(Je vais vous expliquer en deux mots le principe de la procrastination : j'ai une tâche contraignante à effectuer, vous avez un joli forum. Échange de bons procédés.)
Bonjour Lilith.
Il y a de jolies trouvailles dans ce poème et des maladresses de français. Trop de lieux communs et un traitement somme toute « assez classique » qui laissent à penser que tu manques encore un tout petit peu de maturité d’écriture. Relativement peu de fautes, ça c’est bien. Je dirais que tu as besoin de temps et de lectures pour faire évoluer cette plume.
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« Et je reste silencieuse. »
Démarrer une œuvre poétique par un « et » de relance : classique mais efficace. J’aurais tendance à penser qu’il ne faut pas abuser de ce type de procédés pour ne pas les réduire à de simples effets de manche.
« La musique dans les oreilles et les yeux dans le vague »
Ca aussi c’est une entrée en matière très classique : une phrase elliptique qui fait l’économie des verbes pour nous planter directement au cœur de l’action. Bon, c’est joli, le rythme de ce poème est décidément très rapide, mais je te ferais le même commentaire que plus haut : un poème en prose sur deux commence avec les deux mêmes procédés stylistiques, placés dans le même ordre. Cela prouve bien une chose dont je suis convaincu depuis un petit moment : on ne crée pas, en art, on réinvente.
« Je m'invente en silence assourdissant »
Coquille je suppose, à moins que le solécisme ne soit volontaire (en silence / un silence) : je m’invente en silence, c’est assez joli. Le « silence assourdissant » en revanche est un oxymore un peu facile, je suppose que nous sommes d’accord. Silence éloquent ou assourdissant, obscure clarté, amour plein de haine : ce sont les tartes à la crème de la poésie française. A éviter.
« Je ne peux plus être comme j'étais car j'ai perdu une partie de ce que j'étais. »
Cette phrase est très très lourde. Ca fait verbiage pseudo-métaphysique ou mauvais manuel de bien-être. Deux choses : évite d’abuser du verbe « être », parce que trois fois dans une seule phrase ça commence à faire beaucoup, et évite les phrases « poupées gigognes » qui multiplient inutilement les propositions et alourdissent beaucoup ton écriture (Je ne peux blabla comme j’étais blabla car j’ai perdu blabla de ce que j’étais).
« Un soir, sur les rivages d'un monde qui n'était pas le notre. »
Je te fais le commentaire une seule fois, mais tu as fait plusieurs fois la faute : ne pas confondre le déterminant possessif « notre » qui se prononce avec le « o » ouvert de « vol » et le pronom possessif « nôtre » qui s’écrit avec un accent circonflexe et se prononce avec le « o » fermé de « beau ». C’est une faute de grammaire, pas seulement d’orthographe.
« Et j'ai beau tenter de retrouver la mélodie de nous, je me suis brisée. »
Je suppose que tu as volontairement écrit « mélodie de nous » au lieu de « notre mélodie » pour créer un petit côté naïf, un petit côté mignon, mais ça fait quand même vachement penser au « Secret de nous » de Cindy Sanders, et ça c’est franchement pas mignon.
« Mes peines d'ordinaires font plus de bruit. Tu sais quand je pleure, je pense a tes bras. »
« Ordinaire » sans « s » (sous-entendu : mes peines de l’ordinaire). Ne pas confondre l’auxiliaire « avoir » troisième personne qui s’écrit sans accent (« a ») et la préposition qui s’écrit avec un accent grave (« à ») : tu as fait plusieurs fois la faute.
« Je repense a mes rires et mes joies, à mes cris haut dans le ciel d'été. »
Orthographe : "hauts" avec un "s". Ca, c’est encore ce que j’appelle « le conditionnement par la lecture ». Tu écris « je pense à mes rires », et intuitivement, tu te sens obligée de rajouter « et à mes joies ». Pas parce que tu as choisi de l’écrire, mais parce que cette expression a une telle force de lieu commun qu’on la recopie sans même y penser. A éviter aussi. Le plus dur en poésie, c’est de se dégager du langage des autres pour édifier son propre langage. Le poète Francis Ponge a une très jolie réflexion sur le sujet : il dit qu'il faut apprendre "l'art de résister aux paroles".
« Je ne semble pas. J'apparence mon esprit. »
J’aime beaucoup ce solécisme : « j’apparence mon esprit ». C’est très créatif.
« En réalité je pleure et je suis frêle. Comme prise dans les tourments d'une tempête imprévue. »
La comparaison du tourment intérieur à une tempête imprévue, ça par contre c’est du lieu commun bien bourrin. Mieux vaut laisser ça à Lamartine et à son « Lac » qui ont à peu près fait le tour du sujet.
« Comme je regrette les danses à l'apogée des vagues, a cheval sur l'écume et le corps recouvert de bulle de soie. »
L’apogée des vagues, ça ne veut pas dire grand-chose, mais soit (l’apogée, littéralement, c’est ce qui se trouve loin – apo – de la terre –gé). J’aime bien les « bulles de soie », c’est une jolie image.
« Comme je regrette le fil de nos conversations suspendues dans un souffle attentif »
Autre travers majeur de l’écriture poétique : éviter les longues tartines d’adjectifs qualificatifs. Ca fait très raffiné comme ça, mais ça alourdit beaucoup ton écriture. En terme d’adjectifs, vise la qualité et non la quantité, sinon tu risques de tomber dans le fabuleux travers du vice versa.
« Une respiration a l'unisson saccadée. »
Ca, c’est absolument pas français, mais c’est pas forcément vilain. J’ai quand même un peu de mal à me représenter un « unisson saccadé » (« saccadé » sans « e » à la fin, « unisson » est un nom masculin). A moins que ce soit la respiration qui soit saccadée ? Dans ce cas c’est très maladroit, il faut au moins rajouter une virgule après « unisson ».
« Alors je regarde mes rêves voler en éclats chatoyants et sombrer dans une etincelle entre les flots des mers où jadis nous valsions comme des fleurs emportées par le vent. »
Attention au vice versa. Fais plus simple.
« A la recherche du temps perdu »
Ha ha.
« Je danse, et je m'indécence. »
J’aime beaucoup. Peut-être un poil racoleur, mais le jeu de mot est bien trouvé.
« A peine vêtue je volte sans retenue »
Le choix du verbe est curieux. On est d’accord que « volter » (du latin « voltare ») n’a rien à voir avec « voler » (de « volare ») ? Ca veut juste dire « faire demi-tour ». Faire des demi-tours dans les affres sonores, c’est tout de suite moins classe.
« Car six lettres font bouillir mon sang et s'égarer ma raison et mes rires. »
Le commentaire que je te fais est un commentaire de style pur : tu as deux groupes verbaux (« bouillir mon sang » / « s’égarer ma raison ») qui sont mis sur le même plan par la conjonction de coordination « et », ce qui donne un joli rythme binaire à ta phrase (blablabla et blablabla), un peu comme un diptyque que l’on referme. Si tu rajoutes « et mes rires » au bout, tu casses ce rythme binaire et tu alourdis beaucoup ta phrase. Essaye avec et sans, tu verras qu’il n’y a pas photo.
« Comme un verre qui se vide et ne peut se remplir à nouveau. »
La comparaison n’est pas très jolie. Je pense tout de suite à la superbe comparaison d’Apollinaire : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire ».
« Ma coupe est pleine a présent. »
Métaphore filée qui reprend la comparaison du verre, c’est vite fait rigolo.
« Je retourne à l'ombre dont tes bras amoureux mon tiré voila si longtemps. »
Un peu lourd, attention à l’orthographe : « m’ont tirés » (tu accordes le participe « tirés » avec le COD « tes bras »).
« C'est mieux que ça n'en a l'air sais tu. »
C’est encore mieux avec de la ponctuation et des traits d’union : « C’est mieux que ça n’en a l’air, sais-tu ? »