Plombé

plombé

Seule contre un mur, les mains dans le dos
parce que tu ne peux plus les placer sur ton visage,
avec pour simple alternative de garder les yeux clos,
soudés par le chagrin, pour ne pas voir le carnage.
Malgré le feu qui te ronge enchaînée par les poignets,
tes liens sillonnent le soyeux de ta peau.
Tu peux toujours chanter plus haut que les sommets
ta voix réveillerait le piaillement et les cris des oiseaux
pour déranger le dieu joueur qui aime tresser tes entrailles,
ou bien murmure la prière de l’enfant qui te ressemble.
Tu n’es plus qu’une ombre devant le feu de la mitraille.
Ne te débats pas avant que les armes, d’un même ensemble,
les canons en avant, ne te perforent le cœur de cent plombs,
et sans effort, atteignent ton estime qui finit en charpie.
Alors, n’aie aucun regret devant les années passées sans nom
Oublie dans la sinistre fin que tous ces dons furent un gâchis.

J'ai eu un peu de mal à dérouiller les méandres de tes mots pour comprendre le sens profond de ce poème. Bien sûr, il y a le peloton d'exécution qui trace le fil rouge du récit.
En fait, deux directions clairement suivies, de mon point de vue de lecteur philistin (je me suis peut-être planté).
D'une part l'impuissance d'un personnage complètement ligoté devant son mur (de lamentations), avec des choix lexicaux évidents (les poignets liés dans le dos, les brûlures symptomatiques, l'incapacité à se couvrir les yeux, à se les fermer pour s'échapper).
D'autre part les tourments du passé qui assaillent cette femme, un vocabulaire martial qui l'amène devant cette cour (armes, mitraille, canons, plombs). Amusant de voir d'ailleurs que ce passé violent amène au poème un contexte lexical à la limite du chirurgical, comme à la lecture d'une autopsie (les mains dans le dos, visages, yeux clos, poignet, peau). A la limite de l'érotisme morbide 'le soyeux de ta peau'.
A placer le récit dans un contexte, il se pourrait que le poète soit le bourreau, vexé d'avoir été atteint, meurtri par un autre parti. On retrouve des termes de résistance (ombre, sans nom), et le gâchis craché au visage de l'insolente qui n'a pas mis ses dons au profit du bon combat.
Le dimensionnement est également présent dans le dialogue entre l'enfant et le Dieu (les sommets). Il y a effectivement dialogue, avec le piaillement, les cris des oiseaux (un symbole de liberté moqueuse), le murmure d'épuisement. C'est un peu la symbolique d'une forte personnalité aux yeux de ses compagnons (de résistance?), décelée comme une divinité (un dieu sans majuscule est annonciateur de déclin), qui se retrouve sans habits, nue, une enfant à la merci de ses bourreaux (feu apparait deux fois, entrailles, les brûlures). Est-ce passion ou torture? Est-ce une bestialité réfrénée devant l'unité ('d'un même ensemble').
Et puis la mort (carnage, charpie)? La 'sinistre fin' annoncée par le premier paragraphe, les yeux clos de la défunte, condamnée avant même le crépitement des canons. Et ce coeur perforé de cent plombs qui hésite entre passions et convictions. Un amour plombé, qu'une armure d'estime n'aura pas préservé.
Beh Cassiopée, tu signes un retour gagnant avec ce poème très riche en consonances et forces symboliques. Bien sûr, une seule lecture n'apporterait que des sons creux. Mais tu as su l'embellir d'un contenu réel. Peu importe la portée du thème, il y a ces mots qui nous parlent.