Dans le cadre de mon travail récurrent sur "Instants de vie", j'ouvre dans l'atelier un petit message modeste. Ici je vais essayer de montrer ma façon de travailler sur ces snapshots. Voici le dernier actuel après le premier jet sans aucun travail. Ce dernier texte vient d'une chanson d'Adrienne Pauly, ou plutôt d'une phrase qu'elle prononce qui me fait vibrer et qui articule toute la structure du texte : "le mégot s'écrase sur sa joue". Dans ce snapshot, je me souviens d'images d'un de mes cauchemars et j'y ajoute une grosse couche fictive pour le rendre "vivant". La première étape consiste à répéter la même structure plusieurs fois pour donner un aspect "prose poétique". Voilà ce que ça donne. Par la suite, j'essairais de montrer comment je bosse sur le "questionnement" qui est pour moi le noeud primordial de l'inspiration.***
[JET numéro 1 - Temps de travail : 17 minutes / Aucune relecture]- Ca fait mal hein ?
Le mégot s’écrase sur sa joue et brûle sa peau.
Il pleure de colère.
- Vas y crie encore…
La main fracasse sa tête sur la commode et l’assomme.
Il pleure de vengeance.
La juste punition d’une épouse pour « incartade nocturne » dans un vieux bar miteux. Pitoyable, elle dégage encore cette odeur de trahison, ces relents de mensonge. Elle exhale cette luxure : il la sent à des kilomètres. Elle veut prendre du plaisir dans les bras de ses marins avinés… Soit. Elle subira sa vindicte et son courroux. Elle le prend pour un con. Soit. Il va lui filer une branlée dont elle se souviendra. Elle est à lui, c’est son épouse. La sienne. Vous comprenez ? La sienne. En majuscule s’il le faut.
- Celle là tu l’as méritée !
Son pied heurte ses côtes, à terre, à demi consciente.
Il pleure toute sa haine.
- T’as compris ? Ca te suffit ?
Son pied compresse son visage sur le sol.
Il pleure. Tout court.
Un châtiment à la juste mesure de son infidélité : depuis quand une épouse modeste dandine son cul dans des endroits de débauche. Des coins minables où même lui n’allait pas pour la tromper. Ces « gens » l’ont vu, dans cette robe vermeil bien trop courte. Une aguicheuse, une prostituée de la rue des lampadaires en face des hangars.
- Tu te rends compte ? Ils vont dire quoi au boulot demain quand j’irais bosser ? Que je suis un mari cocu et que ma femme est une putain de salope qui s’envoie en l’air sur les quais ? Et gratos en plus !
Le visage tuméfié par les coups
- Mon chéri… J’étais juste chez Nadine…
- Te fous pas de ma gueule.
Il la roue de coups, s’attaque au visage une nouvelle fois. Ses coups de poing sonnent en cadence de l’horloge du salon. Jusqu’au sang. Ca le pique au fond. Où ? Là droit dans la poitrine. Elle est belle. Elle était belle. Il possède sa beauté. Elle est à lui. La sienne. Vous comprenez ? C’est la sienne. En majuscule s’il le faut.
- Tu te rends compte ? En plus tu me mens. Je sais où t’étais, le numéro de téléphone dans ton sac. Me prends pas pour un débile : je sais tout. Tu vois, je sais tout ! C’est qui ? Ils étaient combien ? Je vais aller leur défoncer le crâne.
Quatre ans plus tôt.
Sur un chemin de campagne, dans les vastes forêts verdoyantes du sud de la France, ils se promènent. Les hirondelles sont de retour ; le printemps s’affiche comme une jouvencelle qui découvre le bonheur de l’amour. Il l’embrasse, les oiseaux gazouillent, pépient, et s’envolent des branchages. Les vieux rameaux de l’hiver craquent sous leur pied et la brise fraîche et délicieuse accueille en son sein les amants. Leurs lèvres se séparent puis se retrouvent, font naître le désir au creux des reins. Tendrement, subtilement, leurs sourires niais, ils se regardent planter au milieu des cyprès. Brève accalmie annonçant la chaleur à venir, la fusion des corps dans les vignes à l’orée.
- Je t’aime.
- Je t’aime aussi ma chérie.
- Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
- Mademoiselle voudriez vous m’épouser ?
- Oui !