- Spoiler:
J'avais candidaté pour le trophée Asimov, et j'avais commencé à écrire un petit truc, mais par sérieux manque de temps (beaucoup de boulot, toussa toussa) je n'ai pas pu finir dans les délais (et amener notamment le thème de la clef etc.), donc je n'avais au final rien soumis du tout.
Mais, j'avais envie de partager quand même ce début d'histoire, pour des conseils, des avis, savoir si ça vaut le coup que je trouve du temps pour la poursuivre. Enfin voilà, je mets le début ici, j'ajouterai peut-être des paragraphes au fil du temps et de l'envie ^^
Il avait beau l'avoir entendu bien plus de fois qu'il n'osait se l'admettre, le bruit strident que produisait son régulateur, lorsque le niveau d'oxygène chutait, déclenchait toujours chez lui un rictus crispé. Il pesta intérieurement et fit taire le petit appareil d'une pression. Un courant d'air chaud souleva un nuage de poussière et il leva machinalement le bras pour protéger ses yeux. Les gouttes de sueur brûlante qui glissaient dans les manches de l'atroce combinaison dans laquelle il était engoncé accentuaient la sensation de moiteur qui ne l'avait pas quitté de la journée. Cette planète était trop chaude.
Il se redressa et regarda autour de lui. D'immenses piles de déchets et de décombres s'amassaient au pied de ce qui, bien des années plus tôt, avait été l'une des ailes d'un beau palais de campagne impérial. Il avait passé trois jours complets, plein d'espoir, à retourner chaque débris, à fouiller du pied des tas de ruines. Trois jours à supporter la chaleur et la solitude. Trois jours à répéter les mêmes gestes, dans toute la lenteur que lui imposait son attirail. Il poussa un long soupir qui couvrit son masque de buée, et marcha doucement vers la plaine. Il ne pouvait pas rester plus longtemps à l'extérieur. Peut-être reviendrait-il demain.
Lorsqu'il poussa enfin la porte du sas de son Raff, retrouvant la sécurité et le confort tout relatifs que peut fournir un mobile de cette taille, il ne put réprimer un sourire. Il s'était attaché à ce vieux vaisseau, qui le suivait maintenant depuis 7 années. Le Raff était un petit appareil, qui tenait plus de la cabane volante que de l'aéronef, mais qui permettait tout de même de s'extirper de l'atmosphère de la plupart des planètes sans trop de problèmes. Sans être tout à fait élégant, il pouvait, si on le regardait d'un certain angle, avoir fière allure, et en tout cas, il était robuste.
Il n'était pas question de grand luxe et d'installations sophistiquées, tout juste d'un poste de pilotage, d'une couchette usée par le temps et de quelques espaces à vivre. La poussière s'amassait sur des meubles qui n'avaient jamais été entretenus et la rouille commençait lentement à dévorer la carlingue. L'homme avait posé au sol quelques carrés de moquette ternie, récupérés çà et là, pour s'épargner le contact glacé du plancher métallique. L'ensemble baignait dans une atmosphère chaude et sèche, qu'il avait fini par trouver rassurante. Dans un des coins, un espace de travail simple mais fonctionnel était devenu avec le temps un débarras, où s'empilaient toutes les trouvailles de ses nombreuses expéditions. Il n'était même plus possible d'accéder au terminal, de toute façon hors-service depuis plusieurs mois.
Il déboutonna le grand col de sa veste qui lui masquait le nez et la bouche, et se libéra de son respirateur. Ses longs cheveux grisonnants s'éparpillèrent devant ses yeux, et il les dégagea d'un geste las. Il s'assit sur le bord de son lit et retira ses bottes, puis il enleva ses chaussettes trempées et les déposa sur une conduite de chauffe pour qu'elles sèchent. Il expira lentement et se sentit soudain vieux et abattu. Encore une journée qui n'avait rien donné, et son objectif semblait chaque jour s'éloigner un peu plus. Terrassé par la fatigue, il se laissa tomber sur le lit, sans même prendre le temps de se débarrasser de son équipement, et ferma ses paupières. Quand l'épuisement venait à bout de lui, il aimait presser ses paumes contre ses yeux fermés. Cela lui faisait voir quelques instants des myriades des couleurs chatoyantes, et avait l'avantage de faire temporairement disparaître la douleur qui siégeait au fond de ses orbites. Il s'était souvent demandé si cette étrange pratique pouvait endommager sa vision, ou si l'impression qu'il avait de pouvoir voir à l'intérieur de lui-même était fondée, ou encore combien de temps il pourrait rester ainsi sans que cela devienne douloureux. Chassant ces pensées parasites, il se redressa et ôta sa veste, qui lui semblait étrangement lourde.
Il ne parvenait jamais à savoir s'il aimait cette tenue d'extérieur ou s'il la détestait. Elle lui tenait souvent affreusement chaud, mais il savait qu'il ne pourrait résister plus de quelques minutes sans elle à l'extérieur, tant l'air était vicié par des années de pollution d'une civilisation jadis florissante. Mirka était une petite planète du Contour, qui avait était riche et prospère sous le règne impérial. Elle était célèbre pour ses gigantesques mines d'aluminium, qui avaient longtemps alimenté les ateliers et les forges militaires. Mais depuis quelques dizaines d'années, après que l'Empire eût été anéanti par de futiles conflits d'intérêts, la population abandonna la colonie, et la planète entière était aujourd'hui un immense désert de ruines, au-dessus duquel flottait un épais brouillard sombre.
Il jeta un coup d'œil par les hublots situés en face du fauteuil de pilotage. Dehors, le vent s'était levé, et déjà la nuit tombait. Les journées sur Mirka étaient beaucoup trop courtes à sont goût. Une dizaine d'heures, tout au plus, jamais assez pour entreprendre des recherches approfondies. Trois jours, et aucun résultat. Les muscles endoloris, il marcha lentement jusqu'à la cambuse. Il ouvrit un placard et y piocha une boîte en acier au hasard. Elle avait perdue son étiquette depuis longtemps, mais les boîtes qu'il avait emmenées avec lui étaient toutes les mêmes. Le regard dans le vague, il repensa à cette grande malle qu'il avait cru apercevoir aujourd'hui durant ses recherches. Elle était abandonnée à l'étage d'une veille bâtisse prête à s'effondrer, et il n'avait pas pu l'atteindre. Il décida qu'il irait la chercher demain, à la première heure.
Il versa le contenu de la boîte dans une casserole, qu'il posa négligemment sur une des plaques chauffantes. Il pourrait sans doute empiler des décombres au pied de la malle pour tenter de grimper à l'étage, il avait vu quelques caisses qui pourraient tout à fait faire l'affaire. L'odeur de la sauce tomate envahit l'habitacle. Ce genre d'odeur faisait partie des petits plaisirs simples qu'il avait su garder. Elle lui donnait l'impression d'être à l'abri, dans une luxueuse propriété, pourquoi pas. Et s'il n'arrivait pas à grimper jusqu'à l'étage, il pourrait toujours essayer de la faire tomber en attaquant directement le plancher. Satisfait par les options qui s'offraient à lui, l'homme mit fin à cette discussion intérieure en coupant le feu sous sa casserole et entreprit de déguster son repas.
Il lança au vaisseau vide.
« Bon appétit. »
Le son de sa propre voix qui résonnait contre les cloisons lui paraissait étrange. C'étaient les premiers mots qu'il prononçait depuis qu'il s'était posé. Il fut envahi par un mélange troublant de tristesse et de joie. Face à l'absurdité de la situation, il trouvait son intervention irrésistiblement drôle. Il se mit d'ailleurs à rire doucement alors qu'il commençait à manger.