C'était sous l'éclat d'argent, qui se reflétait sur l'onde. Nuit et mer étaient calmes. Quelques heures plus tôt, les derniers dockers, harassés, s'en étaient allés ripailler, abandonnant le port au murmure des vagues.
Nous venions d'y passer de délicieux instants, profitant de cette quiétude précieuse, nous noyant dans l'horizon. Minuit, hélas, finit toujours par sonner, et Cendrillon à son destin n'échappe. Mais nulle marraine ne contraint son prince, qui reste solitaire.
Les yeux dans le lointain, l'esprit contemplatif. Je frissonnais à peine dans la fraîcheur nocturne, l'air iodé me maintenait éveillé. Dans le silence presqu'absolu, je conversais avec les filles d'Ægir.
De longues minutes. Une éternité peut-être ; quelle importance ? Le monde semblait s'être arrêté. Sa folie dissipée, sa candeur vaincue. N'en subsistait que la douce rumeur du large.
Un mouvement pourtant me tira de mes rêveries. Du coin de l'œil, je perçus une forme. Vague et imprécise, mais humaine. Elle s'affairait à quelque tâche, un peu en contrebas, et semblait peiner.
Me sentant engourdi par ma léthargie, je me décidai à faire quelques pas. Ils m'amenèrent dans sa direction, et pris de sympathie pour le pauvre bougre, qu'une bien faible lanterne éclairait pour son labeur, je lui lançai :
« Besoin d'un coup de main ? »
Il releva la tête, et sans un mot m'indiqua un grand sac, posé à côté de sa barque. À deux nous parvînmes à le hisser dans l'embarcation. Je me rendis compte que je l'aidais sans m'interroger. Mais à dire vrai, l'homme n'avait guère des airs de contrebandier : il ne s'inquiétait pas d'être vu ou entendu, quoiqu'il fût peu bruyant. Il ressemblait plutôt à un pêcheur qui s'était trop attardé, et finissait sa besogne calme et patience.
Poussé par la curiosité, je lui demandai tout de même, lorsque nous eûmes terminé :
« Et qu'est-ce donc que tout cela ? »
Il me regarda longuement. Je vis pour la première fois son visage. Maigre, voire décharné, il arborait un air grave. J'aurais bien été en peine de lui donner un âge : fort peu de rides peuplaient son visage, qui n'avait cependant nulle trace de jeunesse ou de fraîcheur.
S'appuyant sur sa rame, il monta dans sa barque, et s'y tînt quelques instants immobile, avant de me répondre. Il désigna d'abord un tas dans un coin de la barque, puis un autre, à l'opposé, et deux autres ensuite.
« Là sont les plus frais ; ils prennent moins de place. Là-bas en revanche sont les plus anciens, merci à vous de m'avoir aidé à les monter.
Ici sont ceux qui viennent par lots. Et là les solitaires. »
Sa voix était étrange. Calme. Profonde. Douce, belle même. À l'image de cette nuit magique, qui couvrait le monde de son voile.
Il tendit la main vers moi ; une main osseuse mais puissante. À mon tour j'avançais la mienne, prêt à échanger avec lui une poignée amicale, mais il se retira soudain. Ses traits prirent une expression indéchiffrable, et il me tourna le dos. D'un geste lent, il leva sa rame, et commença à s'éloigner du rivage. Je remarquai alors qu'aucune ancre, aucune amarre n'immobilisait son esquif.
Campé sur le rivage, je le regardais s'en aller, le suivant du regard jusqu'à ce que le point minuscule qu'il était devenu disparaisse tout à fait. Alors vinrent les premières lueurs de l'aube, qui me firent reprendre la direction du logis, pour bien peu de temps sans doute.
- Spoiler:
Quelque temps déjà que je n'avais plus posté... Rebonjour donc Aelessiens, dont je n'ai cessé de lire les écrits