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 Le Règne de l'Eternité

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Drystan
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Drystan


Masculin Nombre de messages : 3758
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Le Règne de l'Eternité Empty
MessageSujet: Le Règne de l'Eternité   Le Règne de l'Eternité Icon_minitimeSam 30 Nov - 21:01

Remarques:

S’immisçant entre les boiseries, la lumière crépusculaire vint mourir sur les étagères. Ses éclats conféraient aux objets des formes mystérieuses, presque effrayantes. Il n’y avait pourtant là que les outils qui accompagnaient le quotidien d’un jardinier, couplés à quelques cercueils trop âgés pour servir. Néanmoins, à l’aube de la nuit, ils semblaient bien plus. Lorsqu’il entra dans son établi, Amadeus n’eut pas un regard pour ce spectacle. Il déposa une pelle au fond de la pièce, déchirant les toiles que les araignées avaient eu la malséance de concevoir durant la journée. Une fine barbe courait le long de sa face, ruban d’ébène parsemé de délicats cristaux d’airain. Il ne possédait ni beauté, ni charisme particulier, fondamentalement inutiles dans son corps de métier. Ses clients escomptaient seulement qu’il ait l’allure de la profession – Dans la dite profession, un costume usé, poussiéreux, aux couleurs sombres couplé à un air à la fois sournois et mystique étaient les clés du succès – ainsi qu’un discours économiquement et mentalement rassurant. Quant aux locataires, les plus vindicatifs exigeaient simplement un silence absolu au cœur de la nuit, à la plus grande infortune des félidés urbains auxquels ils réservaient un châtiment fort particulier. Le reste n’avait aucune importance.

De ce fait, Amadeus Descorniche affichait un visage des plus négligés, recouvert par une chevelure hirsute, qui, en ces heures tardives, se confondait parfois avec l’obscurité. Ses yeux miroitaient d’une lueur étrange, de celles qui brillent dans le regard des hommes qui en ont déjà bien trop vu. Eut égard à son métier, il n’avait point de fréquentations vivantes.
« Pourtant, disait-il quotidiennement à ses locataires, que fais-je donc de si surprenant ? J’assure la mainte-nance d’un service public obligatoire, je permets aux personnes les plus défavorisées d’avoir un logement à des prix imbattables et, en plus, j’entretiens les sols ! »
Ce à quoi ses locataires répondaient :
« Nous pensons que ce qui choque le plus les gens c’est que, lorsque tu vois une main sortir d’une tombe, tu la serre au lieu de la fracasser avec une pelle. »
En effet, Amadeus était fossoyeur et, d’après ses pairs, un modèle dans la profession. Toutefois, cette histoire ne traitera point des péripéties de l’individu dans l’exercice de son art. Elle s’intéressera plutôt à ce qu’il advient lorsqu’un gouvernement empêche, de manière implacable, l’existence du service public fondamental qu’est la Mort et, de ce fait, met les fossoyeurs au chômage…

-

Le Règne de L’Eternité.
- Ou les conséquences inconvenantes de l’immortalité sur le genre humain et, plus particulièrement, sur la profession de fossoyeur – et le rôle obscur et pourtant essentiel joué par les félidés dans cette sinistre farce -

-

Comme toute aventure, celle-ci prend naissance en différentes contrées, en différentes époques. Pour les marionnettistes qui, depuis le sommet de leur trône d’argent, régissent les règles de l’Univers, elle débute avec l’aube de la première conscience. Pour les foules, elle prend naissance dans les rues d’une cité, portée par une unique voix. Une voix qui devient des milliers, puis des millions. Une voix qui renverse les gouvernements, afin d’instaurer le sien, unique, omniprésent, en vertu d’une vielle querelle qu’elle espère régler par cette ascension.
Pour Amadeus Descorniche, elle s’augure au Crépuscule, à l’instant où le cimetière ferme ses portes aux vivants afin de laisser jaillir les morts. Au travers d’un transistor, ses échos retentissent, naviguant entre les allées de l’éternité jusqu’à atteindre le fossoyeur…
-

Bien qu’incapable de réellement concevoir la splendeur de cette scène, Amadeus sentait, au fond de son âme, que le crépuscule transcendait son royaume, lui offrant une éphémère majesté, uniquement appréciable en cet instant où la lumière devenait ténèbres. Les derniers rayons de l’astre du matin virevoltaient sur les sentiers de marbre, disparaissant dans l’albâtre des tombes.
Celles-ci se dressaient, fières, arrogantes, s’imaginant tels des remparts s’opposant à la marche d’une impalpable armée. L’unique détail disgracieux en cette terre de beautés était à la fois perceptible par le regard et l’ouïe. Il s’agissait des chats, qui, de leurs miaulements, troublaient la quiétude de cette soirée. La relation perdurant entre les félidés et les résidents de l’après-vie s’avérait plutôt macabre, comme le sont toutes les histoires où la moitié des protagonistes ont atteint un état de décomposition avancé.
Las d’entendre les mélopées félines jusqu’au cœur de la nuit, les morts avaient déclenché une véritable vendetta à l’encontre de ces derniers. Ils triomphèrent sans peine et chassèrent le « fléau » du cimetière. Voulant sanctifier cette victoire d’un symbole immémorial, ils pendirent leurs prisonniers sur d’immenses gibets afin de marquer les esprits des générations félines à venir et préserver leur quiétude jusqu’à la fin des âges. Ce faisant, ils oublièrent un détail : Le décédé ne peut demeurer mort éternellement, cela étant d’autant plus vrai lorsqu’il se trouve sur les landes de l’après vie.
Ainsi, liés à leurs potences par des lanières en suaires, les chats libéraient leurs chants les plus stridents, parfaitement conscients que le pire n’était plus à venir.
N’ayant pu raisonner les animaux – même détachés, ces derniers prenaient un plaisir malsain à rester dans les parages afin de rendre vivable la non-vie des morts-vivants – Amadeus tenta d’apaiser ses locataires, en leur montrant les innombrables avantages qu’auraient une coopération pacifique avec les félins : certes, ils auraient les miaulements. Mais les infâmes insectes qui venaient ronger leurs cercueils seraient bannis du cimetière. Pour revenir sous la forme de cancrelats-zombies à moitié digérés, encore plus increvables que l’espèce normale.

Autant dire que la discussion avorta et que le fossoyeur dut s’habituer à ce que la postérité nomma :
« Principes fondamentaux des interactions décédés – félidés »

Art. I : Les chats miaulent.
Art. II : Les morts-vivants pendent les chats qui miaulent.
Art. III : Les chats morts-vivants pendus miaulent et se pendent – si dépendus –, guidés par leur nature post-mortem.
Art. IV : Il s’en suit une effroyable cacophonie et une rupture du stock de potences que même la nature peine à expliquer.  
[…]

Ce n’est toutefois point cette ode féline qui attira l’attention du fossoyeur. S’infiltrant entre les cris, un grésillement se fit entendre ; un murmure, assemblage de syllabes discontinues qu’entrecoupait parfois un mot clair, limpide. Amadeus entendit tout d’abord des « Mort » et « Décès ». Il crut alors avoir laissé son transistor branché sur la fréquence nécrologique. Puis vint un terme cauchemardesque, qui, associé aux précédents, pouvait créer dans l’esprit du maitre du Cimetière des conjectures inadmissibles : « Immortalité ».
L’homme se leva d’un bond, les sens en éveil. Le mot retentit à nouveau. Il s’élança vers les cryptes – tout bon fossoyeur se devant de demeurer en ces lieux, accordant ainsi un peu de compagnie aux tibias de ceux dont la famille a définitivement cessé de subventionner l’ultime retraite – afin d’entendre la raison d’être de ces propos si effrayants.
-

« Interdire la mort ?
Voilà l’entreprise, folle et héroïque, que se propose d’accomplir le Nouveau Gouvernement. Depuis son ascension au pouvoir, le Front de Libération de l’Existence n’a jamais masqué son dégoût à l’encontre du décès et, à la suite d’une incroyable découverte, les  membres de la Nouvelle Puissance sont à même de proposer une substance qui obligera l’âme à rester dans le corps, afin de protéger nos esprits de l’oubli. Par souci de clarté, ce « miracle » a été nommé l’Energie Vitale. Et, afin d’éviter au peuple de subir les aléas d’un système politique réactionnaire et décadent, l’Autorité du régime aura choisi d’injecter le produit dans l’ensemble des canalisations du Pays, afin de sauver des vies sur le point d’être perdues. De ce fait, tout être qui, au cours des derniers jours, aura bu de l’eau, cuisiné, ou simplement lavé ses dents est à présent immortel. Ce qui signifie qu’à l’exception des malpropres, des grévistes de la faim et des alcooliques – autant dire « à l’exception de la lie de l’humanité » - nous sommes tous sauvés… »

Amadeus resta immobile, les yeux naviguant au sein d’un océan de ténèbres. Les pensées s’entrechoquaient dans son crane à l’instar d’une nuée d’insectes égarés, cherchant désespérément une issue. Afin de se remettre de sa course entre les tombes, il avait bu un verre d’eau. Immortel. Qui était ce Seigneur s’estimant le droit de prolonger son existence jusqu’à l’infini ? Quel gout aurait une vie dépourvue de fin, si ce n’est celui des cendres et du désespoir ? Le fossoyeur sentait germer en lui les fruits de la révolte, porteurs d’une insatiable colère : Qui osait donc le priver de sa mort ? L’histoire aurait pu s’achever bien plus tôt si le Sieur Descorniche s’était laissé emporter par cette vague de hargne.
Néanmoins, son esprit commercial s’incrusta discrètement au cœur de la tempête d’émotions et laissa tomber une unique remarque. Amadeus se redressa vivement : si la mort n’accomplissait plus son œuvre, qu’adviendrait-il de son métier ? Si les gens ne daignaient plus décéder à l’heure voulue, même après avoir été écrasés par un corbillard et noyés dans un océan de naphtaline, que pourrait-il faire ? Si les morts-vivants – qui, comparés aux trépassés, demeuraient une caste fort peu répandue, constituée de ceux qui souffraient de dilemmes métaphysiques les empêchant de jouir pleinement du repos éternel – et les vivants ne devenaient plus qu’une unique espèce dépourvue de sépultures, où irait le monde ? Serait-il au chômage ?  

-

Cent ans plus tard…

Les rues s’étaient dépeuplées. Un vent froid vagabondait entre les bicoques déguenillées, s’insinuant dans les demeures, renversant les meubles, effrayant les oiseaux qui avaient eu le malheur de boire à la fontaine de jouvence.
Les citadins erraient ici et là, monstres de foires rongées par les décennies, les maladies et les catastrophes. De leurs corps déchiquetés s’extirpait une lueur d’effroi, brillant entre les interstices de leurs épidermes.
L’Energie Vitale ne s’était point éteinte. Elle brulait en chacun, le laissant contempler l’univers des vivants à travers un voile d’obscurité.
Les immortels avaient tout abandonné, y compris l’espoir d’un lendemain meilleur. Et, guidé par cette logique, une implacable mécanique s’était mise en marche, écrasant de ses rouages chaque strate de la société :
Quelle nécessité peut-il y avoir à travailler si la nourriture, le confort où les loisirs n’ont plus d’intérêt ?
Devons-nous nous reproduire afin de perpétuer une espèce que le temps ne peut abattre ?
Le suicide, ne pouvant plus apporter la Mort, se contentait de contribuer à la chute de l’humanité.
Les plus « physiquement » atteints s’extirpaient de leur enveloppe charnelle, déambulant à travers des rues en condensats d’Energie Vitale, égaux aux spectres de l’ancien temps. Certains vagabondaient jusqu’au Cimetière, cherchant un lieu où d’aucuns, plus expérimentés, pourraient les éclairer sur la manière de vivre leur déliquescence.
Ainsi, les landes de l’après vie étaient surpeuplées. Et, au milieu de ce tumulte, une espèce continuait de se répandre : A chaque crépuscule, depuis cent ans, un chat venait se joindre au diapason funèbre, mettant son chant – et son cou – au service des décédés. L’assemblage de tous ces phénomènes finit par ronger les nerfs d’Amadeus, le ramenant vers sa fureur d’antan. Ainsi, il décida d’agir, en vertu de tout ce qu’il avait autrefois protégé : un travail bien fait, le repos éternel et le silence des félidés.  

-

La silhouette décrépite s’avança lentement entre les défunts.
L’humanité d’Amadeus s’était envolée avec les années, ne laissant que quelques lambeaux de chair afin de recouvrir les courants d’Energie vitale. Ses gestes étaient désordonnés, semblables à ceux d’un pantin mû par un invisible marionnettiste. Sur son visage, mille rides s’étaient tracées, creusant sa chair d’une infinité de ravines assassines. Ses yeux n’étaient plus que deux cavités, obscures, emplies de vides et de néants. Seule une étoile de fureur miroitait en ces ténèbres, reflétant chacune de ses pensées.
Il s’arrêta, contemplant ses anciens locataires. Inspirant une goulée d’un air vicié – ses poumons ayant fermé boutique plusieurs décennies auparavant, nous pouvons supposer qu’il fit cela uniquement afin de ménager son entrée – il se prépara à parler. Et, dès l’instant où ses accents frappèrent les tympans de l’assemblée, tous comprirent que le fossoyeur n’avait plus rien d’humain.
Sa voix était celle du chaos, rauque, caverneuse, traversant le voile de l’après-vie à chaque syllabe.

« Cent années, passées à souhaiter le néant. A croire que l’immortalité n’était qu’un mot limité par les âges. A espérer qu’à ce poison s’opposerait un antidote. A rêver du jour où notre supplice s’achèverait. Et quelle est notre récompense, aujourd’hui ? Le silence. Le silence d’une tyrannie arrivée au pouvoir en manipulant les masses, offrant au peuple l’illusion d’un royaume meilleur. Le silence du mal qui, plutôt que de reconnaitre ses fautes, préfère abandonner ses ouailles dans une décrépitude éternelle !
Nous n’avons que trop attendu. Si les vivants ont rendu l’âme, que reste-il à l’avenir, si ce n’est les morts ? Si vos descendants ont abandonné tout espoir, qui peut endiguer cette apocalypse, si ce n’est vous ? Là où la Vie n’a pu triompher, la Mort le doit… Et face à ce démon sourd à nos appels, prenons les armes. Extirpons les fantômes d’antan de leurs sépultures et marchons. Marchons dans les rues dévastées. Avançons jusqu’au cœur du fléau et frappons ! D’un coup, d’un seul, nous abattrons la bête et nous reprendrons les rênes ! Le règne de la nuit sera brisé et, enfin, la clarté embrasera nos terres dévastées. La Mort reviendra et les chats cesseront de miauler ! »

Une ovation colossale accompagna cette ultime remarque, reflet de l’enthousiasme soudain décuplé des mort-vivants. Une étrange sensation s’empara alors d’Amadeus, troublant momentanément ses sens. Quelque part, en deçà de ses chairs putréfiées, une vielle mécanique s’était réveillée.
Et, pour la première fois depuis des années, l’Energie Vitale fut supplantée. Un battement retentit, subtil éclat de cristal voilé par le vacarme. Guidé par la foi, la fouge et la fureur, son cœur avait retrouvé les sentiers de l’existence.

-

Le grondement des armées s’élevait dans la capitale.
Les seigneurs de l’après-vie s’étaient emparés de l’ensemble de la contrée, repoussant les légions décompo-sées de l’Autorité. Seule la cité mère demeurait, inexpugnable. Les batailles se succédaient, nourrissant de leurs seins pleutres et héros. Les cieux étaient devenus incandescence, gardiens des Energies vitales dépourvues de réceptacles ; Demeure des âmes furibondes privées de leurs corps, elles qui contemplaient la guerre sans pouvoir y participer.
Autrefois magnifique, la ville s’était laissé emportée par la déchéance. La végétation avait remplacé l’homme, s’insinuant dans le moindre interstice afin d’en faire son royaume.
Parangon du déclin, la demeure du gouvernement se dressait entre les ruines. Autrefois éclatants, ses fanions semblaient linceuls souillés par les intempéries. Le temps avait recouvert la pierre d’un voile de poussière, détruisant les remparts de cette citadelle. Prenant naissance entre les décombres, une colossale avenue traversait la cité.
Là étaient les ultimes lieux d’affrontement. En ces terres, les guerriers du Fossoyeur triomphaient pénible-ment des défenses ennemies.
A la technocratie, ils opposaient leur magie.
Face à la puissance, ils dressaient leur foi.
A l’encontre de l’immortalité, ils abattaient leur décès.
Porté par l’expérience de l’après vie, ils puisaient jusqu’aux tréfonds de leurs carcasses des forces inespérés, guidant inlassablement la mêlée vers leur victoire. Alors que les serviteurs de l’Autorité combattaient en l’honneur du devoir et de la fidélité, les décédés croyaient en de plus nobles causes… Sur leurs lames miroitait l’éclat de la Liberté couplé à celui, au combien plus puissant, de la Mort.

La mélopée des batailles retentissait dans le lointain. D’immenses arbres se dressaient autour des Jardins du Gouvernement, enveloppant les ruines d’un halo d’obscurité. Une silhouette s’aventurait en cette noirceur, abandonnant le conflit afin d’accomplir de plus terribles desseins. Si ses compagnons d’armes devaient enfoncer la base de la pyramide de l’Eternité, lui souhaitait en arracher le sommet : Entrer dans le palais de l’Autorité et y terrasser le Pouvoir. Délaissée par les gardes, la Demeure semblait abandonnée, croupissant dans un immuable silence.
La lumière avait quitté les corridors voilà bien des décennies, n’y laissant qu’une odeur méphitique, corrompue. La pourriture semblait être devenue la régente de ces lieux, les amenant lentement vers l’apogée de leur déclin. Quant aux sols, dévorés par les âges, ils libéraient de sombres grincements sous les pas de l’Inconnu. Ses yeux arpentaient la pénombre, attirés par un détail qui, sans conteste, marquerait l’issue de sa quête :
Autrefois mirifique, cet escalier avait gardé une certaine noblesse. De vermeilles tapisseries s’étendaient sur ses parois, usées par le temps et les maladies. Une puissante clarté émanait du sommet. Hélas, comme toute entité en ces terres, elle semblait viciée, ravagée par les sévices du mal avant d’atteindre les regards. La silhouette s’immobilisa un instant : la mise en scène était totalement improbable, presque trop grandiloquente pour être réaliste. S’il y avait maitre en ce royaume, il ne pouvait être qu’aux cotés de cet éclat.
Et il devait être doté d’un certain sens du spectacle ou, tout du moins, d’un égo surdimensionné.
L’ombre s’extirpa de la nuit, gravissant péniblement les marches.

A l’issue de cette ascension, se dressait une porte, encadrée par les deux derniers gardiens du Palais. Exception faite du dénuement extrême de certains de leurs membres et de leur odeur avariée, ils avaient l’allure idéale pour remplir leurs fonctions : leur gabarit correspondait exactement à celui de l’entrée gardée.
Lorsqu’ils aperçurent l’Inconnu, ils sortirent de leur torpeur et croassèrent un flot discontinu de paroles, li-bérant ainsi tous les mots qu’ils n’avaient pu prononcer au cours des dernières décennies :
« Halte ! Vous ne pouvez franchir – Qui êtes vous ? Que sont ces cris qui résonnent – Quelle est cette guerre à laquelle nous ne pouvons – Que voulez-vous – L’immortalité touche-elle à sa fin ? – Que sont ces paroles qui nous viennent – Jamais vous ne passerez cette porte ! Identifiez-vous ! »
Le concerné s’arrêta, silencieux, étudiant la tempête verbale dont il venait d’encaisser la charge. Il choisit fi-nalement de répondre à l’ultime injonction, y mettant assez de bonne volonté afin de se conformer au lyrisme omni-présent. Rejetant son manteau d’obscurité, il tendit devant lui un fusil extirpé d’une époque révolue et, à l’instant de tirer, il prononça d’une voix emplie de majesté :
«  Je suis Amadeus Descorniche, fossoyeur du cimetière de l’Eternité et commandant des armées de l’après vie. »
Ses interlocuteurs n’entendirent que des fragments du phrasé : Les projectiles déchirèrent leur crane, anéantissant le siège physique de leurs esprits. Illuminant la corruption d’un éclat opalin, l’Energie vitale quitta leurs corps, emportant leurs âmes au cœur des cieux enflammés.
-

Les mains d’Amadeus se posèrent sur la porte. Ses paumes craquelèrent, ses os grincèrent ; Tremblant sous l’effort, il puisa des forces jusqu’aux tréfonds de son être, laissant l’Energie Vitale alimenter ses muscles, une dernière fois.
Imperceptiblement, il triompha. Les bois s’entrebâillèrent, laissant apparaitre le siège de l’Autorité. Sous un jour favorable, cette pièce aurait pu sembler paisible, féérique.
Les toits avaient disparu, laissant apparaitre une voute céleste dévastée, parfois entrecoupée par d’épaisses frondaisons. Le mobilier s’était fondu dans la nature, devenant le réceptacle d’arbustes et d’herbages. Assis au centre des lieux, silencieux, se tenait l’Autorité.  
Le fossoyeur fut stupéfait : jamais être aussi décrépit n’avait croisé son regard. Son visage n’était plus qu’un amalgame de feuilles parcheminées. Sa chair était creusée de mille sillons, lesquels mettaient en exergue une ossature dévorée par les âges. Son essence, son passé avaient été effacé par le temps…
Cette incarnation de la vieillesse semblait perdue dans les limbes de l’inconscience.
Pourtant, lorsque qu’Amadeus s’avança, une voix s’éleva, douce, féminine. Une voix emplie de passions qui, d’un souffle, aurait pu lever des armées ; Un attribut du divin bien plus que du mortel :

« Alors voici le Seigneur des révoltés. Voici l’homme qui n’aura point voulu saisir mon don. Voici celui qui aura détourné le regard, choisissant d’être un reliquat du passé plutôt qu’un héraut du futur. Regarde ces arbres, Amadeus. Vois leur splendeur. Eux aussi auront bu l’eau de l’éternité. Et, dépourvu des scrupules de l’Humanité, dépourvu de votre conscience viciée, ils auront crû, devenant majestueux, éternels. Pourquoi ne pouvez-vous en dire autant ? Pourquoi vous, la plus belle de toutes mes créations, avez-vous chu à l’instant où, enfin, vous aviez tout ? »

L’homme contempla son interlocutrice, agençant lentement ses pensées en ordre de bataille. Face à lui se tenait la régente de tous les maux, son adversaire en cet interminable conflit.
Les années semblaient avoir été bien cruelles à son égard, imprégnant sa carcasse de nombreuses cicatrices. En sa voix résonnaient maints accents de tranquillité. Néanmoins, ni bonté, ni pitié n’ébranla le cœur d’Amadeus. Et lorsque les mots sortirent des ses lèvres, ils furent amers, voilant difficilement les relents d’une haine ancestrale.

« La flore demeure car elle peut vivre des centaines d’années sans connaitre les maux de la vieillesse. Est-ce notre cas ? Je ne crois pas. L’immortalité nous aura lentement porté vers la douleur, la mort physique, nous ôtant les joies, l’espérance et de l’envie de progresser ! Nous avons chu, privés de raisons de grimper ! Car qui peut nous pousser à vivre pleinement si nous avons l’éternité devant nous et un corps anéanti pour en profiter ? »

L’Ancienne restait immobile, laissant l’écho de la colère d’Amadeus rebondir entre les arbres. Ce ne fut qu’à l’instant où seules les lointaines explosions troublèrent la quiétude du lieu qu’elle reprit la parole :

« Un corps anéanti…
La véritable force de ce don n’était point physique. Vous auriez pu aller si loin. Vous auriez pu repousser les limites de la réflexion. Vous n’auriez plus eu à craindre la perte de vos âmes. Vous n’auriez plus eu à trembler devant la fin. Vous n’auriez plus à perdre les êtres qui vous étaient chers… Avec le temps, vous auriez compris que le corps n’était qu’une variable annexe, qu’un détail. Que la véritable force était celle de l’esprit. Hélas, vous avez choisi de vous complaindre sur votre sort. Vous avez abandonné toute existence. Vous avez délaissé la Vie. »

Le fossoyeur tressaillit sous le joug de cette accusation. Une vague de fureur remonta dans ses entrailles : Non contente de l’avoir privé d’une existence emplie de bonheurs, l’Autorité l’accusait maintenant – Et, à travers lui, toute l’humanité – d’être le responsable de cette chute. Son verbiage devint hurlements :

« Est-il possible de se tromper aussi lourdement sur la nature de l’homme ? A quoi cela sert-il d’avoir une âme si elle ne peut atteindre le Paradis ? A quoi bon la connaissance si nos descendants ne peuvent en profiter ? Nous n’avions point besoin de voir notre Mort disparaitre ! Sans elle, que pouvons-nous encore craindre ? Sans elle, quelles raisons avons-nous d’aller au-delà des limites ?
Vous qui avez cru nous comprendre, vous n’avez fait que nous détruire ! Et avec quel pouvoir ? Et pour quelle raison ? Qui vous a octroyé le droit de causer un tel outrage à la Vie dont vous parlez si bien ? »

Son interlocutrice redressa la tête, plongeant son regard dans celui d’Amadeus. Si le fossoyeur avait supposé une nature divine voilée derrière cette carcasse rapiécée, ses derniers doutes furent alors dissipés. En ces yeux brillaient une myriade d’étoiles, reflets de chacune des consciences perdues dans l’univers, empreinte de toutes les créatures ayant un jour existé.
Néanmoins, telle un voile devant cette nébuleuse, perdurait une tristesse infinie. Une perle d’écume naquit à l’issue de ses paupières, allant se perdre dans les sillons de son épiderme. Toutefois, lorsque sa voix s’éleva, elle fut sombre, portant sous ses ailes les éclats d’un orgueil meurtri.
Tels furent ses paroles :

« Ainsi, voilà votre jugement !
Ainsi, voilà le cri des faibles lorsqu’ils s’émeuvent de leurs souffrances ! Ils n’y voient que leurs maux, ne prenant point attention à la douleur d’autrui ! Et c’est ainsi que tu me parles, Amadeus. A moi ! Moi qui ai forgé la mère de toutes les pensées ! Moi qui l’aurai vu disparaitre dans les Limbes de la Mort, emportée dans un royaume connu de lui seul. Moi qui, face à cet invincible ennemi, aurai lentement échafaudé une nature apte à lui résister, apte à sauvegarder sa conscience par delà les âges, jusqu’à vous atteindre, vous…
Vous qui auriez dû être l’accomplissement de ma quête : Des êtres dotés d’une sagesse propre, capables de construire, d’évoluer. Atteindre l’immortalité aurait été possible, en utilisant la science afin d’accroitre votre longévité. Et pourtant, avec les siècles, force m’a été de constater que vous aviez échoué. Que, sans mon secours, jamais vous ne pourriez triompher de la Fin. Alors, je vins. La suite t’est connue, Fossoyeur. Sache néanmoins que, pour vous offrir l’éternité, j’aurai tout sacrifié, revêtant un masque de décrépitude afin de partager votre fardeau. Moi qui, autrefois, fus la Vie, je devins la Vieillesse. Pourtant, ai-je l’air de souffrir ? Non. Car, moi, j’eus la sagesse d’accepter cette nouvelle existence.  
Nul n’a eu à m’octroyer le droit de vous faire tel don, car je suis celle-qui-octroie. Le pouvoir fut mien et les raisons, tu les connais à présent. Maintenant, accomplis ton sombre dessein : Je n’ai plus de raison d’espérer qu’un jour, mon rêve s’accomplisse. Alors, que la nuit tombe et que les brumes s’élèvent. Car en cet instant, le règne de la Vie s’achève. »

Amadeus Descorniche l’observa, le regard oscillant entre compassion et dépit. Malgré les atrocités perpétrées par son adversaire, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un semblant de pitié à son égard. Sans doute était-elle persuadée de la justesse de ses actes, de la splendeur de ses sentiments. Ainsi, avant de sceller la destinée de la Vie, le Seigneur des légions de l’Eternité sentit qu’il était de son devoir d’exprimer sa vérité.

« Je l’accomplirais. Je vous ôterais ce Trône, je vous priverais de votre Existence, sans savoir si cela influera sur notre avenir. Je le ferais, afin de donner une chance à l’Humanité de recouvrer sa véritable Immortalité. Pas cette illusion que vous nous avez aveuglément offerte, sans nous comprendre ou nous contempler. L’Immortalité n’a jamais été l’apanage d’un homme. Elle fut écrite dans les livres, elle se perpétua à travers les générations. Chaque idée digne de perdurer fut notée et transmise.
Et si le « Je » n’était point éternel, le « Nous » aurait pu exister jusqu’à la fin des temps. L’Humanité, en tant qu’entité, possédait ce don que vous souhaitiez tant la voir conquérir.
Par votre offrande, vous l’en avez privée. Par votre inconscience, vous l’avez tuée. »

Amadeus tira.
-

-

La surprise s’empara de Son âme. Elle concevait mal l’idée de mourir.
Elle ne se rappelait que d’une vive douleur, suivie d’un silence absolu. Les lieux s’étaient effacés, laissant le Fossoyeur derrière eux. Autour d’Elle, il n’y avait plus que ténèbres, Pour la première fois de sa vie, Elle eut peur.
Elle sentit que, au-delà de Sa chute, se cachait une entité plus puissante, capable de briser son Immortalité d’un simple soupir. Elle balaya les ombres du regard, y cherchant Celui qui viendrait s’emparer de Son âme. Et Il vint. Drapé d’une tunique de noirceur, Il l’observait paisiblement. Sa voix retentit, emportant la quiétude des lieux.

« Je constate que ta folle entreprise a finalement échouée. Cela ne me surprend guère. As-tu ouvert les yeux ? Ce fossoyeur a fait preuve d’une sagacité peu commune pour un mortel. As-tu compris ses mots ?
L’amour que tu éprouves envers chacune de tes créations t’a empêché de contempler l’ouvrage dans toute sa splendeur. C’est la peur qu’ils ont de Moi qui leur donne la force d’avancer. Pas l’affection qu’ils te portent. »

La Vie omit sciemment de répondre. Elle laissa Ses pensées dériver, repensant à la discussion qu’Elle avait eue avec Amadeus. Puis, Elle se focalisa sur ce dernier :
« Comment auras-tu fait pour le dresser contre moi, alors que tous sombraient lentement dans les méandres du désespoir ? Comment as-tu pu trouver celui qui les guiderait, si tous avaient cessé de croire en l’existence ? »
« Certains artifices doivent rester cachés. Sache toutefois qu’un miaulement peut suffire pour faire sombrer le navire. Et que, dans la solitude que tu m’as imposée, je n’eus d’autres loisirs que celui de créer. Alors, j’ai créé...
Des chats. »
« Cent années de chats… Si je ne comprends guère la raison, je ne peux qu’admirer l’accomplissement de ta stratégie.  Et maintenant que la victoire est tienne, que comptes-tu faire ? »
Son Interlocuteur contempla l’obscurité, agençant soigneusement chacune des paroles à venir.
« Accomplir ta prédiction. Amener la nuit, achever le règne de la Vie. Sans toi, l’Energie vitale disparaitra, laissant les immortels démunis face aux affres du temps. Cette civilisation ne peut que péricliter. J’avancerais sa chute, emportant les âmes avant qu’elles ne choient. La nature dépérira pour finalement s’oblitérer dans les brumes.
Et là, lorsque tout sera Mort, je planterais les germes d’un monde nouveau. Je donnerais une chance à l’Humanité de recouvrer son Immortalité. »
« Et moi ? Que me réserves-tu ? »
« Le choix. Si tu souhaites m’aider dans mon entreprise, tu en auras le droit. Si tu désires mourir avec ce monde, je t’accorderais ta fin. Après tout, ne suis-je pas le Gardien de ce Royaume que tu n’as jamais voulu contempler ? Il est en mon pouvoir de répondre à chacun de tes désirs. »

La Mort se tut, attendant la réponse de la Vie.
Et, lorsqu’elle vint, la noirceur l’accompagna, emportant le royaume des Hommes.
La Fin fut, libérant les âmes trop longtemps opprimées. Un voile de ténèbres s’abattit sur la Terre, y déposant la source du renouveau.

Ainsi s’acheva le Règne de l’Eternité.
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Axel & Anders




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MessageSujet: Re: Le Règne de l'Eternité   Le Règne de l'Eternité Icon_minitimeLun 2 Déc - 1:38

Cette nouvelle est vraiment superbe, tu as une plume magique !

J'aurais voulu posté quelque chose de plus constructif, mais je n'ai pas assez de talent pour faire une critique sur un texte aussi bien écrit. J'espère pouvoir te lire encore et encore !
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Le Règne de l'Eternité
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