L'Ambassade de Kobaia

Par un bel après-midi ensoleillé, sur les hauteurs de la Cité Flottante de Wilwarin.


Une douce brise soufflait sur l'esplanade de l'Académie. Notfallspür trottinait sur ses courtes pattes, vaquant à ses mystérieuses occupations. Il sortait de la Bibliothèque où il avait passé les deux dernières heures à fureter dans les rayonnages, à la recherche d'information sur d'obscures entités millénaires. Le Culte des Anciens l'intéressait énormément ces derniers temps. Il avait en effet pour projet de monter une expédition à travers la mystérieuse jungle qui s'étendait au-delà du désert de Sûl-Nar. La forêt luxuriante était en effet une région aussi méconnue que vaste, et les légendes à son sujet étaient légion. On disait qu'elle cachait en son sein d'incroyables merveilles ainsi que les vestiges de Temples oubliés depuis le fin fond des âges. Là auraient vécus, à en croire les anciens manuscrits, les membres d'une civilisation disparue, dont la richesse et les pouvoirs seraient sans commune mesure avec celles d'Aelis. Le pouvoir et les arcanes magiques de ces contes n'intéressaient pas le gobelin tant que les immenses richesses évoquées par les rares volumes consacrés au sujet.

Ainsi avançait Notfallspür, les pensées tournées vers un avenir radieux, empli de luxe, de rubis, de rivières d'or et autres fantasques fantasmes.

Une ombre passa dans le ciel. Ressentant la menace d'une averse malgré lui, il pressa le pas en direction des ascenseurs gravifiques qui reliaient Wilwarin au plancher des elfes. Un feulement dans l'atmosphère vint lui chatouiller les narines. Il éternua soudainement, ce qui ne fit que l'empresser d'avantage. La promenade du Belvéd'Air, un des endroits les plus remarquables de tout Ter Aelis, riche de jardins luxuriants et d'aménagement urbains de toute beauté, d'habitude si propice à la quiétude, semblait sous l'emprise d'un maléfice atmosphérique. Le sifflement dans l'air électrique, l'oppression de l'ozone libérée et toute cette ambiance "bizarre" et inhabituelle finit par tirer le gobelin-vampire de ses pensées de moins en moins cohérentes.

Il se rapprocha à petites enjambées (forcément) rapides (impressionnant !) du parapet le plus proche. Son penchant naturel pour l'escalade le propulsa en trois coups de griffes vers le rebord.

Il se pencha dangereusement au dessus du vide, mais fermement arrimé du bout de ses doigts crochus, il ne craignait rien (après tout lorsqu'on était capable de décrocher un Trou d'Aillas dans la cheminée d'un volcan la peur était une sensation aussi vague que l'inconscience du danger). Il observa ainsi arc-bouté un long moment la Cité en bas. De là, il voyait parfaitement son clocher, et le somptueux quartier de Belthil, brodé de la fine dentelle des ses bâtiments administratifs. Vu d'ici, rien ne semblait clocher, pas même les mendiants sur le parvis de la Cathédrale dédiée à l'Unique.


"Mais qu'est-ce que..., commença-t-il à s'interroger.
_ SSSSHHHHHIIIIIiiiiiiiiiiiiiiiiiii..., lui répondit le ciel, d'un ton menaçant."

L'ombre autour de lui lui sembla de plus en plus chaude et petite, comme se refermant en un piège implacable autour de sa seule personne.

Il leva alors son long nez pointu vers les nues.

Fut-ce la déception, l'étonnement, ou un quelconque réflexe atavique typique de sa race, mais ses oreilles s'affaissèrent lamentablement d'elles-même pour venir pendre autour de son visage défait, lui conférant une expression de dépit total.

"Oh non ! Pas encore !"


Ce que la postérité aurait pu retenir de ses derniers mots, fut prononcé une seconde et demie avant l'évènement improbable le plus fracassant que connut Ter Aelis depuis la dernière comédie de Sargas (dont les pleurs résonnaient encore parfois au large de Galvorn les nuits de tempête).

S'il est une chose susceptible de faire naître une migraine carabinée dans la petite boite crânienne du plus résistant des gobelins, c'ets bien l'atterrissage impromptu d'une nef métallique de plusieurs centaines de tonnes sur ladite boite crânienne.

Fort heureusement la tonitruante entrée de ce qui, il faut bien l'admettre, pouvait être perçu comme un gigantesque oeuf d'argent sur cet endroit précis du Belvéd'Air, fut quelque peu "adoucie" par une manoeuvre salvatrice du navigateur de quart à ce moment précis.

Les derniers kilomètres de la chute ne furent pas aussi dramatiques que ce à quoi les occupants de la nef auraient pu s'attendre. Passé le désagréable moment où tout espoir laisse place à une litanie ininterrompue de prières, vagissements et autres insultes à la divinité Zeuhl, les nouveaux arrivants se prirent à admirer la vue de ce nouvel horizon qui défilait à grande vitesse sous leurs yeux émerveillés.

Bien sûr les nuages de poussières et de bris de verres libérés lors de ce type d'évènement sont ce qu'ils sont. La nef, l'oeuf, ou quoi que fut son nom demeura dès lors caché dans un épais nid de volutes grises et brousailleuses durant un bon quart d'heure. Vu de Belthil, on aurait pu croire à une nouvelle fantaisie de l'une ou l'autre des belliqueuses Confréries. Certains y virent même le premier acte de barbarie du conflit qui couvait depuis des lustres.

Une fois dissipé le vilain nuage, l'éclat ensoleillé de la machine chromée tombée du ciel fit sensation.

D'aucuns se signèrent pensant admirer un geste divin, cadeau fait aux aélissiens par un Unique de bonne composition, d'autres applaudirent devant la performance de ce flshmob de toute beauté. Enfin d'autres encores émergèrent en maugréant des décombres éparpillés sur ce qui fut quelques instants encore auparavant, un joli jardin à la galvorienne.


Ah mais...! pfff ! c'ets quoi encore que ce machin ? Et pourquoi sur MOI ça tombe ?


Le gobelin enragé, dont la teinte d'ordinaire si verdâtre avait viré au gris poussière, s'épousseta tant bien que mal. Heureusement qu'il ne trainait pas son sac de golf à l'instant de l'impact : il aurait très bien pu voiler une des petites roues si pratiques.

Bientôt une foule bigarée de pupilles et de mentors, sortis de leurs salles d'études pour admirer le miracle l'entoura sans lui prêter le moindre attention.


Pardon ! Poussez-vous ! Je suis victime de ce canular céleste et je ne compte pas en rester là ! Laissez-moi passer !


L'une des courbes de l'ovoïde sembla se fissurer en suivant des saignées trop rectilignes pour être honnêtes. Lentement, dans un mouvement aussi théâtral qu'insupportable, une rampe s'affaissa jusqu'à efleurer les vestiges d'un parterre fleuri.


"Ohhhhh...! fit la foule.
_ Non mais vous vous croyez où bande de tarés dégénérés ! fit le gobelin qui s'avançait déjà le long de l'imposante structure inclinée."

De l'ombre des entrailles de l'imposante machine de plus de trois étages de haut (soit presque les deux tiers de la hauteur du beffroi du Conseil) surgit en pleine lumière de midi un tentacule débonnaire mais nonobstant plein d'avenant et de sympathie. L'appendice préhensile se saisit d'une des oreilles de Notfallspür, à nouveau farouchement dressée.

" Bonjour petit être bipède aux appendices pointus ! Nous venons en braies ! "