Alors que les sirènes rugissent au loin et que les lumières bleu et sang se projettent avec violence sur les murs de la ville, tentant désespérément d'arriver avant qu'il ne soit trop tard, Il pleure. Des larmes coulent sur ses pommettes alors qu'il assiste encore à la scène. Enfin ce qu'il en reste. Sa main s'est ouverte depuis longtemps. Elle pend,sans vie, au bout d'un bras dont l'existence même est encore à certifier, laissant la lourde clé anglaise s'écraser avec le reste, inanimée comme la foule.
Ses yeux vides plongent dans un infini d'incompréhension, tentent vainement de traduire ce qu'ils ont vu, ou du moins cru voir. Son esprit brisé ramasse les morceaux disséminés aux quatre coins de la pièce, ils doivent bien être quelque part. Mais il y a trop de désordre pour y trouver quoi que ce soit. Il avance une jambe, puis l'autre, butte sur un corps pour ensuite écraser son genou au sol. Le jean devient humide, poisseux, mais Il se relève.
Les sirènes se sont arrêtées, les lumières sont toujours là. Il entend des voix agitées, qui se taisent rapidement pour n'en laisser parler qu'une seule, plus calme. Il n'arrive pas à comprendre ce qu'on lui dit. Le son passe par les oreilles, mais n'est pas retranscrit en information. Le même son revient, plus appuyé, mais toujours sans aucun sens pour Lui.
La voix fait alors le tour, passe devant son champ de vision, et s'approche tout doucement, prudente.
Une lumière L'éclaire, la voix en question doit avoir une torche. Une main calleuse, forte, agrippe son épaule, puis ses poignets. Un contact froid et dur lui lie les bras dans son dos, on le pousse gentiment vers une grande voiture, puis vers une grande pièce avec beaucoup de gens qui bougent. On le pousse dans une pièce plus petite. La chemise le serre trop.
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-Hey! C'est vrai que t'as plus d'parents? BIEN FAIT! T'avais pas qu'à être aussi moche! Ahahaha !
-Ouais, tu l'as bien mérité!
-J'suis sûr qu'ils se sont suicidés parce qu'ils avaient honte de lui, en fait!
-C'est lui qui aurait dut se suicider en plus! Tout le monde aurait été content!
-Ouais, c'est vrai, va te suicider!
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Quelque part dans les ruelles de la ville, on entend les cris des ambulances venues secourir les blessés. Il doit y en avoir douze, quinze tout au plus. Peut-être un ou deux morts, mais c'est le jeu, on se traîne pas sur le territoire des Jeffs sans permission. Surtout si c'est pour une histoire de cam'. Ces gars là ont voulut jouer les caïds, z'ont voulut gratter du terrain, mauvaise idée. Pourtant ils le savaient qu'on est pas des tendres question propriété privée. Résultat: deux blessés légers chez nous, et beaucoup plus en face. Au moins on pourra récupérer le quartier de Bay's, j'pense pas qu'ils en auront besoin maintenant.
Une fois retournés à la planque, moi et les gars on s'est vidés deux bouteilles de 12 ans d'âge, pour fêter ça. Et puis l'alcool, ça désinfecte pas mal, surtout quand c'est dans l'gosier. Après deux rails de coke, j'me souviens plus de grand chose, mais c'que j'sais, c'est qu'aujourd'hui on est les rois. J'traîne dans la bande depuis qu'j'suis gamin, et c'est pas demain qu'on m'verra bouger d'ici.
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-Bas alors le rouquin, tu savais pas que t'es sur not' territoire ici? Va falloir payer la taxe pour rentrer dans la cour.
-Ouais, tu nous files tes baskets, et après on te laissera ptet partir, hé hé!
-Eh, les mecs! Regardez ça! Le rouquin a pas l'air de vouloir payer la taxe, ramenez-vous!
-On va t'apprendre le respect, poil de carotte.
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Les sirènes retentissent sur l'avenue principale, tandis que la foule commence à former un cercle autour d'un homme qui hurle à la mort sur la place de l'hôtel de ville. Celui-ci se tient la jambe, ensanglantée par un couteau planté jusqu'à la garde. Un vieil homme dans un manteau crasseux s'esquive sans attirer l'attention, une petite boule de tissu beige avec lui. Il ne s'est pas lavé depuis plusieurs semaines, et c'est pour son physique négligé, que certains jugent même repoussant, qu'il n'attire pas l'attention dans la foule. C'est d'ailleurs cette foule de grandes personnes qui lui permet de cacher aussi bien la petite fille qu'il tient par la main. Tout en trottinant pour suivre le rythme, la gamine se colle le plus possible à son sauveur qui l'amène en lieu sûr.
Une fois au commissariat, assuré que l'enfant soit au calme, un chocolat chaud entre les mains, le sans abri se dirige vers le bureau de son hôte pour lui raconter toute l'histoire. Une demi heure avant, il avait vu un couple de la haute se faufiler à travers la foule avec leur petite. Un passant ayant percuté son parapluie en coccinelle, elle s'écarta de ses parents pour récupérer son bien. Mais à peine fut elle retournée qu'elle les avait perdu de vue parmi tous ces gens pressés et occupés par les achats de Noël. Elle errait à dix mètres de lui. Il venait de la remarquer quand un homme s'approcha et s'accroupit pour lui parler. Elle ne semblait pas rassurée, encore moins quand il lui tendit la main pour l'inciter à le suivre. La voyant refuser, il lui attrapa sévèrement le poignet, commençant à forcer le ton, puis comme la gamine se débattait, le monstre la secoua, lui donna une gifle pour finalement la tirer de force.
Sans hésiter, le sans abri se leva pour lui décocher une droite en plein visage. Celui-ci fulmina de rage, prétendant qu'il n'avait rien à voir dans cette histoire, et qu'il n'avait pas à lui apprendre comment éduquer "sa" fille. Insensible au mensonge, le vieil homme repoussa son interlocuteur qui, fou de colère, sortit un couteau de l'une de ses poches. Tentant de planter le vieillard, une lutte rapide s'engagea entre les deux. Seulement, le pédophile n'avait jamais de sa vie pratiqué l'art du combat. L'autre, oui.
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-Vous devez avoir froid, assit sur ce trottoir. Tenez, buvez, ça va vous réchauffer. Oh, et prenez ça aussi, vous aimez le chocolat j'espère? Allez, bonne journée et joyeux noël !
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Ce qui nous préserve de la prochaine guerre mondiale, c'est le "Bonjour" de votre voisin et le sourire de votre boulangère.