L'appartement.

On frappe, je pose mon bouquin et me lève pour aller ouvrir. C'est Adna, dans ses habits colorés de fille pétillante. Je l'accueille dans un sourire qu'elle me rend accompagné de quelques mots gentils que son accent slovaque embellit. Elle rentre dans l'appartement, on dirait que le beau temps la rend encore plus joyeuse. Je me rassois, elle se pose sur un pouf. Flemme de bosser, apparemment c'est partagé. On commence à parler de tout et de rien - décidément, j'adore vraiment cet accent de l'est, il est proprement délicieux. Et puis ses yeux bleus qui brillent, et ses cheveux pas vraiment coiffés. Ca me donne envie de rire aux éclats. On pourrait la prendre en coloc, mais je ne suis pas sûr qu'elle réussisse à s'adapter aux habitudes de...

"Hé, t'aurais pas vu mon... Oh, salut !".

Ah oui, Fay. Elle émerge de sa chambre. Adna ouvre des yeux comme des roues de vélo. Ca se comprend. Fay est entièrement nue, couverte de peinture de diverses couleurs, jusqu'au visage. La cerise sous le gâteau, ce sont ses espadrilles à moitié chaussées. Le sourire jusqu'aux oreilles, elle s'essuie vaguement les pommettes avec son poignet encore immaculé et vient faire la bise à notre hôte trop éberluée pour la repousser. Elle se redresse et me fait une mimique séduisante. Je lui fais remarquer avec amusement que sa main droite goutte doucement sur le plancher. Elle rit et s'excuse. Adna a détourné les yeux, elle est écarlate maintenant. Même si je crève de rire intérieurement, je m'efforce de garder mon sang-froid et pour couper court à la situation qui a l'air de vraiment l'embarrasser :

"Si tu cherches les seaux de peinture que tu as acheté, je les ai mis derrière la télé parce qu'ils prenaient vachement de place.
- Ah, d'accord, merci !"

Elle marche en balançant doucement les hanches, jusqu'à la "télévision". Antique cube en plastique, dont l'écran à tube cathodique tombe en arrière, et qui trône sur un grand tabouret en bois. Mais je dois dire que la manière dont Fay l'a repeinte est assez réussie, qui rappelle un peu Jackson Pollock. Elle se penche et empoigne les seaux. Adna me fixe avec ébahissement, mais je suis trop occupé à détailler les courbes délicates de Fay. Elle fait un premier aller-retour avec deux seaux. Tout sourire, je propose un thé à Adna pour la faire atterrir. Elle hoche la tête frénétiquement et balbutie quelques mots, je me lève pour aller faire chauffer de l'eau. Au moment où Fay ressort de sa chambre, la porte s'ouvre, et Emma pénètre dans l'appartement. Fay adore Emma. Elle se précipite vers elle, et elles rient aux éclats quand Emma tend les bras pour la repousser et ainsi éviter d'être peinte elle aussi. Alors elles se penchent toutes les deux en avant et s'embrassent délicatement sur les lèvres. Fay prend soin de lui passer le doigt sur la joue pour lui faire une esquisse de peinture tribale. Une vraie sioux dit-elle. Elles rient encore. Je sers le thé à Adna et me relève pour aller enlacer Emma qui met sa veste au crochet. Pendant que l'on s'embrasse amoureusement, je sens dans mon dos le regard d'Adna qui va de surprises en incompréhensions. Elle n'est jamais venue à l'appartement. Puis Emma vient la saluer. Je lis sur son visage, elle croit qu'on va l'embrasser sur la bouche elle aussi. Heureusement, elle reprend contenance après une bise fraîche. La deuxième apparition de Fay qui revient chercher des seaux la désarçonne un peu moins, même si elle n'ose pas trop la regarder et préfère avoir la tête baissée vers sa tasse.
Emma s'assoit sur le canapé contre moi, et se sert du thé elle aussi. Nous échangeons quelques mots. Adna est plus à l'aise avec elle, qui est habillée, elles parlent chaleureusement. Elle lui demande si nous sommes ensemble, et nous répondons que oui. Elle sourit. Elle se met à nous parler de son copain en Slovaquie. Nous comparons les mœurs d'ici et de là-bas. Je sens qu'elle brûle de nous poser des questions à propos de notre relation avec Fay, mais elle n'ose pas.
Un peu plus tard, et après quelques tasses, Fay ressort de sa chambre, un sein violet et l'autre bleu-vert. L'odeur de peinture a augmenté. Elle nous fait un sourire radieux.

"On s'y met ? dit-elle d'un ton enjoué."

Adna nous regarde avec interrogation tandis que nous échangeons des sourires entendus. Je ne lui dis pas de quoi il s'agit, mais l'invite à regarder si elle souhaite. Emma et moi nous levons et allons jusqu'au pas de la porte. Elle commence à se déshabiller et je l'imite. Je lance un regard rassurant à Adna, qui rougit à nouveau en un instant, puis nous entrons dans la chambre de Fay. Une odeur tenace, mélange de peinture et de d'encens, fait office d'atmosphère. Il fait chaud. Fay nous fait une révérence, et nous nous plaçons au milieu de sa chambre, dont le sol et les murs sont recouverts de plusieurs épaisseurs de toiles. C'est le début de la transe, j'aime. Emma commence à m'embrasser passionnément, et je vois du coin de l'œil Adna qui se recule et sort de la pièce précipitamment. Tant pis. Nous voila déjà allongés. Emma commence à s'enduire de la peinture encore fraîche sous elle, et je l'étale en lui caressant les jambes. La fougue s'empare de nous peu à peu, et son premier gémissement s'accompagne du premier seau de peinture tiède avec lequel Fay nous recouvre. Rouge, toujours, pour commencer. L'instant qui suit ce premier jet, nous basculons et je passe sur le dos, juste assez vite pour voir la peinture d'un deuxième seau se déverser sur nous comme une pluie colorée. Orange. C'est une sensation particulière, comme un bain de boue. Nous nous tournons et nous retournons, nous roulons sur et sous la peinture qui nous recouvre entièrement désormais. Les motifs se dessinent peu à peu sur le sol, à mesure que les couleurs s'ajoutent. Et tandis que j'étreins délicieusement le corps féminin contre moi, j'entends Fay qui rit, d'un rire de folie, de jouissance. Et au détour d'un coup d'œil, je m'aperçois qu'Adna est revenue discrètement dans la pièce, et qu'elle observe avec timidité l'œuvre qui se fabrique sous ses yeux.
Quand enfin, je pousse un dernier râle de plaisir sous les coups de rein d'une Emma déchaînée, je laisse mes bras retomber paisiblement sur le sol, tandis qu'elle se cramponne amoureuse à mon corps. Fay s'approche, et de son pinceau, trace le contour de nos deux chairs, non sans nous glisser quelques coups sur la peau. Rouge fuchsia. Emma me glisse quelques baisers, puis finit par se lever. Je me sens habillé de peinture. D'ailleurs, Adna n'a plus l'air gênée de nous observer. Elle me sourit. On pourrait presque croire qu'elle a envie d'essayer. Chacun s'écarte pour admirer le travail. Fay rit encore, encore. Emma est silencieuse mais sourit. Adna se tourne vers moi et avec son séduisant accent slovaque, me dit doucement :

"C'est très joli.".