Je pousse l'eau et avance, ondule entre les bulles et fredonne en pensée des airs féériques. Je suis les lignes au sol en évitant les gens, en donnant des coups bien adoucis par l'eau à ceux qui se laissent porter. J'ouvre mes yeux agressés par le chlore en frôlant le fond de la piscine avec mon ventre. Je sors la tête en la secouant pour que mes cheveux ne viennent pas gâcher ma vue floue. Puis je sors et rentre chez moi.
Je pousse l'eau et le faux sable qui voltigent autour de mes mains qui caressent les ondulations, celle que des enfants provoquent en sautant. Je flotte sur le dos, laisse mes jambes s'habiller de liquide et me retourne pour faire le poirier, puis tombe, portée par le courant. J'ai froid, j'éclabousse, je ne vois rien sous l'eau du lac. Je joue avec mon souffle à chatouiller des inconnus qui frémissent au contact de l'air. Puis je sors, et rentre chez moi.
Je pousse l'eau en fendant les vagues espagnoles, flotte doucement au-dessus de roches poissonneuses, en essayant d'attraper des crevettes qui filent entre mes doigts. Je presse des anémones qui avalent ma peau, je saute plus haut que tous, portée par les rouleaux qui bouchent mes oreilles et me font entendre des sons légers. Parfois je saute trop tôt, ou trop tard, et me laisse emporter en roulant sur la sable qui m'écorche, me gratte et me dépose sens dessus dessous sur le bord de la plage sous les regards inquiets des gens. Mais je me lève, saute dans l'eau à nouveau, frôle des personnes qui me fixent d'un regard exorbité. Puis je sors. Et rentre chez moi.
Mais maintenant je n'oserais plus. Je ne frôlerais plus personne, irais trop loin dans la mer pour que les vagues ne se brisent près de moi, ne jouerais plus avec les poissons. Ils auraient peur. Car à présent, j'ai un sourire de requin.