Je suis dans cette voiture, c'est Garry qui conduit, il fait nuit et l'air est bon. Nous sommes partis sur les routes du Sénégal avec cette envie de changement qui fait les bons voyages. J'aime ce regard que l'on pose sur les choses, simples et gratuites, juste profiter du plaisir d'être ensemble entre amis sans se soucier d'argent, de travail ou de temps. On a laissé pas mal de choses derrière nous et c'est tant mieux, Diamonds de Rihanna passe en boucle dans l'autoradio et malgré le fait que tout le monde garde le silence, j'entends le coeur de l'équipe battre. Les roues font défiler l'asphalte et les champs autour de nous, les phares éclairent le centre de la route, en solitaires nous évoluons dans un féérie qui n'appartient qu'à nous. Cet éclair qui nous guette.
D'autres voitures soudain nous rattrapent, dans les rétroviseurs je vois leurs lumières qui éclairent la pénombre et gagner du terrain sur nous. Je suis d'un naturel assez flippé alors je me cramponne à la portière, plein d'appréhension. Je n'aime pas croiser des gens. Je n'aime pas les gens tout court en fait, ce ne sont souvent que des sources de problèmes. Il y a beaucoup de voitures derrière nous, j'arrive enfin à les dénombrer quand deux passent devant nous et une reste derrière. Adrien et Antoine à l'arrière semblent sereins, ils profitent encore de l'instant présent. Ma propre paranoïa me porte malheureusement très loin de mon calme et mes dents sont si crispées... Je n'aime pas croiser des gens.
Les voitures devant nous commencent à décélérer alors que celle de derrière fait vrombir le moteur. Ce sont de petites jeeps sans toit. Elles sont maniables et furieusement mobiles, suffisamment pour nous coincer et nous obliger à suivre leur itinéraire. Je regarde Garry tendu à l'extrême. Il est très concentré sur sa route, essayant de nous dégager de l'étreinte de nos adversaires. Je lui demande s'il sait ce qu'il se passe. Il reste à sa conduite mais me répond tout de même.
-Je crois que ce sont des joueurs. Une équipe qui se rassemble pour se marrer des gens qui circulent.
-Ils sont dangereux ?
-Oui, en règle générale il y a des blessures ou des décapitations, on ne sait jamais trop ce qui leur passe par la tête quand ils s'amusent.
-Donc il y aura surement des morts ?
-Oui. Là ils vont nous coincer sur un bord de route et puis ils vont se marrer.
-Les bâtards...
Comme il a prévenu, ils finissent par nous rabattre sur le côté, se garant chaque voiture à quelque distance. Je lance un regard angoissé à l'arrière, je vois les autres qui paraissent terrifiés. J'ai mal au ventre, je crois que j'ai envie de vomir. J'ai tellement peur. Les joueurs sortent de leurs voitures avec pour certains des couteaux, certains des revolvers voire pour un carrément un fusil d'assaut. J'ai les intestins qui frémissent, je me sens de plus en plus mal. On sort de la caisse pour affronter ce qui nous arrive. Des grenades roulent à nos pieds. Enfin plus précisément des bombes à détonateur.
L'un des leurs nous fonce dessus et mets en joue Garry, les autres prennent leur temps avant de s'approcher avec des sourires goguenards. L'un semble clairement être le chef, il a le fusil d'assaut dans les mains et marche avec nettement plus d'aplomb que les autres. Ce ne sont que des jeunes adultes, la vingtaine, pas plus de trente pour les plus vieux.
-Vous êtes qui ? Balancé-je rageur.
-Poker les enfants, prêts à jouer ? Me réponds celui que je trouvais être le meneur.
Adrien se prend un coup de crosse dans le ventre avant de se tordre en deux de douleur. Je compatis et serre encore plus les dents.
-Quelle team ? All In ? Troxxxo ? … Carperger ?
-T'occupes connard. C'est juste votre fête, essaie au moins de profiter.
C'est mon tour de prendre un coup dans le ventre. J'ai du bol, ça aurait pu être un coup de couteau. Vu que le mec juste derrière mon cogneur en possède un de la longueur de mon avant bras. Je suis courbé en deux, les larmes aux yeux. Je compatis pour moi même. Et puis je vois le symbole sur leurs fringues. FrTn. J'ouvre de grand yeux. Je connais ce sigle, je joue moi-même un peu au poker en ligne, comme pas mal de monde maintenant. Cette team, je l'ai affrontée il y a genre un mois avec mes potes justement.
-Mais... Vous êtes du tiers 1 !
Je reste dubitatif, les rumeurs que m'a confirmé Garry dans la bagnoles sont assez concordantes avec les infos du JT. Certaines teams mal classées s'amusent sur les passants pour passer leurs nerfs et défouler leur violence et frustration. Ici, c'est assez étrange. J'enchaine.
-Pourquoi vous ? Ca n'a pas de sens !
Les gars se rapprochent de nous de plus en plus menaçants. Le chef s'exprime à nouveau, il a l'air assez en colère, je crois que je l'ouvre un peu trop.
-Vous n'avez plus que droit à une partie par membre perdu. Votre pote vient de vous signer un mauvais quart d'heure.
J'enrage. Et puis je me rappelle la bombe, elle est juste à coté de moi, et le mec avec le couteau aussi. De toute manière, j'ai aucune envie de finir manchot ou défiguré donc il est temps d'agir. Je passe derrière lui en lui fichant un coup dans la rotule ce qui le plie en deux. Mon second coup se porte à sa nuque, mais pas suffisamment fort pour l'évanouir. Ça serait trop dangereux pour moi vu que mon geste suivant est de lui caler la bombe à retardement dans la bouche d'une main pendant que le lui tord le bras de l'autre.
Ca jette un froid.
-Putain Adrien, désarme l'autre ! Crié-je.
Cette décharge semble sortir Antoine et mon frère de leur torpeur, ainsi que leurs adversaires les plus proches. Malheureusement pour eux, mon frangin pèse 100kg pour 1m95 et broie littéralement la gorge du joueur le plus proche pendant que j'égorge le mien avec son propre couteau. Il y a du sang partout sur mon futale, c'est dégueulasse et ça n'a pas intérêt de durer. Je gueule.
-Cassez vous où on en bute un troisième !
En effet, Antoine et Garry sont sur le leur. Ca pose un second froid et je crois que nos adversaires commencent sérieusement à flipper. Moi je suis à la limite de me faire dessus parce que j'ai les yeux braqué sur leur leader et son fusil d'assaut. Il n'a pas beaucoup de choix d'accord, mais soit il perd un nouveau membre de son équipe et il décide de tenter de tous nous tuer. Ce qui serait alors super fâcheux pour nous. Ou il choisi la fuite ce qui nous rendrait la liberté et une chance miraculeuse.
Il semble hésiter, puis nous insulte copieusement. Mais il recule et tire plusieurs fois en l'air en nous intimant de lâcher son pote, ce que je finis par faire. Ils sautent dans leurs jeeps, ils ne sont plus que quatre et nous sautons dans la notre, nous sommes toujours quatre, c'est inespéré.
Une fois au volant Garry me regarde avec terreur.
-La bombe !
Et il a raison puisque l'une d'elle est arrivée sous notre voiture. Autant dire que maintenant que nous avons libéré notre sauf conduit... Ils n'ont plus qu'à appuyer sur le bouton. Ce qu'ils font à cette seconde précise. L'explosion est d'une violence extrême, des bouts de taules, de chairs et de plastique volent tout autour de nous. L'air s'embrase et la chaleur devient terrible. Le bruit est assourdissant et j'ai presque la sensation de l'entendre se répéter encore et encore à mes oreilles. Finalement tout se calme. Tout le monde dans la voiture est sous le choc. Adrien brise le silence.
-Que s'est-il passé ?
-J'ai mis la bombe dans la poche du mec qu'on avait avec nous... que je réponds. Je pensais nous laisser un peu de temps.
Garry explose de rire, nerveux.
-Du temps ? Tu viens de nous sauver la vie !
Dans la caisse, Rihanna n'a toujours pas cessé de chanter et le calme après la tempête s'installe. Nous sommes tous à bout de nerf et partagés entre le rire et les larmes. Nous avons croisé des joueurs et nous avons survécu. En fait, les FrTn c'étaient les Fortune, une team française de Poker assez connue. Je ne savais pas qu'ils étaient des joueurs de la route. Enfin, tant pis pour eux.