[rp concerté] Un troll dans le supermarché

Cordelia regardait d'un air intrigué le rayon "hygiène" de la supérette dans laquelle elle se baladait depuis quelques heures. Mais à quoi tout ceci pouvait bien servir ? Elle s'empara d'un paquet de protège-slips et le déchira de ses dents aiguisées.

Pour la visite, la métamorphe avait soigné son apparence : pas plus haute qu'un enfant de dix ans, mince et gracieuse, elle arborait des ongles, des dents et des oreilles aussi brillants et pointus que des diamants ; ses cils étaient décorés de minuscules perles roses qui contrastaient élégamment avec le bleu turquoise de sa peau. Elle portait comme seul vêtement un ample poncho de laine écrue allègrement troué, afin de laisser circuler contre sa peau l'air chaud de juin.

Une fois le paquet ouvert, Cordelia se désintéressa rapidement de son contenu, l'œil attiré par une boîte de cotons-tiges roses et bleus... et donc parfaitement assortis à ses propres couleurs. Elle se fit pousser des cheveux de la même matière que son poncho et y piqua une dizaine de cotons-tiges. Toute fière de sa trouvaille, elle gambada dans l'allée, semant au passage une pluie de paillettes.

Nombre de messages : 9 Age : 54 Date d'inscription : 14/12/2009

Arrivée au bout de l'allée, Cordelia se retrouva nez à nombril avec un gigantesque bonhomme baraqué entièrement vêtu de noir. Son air revêche et son regard profondément stupide - ou bien était-ce de l'ennui ? n'était pas sans rappeler un troll, bête et buté. Toute en joie dans ce nouvel environnement, la métamorphe se sentit d'humeur particulièrement communicante. Elle sautilla sur ses petits pieds bleus tandis qu'un sourire s'élargissait sur son visage, lui déchirant la face jusqu'aux bords de la mâchoire. Ses dents se mirent à briller en rythme tandis que la métamorphe reprit le jingle que le magasin passait en boucle depuis une demie heure.

Coucou toi ! T'es un troll ? Une tata ? T'aimes le tarama ? C'est quoi le tarama ? j'en ai vu là-bas... Tes biscottos, là, c'est pour taper les papis ? Pour palper les tapis ? Hein ? Hein, dis !

Ses grands yeux interrogatifs attendaient manifestement une réponse.

"Viens là ! Restes ! Restes-là je te dis ! Tu vas me rendre folle tu entends ? FOLLE !"

La jeune femme émergea du rayon céréales/petit déjeuner complètement à cran, les cheveux en bataille, le caddie^TM à moitié rempli de chocapic, de red bull et de petite fille sage platement assise sur la plaque de plastique. A l'autre bout de l'allée centrale, sa deuxième petite tête blonde en liberté, profitait de son avance pour décortiquer un emballage de serviettes hygiéniques malencontreusement trouvé quelques secondes auparavant.

"Jérémy ! Viens-là ! C'est la dernière fois tu m'entends ? Tu vas... Ne touches pas ça ! Tu vas t'en prendre une ! Je te préviens ! Mais quel enfer ce gosse !"

La furie maternelle poussa son char sur roulettes en direction de son engeance maléfique. Alors qu'elle dépassait ce qui semblait être un vigile très grand et très velu et une fillette vêtue comme une bohémienne - du genre de celles qu'on voit d'habitude avachie à l'entrée/sortie des grandes surfaces - une pensée des plus incongrues traversa son esprit de jeune mère hystérique. Elle revécut la scène de ce film de Polanski où un mari salace offrait sa femme en sacrifice à une secte de satanistes illuminés. C'est vrai que cette mousse au chocolat avait un goût de craie...

Sentant la menace familiale arriver à grand pas dans un crissement de chariot de commissions, le garçonnet aussi blond que turbulent (et par définition d'autant plus haïssable) déguerpit dans le premier rayon à portée de gambettes. Devant lui s'ouvrit alors immédiatement un nouveau territoire inexploré. La Terra Incognita des soutifs, strings, culottes de grands-mères et nuisettes satinées made in Philippines l'attendait les bretelles grandes ouvertes.

Quinze mètres derrière, la roulette arrière gauche bringuebalant dans le vide, Mère Courage amorçait un virage serré entre un bac de surgelés promotionnels et une tête de gondole pleine à craquer de Babybel^TM de toutes tailles et couleurs (tiens ils en font des bleus maintenant ?).

"JEREMY ! je vais te tuer ! ARRîîîîîîîîîîîTES !"

Le ferait-elle vraiment ?

Au moment où l'exaspération atteignait son paroxysme, au point culminant de cette apothéose de haine teintée de velléité infanticide, il était plus qu'envisageable que la mère n'était plus capable ni de réflexes protecteurs, ni de projections calculatrices (quand bien même il aurait été difficile de plaider le crime passionnel dans ce genre de cas... restait éventuellement le recours aux services de Maître Vergès).

Les deux autres habitants temporaires du supermarché, soient le géant cravaté et la démonstratrice de serpillère, suivirent avec des yeux admiratifs, la dextérité qu'employa la trop jeune maman pour appréhender le virage sec qui la conduirait vers le fruit de ses entrailles... ou vers une cataracte fromagère de portions ceintes de cire.

L'espace d'un très court instant, le regard sage et bienveillant de la toute petite fille arnachée au caddie^TM croisa celui de la métamorphe. Ses yeux bleus et pétillants affichaient une assurance totale envers les compétences de pilotage de sa génitrice. Du sang de Schumacher coulait-il dans leurs veines ?

Ce qui suivit leur fut caché puisque se déroulant dans le galant rayon sus-nommé. Par contre rien n'échappa aux caméras de surveillances, étonnement nombreuses en ce point du magasin.

Dans une explosion de dentelles bon marché et d'artifices à ventres plats, le char entra en collision de plein fouet avec un monticule formé pour moitié de soutifs amalgamés et pour moitié de gamin hyperactif repentant.

"Mon petit ! NOOOOOOON ! Jérémy ?! Mon Dieu ! Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Jérémy ! réponds-moi ! Quelle horreur ! Mon chéri, mon tout petit ! Parles-moi. Dis quelque chose à Maman. Je t'aime, je t'aime."

L'homicide était bel et bien consommé.

Parce le temple de la consommation n'est-il pas le meilleur endroit pour assouvir tous les désirs ? Même les plus enfouis et les plus inavouables ?

Ou alors tout simplement parce que carrelage et roulettes ne font pas bon ménage ?

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"Mais enfin ! Fais quelque chose !
- Mais je suis pas médecin, qu'est-ce tu veux que je fasse ?
- Tu dois quand même pouvoir faire quelque chose ! T'es en quatrième année de médecine, non ?
- Sur un si jeune gamin en plus, t'imagines même pas la responsabilité... Mais t'as pas ton diplôme de secouriste toi ?
- Non ! Moi j'ai juste mon BAFA..."

Monsieur le Directeur, du fonds de son aquarium tique nerveusement en entendant le barouf émanant de son rayon lingerie féminine. Il fronce les sourcils. Il tend une main vers l'interphone du magasin, geste qui à lui seul assoit son pouvoir absolu sur son domaine grand surfacier.

Et puis, au dernier moment, alors que tous les hauts parleurs grésillent, annonçant la venue immédiate de la voix directoriale, le blanc.

Le vide

l'absence

l'oubli

Comment s'appelle cet incapable qu'il a recruté déjà ? Ce grand dadais inepte qui passe son temps à pirater la logistique de surveillance des cabines d'essayage et à se masturber dans la remise ?

Jean...? Jean-Machin...? Jean-Quelque chose...?

Il l'a embauché du fait de sa stature XXL. Et bien qu'il soit bien plus grand que large, ça suffisait à projeter une ombre menaçante sur les branleurs mineurs et désoeuvrés du quartier. Il aurait préféré un catcheur amateur ou un obèse bien portant et bien rasé, mais il ne pouvait se permettre de faire le difficile. Même le marché des tahitien était désaturé.

"Jean-Eude ? Dans mon bureau !"

Un mort ?

Un mort. Encore un. Un si petit corps...

Cordelia regardait tout ces humains s'affairer autour du lieu de l'accident. Ils semblaient passablement désœuvrés ; un peu idiots, même.

Ah. Si ! L'un d'eux semblait décidé à prendre les choses en main - "les choses" étant ici un téléphone. Cette initiative risquait fortement de débloquer la situation et priverait donc Cordelia du délicieux spectacle de la perdition humaine. Hop ! Ni une, ni deux, la métamorphe se jeta sur le gorille, lui arracha le combiné des mains et se sauva à toute vitesse ! On allait faire "les choses"... à sa manière !

Cordelia se faufila dans les décombres de flanelle qui entouraient le corps de l'enfant et s'accorda - chose rare - quelques instants de réflexion : elle avait eu la chance de visionner dernièrement un film portant l'étrange nom de "Shaun of the dead". Manifestement, les habitants de cette contrée avaient un attrait certain pour les morts animés... Qu'à cela ne tienne, elle allait leur faire plaisir !

Légère brume dorée, elle se glissa par les narines et les oreilles de l'enfant. Oui. Elle se sentait bien ici. Il ne lui fallut que deux secondes pour comprendre la mécanique de feu son hôte.

Il fallut un peu plus de temps aux spectateurs du désastre pour comprendre comment, diable ! pouvait réussir à se relever un enfant dont le corps était aussi tordu - et de manière aussi peu confortable.

Douleurs répétées.

Trille ulcérée dans le pavillon auriculaire à une demi-poignée de décibels de l'explosion de tympan : ça fait mal !

Tiraillements secs et mitraillés sur un petit bras frêle, assénés avec à peine assez de retenue pour éviter le déboitement définitif d'une jeune épaule déjà déformée par cet exercice maternel trop de fois pratiqué : ça fait mal !

Membres cassés, articulations luxées, tendons disloqués, saignements intérieurs, organes internes irrémédiablement déchirés (si la sirène de la gorge maternelle avait pu s'arrêter suffisamment de temps pour reprendre son souffle, les auditeurs les plus proches auraient peut être pu entendre le glouglou des bulles de sang émanant des poumons perforés), écoulement de liquides louches par tous les orifices (sang, pus, lymphe, humeur oculaire, liquide encéphalique, matière grise, matière blanche, moelle osseuse, bile, urine, salive le tout mélangé selon des proportions plus ou moins naturelles) : ça aussi ça fait mal !

Mais enfin Jérémy ! T'es fier de toi ? Tu as vu ce que t'as fait ? Hein ? T'es vraiment débile ou quoi ? Tu penses à moi ? tu penses à Maman qui a cru qu'elle t'avait tué ? Monstre !

Et puis soudain, les sanglots, le soulagement, les messes basses (quelle mère ! moi je lui aurais flanqué une bonne rouste à ce morveux ! Cassos ! Zut... j'ai failli oublié les yaourts ! Arrête de mater son string, pervers !).

La foule déçue de ne pas pouvoir assister au dernier souffle de vie de la jeune victime relevée d'entre les morts, se disperse, se disloque, se répand, coule et glisse sur le carrelage standardisé du supermarché.

Il a quand même bien morflé le moutard. On dirait qu'il a la tête déformée. Ou alors il était déjà comme ça... allez c'est fini; de toute façon il ne faut pas se moquer des handicapés.

[rp concerté] Un troll dans le supermarché Cashback

Le petit Jérémy vomit sans hoquet les restes de son contenu gastrique. Un oeil averti aurait remarqué que tout ceci coulait de sa trachée éventrée et non de sa bouche, mais le petit se tenait debout et s'était après tout l'essentiel.

Et le directeur d'établissement surveillant la scène de désolation se demandait bien qui allait nettoyer et ramasser les slips et les gaines...

La réponse fut précédée d'un larsen dans le micro d'annonce :

"Jean-Edmond ? Balais, sciure, eau de javel !"

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