Je m'appelle Hector Cartouge, j'ai vingt-sept ans, je suis chômeur de longue durée, habitant dans une des campagnes de France chez mes parents. Il ne se passe pas grand chose d'exceptionnel dans le coin, mis à part quelques bagarres dans les bals du samedi soir.
Je traîne pas mal avec une bande de potes la journée, en fumant quelques pétards et en buvant un petit pack de bière. Je sais qu'on est des branleurs. Des "cassos" comme disent les habitants du village. Il ne faut pas croire qu'on ne veut pas bosser, c'est juste que du boulot il n'y n'en a pas dans le coin. Et puis personnellement, je n'ai pas envie de monter dans les grandes villes pour me tuer la santé. Je n'ai pas d'ambitions. Mes parents, ouvriers tous les deux, en ont un peu marre que je squatte le tout petit appartement, mais ils ne me font jamais de réflexions.
- Hector, envoie une canette !
- J'viens de boire la dernière mec.
- Et merde... J'aurais bien roulé un petit cône, mais je n'ai plus rien.
- Ne t'inquiète pas, on va aller chez Martin boire un petit Ricard, ça passera le temps.
C'est ça notre quotidien, et bordel qu'est-ce que ça craint ! Quand j'allume la télévision, et que je regarde le journal, je vois qu'on ne parle que des jeunes des cités. Ces pauvres malheureux sans emplois, qui n'ont aucune chance de réussir, etc. J'ai envie de les insulter ces journalistes, il faut toujours faire l'actualité sur des choses qui vendent. On oublie bien vite les jeunes de campagnes, qui galèrent, même avec le bac, à trouver du travail et qui finissent par se foutre en l'air.
On se fait chier, vraiment. On a des rêves pleins les yeux, mais quand on regarde à l'horizon on ne voit que le brouillard. Ici, l'alcool, c'est pour ceux qui n'ont pas les couilles pour la corde ! Et je pèse mes mots quand je dis ça, combien de fois j'ai pensé à me suicider ? De toute façon, tout le monde s'en fout royalement.
La France oubliée, c'est nous. Et nous buvons pour l'oublier. J'ai envie de faire une connerie, braquer un magasin, mais ça n'a même pas d'intérêt ici. Il n'y a qu'une épicerie et une boulangerie, et tout le monde connaît les commerçants. Voler la clio de madame Martin ? La brûler ? Et puis quoi ? Ce n'est pas ça qui va faire changer les choses, et rien ne changera ici. Alors on se posent sur l'arrêt de bus, et on taguent les murs et les table en bois du parc avec des marqueurs et du blancos.
Le dimanche après-midi, on regarde les matchs de foot sur les vieilles tribunes à la peinture écaillée, et le bois troué par le temps. Ce n'est pas le match qui nous intéresse, mais le fait d'avoir une excuse pour se retrouver entre pote et de boire un pack. J'aime bien cette ambiance, ça gueule de partout, ça fait vivre le coin l'espace d'une journée.
Les points positifs ici sont le calme, la nature et le contact avec les vieux. Ils sont moins isolés que dans les villes, et c'est pourquoi ils sont majoritaires dans les campagnes. Et puis, ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir s'allonger pendant des heures au milieu de la route, avec un pétard et des bières, pour regarder les étoiles. C'est notre espace d'expression, de liberté.
Ici, on a internet, mais à la vitesse du minitel. Et puis au niveau des meufs, on n'est pas vraiment gâtés. Alors on tape le 3615 code sexe et on se branlent sur des pixels. Il y a bien Élise, mais tout le monde lui est passé dessus. Sans capotes, je te jure que tu dégustes. Comme nous, elle cherche à oublier, chacun sa manière.
Il y a aussi le "trio" : René, Jean-Jacques et Philipe. Ici ils sont chez eux, et ils n'ont aucune pitié avec qui que ce soit. Quand ils débarquent dans le bar, c'est pour leur litre de whisky chacun et parler de "bougnoules". Je voudrais leur arracher la tête, mais je n'ai pas envie de me salir les mains, je laisse l'alcool les transformer en flaque de merde.
La rage je l'ai dans les textes, mais ça fait déjà bien longtemps que je ne l'ai plus dans la vie. La campagne ça craint, mais on finit par ne plus pouvoir s'en séparer.