Le siège de Galvorn - Quartier Nord

Les hommes de main de Mjord avait infiltré les faubourgs du Nord de la Cité de Galvorn. Un convoi était annoncé pour la nuit et chacun tenait son poste. Les elfes Sang se mêlaient à la nuit. Ils guettaient dans l'ombre. Spectres sombres dans le noir. Mais ils n'étaient pas seuls. Les fantômes rôdaient dans les ruelles. La tension gouvernait.
Dans le silence nocturne, des silhouettes se déplaçaient. Inconsciemment, elles guidaient les elfes Sang que l'obscurité ne gênaient pas. Dissimulés derrière de longues capes noires, le visage à l'abri sous une grande capuche, ils longeaient les murs, prêts à frapper quand le moment serait venu.

Des claquements de sabots et les crissements de roues se firent entendre au loin en même temps que les cris et rires de quelques badauds sortant d'une taverne.
La première charrette surgit sur la place et les ombres s'approchèrent. Un homme mena le cheval de tête par son harnais jusqu'à un porche devant lequel le convoi stoppa.
Alors, comme un seul corps, des hommes silencieux et presque invisibles se muèrent dans la nuit et commencèrent le déchargement des chariots. Les caisses, tonneaux, sacs furent en un instant débarqués et transportés au delà du porche tandis qu'un mur d'homme cernait le convoi.
Puis le convoi reprit la route, chaque charrette reprenant la route indépendamment des autres.

C'est à ce moment là que Mjord donna le signal de l'attaque. Les elfes Sang tombèrent sur les hommes de l'ombre, tranchant les jugulaires d'un trait propre et net. Un deuxième rang d'elfes purgeait les dernières silhouettes en mouvement.
Puis, en un seul mouvement, ils pénétrèrent sous le porche.



Plus de deux mille hommes en arme attendaient les ordres d'attaque dans les bois de Grall, tandis que Cassiopée, Lis et Melaka se tenaient au dessus d'une carte représentant la cité de Galvorn.

-Parch'aa m'a tenu informée que les troupes de l'Unique sont en place pour percer les murs au Sud. Nous devons être prêts à les rejoindre. LIS, c'est à toi que je vais confier d'ouvrir les portes de la ville.  Lorsque Mjord aura débarrassé les quartiers Nord, tu avanceras vers l'entrée principale. Tu partiras demain avant l'aube. Je te donne mille hommes à pied. Les Lézards t'accompagneront donc n'oublie pas que chaque homme doit être équipé d'un vaporisateur.

-Je n'aime pas vraiment ces saletés de lézards, mais c'est avec joie que j'irais faire couler le sang de l'ennemi. Les portes de la ville sont déjà ouvertes dame étoile, ce sera une partie de plaisir.

Cassiopée ne sourit pas à la réflexion de son Confrère car faire couler le sang n'était pas une partie de plaisir pour elle. Juste une nécessité.

- Melaka, toi, tu auras autant d'hommes pour te débrouiller d'ouvrir une percée au Nord du mur.
Cassiopée montra un point de la muraille.
D'après Solg, la seule faiblesse du mur est ici. C'est donc par là que tu attaqueras. Seulement, le mur sera tout particulièrement défendu à cet endroit, alors tu partiras avec les déshérités. Eux-seuls pourront empêcher les pluies de flèches ou d'huile bouillante.
Fais attention à eux. Ils nous sont précieux.

Cassiopée se releva, regarda vers les étoiles.

-La nuit est belle. Vous ne serez pas seuls.

Issac se matérialisa à ses côtés. D'un grand mouvement de cou, il salua les Hauts Saigneurs et Cassiopée escalada le dragon pour venir se nicher derrière la cinquième vertèbre où un creux naturel lui servait de siège.

-Je vous retrouverai sous peu.

Sur ces mots, la Dame Protectrice du Sang disparut dans la nuit.

Un fois passé le porche, Mjord et ses hommes se faufilèrent dans une cour carrée à peine gardée maintenant que les principaux hommes chargés de sa surveillance étaient soit égorgés dans la ruelle, soit en train de décharger le convoi dans la réserve. L'effet de surprise fit le reste et ils pénétrèrent dans le plus grand silence jusqu'aux salles gardées. Ils n'eurent aucune difficulté à éliminer toute entrave à leur progression.
Quand la place fut nette, ils constatèrent que leur prise était bien plus intéressante qu'ils ne l'avaient envisagée. Le bâtiment abritait bien un dépôt de provisions comme ils l'avaient espéré. Les sacs de farine, barils de viande baignant dans l'eau saumâtre, paquets de saindoux étaient entassés dans un coin de la vaste salle. Mais le centre était surtout rempli d'explosifs. On y trouvait des tonneaux de poudre, des écheveaux de mèches à feu et des bâtons de dynamite. Quelques caisses d'armes venaient compléter ce magnifiques tableaux de chasse. Après les avoir ouvertes, ils y découvrirent des arbalètes, des lances, des épées courtes et des dagues.

Les hommes du Sang commençaient à se charger de leur prise de guerre quand un immense dragon se matérialisa au milieu de la cour. Mais l'air se vrilla dans un tourbillon de poussière et Cassiopée apparut seule aux yeux des hommes du Sang.


Elle ordonna :

- Laissez tout ici. Chargez vous seulement des armes et partagez les dans l'unité. Prindjah et ses fées vont se charger de récupérer les denrées vitales. Lorsque nous aurons quitté la place, je veux que vous mettiez le feu au reste.

Sur ces mots, la fée d'Orh s'avança d'un coin sombre de la pièce. Sans un mot, un quart de la garde bleu-nuit entra dans le dépôt tandis que Prindjah et ses sœurs se tenaient derrière Cassiopée.

En un instant la bâtisse fut débarrassée des armes et des provisions et la garde rouge sortit du bâtiment.

A l'extérieur, les elfes massés dans le périmètre de la ruelle éliminaient un à un les assassins à peine repérés et la ruelle était calme.

C'est alors que Cassiopée reçut un choc violent qui l'ébranla l'espace d'un instant. Le premier dragon des armées du Sang venait de mourir et son cri balayait les âmes. Der'Karen, premier d'une lignée historique, ancêtre de l'Harmonie n'était plus.

-Que Drystan Hayarn soit méprisé pour avoir permis cette perte. Faites payer à nos ennemis ce sacrilège !

La colère de Cassiopée avait envahi l'atmosphère et chaque hommes du Sang se voyait chargé d'en être le medium.
Les fantassins du Sang se déversèrent dans les faubourgs au Nord de la cité, écrasant sur leur passage les troupes adverses qui tentaient de leur barrer le passage. Ils étaient chargés d'une énergie destructrice issue de leur Dame qui se tenait à l'arrière. Les hommes et elfes Sang qui laissèrent leur vie dans la lutte n'eurent pas à un seul moment la crainte de la mort.

Pourtant, alors que les combats faisaient rage sur la place, Cassiopée sentit une présence ennemie qui respirait le Sang. Ceci la perturba au point qu'elle concentra son attention sur le point mental qu'elle ne lâcha plus.

A quelques pâtés de maisons d'ici, une terrible explosion foudroya le quartier. Le dépôt venait d’exploser.

Précédée de sa garde bleu nuit, La Dame des étoiles suivit la débâcle des régiments d'hommes qui fuyaient devant la fureur du Sang. Laissant à Mjord le soin de déployer son unité, elle se fraya un passage vers le souffle sanguin  dont elle ressentait maintenant la présence proche. Là, elle s'arrêta en terrain sûr.
Alors, le vent se souleva de terre et dirigé avec art, se faufila jusqu'à la présence insolite. Il se mit à tourbillonner autours de l'elfe dont l'Harmonie était imprégnée d'odeur Sanguine. Il la souleva du sol. L'être était fort et s'apprêtait à combattre l'attaque qui s'emparait de ses mouvements. Mais, son geste fut arrêté quand ses yeux découvrirent Cassiopée qui se tenait, droite et blanche, devant elle et qui murmurait, le souvenir au bord de l'âme :

-Idrial...

Dans les faubourgs, l'infanterie du Sang pénétrait dans chacune maison pour en extraire les habitants. Nul ne pouvait se terrer sur son chemin. Les plus récalcitrants étaient exécutés sur le champs, les autres faits prisonniers. Ceux là restaient sous la garde de dragons appelés en renfort. Les lourdes têtes se balançaient au dessus des hommes et femmes apeurés et rassemblés qui tentaient de réchauffer leurs âmes en se serrant les uns contre les autres. De leur côté Mjord et ses soldats balayaient devant eux et bientôt les trottoirs reluisirent du Sang mêlé à celui de l'ennemi. L’œuvre de Purification s'étendait au delà des ténèbres.
Cependant, si la débandade avait vidé rues et habitations, elle avait permis la fuite de nombreux habitants et soldats qui passaient les remparts par la porte ouverte à cette fin. Mais quand les troupes du Sang arrivèrent à proximité, celle-ci se ferma, laissant dehors les fuyards qui hurlaient leur désarroi en frappant les lourds battants que leurs petits bras déchaînés ne secouaient même pas.

Pourtant, au milieu du carnage, un îlot intemporel formait une bulle à travers laquelle les sons ne provenaient qu'assourdis.
Cassiopée et Idrial s'y faisaient face. Cassiopée sentait combien la force du Sang avait grandi. Il contrebalançait l'équilibre du Zénith.
Cette perspective la fit sourire. Elle aimait sentir le lien qui l'unissait à cette femme qui avait partagé avec elle des moments inoubliables dans l'éternité de l'Au delà. C'était une marque indélébile plus qu'un lien puissant, mais aucune des deux ne pouvait la nier.

- Tu es belle ainsi. Le dragon qui éclaire ton visage est un combattant, mais ses ailes sont grandes, c'est aussi un protecteur.
Ainsi, tu portes ces traces sur toi en permanence. Comment les supportes-tu ? Comment te sens-tu comme ennemie du Sang ?

En disant ces mots, le visage de Cassiopée, heureux de revoir celle qu'elle considérait comme amie, s'assombrit. Le nuage qui passa sur ses yeux éclipsa toute joie et elle regarda Idrial la face impassible.

Cassiopée ne pouvait empêcher la tristesse qui ruisselait de cette rencontre. Elle avait devant elle une adversaire au Sang, une des chefs du Cercle du Zénith et elle même était Dame Protectrice du Sang, Gardienne de l'Equilibre.
Et pourtant, le dragon vibrait sur la face de l'ennemie et quoiqu'en pense Idrial ce dernier ne pourrait jamais se retourner contre elle, parce qu'il était une part d'elle-même.

- Oui Idrial, le Sang déculpe tes forces et tu les utilises contre nous. Mais, il sera toujours nôtre, ne l'oublie jamais.
Je t'ai, lors d'une nuit sans fin, offert la vie et j'espère qu'un jour tu te souviendras de celle-ci. Souviens toi que l'Equilibre sur lequel tu joues est une longue ligne entre nous.

Cassiopée recula d'un pas, mais sa main se tendait vers Idrial.

- Nous ne pouvons abandonner, ni l'une, ni l'autre. Peut-être que ceux qui habitent ce Mur seront un frein à notre progression, mais ceci est votre choix. Vous avez choisi de vous allier aux Effrontés lunaires contre nous. Vous cherchez à rompre l'Harmonie pour imposer un monde destructeur. Aujourd'hui, les rêves de la gardienne deviennent réalité et bientôt la fin viendra si nous vous laissons faire. Nous n'avons pas d'autre solution que vous briser.


Tout avait été dit. Les deux femmes se tenaient maintenant la main. Elles restèrent un moment sans mot avec les âmes jointes dans le regret de l'inévitable. Puis Cassiopée brisa d'un geste la rencontre.
La bulle qui les enveloppait s'évanouit et le bruit de la ville en guerre leur parvint avec violence.

L'espace d'un moment, Cassiopée avait laissé la perméabilité des êtres chers s'unir dans la coquille resserrée d'une bulle du temps. Aussi ne lui fut-il pas facile de se livrer à nouveau à la violence active de la guerre. Le contact avec la réalité fut brutal pour ses sens.
Les hurlements des assaillants concurrençaient à peine les braillements des victimes égorgées ou emmenées prisonnières. Ses yeux furent agressés par les fumées piquantes qui se répandaient dans toutes les ruelles depuis les incendies volontaires. Mais surtout ses narines se dilatèrent sous les relents puissants de l'odeur du sang frais.

Entourée de la présence silencieuse et invisibles des fées d'Orh, la dame du Sang se hissa sur les toits.
De là, elle pouvait en toute sécurité contempler l'avancée indéniable du Sang vers les murs de la ville.
Les troupes de Mjord formaient maintenant une large bande sinueuse qui longeait les remparts de la ville depuis la côte jusqu’aux dernières tours du Brigand Grivois. Plus au Nord, les fantassins menés par Melaka semblaient également se rapprocher des remparts et Cassiopée espérait que leur avancée serait tout autant couronnée de succès.

Elle fit signe à Sharma Zig la troisième de ses fées :

-Sharma, sans te faire voir ni te faire reconnaître, rapporte moi avec précision le chemin parcouru et l'état de nos hommes près de la porte Nord.

A peine avait-elle formulé ce souhait qu'au pied des remparts une quinzaine d'hommes vêtus de rouge purpurin cernaient Idrial.
Quand elle s'était relevée après sa chute, l'elfe du Cercle du Zénith s'était recroquevillée sur elle-même et elle gardait la tête baissée mais l’œil agile. L'arme déjà au poing, elle tira une dague effilée de sa botte et commença à esquisser un tour sur elle-même pour juger ses adversaires.
Alors, elle releva la tête et repoussa d'un geste vif les cheveux qui lui cachaient une bonne partie du visage.

Parmi les fantassins, un homme cria dans la langue du Sang. Alors, les armes s’abaissèrent et tous s'immobilisèrent. Sur la face d'Idrial, le dragon avait pris les couleurs du feu et irradiait sous les yeux ébahis des hommes du Sang.
Les soldats s'écartèrent, laissant leur ennemie dans une position à la fois défensive et prête à l'attaque.
Bientôt, elle se retrouva seule devant la muraille. Les guerriers s'étaient reculés de manière à agrandir le cercle pour laisser libre court à sa fuite.

Du haut de son toit, Cassiopée murmura :

-Fuis, mon amie, fuis pendant qu'il est encore temps. Bientôt ce signe se perdra sous les flammes de nos dragons.