Quand je parcours les rues, je ne peux m'empêcher d'être frappé d'un fait, d'une évidence telle qu'on y prête plus la moindre attention.
Nos villes sont grandes et riches, mais chaotiques. Mille bâtiments foisonnent, mais en une disparité qui évoque davantage de titanesques fourmilières qu'une réelle communauté. Aux murs et façades, des affiches démesurées censées attirer l'œil, que nul ne regarde. Sourires figés et faciès photoshopés. Loteries dont le seul lot est l'espoir ; promesses de soleil et de futur radieux. Messieurs les capitalistes nous vendent du bonheur ! Devenons beaux, riches, intelligents, reposons-nous des semaines durant !
Rêves de gloire et de béton. Abdication des consciences. La liberté, c'est l'esclavage !
On chante l'amour, on vante ses libertés, on loue la solidarité. Ces concepts, abstraits et distants.
On donne quelques piécettes aux Restos, à Haïti, aux infirmes et aux malades. Puis on va faire le plein de Super, et on passe au Café du Peuple.
On déteste ceux qui sont contre la liberté d'expression ; ceux-là ne devraient pas avoir le droit de l'ouvrir. On s'accorde à dire qu'il faudrait sanctionner ces chauffards qui écrasent des enfants, plutôt que les honnêtes gens qui roulaient seulement un peu trop vite avec juste un verre ou deux.
On espère qu'il fera beau demain, qu'il ne pleuvra pas, et ne fera ni trop chaud, ni trop froid.
Parfois, je croise des gens de science, de ceux qui ont beaucoup lu, et peuvent vous citer les noms et dates de mille événements et personnages historiques.
Ces gens savent que datur vacuum in rerum naturax, que 'Gnothi seauton' est plein de sagesse, et surtout que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.
Ils savent que seuls les grands personnages méritent d'être cités, et que deux et deux font cinq.
Mais il est une chose qu'ils ne savent pas.
Ils ne savent pas que leurs grands poètes et écrivains, savants et législateurs, penseurs et philosophes, et même jusqu'aux stratèges et dramaturges, que tous sans exception étaient des fous, des illuminés, des rêveurs révoltés qui s'étaient trompé de temps. Que pas un ne savait marcher droit, que nul n'était respectable, qu'aucun n'était heureux.
Notre monde est régi par les immuables lois de la physique, des mathématiques et de la logique. La réalité est rigide, prévisible, et rassurante. Les vers font douze pieds, les dés ont six faces, les hommes ont dix doigts, et les livres disent vrai.
Deux suit un, et on ne divise pas par zéro.
Douce civilisation allaitée aux axiomes ! Il est encore une chose qu'il te faut apprendre.
Le Cœur du Monde, la seule vérité, c'est l'Absurde.