L'Art de la Guérison [rp concerté][terminé]

Grendelor et Aenaril réapparurent dans une cours intérieure, dans la chaleur du soir sûl-narien. Au centre se trouvait une fontaine gougloutant doucement. Partout, des fleurs, des plantes. Dans le coin nord-ouest, un grand olivier. L'air était calme et embaumait de diverses senteurs. La maison qui entourait la cours comportait un étage avec un toit plat pour profiter de la fraicheur de la nuit. Les murs étaient recouverts de végétation si bien qu'il était impossible de dire en quoi ils étaient faits. Une coursive protégée faisait le tour, desservant chaque pièce de la maison.

La jeune femme se dirigea vers l'olivier et s'assit sur un banc placé contre son tronc. Elle laissa à l'Aasimar le temps de se remettre du voyage et du changement de décors. La téléportation ne lui faisait plus aucune effet, mais certains étaient désorientés après un tel déplacement. Elle ferma les yeux et s'imprégna de la paix régnant dans ce lieu. Cette maison avait tout vu. La guérisseuse y était en sécurité et se sentait capable de tout accomplir. Elle avait déjà scellé un démon surpuissant et veillé sur son fils alors qu'il ne pouvait encore contrôler ses pouvoirs. Tout était possible chez elle.

Aenaril avait l'habitude des téléportations. Après tout, n'était-il pas expert dans le changement de dimension, nécessaire au passage des âmes? Toutefois, il fût bouche-bée par la beauté de l'endroit où la guérisseuse l'avait emmené. Le décor le subjuguait. Des millions de fleurs constituaient autant d'explosions de couleurs pour ses yeux. Mais par dessus tout, c'était le parfum qui l’enivrait et l'emportait loin, très loin, dans un souvenir sans image, conservé par son instinct.

- C'est le parfum de ma mère...

Il voulait bien entendu parler d'Agape, qui n'était pas sa mère biologique mais qui était profondément ancrée dans ses gênes. L'Aasimar se sentit parcouru d'une énergie nouvelle, subtile, puissante et enfouie si profondément qu'il était difficile pour lui de la percevoir. Il comprit intuitivement que ce n'était pas sans rapport avec ce que lui inspirait ce lieu... Puis il regarda autour de lui, et vit l'herbe à ses pieds toute séchée. Il se maudit de salir un tel endroit, et préféra laisser la place au loup. Mais Olenwë, lui, ne l'entendait pas de cette oreille. A mi-chemin, il stoppa net la métamorphose, comme ils l'avaient déjà fait en bien des occasions, lorsque les instincts animaux étaient plus utiles combinés aux réflexes humains.

- Cette fois, nous sommes tous les deux dans le même bateau, vieux frère.

Et ce fût tout. Aenaril savait qu'il n'était pas possible de discuter. Olenwë avait parlé avec son instinct, pas avec sa logique. Et il respectait cela. Il remarqua qu'ainsi fait, la verdure revivait sous ses pieds, d'une allure plus sauvage et pleine d'éclat. Cela le réjouit et il décida d'offrir à Grendelor une unique fleur, qui compléterait son jardin. Il chercha dans ses souvenirs, fouilla sa mémoire, pour trouver l'endroit où elles poussaient. Quand il trouva, il "coula" une de ses mains griffues dans un autre monde, le temps de récolter une graine. Il alla rejoindre Grendelor au pied de l'Olivier, s'assit près d'elle et planta la graine. Une fois ceci fait, il s’efforça de la faire pousser, son énergie combinée à celle du loup. Il réussit après un long moment où ils observèrent un silence religieux, à donner naissance à un petite fleur aux fleurs noires comme le velours.

- Elle... elle n'est pas très réussie, bredouilla-t-il. D'habitude, elles sont plus grandes, et plus fortes. C'est une variété qui vient de la planète ClairObscure. Ces fleurs sont noires comme le velours en journée, et d'une blancheur diaphane une fois que la lune les caresse de ses rayons. J'aime ces fleurs, car elles sont aussi paradoxales que moi. Broie ces fleurs en journée, et elles boosteront ton corps pour qu'il guérisse. Broie les de nuit, lorsque leur pureté t'attire, et elles te tueront en une demi-heure...

Il se tut un instant, et puis prit peur en se rappelant que la guérisseuse était herboriste.

- Mais il ne faut pas la cueillir! reprit-il de vive voix. Je veux dire... quand on en cueille une, le plant entier meurt. Cela veut dire qu'elle ne peuvent être utilisées que dans des conditions vraiment particulières. Et aussi, que cette plante-ci doit vivre, pour ne pas tuer ses soeurs, sur ma planète natale...

Grendelor était troublée par la capacité d'Aenaril à corrompre tout ce qu'il touchait. mais, par ailleurs, il dégageait une délicatesse et une fragilité qui faisaient oublier toute idée de peur. Son cadeau la fit sourire, émue par l'attention ainsi que par la symbolique de la fleur.

J'en prendrais grand soin, fit-elle avec gravité. Et je ne la cueillerai qu'en cas de catastrophe majeure.

Sachant ce que lui avait dit l'aasimar, elle ne voyait pas quelles circonstances pourraient la pousser à s'en servir et ainsi détruire tout un pan d'espèce.

La guérisseuse avait observé avec curiosité et attention le comportement d'Aenaril, sa transformation inachevée, marque de la volonté d'Olenwë. Elle prit quelques instants de contemplation avant de dire.

Ton don corrompu t'es un fardeau, mais tu n'es pas un loup, tu ne peux rester sous cette forme pour fuir cette partie de toi. Tu es un être sensible, comme tous ceux qui Voient. Olenwë aussi, bien sûr, mais la nature simple du loup ne lui permet pas forcément de bien comprendre ton tourment. Je ne pense pas que la fréquentation de Sephiroth l'ait suffisamment humanisé pour ça. Mais je m'avance peut être et alors je m'excuse devant toi, Olenwë, fit la jeune femme en inclinant la tête. Mais son instinct lui dicte que tu dois garder forme humaine pour le moment, parce que le "problème" vient de toi. Il faut que TU le gères et non pas que le loup se substitue à toi.

Grendelor laissa planer le silence. La nuit commençait à tomber, en quelques minutes il ferait noir. La rumeur de la ville leur parvenait par dessus le murmure de l'eau. La jeune femme prit une longue inspiration, respirant le parfum des fleurs, et la relâcha lentement, pleinement détendue, sereine.

Si tu le veux, je peux t'aider. Si tu le souhaites, je peux te rendre un don pur. Ce sera difficile, douloureux certainement, et cela te coupera définitivement de ta déesse. de cela, je suis sûre. Si tu n'es pas prêt mais que tu veux pouvoir marcher dans les rues et les forêts sans qu'on te suive à la trace, il est possible que je puisse sceller ton don. Mais je ne sais quelles limites aura ce sceau. Aussi bien il se défera à la moindre pensée malveillante, aussi bien je ne pourrais le défaire. Je ne suis pas très bonne en magie des sceaux, fit-elle en se moquant d'elle-même et en se rappelant que la seule fois où elle avait pratiqué cela avait été pour refermer un sceau déjà existant et que, encore, cela n'avait été que clouer une planche fine sur la porte. Elle ne possédait pas la clé nécessaire pour compléter son travail. En revanche, reprit-elle avec aplomb, je suis très douée pour guérir d'une façon définitive. Purifier est une seconde nature chez moi.

Un sourire espiègle avait souligné cette dernière phrase.
Depuis qu'ils étaient arrivés, Grendelor avait refermé son esprit, n'interférant plus avec les émotions d'Aenaril. C'était à lui, et à Olenwë dans une certaine mesure, de prendre la décision. La guérisseuse lui avait donné les choix possibles, mais elle ne pouvait se permettre de le faire à sa place. Elle attendit donc, totalement confiante en Aenaril.

Aenaril écoutait attentivement Grendelor. Bien qu'il n'ait pas ses capacités, il devinait sa perplexité quant à la possible utilisation de la fleur. Mais l'Aasimar, lui, savait. Car l'un de ses dons lui permettaient de savoir bien des choses concernant les âmes qui l'entouraient. Y compris le jour où ils rencontreraient leur destin...

* Sous-estimerais-tu volontairement ce que nous sommes, Guérisseuse? Toi mieux que quiconque sait que ce qui appartient à la Nature a une claire perception de la nature des choses. Mais tu as raison, je ne dois pas être ici. Mon problème à moi se règle à la manière des loups, avec du temps et de la sagesse.*

Un loup ne dit pas au revoir, et encore moins adieu. Il sait que lorsqu'un contact est établi, seule peut-être la mort peut le couper. Toutefois, sa disparition fut nettement visible, puisque l'Aasimar retrouva son corps dans son entièreté, laissant le pelage blanc du loup s'envoler au vent. Quelque part dans Echoriath, au sein d'une Citadelle nommée Javac, Sephiroth se prit une claque de Golem, distrait qu'il fût par l'arrivée inopinée d'un animal dans son esprit.

* Je t'ai déjà dit de ne pas entrer dans ma tête comme tu entres dans ta tanière, vieux frère ! *

Mais cette phrase était marquée du plaisir et de la joie des retrouvailles. Aenaril, lui, était seul à présent, et il sentit une once d'appréhension l'envahir. Quand il plongea son regard dans celui de Grendelor, il sentit ce frisson d'excitation que pouvait parfois provoquer le destin lorsqu'il plaçait quelque chose ou quelqu'un sur votre chemin. Il lui sourit avec franchise, et demanda à mi-voix:

- Purifie-moi. J'ai propagé tant de mal, je veux tout effacer en ramenant l'équilibre.

Grendelor avait senti le départ d'Olenwë non seulement par la disparition du pelage blanc mais surtout par le changement de perception qu'elle avait de l'Aasimar. Son Essence n'était plus « brouillée » par celle du loup. Elle sentit l'appréhension d'Aenaril mais sourit avec chaleur quand il accepta son offre de le purifier.

- Très bien. Nous risquons d'en avoir pour la nuit donc si tu as besoin de manger, c'est maintenant. Je ne suis pas sûre que nous pourrons nous arrêter en cours de route. Je vais aller chercher quelques fortifiants mais j'ai d'abord une question très importante : sauras-tu me laisser entrer en toi, dans ton corps et ton esprit sans me résister?

Aenaril se sentait envahit d'une crainte sourde qui commençait à étendre son emprise sur lui. Il tentait de se calmer, mais il lui semblait que son sang était une mer déchaînée par une tempête. Il dit à Grendelor:

- Hum. Je pense qu'il vaut mieux que je ne m'alimente pas. Si tu dois entrer dans mon esprit, tu te frotteras à quelqu'un de puissant: la Déesse elle-même. Oh, bien sûr, ce n'en est qu'une infime part, elle ne peut pas être sans cesse tournée vers un moucheron comme moi, mais elle est suffisamment puissante pour s'emparer de mes propres ressources et me ronger de l'intérieur. Je pense que si toi et moi œuvrons de concert, nous avons peut-être une chance. Je la limiterai, autant que possible, en refusant de lui céder le terrain, pendant que toi tu purifieras ce qui peut l'être avant de s'attaquer au « gros morceau ».

Il se tut, avant de s'apercevoir qu'il venait de présenter une stratégie d'attaque où le terrain était son esprit. Il trouva un instant ridicule cette représentation, et finit par rire comme un chien qui aboie, ce qui le détendit un peu.

- Ça ne sera pas facile, prédit-il.

Grendelor sourit devant l'évidence de la prophétisation. Entrainant Aenaril à sa suite, elle se rendit dans une petite pièce sans fenêtre où une forte odeur de plantes régnait. Des paniers, une table avec mortier et de quoi faire des distillations, des étagères emplies de dizaines de fioles différentes composaient le décor de la pièce. La guérisseuse hésita un instant devant son étal avant de choisir une fiole contenant un liquide noir, une rouge et une verte. Elle repartit ensuite, traversant la maison pour rejoindre une chambre du rez-de-chaussée. Ouvrant la porte, elle dévoila la présence d'un lit ainsi que d'un canapé. La fenêtre donnait sur la cours intérieure, ne montrant que le noir d'encre de la nuit. Un petit lavabo était dans un coin. Les tons pastels bleu et vert étaient apaisants. Grendelor franchit la porte en faisant signe à Aenaril de la suivre.

- Entre, tu ne crains rien, il y a un champ de force autour de cette pièce mais tu peux le franchir aisément.

La jeune femme prit ses aises sur le canapé, s'assoyant en tailleur, et commença à désigner les fioles.

- La rouge nous donnera un regain d'énergie. La verte est pour moi, elle stimule les dons de guérison. La noire est en cas de besoin : si jamais tu me rejettes de ton esprit en cours de route, je t'en donnerais pour t'endormir et affaiblir tes défenses mentales.

Aenaril suivait attentivement ce qui lui disait la guérisseuse. Une partie de lui était méfiante, mais tout dans l'atmosphère contribuait à l'apaiser. Il s'assit sur le lit, la regarda avec un sourire, avant de saisir la fiole noire, et d'en avalée une petite gorgée.

- Juste au cas où...

Il la referma, s'allongea sur le lit et essaya de se détendre. Le petite coup de pouce de la fiole se faisait sentir, il avait une drôle de sensation d'engourdissement. Il informa Grendelor:

- Il va me falloir quelques minutes, le temps que je me déverrouille de l'intérieur, chakras après chakras. Ça risque de changer rudement l'atmosphère, mais je te fais confiance ainsi qu'au charme de cette pièce, pour la suite.

Un moment passa où l'on entendait plus que le silence de la nuit. Grendelor était là, présence rassurante, et Aenaril plongeait en lui, dans une nuit plus profonde encore que celle du dehors. C'est alors que l'atmosphère changea, de l'Aasimar s'échappait des radiations fortes et incontrôlées, corrompues, qui n'étaient plus retenues que par sa volonté. Le temps pour Grendelor de les maîtriser. Et dans un coin, précautionneusement cantonnée, la Déesse, attendant que l'Aasimar ouvre cette porte qu'il avait pris soin de garder fermée.

La jeune femme ne craignait pas les ondes qui sortaient de l'Aasimar. Doucement, finement, elle tissa son réseau, contenant et contraignant l'aura d'Aenaril autour de lui-même. L'air retrouva sa légèreté et ils purent respirer normalement. Grendelor se glissa alors dans l'esprit du passeur d'âmes, si délicatement qu'il ne s'en rendit compte que lorsqu'il sentit son appréhension disparaître d'un coup. Son corps se détendit, son coeur retrouva un rythme normal. La guérisseuse avait commencé par vérifier l'état général d'Aenaril, rééquilibrant ce qui avait besoin de l'être.

Alors qu'il allait ouvrir le dernier chakra, Grendelor se prépara à s'engouffrer dans la porte. Elle pouvait sentir derrière l'essence de la Déesse, impatiente de reprendre possession de ce qu'elle estimait être son bien. L'esprit de la guérisseuse était une lame bleue, celle du pardon, celle qui tranche les liens noirs. Quand le dernier sceau tomba, la lumière rencontra l'ombre, la compassion la haine. Grendelor luttait pour ne pas laisser la Déesse revenir en Aenaril. Elle luttait pour remonter ce lien qu'il lui fallait trancher à la source. Contrairement à ce qu'avait pensé Aenaril, elle devait commencé par couper la source avant de pouvoir purifier le reste.

Grendelor puisait en elle-même force et énergie, agrandissant cette flamme bleue qui la représentait. Dans son coeur, elle faisait remonter tout l'amour des hommes qu'elle pouvait avoir, tout son amour de mère, de femme, de soeur, d'amie. Contre la vengeance et l'envie de la Déesse, il n'y avait que ça, lui renvoyer le meilleur.

Aenaril avait senti l'oeuvre de Grendelor uniquement lorsqu'elle s'était mise à rafistoler les petits maux qui contraignaient son corps. L'Aasimar se sentait étrangement zen, comme abandonné, mais la peur le saisit lorsqu'il comprit que Grendelor allait d'abord s'attaquer à la Déesse. Cependant, la gorgée du breuvage faisant effet, et la guérisseuse l'apaisant, il ne trouvait pas l'énergie nécessaire pour argumenter en faveur de sa stratégie. Il jugea qu'elle savait certainement mieux que lui ce qu'elle faisait. Quand elle passa la barrière, ce fût un déferlement d'énergie monstrueuse et noire qui déferla. Aenaril eut l'impression que son âme convulsait, il se sentit aspiré à des années lumières d'où il était, il se vit dans le creux de la main de la Déesse, la seconde lui trifouillant le coeur sans ménagement. Il n'avait qu'une maigre conscience de ce qui se passait, tant la douleur était fulgurante, tant la rage était vindicative et écrasante.

* Qui es-tu pour oser tenter de couper ce lien!!!!* tonna-t-elle dans leurs esprits.

Ce cri était déstabilisant, animé de la haine à son paroxysme. Aenaril sentait le lien d'énergie négative qui le liait à elle et qui était plus grand qu'une galaxie. Il sentait aussi que de là où elle était, la Déesse envoyait une marée d'ondes noires qui, inévitablement, finirait par atteindre son corps, et donc Grendelor. L'Aasimar se concentra, de toutes ses forces, pour faire passer un message à la guérisseuse:

* Attention. Coupe le lien avant l'arrivée de la vague. Ca va nous dévaster...*

Mais ce qui se voulait être un cri ne résonnait que comme un lointain écho, assourdi par le grondement d'un déferlement de puissance et d'aspirations inquisitrices.

Si Grendelor n'entendit pas l'appel de l'Aasimar, le sentiment de danger qui parcourait son corps et son esprit la prévint tout aussi efficacement. Le combat d'énergie avait remonté le lien vers la Déesse, l'affaiblissant à la base. La guérisseuse forgea mentalement l'équivalent d'un mur pour la protéger le temps de couper le fil noir. Elle se posta tout près du point d'entrée, à l'endroit le plus faible, et leva sa lame de flammes bleues. Son tranchant, fait de pensées lumineuses et de compassion, eut vite raison du lien. Un cri de douleur et de rage se répercuta dans leurs esprits, les ébranlant, quand la Déesse se sentit coupée de sa proie.

Avant qu'Elle ne puisse se reprendre et repartir à l'assaut, la guérisseuse "claqua la porte" de l'esprit d'Aenaril et s'occupa de la faire disparaitre. Enfin, elle allait pouvoir s'occuper du "nettoyage". Alors qu'elle se glissait dans le corps de l'Aasimar à la recherche du siège de son don, une impression de malaise, signal d'alarme qu'elle connaissait bien, s'empara de Grendelor. Aussitôt, son esprit réintégra sa chair. Une inspiration hachée emplit ses poumons d'un air bienfaisant mais qui la brûla. Il était temps qu'elle revienne. trop longtemps livré à lui-même, son corps n'alimentait plus ses fonctions vitales. En principe, elle ne devrait pas faire de telles opérations sans être surveillée par quelqu'un qui saurait maintenir son corps en fonction. Mais elle n'en connaissait pas sur Ter Aelis.

Toussant, la jeune femme se leva avec difficultés, percluse de crampes qui lui tirèrent un gémissement. Par la fenêtre, la profondeur de la nuit lui apprit que plusieurs heures s'étaient déjà écoulées. Mais la guérisseuse ne pouvait remettre à plus tard la suite des opérations. Sa main attrapa les fioles rouge et verte dont elle but une gorgée avant de s'approcher du lit où reposait son patient. Pâle et froid, il semblait endormi mais devait plus être proche de l'épuisement qu'autre chose après le contrecoup du combat. Grendelor le recouvrit d'une épaisse couverture qu'elle tira de dessous le lit et fit tomber quelques gouttes de stimulant sur ses lèvres qui s'ouvrirent par réflexe. Elle versa alors une partie du liquide dans la gorge de l'Aasimar qui avala.

Satisfaite, la guérisseuse poussa légèrement Aenaril et se nicha contre lui. La suite serait encore longue et leurs corps avaient besoin de garder de la chaleur. Bien installée, Grendelor ferma les yeux et replongea en transe. Après un rapide check-up où elle facilita l'action du stimulant sur les fonctions vitales de son patient, la jeune femme repartit en exploration, cherchant le centre du pouvoir du Passeur d'Ame. Il ne lui fallut pas si longtemps que ça pour le trouver tant il était puissant. N'aurait été la corruption qui l'assombrissait, elle n'aurait même pas eu à chercher. Elle le voyait comme un coeur lumineux battant contre une gangue noire comme pour en sortir. Celle-ci n'étant plus alimentée par la Déesse, il était probable qu'elle s'éliminerait seule avec le temps. Beaucoup de temps. Et pour rendre son équilibre à Aenaril, c'était maintenant. Grendelor se mit donc au travail.

Elle n'avait jamais vraiment compris comment marchait la guérison. Depuis toujours, sa vision des choses était basée sur du concret, du réel. Elle se vit donc comme "épluchant" ce coeur lumineux, trouvant un premier accroc dans la gangue de corruption qu'elle tira. C'était poisseux, froid et collant, cherchant à l'envelopper, mais en gardant à l'esprit des choses belles et heureuses les lambeaux noirs se racornissaient à son contact et finissaient par disparaitre. Petit à petit, morceaux après morceaux, la lumière envahissait l'esprit et le corps d'Aenaril. Après un temps indéfinissable, le don du Passeur d'Ame fut complètement nettoyé. La guérisseuse chercha toute autre trace de l'action de la Déesse mais il n'y avait rien d'autre. L'Aasimar avait retrouvé l'intégrité de son corps et de son esprit.

Grendelor se retira doucement, envoyant une incitation au repos et à la détente. La respiration d'Aenaril se fit plus ample et plus calme. De son côté, la jeune femme se leva avec un soupir de fatigue mais aussi de satisfaction. Elle rejoint sa cuisine où elle prépara un copieux repas qu'elle déposa sur un plateau dans la chambre de son invité. Elle-même se fit une large collation avant de se glisser avec volupté entre ses draps, dans sa chambre au premier étage. Le soleil, lui, était déjà levé depuis deux heures.

Aenaril avait redouté la vague de la Déesse, mais Grendelor avait été suffisamment forte pour trancher le lien avant que celle-ci ne s'écrase. Quelque part dans le cosmos, celle-ci avait dû s'écraser et faire des ravages autour d'elles, mais la chose qui était sûre c'était qu'elle ne s'était pas abattue sur eux.

L'Aasimar était à la limite de l'inconscience, et il ne comprenait les choses que par sensation et souvenir. Il sentit un liquide froid s'insinuer entre ses lèvres, avant de réchauffer son corps. Il sentit la chaleur d'un corps contre le sien et il pensa instinctivement à sa mère, Agape, et la seule fois où il lui avait été donné de la rencontrer. Et puis il lui sembla que cette même mère oeuvrait en lui et le lavait de tous les malheurs qu'il avait causé. Il se sentait purifié. Purifié...

Il ouvrit grand les yeux. Se rappelant que la guérisseuse était seule à l'oeuvre dans cette bataille et qu'il l'avait abandonné. Qu'il s'était abandonné. Sauf qu'en face de lui ne se trouvait pas la petite chambre où il s'était installé plus tôt, mais une immensité blanche et immaculée que rien ne venait perturber. Puis, lentement, doucement, il vit une silhouette s'avancer vers lui, d'un pas mesuré et rassurant. Il se sentit sourire car il savait qui elle était. Elle était là, à nouveau.

- Il m'a fallu du temps, mais je devais réparer les dégâts de ma Soeur. Elle est très mécontente que tu l'aies laissé tomber, tu sais.

- Désolé, fût-il tenté de répondre. Mais un geste de la main de sa mère l'incita au silence.

-Ne regrette jamais ce que tu viens de faire. Si nous avons été si longtemps coupés l'un de l'autre, c'est à cause d'elle et de l'emprise que tu lui laissais avoir. Cette guérisseuse, par son empathie et son amour du monde qui l'entoure, a pu faire resurgir tout ce qu'il y avait de mieux en toi. Nous sommes au creux de ton âme, là où je me suis cachée tout ce temps pour préserver au maximum la pureté que je te connaissais.

L'Aasimar ne savait que répondre. Toute sa vie durant il avait pensé que sa mère l'avait simplement abandonné. Aujourd'hui qu'il apprenait la vérité, il lui semblait l'avoir toujours sue. Que faisait-il toutes ces années, aveuglés par son amour-propre?!

- Il n'est pas trop tard pour rendre le bonheur que tu as volé, Fils. Ta route est encore longue, mais n'aie crainte: je serai avec toi.

Il lui sourit et à cette seconde même, il prit conscience de ce qui l'entourait. Il était confortablement installé dans un lit, le jour perçait par la fenêtre et déposait ses rayons qui caressaient ses paupières. Un délicieux fumet de nourriture lui chatouillait les narines. Il ouvrit alors les yeux, et il lui sembla que le monde s'était paré de ses plus belles couleurs pour saluer son réveil. Son éveil. Il sortit une jambe, puis l'autre, posant les pieds au sol avant de s'assurer que tout allait bien. Il se sentit plus vivant que jamais et attrapa une pomme sur le plateau qui constituait son repas. Celle-ci le mit en appétit et il dévora le reste avec une intense joie gustative. Quand il eut terminé, il alla se placer à la fenêtre, pour contempler le paysage du dehors. Ce matin-là, tout semblait en paix.

* Bonjour, Grendelor.* fit une voix dans l'esprit de la guérisseuse.

* Je suis Agape. Mais pour toi, mon nom n'est pas important. Tu crois en tout mes facettes, qu'elles qu'elles soient et qu'importe comment on les nomme. Je tenais à te remercier d'avoir croisé la route de mon fils. *

Qui sait si c'était un rêve ou bien si elle était réveillée, mais Grendelor se trouvait fasse à une incarnation humanoïde, très belle et brillant d'une lumière blanche. Elle ressemblait à une nymphe de lumière. La guérisseuse sourit. L'incarnation lui rendit son sourire, s'évapora et d'infimes particules de lumières vinrent caresser ses joues et la revigorer, avant de disparaître.

Grendelor faisait un rêve serein où une belle dame à la douce aura lui parlait. Au fond d'elle, la guérisseuse sentait la véracité de cet échange. Dans son sommeil, son visage s'éclaira d'un large sourire. Quelques instants plus tard, ses yeux bleus s'ouvrirent sur sa chambre, largement illuminée par le soleil de milieu de matinée. Elle s'étira avec plaisir puis se leva et rejoignit Aenaril. Elle le retrouva plongé dans l'observation du ciel.

Bonjour, fit-elle avec entrain. Comment te sens-tu?

Aenaril se retourna à l'arrivée de Grendelor, mais mit du temps à lui répondre.

- A...bsolument bien. Je crois, que je me suis rarement senti aussi en pleine forme. J'ai reçu la visite de quelqu'un que je n'avais pas vu depuis longtemps, pendant mon sommeil, expliqua-t-il.

Il sourit largement en y repensant, et eut soudain une idée:

- Tiens, allons dans le jardin! J'aimerais voir comment se comporte la nature à mon égard! Je veux... les ressentir. Ce matin est parfait, et je sens de bonnes ondes positives en notre direction. J'ai envie d'en profiter!

Se laissant "couler" comme une ombre par la fenêtre, il se retrouva dehors, à regarder la dame turquoise.

- Si tu prends ma main, je t'offre le raccourci, plaisanta-t-il, en la lui tendant néanmoins.

Souriante aussi, Grendelor lui fit un clin d'oeil et se téléporta juste à côté d'Aenaril dont elle attrapa la main.

J'ai mes propres raccourcis, fit-elle, taquine. Si ce matin te parait parfait, profitons-en alors. Désignant la cours, elle ajouta, ce n'est qu'une partie de la nature que tu peux trouver ici. Si tu veux avoir matière à expérimenter, je te suggère que nous allions dans le jardin des simples que j'ai aménagé derrière la maison.

L'herboriste emmena l'Aasimar une dizaine de mètres plus bas que la maison. Au premier abord, il vit un bosquet de cactus et autres plantes du désert. En s'approchant, Aenaril se rendit compte que ceux-ci servaient de couverture, de protection, pour tout un réseau de plantes aux multiples applications.

Ici, tu auras de multiples variétés auxquelles je n'ai pas touchées. Elles sont exemptes de magie. Et si tu veux nous pourrons aller plus avant dans le désert pour trouver quelques animaux.

En effet, Grendelor habitait juste à la périphérie de Sûl-Nar et le sable s'étendait à l'infini au-delà du jardin.

L'Aasimar était époustoufflé par le jardin de Grendelor qui regorgeait de merveilles naturelles. Lorsque celle-ci lui proposa d'aller au devant du désert pour trouver des animaux, il lui vint une idée.

- Ici, c'est bon. Je meurs d'envie de tester quelque chose, dit-il.

Il posa un genou en terre et les deux mains bien à plat sur le sol. Il se préparait à utiliser une grande quantité d'énergie et prévenait donc ainsi le contre-coup.
D'abord, il ne se passa rien. Ensuite, des montagnes de petites choses se passèrent, durant un temps long qu'il lui était impossible de mesurer, tant sa concentration était forte.
Les cactus se mirent à grandirent, devenant très robustes et peu engageant... mais bientôt ils firent des fleurs rouges et jaunes qui les transformèrent en une muraille naturelle appréciable. Pour compléter le tableau, ils s'écartèrent légèrement, comme pour créer une entrée, et les fleurs se mirent à pousser à vue d'oeil. Un feu d'artifice coloré de fleurs s'étendaient de part et d'autre d'une portion de terre dont l'herbe semblait se retirer pour laisser place à quelque chose d'autre... En-dessous, très bas sous la terre, il y avait de l'eau qui avait besoin d'aide pour remonter. Aenaril s'en occupait, pour créer un tout petit oasis, de la taille d'une petite piscine, qui permettrait aux animaux de s'abreuver, et aux êtres humains d'éventuellement s'y baigner. Il ne négligea pas l'ombrage nécessaire en incitant les petits rongeurs, lézards, fourmis, et animaux volants à venir s'abreuver en emportant des graines de palmiers avec eux. Il fit pousser ceux-ci à mi-hauteur, n'ayant pas la force nécessaire à faire pousser un arbre dans son entièreté, même aidé de mère nature. La végétation ainsi étagée devrait pouvoir vivre et accueillir une vie animalière riche.

Quand l'Aasimar s'arrêta, l'après-midi était déjà bien avancée et touchait à sa fin. Il regarda Grendelor avec une moue à moitié satisfaite:

- Un peu trop humain, hein? Mais maintenant, la nature est seule avec elle-même, donc elle fera les choses à sa manière. Je suppose que ça viendra avec l'expérience, soupira-t-il.

Il s'assit par terre pour estomper les vertiges et inspira de grandes bouffées d'air.

- Ma première bonne action en tant que défenseur de mère nature... c'est fatigant et réjouissant à la fois, pensa-t-il à voix haute.

Assise à l'ombre, Grendelor avait regardé l'Aasimar prendre plaisir au contact de la Nature. Sans intervenir, elle s'était connectée et avait suivi le chemin de son énergie, écoutant la symphonie formée par la magie à l’œuvre. Quand Aenaril s'arrêta, elle prit conscience que le temps avait passé rapidement et sans qu'elle s'en rende compte. Observant avec intérêt la création de son compagnon, l'herboriste sourit. Tous les éléments étaient là, la nature suivrait son cours maintenant.

Trop humain? Non. Quand on crée quelque chose de cette taille, les débuts font toujours artificiels mais la nature ne fait pas autrement. Simplement les choses se mettent en place l'une après l'autre alors qu'ici tout est venu d'un coup. Mais tu as raison, la nature harmonisera tout ça avec le temps.

Remarquant sa fatigue, la dame turquoise ajouta.

Tu devrais te reposer un peu ici et puis nous rentrerons. Tu me diras alors ce que tu veux faire. ça va aller? s'inquiéta-t-elle devant son essoufflement.

L'utilisation intense de la magie pouvait avoir des contre-coups importants, la dépense en énergie pouvait être fatale si on dépassait ses limites. Fouillant dans la ceinture qu'elle portait à la taille, Grendelor en sortit une poignée de fruits secs.

Mange, cela t'aidera. Tu as peut être vu un peu grand pour une première fois. Fit-elle avec un sourire bienveillant.

L'Aasimar observa Grendelor rentrer. Une partie de lui ressentait de la peine pour elle, car il sentait que cette femme avait vécu des déchirements importants, et pourtant elle faisait preuve d'une compassion à toute épreuve. Il soupira en se disant que le monde serait bien triste, une fois privé d'elle. Il se résolu à ne pas penser à cette partie là du futur, et se leva pour suivre les pas de Grendelor.

Arrivé à sa hauteur, il la regarda avec sérieux, et lui dit:

- Je te remercie de m'avoir aidé ainsi. A présent, c'est moi qui vais t'aider. Une guerre approche, on la sent dans l'air... Je ne sais comment tu comptes t'y impliquer, par le secours ou par l'épée, mais sache que je serai à tes côtés, et ce jusqu'à la fin de l'aventure.

Ne lui laissant pas le choix, il ne lui restait plus qu'à se former jusqu'à ce que sonne l'heure funeste.