Ressac

Nombre de messages : 667 Age : 32 Date d'inscription : 30/04/2013

Le vent soufflait plus fort près des côtes. Elle le respira à grandes bouffées, rassérénée de l’air marin, savourant son retour près des vagues.
Cela faisait longtemps qu’elle n’avait plus été près de la mer. Si son âme appartenait au désert, elle ne pouvait nier l’inclinaison de son cœur à chaque fois qu’elle apercevait l’océan dessiner ses volutes dans l’horizon. Elle se souvenait avoir joué petite à bord de majestueux bateaux de bois sculptés, les formes floues jouaient encore aujourd’hui avec sa mémoire. Elle se rappelait comme elle aimait les regarder, comme elle se sentait à l’aise à bord des navires, jamais plus à sa place qu'en mouvement. Le souvenir diffus des tempêtes glacées et de la pluie la ravissait toujours. Mais il ne pleuvait pas le jour où elle posa pour la première fois le pied à Atalantë.
Elle ne connaissait de l’histoire de la ville que ce que les livres voulaient bien en dire. Ils parlaient de son architecture et de sa beauté hors norme, d’une splendide cité émergée des eaux regorgeant de trésors cachés et de connaissance, d’une ville bâtie sur une autre ayant été dévorée par la mer, de dieux engloutis et de monstres gigantesques habitant les sables. Impossible de savoir qui avait raison dans tout cela, mais la vérité sur les origines de la cité n’était pas ce qui l’intéressait. Elle était venue pour une autre raison.
Ramenant un pan de son manteau bleu sur son épaule dénudée, elle quitta le port et se mit à marcher vers la ville, suivie de ses trois compagnons qui dissuadaient naturellement les passants de l’interpeller sans bonne raison. Ils étaient raisonnablement armés, suffisamment pour parer aux éventualités désagréables, assez peu pour éviter d’éveiller la méfiance et l'hostilité. Ensemble, ils traversèrent la cité bruyante et animée en échangeant quelques regards entendus.
Arrivés au lieu du rendez-vous, elle se retourna pour leur demander d’attendre ici et commença l’ascension des nombreuses marches en colimaçon menant vers les fameux jardins suspendus où elle était attendue. Depuis la terrasse principale on pouvait voir la mer, des centaines de plantes qu’elle n’avait jamais vues auparavant croissaient contre les murs et autour des colonnes de pierre. Son hôte était en retard. Elle rejeta sa crinière blanche en arrière en soufflant bruyamment. Assise sur l’un des bancs, elle l'attendit avec patience en regardant l’océan se mouvoir au ralenti, hypnotisée.

Les jardins suspendus d'Atalante regorgeaient de couleurs vives et chatoyantes.

Cassiopée circulait tranquillement dans ses allées, goûtant la fraicheur des canopées fleuries. Le vent de la mer lui portait les senteurs marines. Elles se mêlaient aux parfums des lilas et de rhododendrons. Elle s'arrêta près d'une balustrade torsadée sur laquelle grimpaient de longues sybères aux feuilles grasses et lourdes. La brise marine caressa ses joues. Elle ferma les yeux, la face baignée de lumière et du souffle venu du large. La tranquillité du lieu était un bienfait des dieux, une douceur qu'elle ressentait dans son âme.

Mais il n'était plus temps de profiter de la sérénité du lieu, de la vue mémorable sur la baie d'Atalante. Il lui fallait se bousculer pour arriver à l'heure au rendez-vous.
Cassiopée se désintéressait du minutage du temps. L'ambition d'être à l'heure n'est rien pour celui qui existe.
Le message qui lui avait été adressé quelques jours plus tôt mentionnait une femme. Il était rédigé de manière suffisamment subtile pour aiguiser sa curiosité et elle venait tester la valeur de l'intérêt qu'elle apportait à l'inconnu.

Alors qu'elle arrivait sur le lieu de rencontre, elle constata que la place était déjà occupée par quatre personnes : une femme et quatre hommes armés.
Elle n'avait pas prévu les armes et était irritée de constater qu'elle ne serait pas seule avec la femme qui l'avait conviée.

Elle s'approcha cependant du groupe, mais se tint silencieuse, aussi légère que le souffle du vent, étincelante dans la lumière chaleureuse qui les enveloppait.

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Ses trois compagnons se chamaillaient encore pour des broutilles quand son hôte apparut enfin, la tirant immédiatement de ses rêveries. Elle perçut d'entrée de jeu son irritation de se retrouver cernée par ces hommes qui lui étaient inconnus. De biais, elle leur adressa un regard entendu et, après un bref éclair de méfiance envers la nouvelle venue, ils s'éloignèrent de sorte qu'elles se retrouvent seules, si l'on exceptait les quelques passants qui discutaient ici et là dans les jardins. Des dizaines de murmures inaudibles, étouffés par le ressac inouï de la mer. Elle s'écrasait férocement au loin contre les rochers. Dieu qu'elle aimait cette musique.

"Ana", annonça t-elle en inclinant la tête, sans toutefois baisser les yeux. Elle ne consentait pas à ce genre de faiblesse envers des étrangers.

Droite, l'air altier, elle attendit patiemment un retour. Bien sûr, on l'avait déjà informée de son nom, mais elle tenait à l'entendre le dire avant d'aller plus avant.
Cette Cassiopée lui ressemblait par certains égards. L'argent de leurs chevelures était similaire. Elle paraissait sereine, sans peur, comme une icône. Rien ne transparaissait d'une quelconque inquiétude ou tension, elle semblait parfaitement à l'aise. Ana se surprit à envier cette impassibilité tranquille. La sienne, si elle savait être redoutable, n'était pas encore aussi maîtrisée. Je ne suis encore qu'une enfant. Elle chassa cette pensée et reporta ses yeux bleus sur Cassiopée.

Cassiopée apprécia le discret retrait opéré par la garde de la femme.

Elle observa la démarche souple et le corps élancé de celle qui venait vers elle.

-Ana, je vous salue. dit-elle en hochant délicatement de la tête. Je suis Cassiopée, Dame Protectrice du Sang.

Le silence qui suivit ces présentations fut chargé de regards. Elles se fixaient mutuellement, cherchant dans l'autre les forces et les failles.
La femme qui faisait face à Cassiopée était belle, mais c'est l'âme qui intéressait la Dame des étoiles.

Cassiopée se dirigea vers un banc astucieusement placé face à la mer sous l'ombre d'un oranger dont les fleurs odorantes venaient entêter les esprits. Elle s'assit et invita Anastasie, d'un geste gracieux, à prendre place près d'elle.

-Votre message était suffisamment attirant pour que je sois devant vous aujourd'hui. Mais il livrait trop peu pour que ma curiosité soit satisfaite. J'aimerais que vous m'en disiez plus.

La voix était douce, comme les traits de son visage. Une douceur sereine associée à l'équilibre intérieur de son être. Elle sourit à Anastasis et son regard turquoise brilla un instant plus avec plus d'intensité. On eut dit qu'il s'était animé de l'éclat du soleil et des milliers de petits reflets d'or s'étaient glissés dans ses yeux.

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Ana dégagea à nouveau les mèches blanches de son visage et s'assit aux côtés de la dame. Oui, on lui avait parlé d'elle. On l'avait informée de son appartenance à un fameux rassemblement confrérique, on lui avait brièvement décrit son apparence pour qu'elle puisse la reconnaître, on lui avait parlé d'origines énigmatiques. Mais surtout, on lui avait dit que cette femme qui n'en était pas vraiment une serait peut-être à même de connaître le fin mot d'une histoire qui commençait à lui tenir bien trop à cœur.
Cette énigme tendait à l'obsession, et si Ana parvenait à contrôler ses ardeurs, il n'en restait pas moins que se retrouver là, tout près d'une chance de résoudre quelques blocages et trouver des réponses l'emplissait de plénitude. Elle se sentait extatique, mais elle veillait à ce que son visage ne la trahisse pas. Le ressac était intérieur.

Elle redressa le menton et sourit calmement, étreignant les rennes de son corps. Elle était satisfaite d'avoir capturé l'attention de son interlocutrice, d'avoir anticipé sa curiosité. Ces jeux de l'esprit lui devenaient de plus en plus familiers au fil du temps et elle s'en réjouissait. Cela lui serait utile plus tard.

Ana posa une main sur son genou, l'autre sur la poche de sa robe bleue, palpant quelque chose à travers les couches de tissus. Elle appréciait la sérénité émanant de cette femme. Si elle n'était pas devenue si méfiante, elle lui aurait volontiers accordé d'entrée de jeu sa confiance. Ses yeux lui faisaient effleurer les étoiles comme une promesse. Mais Ana savait que l'inspiration était sujette aux erreurs, parfois fatales, qu'il lui fallait tempérer ses pressentiments. Il était trop tôt pour choisir de croire en cette dame. Bien trop tôt. Elle sanglerait son cœur s'il s'égarait trop loin cette fois.
Elle espérait posséder ce pouvoir.

"On m'a orientée vers vous" choisit-elle pour ouvrir la porte vers le vif du sujet. "Je marchais parmi les rayons interminables des bibliothèques de la cité à la recherche de réponses quand l'un des érudits m'a donné votre nom. Il m'a dit que vous sauriez sans doute m'aider."

Oui, elle accorderait volontiers sa foi à cette femme dont les yeux scintillaient et renvoyaient son reflet. Ana cligna des yeux et se rabroua intérieurement. Elle pourrait me décevoir. Elle pourrait me mentir. Mais c'était vrai : les yeux de la dame brillaient comme le faisait l'objet de son obsession.

"J'ai trouvé un artefact ancien dans le désert. Je voudrais que vous le regardiez pour moi, que vous me disiez s'il vous est familier" Faites que je puisse croire en elle. Faites qu'elle sache.

Ses tresses blanches s'agitaient avec le vent. Le parfum des orangers venait exploser dans ses narines. Elle extirpa doucement de sa poche en soie l'objet dont elle parlait et le brandit devant la dame : Une sphère à demi opaque, incroyablement solide, dont l'intérieur scintillait de mille feux. Ana abaissa une nouvelle fois les yeux vers la boule qui suscitait tant d'intérêt chez elle. On aurait dit que le givre et les étoiles s'étaient mélangés pour façonner cette chose.
Ana aurait pu croire à une pierre précieuse quelconque, quoique étonnamment belle, mais elle était convaincue que c'était davantage. La sphère était brûlante contre ses doigts. Elle ne cessait jamais de l'être.

"Voici un morceau de l'objet en question."

En effet, la sphère appartenait à un objet plus gros et complexe, recouvert de symboles incompréhensibles. Elle l'avait laissé à l'un de ses compagnons. Eux ne me trahiront jamais. Eux me resteront fidèles.
Une certaine fierté logeait dans ses prunelles quand elle reporta son attention sur Cassiopée.

Elles étaient cote à cote, assises sur un banc et la mer étendue devant elles dans l'infini bleu. Le ciel d'un bleu presque cru envahissait l'horizon.

Et pourtant...

Lorsque la femme sortit la boule de sa poche, Cassiopée sentit la nuit peser sur ses épaules. Une nuit sans fin. Une plongée en eau profonde dans le Cosmos, là où le ciel s'allume au delà du Néant.
Comme en réponse à l'appel du vide, la peau de Cassiopée se mit à s'éclairer d'une lueur aussi légère que la rosée le matin, aussi pétillante que la vie qui réchauffe le corps. Le corps de Cassiopée diffusait une pluie d'or impalpable, discrète.

Elle regardait l'objet que lui présentait Anastasis, l'esprit hanté d'un feu qui lui réchauffait l'âme. La sphère opérait sur elle sans qu'elle en soit l'initiatrice et cela la rendait méfiante devant cette inconnue. Le pouvoir détenu dans l'objet était trop grand pour que cette femme ne demeure qu'une simple curieuse en quête de réponse anodine.

D'un geste volontaire, elle esquissa la rapide passe qui couvrit la boule d'un masque de brume. L'opacité du brouillard dissipa son effet et Cassiopée se sentit un très bref instant un peu égarée sans l'insondable repère qui s'était révélé à elle.
Fermant les yeux, elle aspira une bouffée de l'air chaud ambiant et demanda :

-Vous avez trouvé ceci dans le désert ? D'où venez-vous vraiment?

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Les connexions se firent le plus naturellement du monde dans l'esprit d'Anastasis. L'érudit de la bibliothèque lui avait parlé des origines nébuleuses de Cassiopée et intimement, elle s'était sans doute préparée inconsciemment à une réaction inattendue de sa part. En revanche, le trouble qui brillait dans ses yeux ne lui échappa pas. Que se passait-il ? Quel pouvoir la sphère ne lui avait encore dévoilé ? Cette constellation emprisonnée du verre ne cessait de la surprendre, de l'émouvoir et faire battre son cœur. Par dessus tout, elle désirait savoir.
Mais elle était surtout fière. Oui, sans comprendre pourquoi, elle l'était.

Dans son malaise Cassiopée avait enveloppé la sphère de brouillard. Ana dispersa les volutes d'un geste de la main et cacha la boule entre ses deux mains pour en limiter les effets. Elle était chaude et lui réchauffait les doigts comme à l'accoutumée.

Quand la dame releva les yeux sur elle, Ana crut discerner sa méfiance, son retrait soudain. Elle commençait à comprendre qu'elle n'avait plus à faire à une simple amatrice dénicheuse de trésors.

"Saketh Ornath, très loin dans les entrailles du sud, mais cela ne vous aidera en rien. Très peu de gens osent affronter l'aridité de ce désert. C'est là qu'il était enterré."

Savoir où je suis née ne vous aidera pas plus. Simplement parce que je l'ignore.

"Maintenant, dites-moi. Qu'est ce que je tiens entre mes mains ?"

Son cœur palpitait d'anticipation.

"Maintenant, dites-moi. Qu'est ce que je tiens entre mes mains ?"

Pouvait-elle exprimer ouvertement tout ce que cette boule évoquait pour elle. Ana restait une inconnue pour Cassiopée. Mais elle lisait dans l'expression avide de la femme une curiosité sans nom pour sa découverte. Elle resta un moment sans répondre sondant l'âme de son interlocutrice, mesurant le degré de confiance qu'elle pouvait lui accorder. Au bout de quelques minutes, elle articula :

- Ce que vous détenez entre vos mains n'a aucune utilité en tant que tel. La magie enserrée dans la boule est envoûtante mais ne se livrera jamais à votre connaissance ainsi. Si vous voulez mon aide, il faut m'en dire plus. Le lieu n'est pas suffisant. Vous dîtes que cet objet été enterré dans le désert ? Pouvez-vous m'en dire plus ? Vous l'avez trouvé par hasard ou cherchiez-vous quelque chose en particulier ?

Qui êtes-vous réellement ? j'imagine que votre statut est en relation avec les gardes qui se tiennent à distance mais surveillent tous nos faits et gestes.

Cassiopée jeta un coup d'œil plus bas. Les hommes en armes étaient, en effet, attentifs et gardaient leur arme en main prêts à agir au moindre signe d'agression de sa part. Un court instant, joueuse, elle eut envie de les tester pour voir avec quelle dextérité et rapidité ils agiraient. Mais l'idée l'effleura seulement. Elle devait en connaitre plus sur cette boule qui éveillait en elle une porte sur les abysses.

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Ana jeta un regard en biais à ses compagnons, lesquels semblaient trépigner et se demander si son interlocutrice était digne de confiance, et surtout, si elle s'avérait utile. La question de Cassiopée l'étonnait. Par hasard ?

"Pensez-vous réellement que je sois allée au fin fond d'un des déserts les plus dangereux du monde pour admirer la vue des dunes ?" Elle aurait pu paraître sarcastique, mais son sourire, bien qu'amusé, ne portait pas la moindre trace de moquerie. "Je cherchais ce que vous avez sous les yeux. Depuis un certain temps. Je savais où il était enterré."

Ana évalua rapidement dans son esprit ce qu'elle pouvait dire et ce qu'elle pouvait occulter. Elle était proche du but. Cette femme savait de quoi il s'agissait, elle était à deux doigts de lui délivrer la clé de ce qu'il l'obsédait depuis des mois. Ana devait jouer la carte de la subtilité et de l'honnêteté, mais l'idée de se livrer entièrement à une étrangère la rebutait toujours autant. Un rapide tri dans sa tête l'aida à choisir ses mots. Entre temps, Cassiopée lui avait reposé des questions sur son identité, pointant du doigt la garde impatiente qui attendait sagement près d'un olivier aux rameaux tordus, à l'affût. Ana se retourna vers elle, plongeant ses yeux dans les siens. Elle voulait bien ouvrir un peu d'elle-même, si la dame y tenait. Cela la disposerait sûrement davantage à lui donner l'aide qu'elle recherchait.

"J'ai rêvé de l'endroit où l'objet était enterré. L'expédition a été longue et pénible, les trois hommes qui m'accompagnent en ont fait partie. Ils me sont loyaux. Je regrette de ne pouvoir vous en dire davantage ; la vérité est que j'ai moi-même beaucoup à apprendre de cet objet et de son lien avec moi, de ce qui m'a rendue capable de le trouver. Mais je l'ai vu aussi distinctement que je vous vois aujourd'hui. Un des rêves les plus limpides que j'ai jamais eu. Après, l'instinct a fait le reste. Je savais où aller. Je sentais."

Ana ne la lâchait plus des yeux, comme s'ils pouvaient lui révéler des secrets que sa bouche s'évertuait à taire. Elle baissa un bref instant les yeux au sol, consciente d'une chose importante.

"Cet objet... est bel et bien aussi unique que je le sens, n'est ce pas ? Dangereux, peut-être même. Si ça n'était pas le cas, vous ne garderiez pas aussi jalousement ses mystères. Vous savez à quoi ça sert."

La phrase tomba comme une pierre entre elles.

Le regard est un axe entre deux pôles. Il est un passage entre deux âmes. Il arrive qu'à travers le regard un contact prégnant s'établisse. Entre Cassiopée et Ana, les yeux n'avaient pas lâché leur proie. L'une comme l'autre cherchait à voir plus loin que la clarté d'un bleu limpide ou d'un vert d'eau. Elles croisaient leurs âmes comme on croise le fer, toutes défenses dehors et prêtes à surprendre la faille de celle qui faisait face.

- Vous voulez entrer dans les secrets des dieux, n'est-ce pas ? Moi, je voudrais savoir ce que vous cachez au delà ce cette boule dans votre main.

En prononçant ces dernière paroles, les yeux de Cassiopée s'étaient mis à briller. Ils s'illuminèrent d'un élan de vie avant de se plisser en restant rivés à ceux de Anastasie.

-Rien ne pourra arriver dans ce parc, aussi beau soit-il. Je vais vous guider vers mon atelier situé près des docks. Là, je vous montrerai quelque chose.

La phrase était affirmée et ne laissait pas de place pour un refus. Les paroles de Cassiopée ne permettait pas qu'une autre suite à leur rencontre puisse être inventée. Anastasie n'avait pas le choix.

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La curiosité à vif, Ana écouta patiemment Cassiopée, consciente de la méfiance qu'elle lui témoignait. Cet objet était décidément important. Dangereux, oui, Ana penchait de plus en plus vers cet état de fait. Certains de ses rêves le lui avaient soufflé à l'oreille. Maintenant, tout devenait réel, palpable ; possible. Elle se sentait si proche du but qu'elle avait envie de rire de cette joie intense qui criait au fond de son ventre. Le dénouement des fils étranges qui l'avait tiraillée, qui l'avait torturée ces longs mois passés à affronter l'ardeur du désert... Et elle approchait des fruits, enfin, elle pourrait bientôt les toucher, s'en nourrir. Savoir. Comprendre pourquoi elle avait eu accès à ces secrets capitaux enfouis dans les mémoires, pourquoi l'objet l'avait appelée elle depuis sa tombe au creux de la terre. Depuis le début de ses rêves, elle avait su que sa vie allait se conjuguer par le pouvoir de cet artefact. Et si elle prétendait n'être l'esclave de rien, il y avait toujours cette faille : elle l'était de son propre désir de connaissance.

"Vous ai-je caché quoi que ce soit depuis le début de cet entretien, Cassiopée ? Ici je suis voyageuse, ces hommes sont mes gardes, et mes amis les plus farouches. Assez pour me suivre dans le désert mortel d'Ornath et courir après la vision d'un rêve troublant."

Cassiopée enchaina derechef en lui demandant de la suivre jusqu'à son atelier. Voulait-elle être à l'abri des regards pour pratiquer on ne sait quelle expérience ? Ou simplement en apprendre davantage sur elle ?
Elle savait de quoi il s'agissait, il n'était plus temps de se retourner. Bien sûr, Ana songea un moment à partir sans avoir ses réponses, l'objet sous le bras, chercher ailleurs de quoi satisfaire sa soif. Mais elle était simplement trop près. Cet état de fait la faisait trembler d'anticipation.

"Je vous suis, soyez en sûre. Tout cela compte davantage pour moi que ce que vous pouvez imaginer."

Ana sourit doucement et se releva, invitant la dame à faire de même. Elle se retourna un moment vers ses compagnons et leur fit signe de les suivre à bonne distance, replaçant la boule étoilée dans sa poche bleue. Elle ne voulait pas être dérangée ni même son hôte mal à l'aise.

"Après vous," dit-elle docilement.
Les deux femmes descendirent côte à côte les nombreux escaliers en colimaçon.

Où tombe la nuit, où tombe la nuit. Quand elle tombe la nuit, s'entête a lancer des ombres. N. regardait dans tous les tiroirs, sous les chaises, les tables, les meubles. Bref il courait partout, et se maudissait de perdre la mémoire à tout va sans raison. Il fouillait partout, il ne trouvait rien, ses yeux s'agrandissaient de colère. Maudite mémoire, maudit esprit, maudit monde que voilà qui quitte sa tête peu à peu. Et son visage transparaissait d'une inquiétude plus marqué encore. S'Il arrive et qu'Il se rend compte que ce n'est pas prêt, qu'on a perdu le bout de nuit, il va entrer dans ces rages qui dévastent des bâtiments et c'est pas joli, joli à voir dans une ville comme Galvorn. Puis, sous sa main, l'objet, pointu comme une petite boule d'épine. La nuit : c'est un petit artéfact capable d'ouvrir des seuils partout. Plus c'est petit, plus c'est puissant, a t-il retenu à travailler pour d'obscures confréries. Il s'épongea le front de sueur et de peur, et soupira. Maintenant il pouvait se remettre au travail, et dessiner l'objet qu'on appelait " Nuit" sans aucune raison valable. C'était plus une sphère dans lequel étaient plantés des formes d'aiguilles aux pointes sacrément coupantes - il s'était déjà blessé plusieurs fois. Théoriquement cet objet ne touchait jamais terre, maintenue par une magie étrange qui lui permettait de léviter sans effort. Et de la base de la sphère, naissait un joli portail qui permettait de se déplacer partout, rapidement. Question était de savoir comment cela fonctionnait. Et les dessins, et les études, et tout le foin qu'on en faisait pour si petit artefact, c'était pour que des plus grands disent : nous comprenons . En attendant, personne ne comprenait, encore moins lui. Quand la porte se mit a vriller sur ses gongs. On entrait, et puisque la porte s'ouvrait toute seule, il y avait de maigres choix : si c'était Lui, il en menait pas large.

Alors, quelle ne fut sa surprise quand il reconnut Dame Cassiopée accompagnée d'une jeune femme qu'il ne reconnut pas. Il bafouilla vaguement :

- Madame, madame, on ne vous attendait pas, c'est que n'avons rien prévu de votre arrivée, nous, nous... Vous savez, nous attendions Monsieur qui...

Elle le rassura d'un geste et lui présenta rapidement l'Etrangère. Visiblement, le regard trouble étrange de la jeune femme semblait absorbé par des pensées épaisses. Elle court après quelque chose se dit-il, tout en gardant pour lui son avis. L'empathie, c'est une chose qu'on garde discrète si on ne veut pas finir par vexer et effrayer les trois quart des gens qu'on rencontre. Il retourna à ses dessins tandis que les deux femmes passèrent à coté. Son dessin prit forme rapidement, dans des dimensions parfaites, et ses observations furent consciencieusement recueillies dans son petit carnet qu'il tenait scrupuleusement à jour. Enfin, alors qu'il posait son crayon, la porte s'ouvrit une seconde fois et cette fois-ci, il senti l'aura ténébreuse et orageuse du Prince : une aura étouffante qui laisse peu de marge à l'égo. Il frissonna et se releva en s'inclinant devant l' Aparech Sanz. Puis il lui murmura :

- Sont deux, Dame et autre. Viennent pour un objet. Court après quelque chose.

Ce n'était pas biens sa faute, si ses propos se résumaient à une concision extrême. Le Prince qu'il avait devant lui lui donnait peut d'occasion de dire plus. Il n'aimait pas les longs discours. Sanz signa son avis d'un léger hochement de tête avant d'indiquer les dessins et le carnet.

- Pas fini. Compliqué.

N. tressaillit au regard contrarié du Prince avant de retourner s'assoir et de murmurer pour finir :

- Pouvez aider.

Aider. C'était pas le jour pour aider. Sanz passa dans l'autre salle en ignorant les deux femmes, pour se servir un verre au liquide vermeil avant de poser son arme soigneusement glissée dans son fourreau sur la table et d'aviser le fauteuil pour s'assoir tranquillement. S'il parla ce ne fut que pour commenter laconiquement :

- Wilwarin fourmille de merveilleux livres quand on est en quête de questions. Ici, ce n'est qu'un atelier privé.

Elles avaient pénétré l'ombre des ruelles suivies par les gardes qui restaient cependant à une distance respectueuses des deux femmes. Sans hésitation, elles s'engagèrent dans l'étroit chemin laissés entre deux murs qui faisaient du quartier un coupe-gorge de renom.
Cassiopée poussa une porte perdue le long d'un mur sans fenêtre et elles entrèrent. Le lieu était sombre et menait directement à un long couloir au bout duquel apparaissait une simple porte de bois peinte en blanc.

“Le monde visible s'entoure d'objets de toutes sortes et l'homme semble rassuré lorsqu'il peut toucher ce qu'il a fabriqué de ses propres mains”. Cassiopée faisait ce constat à chaque fois qu'elle pénétrait dans ce lieu. Sorte de receptacle des découvertes de chacun où s'empilaient les livres au milieu des choses.
Mais toute chose en ce lieu était véhicule de magie et l'endroit chantait à son esprit.

Elle jeta un oeil à Anastasie qui gardait le visage baissé et évitait de lorgner de tous cotés. Preuve entre mille que la femme était sensible à l'environnement.

Comme à son habitude N. gardait les lieux. Cassiopée était un peu déçue de ne pas trouver Sanz sur place.
Elle décida donc de l'attendre et passa dans la pièce adjacente qui était son propre refuge.
C'était une pièce vide ouverte par une grande baie sur le ciel. Le soleil pénétrait dans la pièce éclaboussant chaque parcelle de sa lumière. L'endroit contrastait avec le reste du logis.
Elle n'eut pas le temps d'installer son invitée qu'elle entendit la porte s'ouvrir et N. aborder le nouveau venu.

- Wilwarin fourmille de merveilleux livres quand on est en quête de questions. Ici, ce n'est qu'un atelier privé.

La phrase avait été prononcée haut et fort de manière à pénétrer la cloison.

Cassiopée sourit à Anastasie quand elle l'invita à se diriger vers la voix.

- Ah ! Voici la personne que je souhaitais vous faire rencontrer.

A leur entrée, Sanz leur tournait le dos et N. se serait volontiers mis en travers de leur route s'il l'avait osé.

- Je souhaite que tu entres en contact avec ce que cette femme m'a présenté cet après-midi.

Cassiopée n'en dit pas plus. Peu de mots étaient utiles entres elle et le Prince du Sang. Le souhait exprimé ouvertement avait plus vocation de rassurer la visiteuse et N. que d'annoncer la raison de sa venue.

Je veux savoir, je veux savoir, je veux comprendre, pourquoi tu me parles, pourquoi tu me chantes, pourquoi tu me cries... .

Sanz resta immobile dans son fauteuil, le visage tiré par la fatigue. Et cette voix entêtante lui arrachait quelque spammes intérieurs de douleur. Depuis que cette femme était entrée, il l'entendait murmurer dans sa conscience comme un appel. Ça ne venait pas d'elle, ça ne venait pas même de Cassiopée. Sa main trembla légèrement tandis qu'il se releva doucement et se retourna vers les deux femmes :

Vous faites un boucan du diable avec votre artefact, Mademoiselle, et si je puis me permettre vous devriez l'entourer avec ce tissu rouge, sans quoi vous comme moi allons mettre feu et sang dans cette ville avant le lever du jour prochain. Il approche déjà des ombres dans les rues.

Les ombres étaient des êtres possédés, ou dont l'instinct essentiel leur permettaient de sentir la trace de magie ou d'autre forme de puissance à des kilomètres à la ronde. Généralement dangereux, ils venaient toujours par groupe et menaient leur agression avec des capacités qui leur étaient souvent propre et mystérieuses. Il tendit sa main vers Anastasia qui récupéra le fin tissu rouge tout en se gardant pour le moment de l'utiliser. Pouvait-elle l'entendre, aussi? Sanz se retourna vers les ouvrages qui dominaient tous le pan est de la pièce et continua lentement :

Il est temps maintenant, de nettoyer la zone avant de se poser des questions.

Sanz sortit lentement son arme qui feula, dans un grondement sort, tandis qu'on étendait des bruits sourds au dehors.

Dites moi donc, ce que représente cet objet pour vous, et ce que vous voulez en faire exactement, vous avez une minute et trente seconde.

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L’étrangère n’était pas habituée à ce qu’on lui donne des ordres. Un renfrognement à peine perceptible balaya son visage l’espace d’une seconde, elle haussa un sourcil, intriguée par l’assurance de l’inconnu et la demande implacable qu’il lui avait imposée. Elle n’était pas plus habituée à des manières comme les leurs. Elle venait après tout d’un autre pays, et bien qu’ayant énormément voyagé pour son jeune âge, elle concevait une certaine fierté de ses dons particuliers, tendant parfois à l'arrogance. Mais qu’importait d’en faire l’étalage à cet instant, elle était là pour l’objet. Son magnifique artefact sorti des entrailles du désert.

Elle se saisit du tissus rouge sans ciller, polie jusqu’au sourire qui parait ses lèvres. La sphère chantait dans sa propre langue, lovée dans la poche de sa robe, près de sa peau. Sa chaleur se répandait dans ses muscles comme si elle l’étreignait. Elle la sortit et la mit à la lumière pour que l’inconnu la regarde, posée sur le fin tissus rouge.

Elle pesa à peine l’impact que pourrait engendrer sa réplique que celle-ci franchissait déjà la muraille de ses lèvres :

“Pour quelqu’un d’aussi autoritaire, je vous aurais cru enclin à plus de perspicacité, qui que vous soyez. C’est justement ce que je veux découvrir. Quel est cet objet, à quoi sert-il, et pourquoi s’est-il imposé à mes rêves ainsi qu’à ma vie.”

Elle eut un sourire.

“J’imagine qu’il serait préférable que vous voyiez l’objet dans son entièreté. Peut-être connaissez-vous le langage qui orne ses parois d’or. J’ai eu beau chercher dans toutes les bibliothèques imaginables, je ne l’ai retrouvé nul part.”

Elle avait récupéré le sac de son compagnon contenant la monture de la sphère avant de pénétrer dans la salle. Ils devaient recommencer à trépigner en dehors, cela la fit sourire davantage. Elle était assez puissante pour se défendre mais dans sa position, mieux valait prévenir que guérir. Elle posa le sac de cuir grossier sur la table la plus proche et en écarta les pans les uns après les autres, révélant l’étrange monture de l’instrument. Doré comme l’or, ça n’en était cependant pas. De la forme d’un curieux arc de cercle posé sur un socle rond, d’autres boules semblables à la première étaient enchâssées le long de l’arc scintillant, sans qu’aucune ne dispense la même lumière.
Patiemment, l’étrangère attendit tandis que les deux confrères analysaient l’artefact et, non contente de sa presque insubordination, elle glissa à l’adresse de l’inconnu :

“Désolée pour le boucan.”