début de soirée. Bientôt un crissement tonitruant déchira toute l'atmosphère au-dessus de lui. La colline trembla sous ses mains et sa tête vibra dans ses mains. Une vive lumière émanait de l'extrémité de l'arc de feu.
« Branle bas !! ALERTE ALERTE !!! Prévenez le commandement ! Corps étranger dans la ionosphère !! Tous à vos postes »
Mais très vite le lieutenant s'aperçut que le bruit strident dans ses oreilles n'était pas le signal d'alarme de son vaisseau le « Carla », mais la voix haut perchée de sa fiancée en train de s'époumoner devant le spectacle inquiétant d'un spationef dans sa phase d'atterrissage.
« Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce je fais ? Est-ce que je dois appeler ma maman ? Est-ce que c'est la fin du monde ? Hiiiiiiiiii!
- Eskèle ! Est-ce que tu peux te calmer Eskèle ?!!
- Oui mon choubidou ! Je reste calme mon doudou d'amour ! Qu'est-ce qu'on fait ?
- Toi tu restes là et tu te calfeutres en arrière base dans le poste d'observation !
- Hein ?
- Tu vas dans la maisonnette, tu regardes par la fenêtre et en cas de problème tu appelles le Président.
- Mais j'ai pas son numéro ...
- Euh…
- Ah par contre Papa connait le Chef de l'Insécurité.
- Ca fera l'affaire... Pendant ce temps moi et le première classe Spawny on rejoint le théâtre des opérations et on étudie les options qui s'offrent à nous.
- Tu fais attention mon canard !!
- Oui ! Maintenant disposez ! Vous avez vos ordres ! »
Un peu plus tard, en bas de la colline carbonisée.
Le vaisseau d'exploration avait atterri un peu de travers, ce qui fait qu'il penchait par rapport au plan de l'écliptique, mais aussi, et c'était plus grave, par rapport au sol de la planète. De fait, l'écoutille principale ne put s'ouvrir complètement, et les habitants du vaisseau durent se contorsionner maladroitement pour en sortir. Heureusement que leurs nombreux appendices musclés et surnuméraires leur permettaient ce genre de prouesses.
Le Capitark Geignarx glissa jusqu'en bas de la passerelle pour poser un premier pied sur le sol herbeux.
« C'est une petite glissade pour l'heptamembré, mais c'est une grande glissade pour Kobaia », déclara-t-il, respectant à la lettre le protocole imposé par le Code d'Exploration Exoplanétaire, le CoDexEx.
Il allait entonner les formalités de baptême de la nouvelle planète lorsqu'il s'aperçut qu'une créature semblait l'observer.
Il l'avait tout d'abord pris pour un rocher. Puis, lorsque celui-ci bougea une première fois, il le prit pour un rocher couvert de lichen. Enfin lorsque celui-ci émit une sorte de vagissement gluant il cru à un heptuple malaise cardiaque. Puis lorsqu'il entendit une voix lui parler, il fut rassuré : il ne devait s'agir que d'une hallucination due à un élément toxique présent dans l'atmosphère.
Cependant il dut se rendre à l'évidence : un être vivant de plus ou moins petite taille et très velu tentait de communiquer avec lui par le biais d'un genre d'arbre à deux branches fixé juste à côté de lui.
Il s'approcha de l'être arrivé d'ici.
« Salut petit être poilu ! Je suis Geignarx et je viens de Kobaia ! Tu occupes cette planète de façon permanente ou tu t'en sers juste comme relais ? »
L'extrakobaïen ouvrit une petite cavité noire et en sortit un appendice rose. En observant le petit tentacule s'agiter régulièrement, Geignarx pensa qu'il s'agissait peut être d'une créature cousine de son espèce. Il tendit alors un de ses propres pédoncules en imitant le mouvement de l'être hirsute.
Celui-ci le chatouilla avec son microtentacule humide. Le contact était chaleureux et rigolo. Ca le chatouilla un peu.
« BALEPA DEDE MOSH HYEIN »
Geignardx était surpris, il n'avait pas vu le petit poilu agiter de membres pour parler. Puis il regarda l'espèce de végétal dressé, et comprit que les sons transitaient par ce truchement. Une des branches se terminait par une sorte de nœud, semi-organique, semi-métallique.
« BOUJ GEPA ! OUJ ETIR ! »
« Oujpa aussi l'ami ! Je suis Geignarx et je...
- Alors Doudou ? C'est qui cette espèce de poulpe orange ? Il reste dîner ou il repart de suite ? »
Un deuxième arbre dévalait la colline à sa rencontre. L'être poilu s'affaissa d'un côté toujours en faisant trembloter son minuscule bras. Le premier arbre se mut également et s'adressa au nouveau venu.
« Chérie !!!! Je t'avais dit de rester en haut ! C'est moi le représentant des dvbiens ici ! »
Puis se retournant vers Geignarx il continua :
« Bon ben restez pas là ! Venez ! C'est l'heure de manger »
« Que la Nature est surprenante », pensa Gneignarx en observant, attendri, les trois habitants de la planète remontant vers le sommet de la colline. Ils se dirigeaient vers une cabine bizarre, peut être un habitat, et il se mit en quête de les suivre. Il fit signe aux autres kobïens restés coincés dans l'interstice entre le sas et la passerelle de le suivre quand ils en auraient fini de se dépêtrer.
Une fois entré dans le logement des individus, on lui présenta des denrées alimentaires servies sur des plaques circulaires blanchâtres.
« POP !! »Le bruit d'un projectile lancé à haute vélocité fit paniquer instantanément le kobaïen. Les sept membres flageolants, Geignarx cru voir venir son dernier instant. Puis ses hôtes lui servirent un liquide doré dans un petit récipient oblong et transparent.
« Ca vous plait le mousseux d'importation ? C'est ce qui se fait de mieux par chez nous ! Ca et les petits fours présidentiels bien sûr ... »
Geignarx lança une demie sizaine et demie d'yeux vers le liquide encore frémissant. Il semblait bouillir à température ambiante... étrange. Il planta une baguette de test dans le petit récipient pour procéder à un rapide relevé chromatographique. La substance semblait principalement composée d'eau et d'un sucre complexe ainsi qu'un peu de gaz carbonique. Ca n'avait pas l'air outrageusement toxique. Geignarx le vida d'une traite, faisant l'admiration des deux plus grands extrakobaïens, le troisième, petit et velu, se roula en boule dans un coin de la pièce.
« Que le grand Zeuhl soit sept fois bénis !! C'est suppa trendy ton breuvage !!! »
Devant l'engouement du gros invité orange, Kervy et Eskèle le resservir généreusement. Au bout de trois bouteilles, le comportement dudit invité commença cependant à se modifier pour tendre vers un état d'apathie aphasique.
L'alcool versé dans l'organisme du Kobaien n'étant pas adapté à sa physiologie, Geignarx se liquéfia littéralement... Il gisait désormais tel un énorme calamar échoué sur le beau tapis de la salle à manger. Des larmes de crocodiles se déversaient par hectolitres de ses yeux rougis par un chagrin incontrôlable !
« Maudits soit les quadripodes !! ma tanière me manque tant ... bouhouhouh !! »
Alors que l'être velu venu d'ici se posa à ses côtés pour lui lécher un nez, ils entonnèrent tous les deux un long pleur déchirant adressé à la vacuité de leur destinée. Ce cri de détresse parvint aux organes auditifs des autres kobaïens qui étaient finalement parvenus à s'extirper de leur capsule. Ils arrivèrent dans la maisonnée et entonnèrent un chant funèbre à la mémoire de leur guide Geignarx qui gisait là, par pur réflexe atavique. Lorsqu'ils s'aperçurent que celui-ci était bien vivant et dans un état d'ébriété avancé, ils fomentèrent un putsch sur le champ : on ne pouvait laisser un tel poivrot diriger la mission. Ainsi il fut reconduit au vaisseau spatial par ses compatriotes qui décidèrent de se placer eux même en septantaine jusqu'à ce que Geignarx ait recouvré la raison et qu'il rende un rapport détaillé mais néanmoins accablant sur les us et coutumes de ses tortionnaires.
Concomitamment, l'officier Kerviel, un peu mis à mal dans ses projets de vacances romantiques, décida de prévenir le bureau de la Présidence, afin qu'elle prenne le relais dans le protocole de tractation avec la race étrangère.
En entendant les mots «xénopsychologie », « responsabilité des relations galactiques » et « Officier Kerviel », le directeur de l'Insécurité eut un haut le cœur. Il vérifia son emploi du temps et s'aperçut avec bonheur qu'il avait piscine ce soir là. Il fut donc fort aise de refiler le dossier dit « des représentants extraterrestres bizarres à sept branches » à qui de droit, savoir Le Président Magnanime lui-même.
Quelques heures plus tard, et en suivant à la lettre un protocole rédigé au pied levé par les plus grands spécialistes des réceptions mondaines, un grand chapiteau fut monté à quelques dizaine de mètres du site d'atterrissage où bringuebalait fièrement la navette étrangère. Les couleurs avaient été choisies pour leurs tons pacifistes, joyeux et commerciaux. Ainsi les représentants de cette délégation plénipotentiaire devraient se sentir accueillis chaleureusement par le gouvernement dvblinguien. Un orchestre attendait patiemment que le maître de cérémonie ouvre la « cession interplanétaire fraternelle ». Les journalistes avaient été parqués dans un carré médiatique, juste à côté du carré VIP. On installa rapidement la tribune du Président Dvboring² afin qu'il puisse prononcer son élocution de bienvenue face au sas de débarquement des invités spatiaux.
Le chef de l'Insécurité observa tout ça de loin, accoudé à une table haute, sirotant un cocktail de fruits et légumes diététique dans la salle de détente de la piscine municipale.
Les Kobaïens furent soudainement réveillés par le bruit de l'orchestre. A cause de toute l'agitation qui avait précédée, et ne sachant trop quoi faire dans l'immédiat, ils avaient décidé de prendre leur quart de sommeil, la nuit étant parait-il bonne conseillère, les réponses viendraient à leur réveil le lendemain.
Engoncés dans leurs pyjamas et quelque peu embués par ce réveil brutal, ils rampèrent jusqu'à l'extérieur où ils découvrirent une forêt de petits êtres non poilus alignés sur des estrades. Certains avaient des touffes jaunes en leur sommet, d'autres des noires, d'autres pas touffus du tout. Juste devant le sas de débarquement se tenait une de ces créatures aux petits yeux brillants et au sourire aussi blanc qu'un heptaptère albinos.
Le gnome grandiloquent entama alors une longue complainte :
« Très chers compatriotes de la Galaxie, soyez les bienvenus à Saint Dvbling !! Nous espérons que votre voyage s'est bien passé et que votre séjour parmi nous se déroulera sans encombre. Afin que nos deux peuples apprennent à mieux se connaître, à mieux travailler plus et à mieux gagner ensemble, nous vous offrons ce gage de bienvenue : ce magnifique ordinateur qui contient tous les mots de notre vocabulaire, ainsi qu'un lot de « dictées magiques » pour vous aider à apprendre la langue !! Nous serons très heureux de vous faire visiter nos infrastructures civiles et culturelles lors de votre séjour. Soyez sans crainte quant à nos intentions, nous avons toujours su accueillir les opportunités sous quelque forme qu'elles se présentent, eussent-elles sept bras et jambes en place de nos mains et pieds !! Mais trêve de bavardage chers amis de l'Infini et de l'au-delà ! Je suis sûr que ce long voyage vous a ouvert l'appétit. Je vous invite dès lors à nous rejoindre sous le chapiteau consulaire afin de partager avec nous petits fours et mousseux d'importation !!! »
Sur ces paroles, la foule des humains rejoignit les tréteaux dressés sous le chapiteau, et se ruèrent vers les confiseries et autres amuses-bouches dont seul le Président avait le secret.
Les Kobaïens quelque peu étonnés par ce mouvement unilatéral, restèrent un instant interdits, jusqu'à ce qu'une douzaine de bipèdes souriants vinrent les chercher par les pseudopodes pour les emmener vers leurs réserves de nourriture et de boisson frémissante. Geignarx reconnu le bruit distinctif des « POP » annonciateurs de bulles délicieuses et de révélations spirituelles. Il encouragea dès lors les siens à se rendre vers le buffet.
La créature à la touffe frisotante qui venait de parler au nom de son peuple s'approcha alors de lui et lui glissa une liasse de documents dans le membre exclu de la parité :
« A propos d'importation... je vous ai préparé un petit contrat d'exclusivité quant à la fourniture de nos biens manufacturés. Nous serions heureux de vous échanger nos petits fours et missiles de croisière galactiquement reconnus contre des caisses de mousseux de votre monde d'origine. Je vous laisse jeter un coup d'œil, puis nous verrons cela tout à l'heure. En attendant, place au buffet !!! »
Merci à Spawny et à la Dictée Magique ^^