Le legs du Singulier

Wilwarin, métropole littéraire qui réunit les plus grands érudits mais surtout de magnifiques ouvrages.
Plus d’une semaine était déjà passée et pourtant Nayima ne cessait d’avoir des étoiles dans les yeux: tant de connaissances, d’art, de culture réunit en ces lieux. Elle avait l’impression que jamais elle ne pourrait quitter ces lieux.
Perdue dans le labyrinthe d’étagères, la jeune femme avait trouvé la section consacrée aux Dieux et légendes. Les livres eux-mêmes ne cessaient de l’extasier: des reliures finement ouvragées aux couleurs resplendissantes où dessus étaient délicatement apposé les titres et auteurs selon une écriture calligraphiée et richement ornée. Ces ouvrages étaient du pures oeuvres d’art qu’elle osait à peine toucher. Mais le véritable trésor résidait dans les écritures; nul part ailleurs se trouvait de tels récits. Ici aucune censure n’était autorisé, il s’agissait de l’Histoire, de l’art, de témoins de notre existence, de nos croyances, et pour ces raisons, ils devaient être protégés comme les biens les plus précieux.

Ce jour là, l’elfe avait abandonné le Prince du Sang à ses recherches sur une quelconque idée fondamentale qui pourrait remettre en question l’ordre de... de l’univers? ou quelque chose dans cet ordre de grandeur au regard du discours moralisateur dont avait écopé la jeune femme pour oser poser une question et dont elle avait compris pour l’essentiel que son intervention était inadmissible quand était remis en question l’Ordre.

Parmi les légendes, elle se sentait rêveuse, transportée par ses histoires d’amour infini, de sacrifices, de tragédies. Pourtant ce qui attira son regard n’avait rien de très chevaleresque: il s’agissait d’un livre assez sombre dont le titre couleur argent indiqué “Noir ébène: légendes et réalités”. Le discours du Prince restait flou dans son esprit, mais elle était persuadée d’avoir entendu à plusieurs reprise cette étrange qualification.

Finalement piquée par la curiosité, elle prit délicatement l’ouvrage et se dirigea vers un coin lecture composé d’énormes poufs dans les dégradés d’or le plus foncé au plus clair. L’elfe se sentait telle une princesse des milles et une nuits. Confortablement installée, elle débuta sa lecture. Le texte visiblement ancien comportait des passages difficile à lire pour la jeune femme. Nayima comprit cependant qu’il était question d’un aspect qui ne se comportait pas comme l’un d’eux. Certaines légendes vantaient ses miracles et ses lieux de repos semblaient révéler une grande importance selon ses écrits. Elle relevait la mention du Noir-ébène qu’à la fin de l’ouvrage où il était question d’une utilisation par les Forges.

Frustrée d’y comprendre si peu, elle décida de rejoindre Sanz avec sa trouvaille. Elle attendrait qu’il cesse ses recherches pour la lui montrer, peu encline à un nouveau discours sur son inutilité, son ignorance, et sa bêtise.

Nayima était persuadée qu’elle ne s’habituerait jamais au vol en dragon. La jeune femme savait qu’elle ne risquait rien pourtant elle était paralysée par la peur et le jeune dragon le savait. Un plus âgé aurait été plus compréhensif, mais celui-ci prenait plaisir à virer brusquement ou chuter quelques mètres pour l’entendre hurler.

Le paysage était magnifique bien que leurs “montures” volaient haut dans le ciel, mais elle ne vit que ses mains crispées au bord de cette selle à laquelle l’elfe était sanglée. Tremblante et transpirante, elle maudissait le Prince pour ce supplice. La jeune femme savait qu’il était important qu’elle puisse voyager ainsi, mais rien n’y faisait.

Elle se concentra sur les écailles brillantes de son dragon, elles étaient sublimes, d’un rouge sombre presque brillant. Il était encore jeune, un silhouette très fine encore peu musclée et un long cou gracile. Elle remonta lentement vers la tête en triangle de sa monture, deux grandes cornes suivies de deux plus petites ornaient son front. Il tourna son regard vers elle, la pupille de son oeil fendu la scrutant. L’intelligence brillait dans ce regard, un peu de moquerie également. Il semblait cependant curieux. Après quelques minutes de réflexion, elle réalisa qu’elle était plus détendue, moins crispée, et surtout qu’elle avait arrêter de gémir; c’est cela qui avait dû étonner son jeune compagnon.

Elle esquissait un sourire quand le dragon entama assez brusquement sa descente vers les Palais. Immédiatement elle s’accrocha à nouveau de toutes ses forces à la selle, priant pour finir en un seule morceau. Elle crût sentir quelques soubresauts qu’elle interpréta comme un rire de sa monture mais il était aussi possible qu’il ne s’agisse que de coups de vent.
Les yeux résolument fermés, elle n’assista pas à l'atterrissage et fut soulagée quand on vint la détachée et qu’elle posa enfin pied à terre.

Il lui faudrait quelque minutes avant de pouvoir avancer sans fléchir, Nayima prévoyait ensuite d’aller boire un petit remontant avant d’aller aux forges. De toute manière, autant bien s’hydrater avant d’aller affronter la fournaise.

Un discret signe d’Er Syl et le jeune homme se précipita à la rencontre du groupe avec une montagne de documents divers et variés. Klin n’était pas encore un véritable forgeron. Stagiaire depuis quelques mois, il suivait depuis peu l’éminent Er Syl. L’homme l’impressionnait profondément, il avait acquis des connaissances qu’aucun n’aurait pu acquérir en une seule vie et pourtant sa soif de recherche, d’intérêt pour toute chose n’avait de cesse.

Klin avait été intégré à un équipe travaillant sur une nouvelle matière il y’avait environ 3 mois. Il était chargé des expériences liées au feu, testant différentes températures, mais c’était rapidement intéressé aux autres tests. Er Syl venait souvent lui-même vérifier la véracité de certaines données, et avait probablement remarqué l’intérêt du jeune homme. Klin fut donc étonnamment chargé d’assister le grand scientifique, un honneur recherché par les plus grand forgerons, et dont le jeune homme s’étonnait encore. C’est pourquoi il était encore maladroit, et n’arrivait à répondre à son professeur qu’en bégayant.

Certains diraient donc que ce fût un miracle si l’apprenti ne renversa pas sa pile de documents sur le groupe, d’autres qu’il apprenait enfin. Peu importe, il s’avère que l’ensemble arriva sans accident jusqu’à ce que la surprise entraîne ces malheureux papiers et livres privés de soutien vers un sol bien trop rude.

- Voici le fruit de mes recherches, préparés spécialement pour votre venue. Et voici Klin, qui m’assiste sur le sujet, et qui vous sera probablement d’une bien meilleure aide que ces termes scientifiques. Il vous accompagnera. J’ai d’autres affaires urgentes, déclara Er Syl avant de tourner talons et s’enfoncer dans les Hauts Fourneaux.

L’échange fut bref et... surprenant. Nayima s’attendait à rencontrer un érudit qui parlerait des heures avec des mots scientiques inbordables à son niveau. Au lieu de cela, Er Syl leur donnait un assistant, Klim, qui se chargerait de répondre aux questions liées à la matière ou à défaut au moins les orienter et aider dans cette pile de documents.
C’est avec un certain soulagement qu’elle aida le jeune maladroit à ramasser le tas de feuilles éparpillées.
Nayima avait observé le jeune homme, bien qu’un peu maladroit, l’intelligence perçée dans son regard d’un brun clair tirant sur le foncé et il avait déjà commencé à prendre la carrure et la robustesse des forgerons. Il serait un compagnon agréable pour leur aventure.

-Bonjour je suis Nayima, je sais que nous te prenons un peu au dépourvu Klim, mais nous recherchons une grotte, ou autre endroit, où le noir ébène se serait développé en plus grosse quantités. Nous souhaitons débuté notre recherche sur un tel lieu, la lecture des autres documents peut s’en doute se faire durant le voyage, et nous pourrons modifier nos plans si nécessaire.
Alors cher Klim, ajouta-elle avec son plus grand sourir enjôleur, avait vous pu determiner un lieu où commencera notre aventure?

Les joues de Klim s’empourprèrent:

- Er Syl m’a donné cette carte, en précisant que tout autour de ce lieu avaient été retrouvé quelques fragments.

-Très bien déclara Nayima, cet endroit se situe dans le désert de Sûl Nhar il me semble. Commençons nos recherches là bas et profitons du voyage pour que vous expliquiez les résultats de vos expériences et lectures!
AH j’oubliais, nous voyagerons à cheval, que tout soit prêt pour notre départ d’ici une heure.

Klim était fortement intimidé par l’elfe mais l’excitation de participer au voyage prenait le dessus et il s’activait pour le départ. Il prit peu d’affaires puisque le personnel de la Forge leur fournirait tout ce qui était nécessaire et probablement même quelques inventions à tester (en espérant qu’elles ne seront pas de celle qui explosent au visage de leur utilisateur).
Une heure plus tard, il était donc prêt et feuilletait un ouvrage sur les spécificités de Sûl Nhar. Le jeune homme avait également prit soin de réunir les notes sur le noir’ébène afin de ne pas décevoir l’elfe.

Quand le groupe fut prêt, l’après-midi était déjà bien entamé, il fut donc décidé de débuter le voyage en s’arrêtant à la ville la plus proche et y discuter de la suite de l’aventure.


Le prix de la nuit et des repas ayant été négocié avec le tavernier, le groupe s’installa autour d’une table ronde en attendant que leur fût apporté le soupé. Klim déplia une large carte du désert de Sûl Nhar où y étaenit pointés différents symboles.

- Les triangles noirs représentent des lieux où du Noir’ébène a été retrouvé, souvent en très faible quantité, commença-t-il. Les triangles rouges en plus grande quantité et parfois même comme une roche dans un certain périmètre. Vous remarquerez que des points verts accompagnent souvent les triangles rouges, ils représentent ce que nos scientifiques supposent être une altération liée à la magie d’un élément, souvent une source d’eau ayant certaines spécificité,  mais il peut s’agir également d’une mutation particulière d’une espèce animale par exemple.
Mais ce qui je pense nous intéresse, c’est cette zone qu’Er Syl a hachuré. Il y a été répertorié davantage de noir’ébène que nul part ailleurs à notre connaissance, les quantités et la qualité augmentant autour de cet endroit, dit-il en indiquant un cercle entouré triangles rouges. Au cours de nos recherches sur la zones, il nous a plusieurs fois été rapporté l’existence d’une grotte dans les environs, sans que  nous puissions exactement la localiser. Les populations nomades de la zone évitent la région, elles la disent maudite et dangereuse; et toutes évoquent avoir perdu des membres de leur tribu partis à la recherche de cette grotte ou s’étant égaré dans la zone.

Ses explications terminées, Klim attendit que les autres intègrent ses informations et prennent une décision. Il en profita pour observer Nayima. La jeune femme n’avait cessé de lui poser des questions sur ses recherches durant le court trajet jusqu’à l’auberge. Elle se montrait amicale mais il n’avait pas réussi à dévier la conversation sur des sujets plus personnels, l’elfe en revenant toujours à leur quête. Mais le long voyage qu’ils s'apprêtaient à mener lui permettait de prendre le temps de connaître la belle jeune femme, pensa Klim en se perdant dans les magnifiques yeux émeraudes de Nayima.

Seulement quelques minutes étaient passées, sa conscience naissante réalisant à peine le monde, ouverte à un univers de complexités. Il était ébahi, tel celui qui découvre, mais également confronté à une connaissance ancestrale d’une conscience jumelle et étrangère. Elle était là, juste là, à portée de main, et en même inabordable, ne déversant son savoir que selon son bon vouloir, fermée au contrôle de cet être nouveau assoiffé de cette fontaine de compréhension. Les mystères de l’Histoire, la compréhension de la vie, la sagesse héritée des choix, se déversant au compte goutte, avec précaution, pour ne pas casser cette âme jeune. Pour que sa fraîche inconscience ne soit pas abîmée par le poids des responsabilités et que pendant un temps, ce petit dragon puisse profiter de la joie de la découverte du monde avec cet entrain qui fait briller les yeux des plus âgés et les fait soupirer de fatigue.

L’instinct vînt en premier, sondant l’environnement, attentif aux bruits; une conscience primaire qui l’exhortait à attendre encore dans cette enveloppe protectrice. Puis l’intelligence se développa, d’abord tels de fins filaments, permettant peu à peu l’appréhension de choses élémentaires; alors l’être se mit à bouger, à toucher et à vouloir sortir du cocon.  
Celui-ci mit longtemps à se briser, mais ce temps était nécessaire ; il permettait à la conscience de grandir, apprendre et comprendre. C’est pourquoi lorsqu’enfin la lumière vint atteindre les écailles émeraudes du jeune dragon, il était dorénavant capable de formuler ses pensées à partir de mots assemblés en phrases compréhensibles.

L’appréhension des choses et matières primaires étant établie, la conscience ancestrale commença à distiller son savoir sur le monde et surtout sur l’être important que le nouveau-né était: un dragon né du noir’ébène disposant de la connaissance d’une entité suprême.
Mais avant tout, il était un enfant découvrant le monde, les saveurs, les sensations, et la complexité de l’univers nécessitait une concentration qui attirait bien moins le jeune être que par exemple, les vapeurs qui s’échappaient de la roche parfois avec un drôle de bruit et montaient en volutes de fumée dessinant des arabesques.

AFENWE!!!

Le jeune dragon avait cessé d’écouter le vieux grinchon, tout occupé qu’il était à poursuivre un papillon noire qui avait eu le malheur de passer à proximité. Il était encore maladroit sur ses pattes qui ne deviendraient graciles qu’à l’âge adulte. Il galopait pourtant, se relevant rapidement quand ses pattent s'emmêlaient, glissaient avec excitation dans des virages trop serrés, voire parfois se prenaient de plein fouet la paroie rocheuse. Tout dans la joie de la chasse, il ignorait la conscience ancestrale qui désespérée, tentait d’attirer son attention sur la leçon.
Pourtant, quand elle hurla “Afenwë”, l’enfant cessa net ses galipettes.

Mon nom? Mon nom!

Il entendait pour la première fois son nom, l’autre conscience l’appelant toujours “jeune dragon” et ce son avait une saveur particulière. Il aimait son nom, sa sonorité agréable à ses oreilles. Il ne s’était pas demandé comment il s’appelait, mais maintenant cela semblait avoir une importance fondamentale; comme si en étant nommé, il obtenait la reconnaissance d’une personnalité et d’une unicité, comme s’il prenait de la précision, n’étant plus un être lambda parmi d’autres indifférenciables. Ce sentiment était étrange, d’autant qu’il ne connaissait aucun autre dragon.
La vieille entité lui laissa le temps de savourer son nom et appréhender les sentiments et impressions qu’il lui apportait. Elle aimait les impressions et raisonnements du petit, il serait un être intelligent et sage en grandissant.