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| Le Voleur | |
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Cordelia Melicerte
Nombre de messages : 2068 Age : 34 Localisation : Complètement à l'ouest, sous les épines d'un hérisson Date d'inscription : 12/10/2009
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| Sujet: Le Voleur Sam 27 Mar - 17:14 | |
| - Spoiler:
Pour les commentaires, c'est ici. Bonne lecture !
Ma mère... ma mère m'a donné ma masse, ma chair. Petite boule informe, de rose et de blanc mêlés ; lovée dans l'ombre de son sein. De sa matrice douce et chaude, j'ai volé un peu de l'attention tendre qu'elle me portait. Je m'en suis fait des oreilles. Mon premier emprunt, mon premier rapport au monde : j'entendais. Grâce au corps de ma mère je fis connaissance avec les bruits de la vie : la pulsation sourde de ses veines et celle plus lente de sa respiration ; la voix grave de mon père ; les mélodies de la maison, de son parquet, de ses réseaux d'eau ; l'agitation de la rue. Et d'autres encore. Mon corps a trouvé sa forme sous la contrainte, celle de l'utérus de ma mère, fermement décidé à m'expulser hors de lui. Contractions. Ondulations. Larmes, sueur et cris. Hargne à me mettre au monde. Mon corps a été modelé par chacun de ces mouvements de rejet. Et moi je m'agrippais. Tant et si bien qu'il m'a fallut voler à nouveau : du vagin de ma mère, je me suis fait des mains. Mes ongles ont raclé sa chair, terrorisés à l'idée de devoir quitter ce havre chantant. Puis, quand la sortie me parut inévitable, mes mains ont esquissé une caresse déçue et je suis venu au monde. Je n'ai pas crié. Je n'avais pas encore de bouche. | |
| | | Cordelia Melicerte
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| Sujet: Re: Le Voleur Jeu 28 Avr - 20:56 | |
| Mon père avait les plus beaux yeux qu'il m'a été donné de voir jusque là : profonds, sages et, surtout, d'un marron ambré presque jaune qui me fascinait. Je les voulais. Il fallait à tout prix que je me les approprie, pour élargir ma perception du monde dans lequel je venais d'être projeté. Ce fut ma première obsession et elle dura longtemps.
Au fil des années, mon talent se précisa. Je gagnai en sensibilité, mon désir de complétude se doubla d'une puissante attirance d'esthète : je voulais – j'obtenais ! – pour mon corps les plus beaux morceaux et rien de moins. De tous les trésors convoités, seuls les yeux de mon père échappaient toutefois à ma convoitise. Il faut dire que la situation était plutôt nouvelle pour moi : contrairement à ma mère, mon père n'entrait que peu en contact avec moi. Il était cette figure lointaine et bienveillante – quoi qu'un peu effrayée – qui se posait comme une bouée de repère dans le nouveau monde. Afin de m'approprier ses yeux magnifiques, il me fallait d'abord briser la distance que mon père avait placée entre nous, mû par la peur un peu sauvage de ne pas être un bon parent. Je décidai donc de ne rien précipiter : certains trésors ne se méritent qu'après un long cheminement. Je n'avais pas encore les armes nécessaires pour toucher le cœur de mon père et lui dérober ses yeux. Il me fallait un plan.
Je suis particulièrement fier de la manière dont j'ai acquis ma bouche. C'était le premier morceau dont je menais le vol de manière consciente et réfléchie, et non pas simplement sous le coup de l'instinct comme je pouvais opérer auparavant dans le ventre maternel. Ma bouche, je l'ai prise à un garçon de mon âge. Mon premier baiser. Mon premier mensonge. Ma première manipulation de l'autre. Et je me suis vite rendu compte que j'excellais dans cet art. Ma faim de posséder l'autre était – et est toujours – tellement violente, qu'il m'est facile de déchiffrer les errances de vos regards et de jouer avec vos peurs. J'arrive toujours à mes fins.
Léo était avec moi à la crèche. Léo à la bouche si rouge et si bavarde. C'était un grand joyeux, toujours à babiller pour un oui ou pour un non. Ses lèvres charnues, le plus souvent brillantes de salive, claquaient régulièrement des baisers mouillés dans l'air. Elles étaient de celles qui donnent envie de mordre dedans pour en faire gicler le sang. Et je les ai eues si aisément.
Faute de bouche, mes premières années de vie se sont passées dans le silence. Mon mutisme effrayait la plupart des personnes qui m'entouraient, doublé qu'il était d'un regard sans yeux, perdu dans on ne sait quel brouillard aveugle. J'étais, on peut le dire, un enfant pour le moins limité. Mais j'avais mes mains, arrachées du sexe de ma mère : on en fait difficilement des plus douces et convaincantes. C'est grâce à elles que j'ai volé un baiser à Léo – et sa bouche en même temps. En les laissant se promener tout autour de moi, j'arrivais à tirer de mes mains un récit passionnant du monde qui m'entourait. Je passais donc le plus clair de mon temps à toucher objets, sol et gens. Et il arriva un jour où, de manière bien entendu totalement fortuite, ma main gauche se posa sur la jambe grassouillette de Léo. Ce fut un geste d'une tendresse infinie. Et en retirant mes doigts, je créai chez lui un manque aussi immense.
J'entretins la dépendance pendant près d'une semaine : chaque jour, je venais le caresser quelques secondes à peine, mais de manière de plus en plus insistante. Sensuelle. Faisant grimper avec doigté la tension entre Léo et moi. Puis je m'arrêtai subitement. Trois jours durant je m'évertuai à ignorer mon nouveau camarade de jeu. Mon absence de caresse fut d'autant plus difficile à supporter pour lui que je m'étais tourné vers un autre bambin aux beaux cheveux blonds, avec lesquels je jouais de manière ostentatoire afin d'attiser le désir de Léo. Lorsque je revins finalement vers lui, arrivant dans son dos et touchant par surprise son bras, il hoqueta sous le coup d'un plaisir violent et se tut, la respiration courte, en attente de mes gestes. Je me mis face à lui et l'embrassai, mes mains sur ses épaules. Puis je le poussai de toutes mes forces et partis en courant, riant pour la première fois de ma vie. J'avais arraché sa bouche et sa confiance d'un même geste. C'est en cela que mes vols sont magnifiques : il s'agit de hauts faits de trahison relationnelle. En même temps que leur chair, je leur vole leur foi en l'espèce humaine.
Et cela m'emplissait de joie.
J'avais maintenant une bouche. Ne sous-estimez jamais le pouvoir de la parole : les yeux de mon père allaient devenir miens. | |
| | | Cordelia Melicerte
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| Sujet: Re: Le Voleur Jeu 28 Avr - 20:57 | |
| Le printemps est une magnifique saison pour apprendre à voir : il y a dans l'air une frénésie du renouveau sublimée par la lumière riche et colorée des beaux jours. Personne ne sait résister au printemps, mon père pas plus qu'un autre. Ému par la grâce printanière, il baissait chaque année pendant quelques mois les barrières qui le protégeaient des autres et se laissait toucher par l'amour. Mon père aurait pu être un créateur d'exception, s'il n'avait pas eu un besoin si pressant de se protéger. D'où lui venait cette peur de l'autre ? Je ne l'ai jamais su. Mais je peux vous assurer que ce que je lui fis ce printemps là ne l'aida en rien à aller mieux.
Je suis, à ma manière avide et tordue, un véritable artiste. Et ce jour là, je peins pour mon père le plus splendide des pièges. Imaginez : sur l'herbe grasse perlée d'émeraudes, au pied d'un immense cerisier, l'on a posé un tapis de frêles fleurs violettes. Au cœur du parterre, un enfant rose et dodu rit à gorge déployée, surpris de trouver l'herbe si douce. À quelques mètres, son père l'observe. À chaque éclat de rire, son regard sévère s'attendrit un peu plus. Puis vient l'instant de rupture : l'enfant se tourne vers le père en lui tendant les bras. Sa touchante bouche rouge s'entrouvre, hésite... et prononce son tout premier mot :
Papa ?
Le reste fut d'une facilité déconcertante. Mon père s'approcha en tremblant et me serra contre lui avec force. De grosses larmes mouillaient mon petit corps d'enfant : je remontai jusqu'à leur source et, tout sourire, arriva au visage en pleurs. Lorsque mes mains se retirèrent, chacune d'elle tenait, serré dans son poing, l'un des yeux d'ambre de mon père.
J'étais un virtuose. | |
| | | Cordelia Melicerte
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| Sujet: Re: Le Voleur Jeu 28 Avr - 20:57 | |
| J'obtins mes jambes et mes pieds vers l'âge de sept ans, un peu par hasard. Je jouais de temps à autres avec ma voisine, une fillette fade qui me distrayait par sa bêtise. Elle s'était curieusement entichée de moi, sans que je n'aie aucun effort à faire pour cela et me suivait comme un chien suit son maître, constamment en demande d'attention. Elle ne me dérangeait pas, je la laissais donc faire, lui donnant par moments des ordres plus idiots les uns que les autres. Un jour, je lui commandais de monter dans le cerisier du jardin pour m'en ramener je ne sais plus quel objet imaginaire. Comme à son habitude, ravie de me rendre service, elle se lança à la conquête de l'arbre sans se poser de questions. L'escalade était malaisée et je m'amusais de voir la peur grandir dans ses yeux tandis que je lui ordonnais encore et encore de grimper plus haut. Elle m'obéit. Jusqu'au bout. Jusqu'à la chute causée par ses gestes trop incertains. En tombant, elle se brisa les deux jambes. Je les récupérai : une manière, je crois, d'honorer sa si plaisante servitude. Il aurait été dommage que ces pieds ne servent plus à rien.
Je grandis encore. Je volais toujours plus : les longs cheveux aux larges boucles auburn d'une amie de mes parents ; les fesses fermes d'une de mes maîtresses d'école ; la ligne élancée du cou d'une vieille dame que je croisais souvent dans le bus ; la pointe d'un nez plissé à un camarade de classe ; la couleur chaude de la peau métis de la boulangère. Et mille autres détails dont je me parais comme autant de souvenirs arrachés aux personnes que je rencontrais. De chacun, j'avais pris le meilleur. Arrivé à mes quinze ans, j'avais en toute honnêteté le corps le plus magnifique qu'il n'ait jamais existé. Et le plus asexué. J'étais placé face à un dilemme presque insolvable : du sexe de l'homme ou de la femme, je ne savais lequel était le plus beau. J'avais déjà eu à plusieurs reprises l'occasion de m'emparer de l'un et de l'autre – nombreux étaient celles et ceux qui s'étaient offerts à moi – mais je n'avais pas encore réussi à faire mon choix. Je traversais ainsi à ma manière la crise identitaire qui tiraille chaque adolescent, confronté à l'impérieuse nécessité de grandir. Et je détestais ça.
Cette période fut très certainement la plus violente de ma vie. Profondément frustré par mon incomplétude et mon incapacité à avancer, je me mis à voler la chair des autres pour le simple plaisir de faire mal. J'étais un peu fou, je crois, englué dans une boulimie perpétuellement insatisfaite. Je collectionnait les organes surnuméraires et ressentais un dégoût sans nom face à mon corps de plus en plus difforme, arrachant dans des excès de rage cette chair étrangère qui m'enlaidissait.
Pourquoi ai-je mis tant de temps à trouver la solution à mon problème, alors qu'elle était si évidente ? Aujourd'hui encore je me pose la question. J'en suis venu à me dire que les crises font partie de notre développement et que sans périodes de doute ou de peur, nous ne saurions pas avancer. Quoi qu'il en soit, mon adolescence – et mon calvaire ! ont pris fin lorsque je rencontrai Jules et Mélanie. Ces jumeaux étaient inséparables et, dans les couloirs de l'internat où je faisais ma scolarité, l'on murmurait qu'il partageaient tout, même leurs amants. Je sus rapidement ce qu'il me restait à faire. Je fis courir le bruit – tout à fait véridique au demeurant – que j'étais toujours vierge et que j'hésitais encore à marcher à voile ou à vapeur. Ma crise existentielle était passée, mon corps avait retrouvé sa beauté parfaite et presque irréelle : les jumeaux tombèrent immédiatement dans le piège.
Ils m'abordèrent à une de ces soirées étudiantes, floue et brouillonne, où chacun travaille avec ardeur à repousser encore les frontières de l'imbécillité. Mélanie posa sa main sur ma hanche et Jules, placé dans mon dos, me fit boire à son verre. Nous n'échangeâmes pas un mot : nous savions ce que nous voulions. Le bassin de Mélanie ondulait contre le mien au rythme de la musique tandis que son frère me dévorait la bouche, mon menton entre ses doigts. Je n'avais rien besoin de faire. Ils me désiraient déjà bien assez. C'est étrange comme un corps bien fait vous donne accès directement au statut d'idole, jolie statue que l'on aime caresser et posséder. Sauf que je suis de ceux qui possèdent. Pas l'inverse.
Nous passâmes une nuit riche en enseignements. Je tenais à en apprendre le plus possible avant de m'emparer de leurs sexes : il s'agissait, après tout, de ma première fois ! Si mon corps incomplet étonna les jumeaux, ils n'en montrèrent rien et jouirent du reste de ma chair autant qu'il en est possible. Quand Jules fut au bord de l'orgasme, une brèche s'ouvrit en lui et je profitai de sa vulnérabilité pour me saisir son membre encore tendu de plaisir. Je pris d'assaut sa sœur, lui faisant presque violence, la pliant sous les coups répétés de ce sexe qu'elle connaissait si bien. Lorsqu'à son tour elle s'abandonna complètement, je la volai elle aussi et les laissai tous deux dans le lit défait, hagards et perdus, le corps et les yeux vides.
Je n'aurais pu être plus complet. | |
| | | Cordelia Melicerte
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| Sujet: Re: Le Voleur Jeu 28 Avr - 20:58 | |
| Les années qui ont suivi... sont étrangement mornes. Je n'ai plus osé toucher à mon corps à présent si parfait ; alors pour passer le temps, je m'amuse à briser des cœurs – voire des vies entières, parfois. C'est une tâche qui se fait vite lassante, dépourvue de la satisfaction que j'avais auparavant de m'enrichir d'une nouvelle pièce humaine. J'ai vieilli comme un mauvais vin : je suis devenu aigre, acide. Je m'ennuie de tout et petit à petit, cela a déteint sur mon corps. Ma peau est grise et part en plaques, mes cheveux se cassent, le bout de mes doigts s'effritent. Ma bouche n'est plus qu'une pâte molle sans goût. Même mes yeux ont perdu leur couleur si particulière qui faisait ma fierté.
Depuis plusieurs jours, je ne supporte pas la lumière du soleil. Il me brûle trop profondément. Je ne reconnais plus ma chair. Ce matin, mes dents ont mordu ma main gauche, de la paume jusqu'au poignet. Jusqu'au sang. Je n'avais jamais vu mon sang. Il est d'un noir d'encre, épais, bouillant. Je l'observe se déverser sur le parquet et couler entre les lattes. C'est un long, très long serpent. Je n'aurais pas cru que mon corps contenait autant de sang. | |
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