Chroniques de Tenal-Capri: Archive N°6385- "La mine"
Il est bien connu que pour mettre d'accord deux hommes forts sur Tenal-Capri, il faut soit de la bière,soit un bon sujet de conversation. Et s'il est un point dans le milieu ouvrier où tout le monde s'entend, c'est qu'il existe une planète, cachée dans les étoiles, connue sous le sobriquet de "La mine". Beaucoup s'accordent à dire que cet endroit mystérieux n'est en vérité qu'une planète riche en minéraux divers, mais d'autres savent que son histoire est plus compliquée qu'il n'y parait.
J'étais jeune diplomate au service de l'empereur Molan III lorsqu'il me fut donné la chance de participer à une expédition visant à entamer des relations commerciales avec cette planète.
Bien peu savaient à quoi pouvait ressembler l'endroit, mais l'imagination de chacun s'échauffait à mesure que les "anciens" suggéraient des bribes de paysages fantastiques. L'aller se colorait des histoires que nous avions entendu de ci de là , puis on racontait ce qui s'était vu ailleurs, nous dévoilant les merveilles insoupçonnées de l'univers. Nos nuits ne furent plus que rêves délirants de terres enchanteresses aux milles couleurs.
Vint alors le jour tant attendu, celui où nous nous rendîmes en orbite de La mine. Le compartiment passager étant dépourvu de hublots, nous fûmes contraints d'attendre avec la plus grande impatience que le vaisseau se pose. Pour une raison inconnue, celui-ci fut la cible de violents soubresauts. Nos sièges tremblèrent sous l'effort, et ce ne fut qu'après de longues minutes d'attente et de stress que la machine finit par heurter violemment le sol.
Certains de mes compagnons se plaignirent au pilote en crachant leur colère, mais nous découvrîmes bien vite la source de tout ce remue-ménage alors que mes yeux balayaient les environs.
Notre "base" n'était en réalité qu'une humble piste d’atterrissage bétonnée. Deux discrètes entrées permettaient l'accès aux souterrains, et l'on m'expliqua que personne n'était autorisé à sortir à la surface hormis pour le transport. La raison, quant à elle, paraissait évidente. La topographie du lieu était particulièrement chaotique; Autour de nous s'étendaient de vastes plaines torturées, des crevasses sans fond, dominées au loin par des montagnes hideuses et impraticables. Si le déplacement à pied semblait impossible, tout autre mode de transport devait l'être aussi, le sol était martelé par des chutes de blocs qui ne semblait pas prendre fin. Sortant de nul part, des lignes, des pans entiers de cubes apparaissaient dans les airs et venaient s'écraser violemment au sol.
Ainsi donc c'était pour cela que La mine était devenu un monde entièrement souterrain, aucune forme de vie ne pouvait évoluer dans ces conditions. Je me demandais alors comment notre pilote avait-il put réussir un atterrissage dans ces conditions, et très franchement je pense qu'il ne le savait pas non plus...
Une fois passé la porte d'accès, nous prîmes un ascenseur qui nous plongea à des kilomètres sous la surface du monde. Des strates de blocs de toutes les couleurs s'entassaient ici depuis des temps immémoriaux. Puis les premiers tunnels firent leur apparition. Avec le temps les hommes purent sans doute creuser à l'abri de la chute de blocs, et tout un réseau de boyaux s'était lentement mit en place, creusant toujours un peu plus dans les profondeurs du monde.
Je remarquais soudain le froid mordant qui régnait dans ce puits insondable. Notre guide l'avait certainement perçu, car il indiqua à notre groupe que par un phénomène que personne ne saurait expliquer aujourd'hui encore, La mine ne possédait aucun noyau central, aucune source de chaleur, et de ce fait générait une force d'attraction sortie "littéralement" de nulle part. Les souterrains conquis par les hommes avaient donc dut s'équiper d’appareils pour chauffer les espaces exploités, cependant il avait été déclaré inutile de maintenir une température viable dans les tunnels des ascenseurs. Ainsi, pour toute sortie, il était vivement conseillé de s'habiller chaudement.
Alors que les portes s'ouvraient devant nous, dévoilant de longs couloirs soutenus par de larges poutres de fer. De nombreux hommes circulaient munis de pioches, de pelles, et d'étranges appareils ressemblant à des pinces, servant probablement à l'extraction des blocs.
Nous pûmes observer brièvement le travail en cours, il ne semblait pas franchement difficile. Les cubes de matières étaient variables dans leur positionnement, une parcelle de fer pouvait juxtaposer une parcelle d'argent, tout en étant accolée à du cuivre. Et malgré la solide cadence qui régnait ici, il suffisait de briser le joint étrange qui les liait, sorte de matière cristalline inconnue, pour libérer le bloc. Quant aux tunnels en eux-mêmes, ils avaient l'avantage d'être carrés, et donnaient une incroyable impression d'ordre. Ce détail me troubla particulièrement car ce n'est pas le genre d'endroit où l'on s'attendrait à trouver du travail "net".
Des chariots entiers de blocs allaient et revenaient dans les galeries, améthyste, rubis, grenat, émeraude, fer, plomb, or, cuivre, saphir... des quantités incalculables de matériaux tous plus riches les uns que les autres défilaient devant nos yeux émerveillés. L'un de mes compagnons fit même remarquer que pour travailler toutes ces richesses, il ne faudrait pas moins qu'une planète entière consacrée à la forge seule.
Enfin, après cette courte mais inoubliable visite, nous nous rendîmes enfin dans les quartiers d'habitation, dans lesquels des blocs de fer et autres métaux étranges furent utilisés pour confectionner des bâtisses viables et solides. Nous fûmes alors escortés jusqu'à une petite salle qui servit de table des négociations.
L'accord en lui même n'a que peu laissé de traces dans ma mémoire, seul restent toutes ces merveilles que nous avons croisé, bien trop rapidement, pendant notre visite.Mais un détail, plus que les autres, marqua mon esprit lors de cette mission: Entre le bruit des pioches, des chariots et des échanges de mineurs, planait dans l'air une mélopée à peine audible, il me semble qu'elle nous suivit de notre arrivée jusqu'à notre départ. Une musique courte, relativement simple, mais dont je n'ai jamais réussit à déterminer l'origine...De ce que j'en eu appris plus tard, les locaux appellent ça "le chant des cubes".
A tous ceux qui se sont un jour demandés où s'en vont les blocs de Tetris...