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 Olympus Mons

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Mike001
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Mike001


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MessageSujet: Olympus Mons   Olympus Mons Icon_minitimeMer 22 Avr - 4:19

Citation :

Merci à tous ceux qui ont lu et commenté cette nouvelle. Elle est plutôt courte (30k caractères) mais elle m'a emmené pendant des mois sur des heures et des heures de retouches. J'ai eu du mal à me résoudre à la terminer, il est difficile de passer autant de temps sur un texte en sachant qu'il est loin d'être parfait et de le déclarer fini pour autant. Car il faut bien qu'il y ait une fin.

Ceci étant, je vous remercie tous ceux qui m'ont aidé dans l'Atelier de travail : Anastasis qui a été la première à faire le douloureux effort de me corriger ; Chikoun pour ses conseils avisés ; Haalysse, Choupinne, La.Louve.Des.Cerises et Lepzulnag pour leurs remarques toutes aussi avisées ; et last but not least comme disent les barbares d'outre-Manche, Ambroise pour ses annotations perspicaces.



Olympus Mons



Le silence répondait aux gémissements tenaces du vent. Les grains de sables roulaient les uns contre les autres, esquintaient la roche et le métal ; ils se soulevaient au moindre appel des bourrasques martiennes. La planète se plaignait, recrachait toutes les âmes qu'elle avait en elle. Les spectres poussaient devant eux les deux silhouettes. Voûtées et incertaines, elles affrontaient les éléments ; elles posaient leurs pas tant bien que mal, l'un après l'autre. Le couple se tenait la main et s'aidait à se mouvoir. Seul, aucun d'entre eux n'aurait pu parvenir aussi loin.

Les alentours n'étaient que désolation et misère. Les rochers aiguisés pointaient leurs dents en dehors d'une terre aride, tandis que les décombres des constructions rappelaient sans cesse le drame de la chute d'une civilisation. De la mort d'un peuple.

Mais à travers ce périple tortueux, un guide veillait. De son immensité, il les observait s'approcher lentement et leur permettait de ne pas se perdre. Bien que chaque mètre parcouru accrût leur sentiment de petitesse et de malaise, ils persistaient. S'ils marchaient, c'est que là d'où ils venaient, rien ne valait la peine de rester.

C'est ainsi que Cycnus et Éris progressaient vers Olympus Mons.

La fatigue venait toujours, irrémédiablement ; ils se mirent donc à l'abri dans les décombres d'un bâtiment. Le vent semblait se calmer mais la journée se terminait. Les températures allaient vite descendre et de toute façon ils n'avaient plus la force de poursuivre.

— C'est sans fin, se plaignit Cycnus.

— On y est presque. Il faut tenir bon, rétorqua Éris avec une pointe d'agacement dans la voix.

— Je n'y arriverai pas.

— Conneries ! On ne s'est pas tapés des semaines d'escalade et de marche pour que monsieur abandonne si près du but.

— Le but... Quel but ? Tu as décidé qu'on grimperait sur Olympus Mons, le plus haut possible, et c'est tout.

— Je dois vraiment te rappeler que tu étais d'accord ?

— Ce doit être parce que je suis un crétin, puisqu'il faut être un crétin pour accepter de te suivre dans ta folie d'escalade.

— Ne dis pas ça, s'il te plaît.

— Mais après ? Hein, qu'est-ce qu'on fait après ? Éris ! Qu'est-ce qu'on devient ensuite ?!

— Je ne sais pas... Je ne sais pas, Cycnus, dit-elle d'une voix cassée.

Elle voulait toucher la peau de son compagnon pour sentir sa chaleur et le réconforter, mais la combinaison de survie l'en empêchait. Elle posa sa main gantée sur son avant-bras et le serra vigoureusement.

— Cycnus, regarde-moi. Regarde-moi, supplia la jeune femme.

Il se tourna vers elle et fixa ses yeux bleus embués. Éris posa sa tête contre celle de Cycnus, les casques s'entrechoquèrent.

— Demain on devra se lever et continuer, Cycnus. Il le faut.

— Continuer d'aller droit en direction de notre mort ?

— Tu vois une autre solution ?

Il garda le silence.

— Au moins quand ce sera fini, on dominera tout, enchaîna-t-elle. On se tiendra sur le point le plus élevé de la planète.

— Trop génial...

La nuit prit la suite et ils en restèrent là. Ils installèrent la tente thermique qui faisait office de logement du dernier recours. À l'intérieur de celle-ci, ils pouvaient manger un repas chaud et retirer leur combinaison autonome. La journée ils survivaient en portant l'épais vêtement – il avait pour fonctionnalités de produire de l'oxygène en le captant dans l'air ambiant, de recycler les urines et les selles – et la nuit ils survivaient en établissant leur campement.

Les jours passaient et la routine s'était vite introduite : marche, déploiement de la tente, dîner, entretien minutieux de la combinaison qui souffrait face aux trombes de sable, sommeil, petit-déjeuner, levée du camp, marche etc.

Allongés dans leur demeure de fortune ils s'enlaçaient et contemplaient la toile tristement. Leurs derniers rires remontaient à des mois en arrière ; la joie avait abandonné leur vie comme la vie avait abandonné ce monde. Ils ne parlaient jamais de ce qui s'était passé, ni ne remémoraient d'histoires heureuses. Ils enduraient un cauchemar éveillé qui ne possédait qu'une seule issue : une mort exempte d'espoir.

Pourtant, et même si cela la faisait souffrir davantage, Éris s'accrochait à la réminiscence de son existence pré-cataclysme. Désespérément, elle plongeait dans son enfance. Elle se retrouvait au milieu des pavillons, les oiseaux chantaient, l'herbe était verte et ses parents souriaient ; elle jouait et propageait des éclats de bonheurs cristallins. Le vent chaud envoyait baller ses cheveux noirs devant elle ; ils ondulaient souplement et venaient parfois se coincer entre ses lèvres. Éris choyait énormément ce souvenir, même si à force de se le rappeler elle l'idéalisait et l'exagérait, car elle savait qu'il était vrai. Bien trop souvent, des images sibyllines s'emparaient de ses songes : un géant de brume à la voix profonde crachait des volutes de fumée vers elle. La chose était couronnée d'une planète gazeuse autour de laquelle virevoltait des dizaines de lunes. S'il devait y avoir une signification à ces signes, elle échappait complètement à la jeune femme.

Cycnus, lui, repassait en boucle les images de la destruction de Mars. La journée ensoleillée et le ciel bleu dégagé l'avaient convaincu d'emmener Éris faire une balade dans le quartier marchand de la ville. Quand ils ne se dévoraient pas des yeux ou ne s'embrassaient, ils achetaient quelques petites babioles dans les magasins. La simplicité d'un amour dénué de responsabilités les contentait, ils ne pouvaient imaginer que leur existence soit remise en question. Du moins, jusqu'à ce que le noyau de la planète sorte de sa léthargie et que le sol s'ébranlât.

L'activité interne de Mars était demeurée quasi nulle pendant des milliards d'années. Des astéroïdes avaient alors percuté la planète, provoquant une longue ère d'éruptions volcaniques, la disparition des champs magnétiques et des océans. Opiniâtrement, les colons en firent un endroit habitable et désirable, ils se débarrassèrent des sablons et de toute cette terre d'un beige stérile. La planète rouge perdit son surnom désuet au profit de celui de « petite sœur » ; Mars devint florissante, la copie idéale du berceau de l'humanité.

La renaissance de volcans éteints des millions d'années auparavant associée à un éclatement inédit de tempêtes électromagnétiques fit des ravages dans la population. Des centaines de milliers d'êtres périrent dès la première semaine sous la lave ou les effondrements des tours d'habitation. De rares chanceux purent prendre à temps les navettes interplanétaires tandis que les autres trépassaient immanquablement. Cycnus avait été le témoin impuissant du chaos apocalyptique qui déchirait les familles. Les plus pieux s'étaient agenouillés et avaient prié pour un miracle qui jamais ne vint ; ceux qui ne l'étaient pas avaient cherché, inutilement, à se cacher et se protéger. Quelle que fût la décision choisie, elle ne les sauva pas. Finalement et en l'absence de raisons apparentes, ne semblaient avoir survécu que Cycnus et Éris.

Ils abordèrent Olympus Mons par l'ouest, à un passage du volcan bouclier situé entre deux escarpements où l'inclinaison de la pente était suffisamment douce. Olympus Mons était la montagne la plus grande du système solaire, culminait à vingt-deux kilomètres de haut et s'étendait sur six-cents kilomètres de large. Ils mirent six jours supplémentaires pour atteindre la base de la patera du volcan. Du contrebas du cratère, ils pouvaient voir une partie de la région de Tharsis : l'Amazonis Planitia d'où ils provenaient était saccagée, le sud éventré était en fusion. Mais le plus impressionnant survenait à l'est. Les Tharsis Montes, un alignement de trois volcans boucliers presque aussi imposants que l'Olympus, régurgitaient de concert fumée et lave. Ils le faisaient sans interruption depuis qu'ils étaient sortis de leur sommeil antédiluvien. Par ailleurs, leurs cheminées rougeoyaient d'une lueur menaçante et des grondements sourds annonçaient une prochaine éruption démesurée.

Éris se heurtait au mystère de l'Olympus Mons, le volcan qui ne s'était pas ranimé en compagnie de ses frères. Toute la planète s'était subitement mise à agir contre ses habitants, comme si la nature refusait les modifications imposées à son écosystème, exceptée cette montagne précisément. Cela avait en partie poussé Éris à persuader son compagnon de s'y diriger. Mais la logique seule n'expliquait pas l'empressement qui l'incitait à avancer toujours plus vite. Quand elle tentait de ne plus penser au volcan son sommeil devenait agité, et lorsque Cycnus avait réussi à la convaincre de faire une pause de plusieurs jours, elle avait été prise d'une douleur aiguë au ventre qui s'était propagée le long de sa colonne vertébrale. Le mal n'était pas de ceux qui paralysent ou clouent au lit, plutôt de ceux qui empêchent le corps de se reposer. Il s'était dissipé peu de temps après que le couple eut repris la route.

Éris mettait régulièrement le sujet de l'inactivité de l'Olympus Mons sur le tapis, intimement convaincue que quelques secrets s'y cachaient. Le manque d'intérêt de Cycnus venait généralement à bout de sa patience et elle s'indignait, insatisfaite de son comportement apathique.

— Tu ne trouves pas ça bizarre ? Ça ne te t’intrigue pas ?

— Bah non.

— Comment est-ce que tu peux être si indifférent ?

— Désolé de m'inquiéter de choses plus urgentes. Ce qui va faire que l'on meure ou que l'on vive par exemple, répliqua Cycnus, avec sarcasme.

— Tu parles ! Si j'avais écouté tes gémissements on n'aurait pas bougé d'un iota.

— Bien sûr, tu nous as tellement sauvés. Merci !

— C'est mieux que de rester passif et se laisser mourir.

— Ouais, ben ma manière avait l'avantage qu'on ne s'acharne pas inutilement, précisa Cycnus.

— Pas étonnant que tu réagisses de la sorte, tu ne t'es jamais battu pour quoi que ce soit ! cria Éris, en colère. Tu as toujours préféré éviter les conflits et les problèmes.

— Et moi j'ai toujours suivi ton comportement directif. Je parle mais tu n'écoutes pas. Tu ne suis que ce que tu as décidé, peu importe ce que je pourrais dire.

— J'ai agi pour nous sauver ! Tu préfères fuir vers la mort plutôt que de la fuir elle. Je considère que chaque jour passé tous les deux est une victoire, tant pis si tu ne l'acceptes pas.

— J'aurais préféré mourir là-bas, Éris. Avec tous les autres.

— C'est ce que tu penses ?

— Oui.

Elle le fixa attentivement. Il avait le visage osseux, le corps émacié par le stress et les privations. Il ne l'attirait plus. Ses cheveux blonds étaient collés à son front du fait de leur saleté, il avait la bouche revêche et les yeux cernés. Il n'était plus l'homme plein d'entrain qu'elle avait connu, celui dont elle était tombée amoureuse. Il ressemblait à un cadavre. Ce constat la choqua, Cycnus lui parut sous une perspective nouvelle. Il paraissait faible, il était un poids pour elle. Elle se maudit d'y avoir songé, Cycnus l'avait protégée quand le cataclysme s'était déclenché. Il avait trouvé le matériel, la nourriture et s'était même battu à différentes reprises contre des personnes mal intentionnées. Et voilà qu'elle ne l'estimait plus, qu'elle l'insultait en le traitant à demi-mots de lâche. Elle préféra émettre un grognement et aller se coucher que de devoir poursuivre cette conversation. Elle était trop éreintée pour le motiver ou le contraindre à se dépasser.

Malgré ses états d'âme, elle s'endormit facilement. Plusieurs cauchemars vinrent habiter son sommeil, mais deux d'entre eux seulement la marquèrent. Dans le premier, elle montait à bord d'un vaisseau spatial et échappait au danger. Cycnus ne la suivait pas et l'appareil décollait. Éris réclamait que l'engin rebrousse chemin, en vain. La jeune femme voyait à travers un hublot la lave couler vers son ami frappé de stupeur. Elle martelait la cloison de ses poings, intimant à Cycnus de fuir. Mais rien n'y faisait et elle l'observait se liquéfier. Pendant que ses ongles griffaient le revêtement de métal et qu'elle s'époumonait à crier son nom, quelqu'un tentait de la rassurer en lui disant que les secours atteindraient Mars seize mois plus tard.

Son second rêve différait totalement du précédent. Son corps était comme soumis à des règles de la physique qu'il ne connaissait pas mais que son esprit avait déjà rencontrées. Une gigantesque caverne l'entourait, le plafond était si haut qu'il n'était pas visible. Aucune lumière artificielle ou naturelle n'éclairait ce lieu et pourtant il ne baignait pas dans la pénombre. Cela la perturbait. Du reste, elle se sentait épiée. Elle tournait sur elle-même, examinant l'antre à la recherche d'une sortie. Son souffle s'accélérait, son cœur s'emballait. Elle tournait, tournait. Un murmure mit fin à sa danse affolée. Le chuchotement sortait des murs et se répétait, insidieusement. Rejoins-moi, susurrait le souffle. Rejoins-moi, insistait-il. Une forme vaporeuse s'épaississait et glissait vers elle tout en gagnant en netteté. Un visage apparut. Des yeux jaunes s'ouvrirent. Une bouche perça.

— Rejoins-moi !

Éris se réveilla en sursaut. Ses muscles douloureux lui indiquaient que le voyage n'était pas terminé. Elle entreprit tout de même de petit-déjeuner, plus par habitude que par réel envie. Cycnus ne tarda pas à faire de même ; ils mâchaient sans conviction leurs plaquettes au goût de poussière enrichies en vitamines, accroupis dans leur tente à peine visible à l'ombre de l'Olympus Mons.

— Alors ? grommela Cycnus.

— Alors quoi ?

— On fait quoi maintenant qu'on a atteint le sommet ? On attend que les dieux daignent nous sauver ?

— Je pense qu'il va falloir pénétrer dans le volcan...

— T'es sérieuse ? C'est encore plus insensé que de grimper dessus ! Il doit y avoir des tonnes de magma en fusion qui risquent de s'écouler à tout moment.

— Je croyais que tu voulais mourir ?

— Ouais, mais si possible comme une larve amorphe qui crève la dalle. Pas carbonisé parce qu'on aura été trop cons pour rentrer dans un putain de volcan géant !

— Je ne t'oblige pas à venir, Cycnus.

— Tu veux que je fasse quoi à la place ?

Elle haussa les épaules.

— Tu as changé, Éris, déclara son ami sur un ton attristé.

— Toi aussi, je te signale, lui répondit-elle aussitôt.

— Je sais. Je me suis transformé en geignard à mesure que j'ai vu notre planète se détruire. À mesure que notre stock de vivres s'est épuisé et que l'espoir que j'avais en moi m'a fui. Mais toi, tu n'as rien abandonné. Tu as trouvé un endroit où on serait peut-être en sécurité et tu t'y es tenue. C'en est même devenu une obsession. Plus on s'est approchés d'Olympus Mons et plus tu as pris tes distances, comme obnubilée. À un point tel que nous mettre à l'abri n'est plus ta priorité.

— C'est faux !

— Vraiment ? Être défaitiste sur nos chances de survie c'est une chose. Croire que notre salut réside en un volcan en est une autre... Si tu es tant emplies de bonnes ondes que tu le dis, pourquoi tu n'envisages pas que l'on tienne jusqu'à ce que la Terre envoie un vaisseau ?

— On va s'échanger des reproches toute la journée ou on avance ?! éluda Éris.

— Tu veux entrer dans le mont, donc ? demanda Cycnus, d'un ton posé.

— Si possible, oui.

— Très bien. Allons-y.

Éris fut surprise d'avoir convaincu si aisément son ami, d'ordinaire cela devait passer par une dispute plus intense.

— Ne te méprends pas, avertit Cycnus, devinant ce qu'avait en tête Éris, si je suis partant c'est uniquement pour te surveiller.

— Parfait !

Ils enfilèrent leur combinaison et rangèrent leur barda ; la marche reprenait.

— Bon, moi je veux bien t'accompagner jusqu'au fin fond des Enfers ; braver monts, volcans, tempêtes, vents... Même la destruction d'une planète, tiens. Juste que ne pas trouver une foutue entrée c'est à la fois frustrant et tout à fait logique.

— Qu'est-ce que tu marmonnes encore, Cycnus ?

— On a réglé la question de l'insanité qu'est la volonté de s'introduire dans un volcan, mais pas celle qui est de savoir comment on irait à l'intérieur.

— Tu t'attendais à quoi ?

— Je ne sais pas. Qu'on atteigne la patera ou qu'on creuse.

— Tu tiens à creuser dans un volcan qui fait vingt kilomètres de haut ?

— Évidemment que non ! J'imaginais que tu avais un plan, ou ne serait-ce qu'une théorie farfelue.

— J'y crois, c'est tout.

— Tu devrais t'entendre parfois, Éris... Tu crois quoi, que les dieux vont te montrer la voie ? D'un côté, niveau farfelu nous sommes servis.

— Qui sait.

Au bout de plusieurs heures de vagabondage aléatoire, ils repérèrent une ouverture dans la montagne. Les dimensions de l'entrée étaient de taille humaine mais ne possédaient aucune des particularités qui révélaient que la construction fût faite par les leurs.

Éris en profita immédiatement. Elle se tourna vers son compagnon, une expression de victoire moqueuse parfaitement visible derrière la visière de son casque.

— Ha ! Je te l'avais dit.

— On ne m'enlèvera pas de l'idée que c'est étrange.

— Personne ne te l'enlèvera, Cycnus.

— Je n'arrive pas à me décider. Qu'est-ce qui est le plus fort comme sentiment : l'irritation que j'éprouve du fait que tu aies eu raison ou la torpeur du fait que tu aies eu raison ? Tu sèmes le doute en moi, Éris.

— Tu parles trop. Tais-toi.

Le tunnel ne disposait pas de porte qu'auraient pu installer des militaires ou des scientifiques, aucun panneau ne balisait un éventuel sentier de randonnée et la voûte n'était pas étayée.

Le couple échangea un coup d'œil, sortit des torches et pénétra dans la galerie. Ils s'engagèrent dans le volcan assoupi sur des centaines de mètres. Le tunnel ne déviait pas, ni ne bifurquait, le chemin était plat tout du long. En s'enfonçant, une lueur tamisée rendit superflu l'usage des torches, elle venait de partout et de nul part simultanément. La roche et le souffre se déposaient sur leur palais. En se mélangeant à la salive ils la rendaient âcre et difficile à avaler.

Éris s'arrêta.

— Attends.

— Quoi ?

— Quelque chose ne va pas.

— Tu crois ça ? Et moi qui me disais que tout était parfaitement normal jusqu'ici, ironisa nerveusement Cycnus.

— J'ai... Je crois qu'il y a une créature plus loin.

— Une créature ?!

— Oui. Je l'ai vue.

Cycnus ralluma au plus vite sa lampe, qu'il conservait en main en tant que matraque, et arrosa le tunnel d'une lumière superflue.

— Où ?

— En rêve.

— Ah, voilà qui explique tout...

— Exactement. Elle m'a dit de la rejoindre et on trouve une entrée le jour même nous menant au cœur d'Olympus Mons, l'unique volcan qui dort encore.

— Je pensais plutôt à : « Elle rêve de monstres, voilà qui explique son humeur de merde », railla Cycnus.

— Depuis des semaines je n'ai qu'une volonté, celle de rejoindre cette satanée montagne.

— Et ?

— Et je crois que j'ai été manipulée.

— Par la créature ?

Éris acquiesça. Le jeune homme posa une main sur son épaule.

— Allons-nous-en alors.

— Tu penses que c'est la meilleure solution ?

— Non. Mais je ne jouerai pas à ce jeu – si créature mystérieuse il doit y avoir. J'ai la chair de poule rien que d'y penser.

— Continuons plutôt.

— Hein ?! Vers une potentielle menace ? T'es de plus en plus tarée ma parole !

La fureur se propagea rapidement, elle emporta toute contenance. Éris voyait rouge. Elle serra ses poings, sa mâchoire et inspira profondément avant de cogner Cycnus à l'estomac de toute ses forces. Elle lui porta un seul coup qui le plia en deux.

— Tu ne l'as pas volée celle-ci ! Elle te pendait au nez depuis un moment.

Le pauvre Cycnus n'en revenait pas ; elle venait de le frapper ! Certes il n'avait pas été des plus courtois mais tout de même... La haine qu'il avait vue dans les yeux myosotis de la jeune femme le blessait davantage que l'attaque ; par son geste elle scellait leur séparation. La chute de Mars avait provoqué leur éloignement à long-terme, plus rien ne serait jamais comme avant. La planète, le quotidien. Leur couple. Tout avait été balayé, anéanti.

— Qu'est-ce qui t'as pris, Éris ?

— Désolé, mais ça soulage.

— Ah, c'est ça le nouveau stade ? On se tape dessus pour se sentir mieux ?

— Cesse donc de faire ta fillette, Cycnus, ça ne te réussit pas.

Éris se mordilla l'intérieur de la joue, regrettant plus de s'être emportée que de lui avoir fait du mal, mais elle n'attendit pas qu'il ait récupéré, tant son souffle que ses émotions. Sa route était toute tracée, encore quelques pas et tout finirait. Tandis qu'elle prenait les devants, Cycnus trottinait derrière, l'examinant d'un œil nouveau, presque suspicieux.

Au bout du périple souterrain ils découvrirent une caverne, une caverne immense. Éris s'agita : ce n'était pas sa première visite. Cycnus, lui, était médusé par cette excavation aux proportions extraordinaires.

Des murmures cabalistiques se diffusèrent, tels des serpents sournois. D'abord éloignés, ils semblaient se rapprocher, tourner autour d'eux. Les paroles incompréhensibles émanaient d'une unique voix ; elle parlait directement à leurs oreilles, directement dans leur esprit. Elle insinuait la peur. L'affliction s'engouffrait dans leur poitrine et la détresse troublait leur vision. Une brume se matérialisa. Elle dessina le monstre qui habitait dans cette tanière, le maître des lieux ; et d'insaisissable, elle s'offrit une consistance. L'être, un bipède de trois mètres aux membres filiformes, avait une peau jaune safran, épaisse et glabre ; ses yeux étaient d'une unicité de topaze, difficiles à croiser car ne possédant pas de pupille. Leur étonnement fut grand quand il leur adressa la parole :

— Bonjour, dit l'être jaune avec un accent inconnu. Ça boum ?

Les humains abasourdis conservèrent le silence. L'étranger eut un sourire identique à celui qu'aurait pu faire Éris ou Cycnus. Il le faisait naturellement, ce n'était pas un rictus travaillé pour les imiter. Le mouvement des lèvres dévoilait des dents orange scintillantes.

— Vous pouvez me répondre, je ne vais pas vous manger. Alors, rien à dire ? C'est plutôt décevant. Votre race a enfin un contact avec une autre ; elle communique en utilisant une de vos langues et vous restez de marbre ? Vous voulez que vos noms deviennent une blague dans le système solaire ? Parce que c'est ainsi que vous l'obtiendrez. J'imagine que vous n'avez pas eu vent de Aqrxou Ednxou, prince Vénusien, et de Glokuss le Titanide – évidemment ce n'est pas comme ça que les autochtones appellent Vénus et Titan, je fais la traduction sinon vous serez largués – ? Pas étonnant, personne dans le système ne veut traiter avec les Terriens. Bref, le Vénusien et le Titanide se sont rencontrés par hasard, tandis qu'ils étaient tous deux en orbite au-dessus de Mercure. Pour leurs civilisations aussi c'était la petite mort. Aqrxou, qui était télépathe, réussit à établir une ébauche de communication avec Glokuss ; sauf que les gladiateurs de la lune de Saturne traitent les interventions psychiques comme des déclarations de guerre, ils sont puritains sur le sujet. Les Titanides ont ravagé Vénus, la rendant inhabitable. Voilà ce qui se passe quand un peuple de débiles brutaux ne sont pas surveillés et limités dans leurs déplacements.

— Je-je ne comprends pas, parvint à articuler Éris.

— Quoi donc ? demanda l'extraterrestre.

— Qu'est-ce que vous êtes ? souffla-t-elle faiblement.

— Selon votre dénomination : un Martien. Puisqu'on est sous l'Olympus Mons, vous pouvez m'appeler Zeus, ça me plaît bien comme nom. Grandiloquent, certes, mais c'est l'occasion de faire peau neuve. Vous ne m'en voudrez pas.

— Mais euh...

— Je vais couper court maintenant aux questions futures qui seront toutes plus consternantes les unes que les autres, et vous faire le topo : j'ai appris votre langue en vous surveillant, oui Mars était habitée. Et en vrac : les pyramides, ce n'est pas nous ; les enlèvements, oui ; les cercles de culture, non ; les dodos, oui.

— Et le cataclysme ? osa Cycnus.

— Ça c'est moi, révéla Zeus.

— Pourquoi ? Comment ?

— On m'en a donné l'ordre, humaine maigrichonne. J'ai donc utilisé mes capacités. Quand le Conseil solarien a appris que vous l'aviez colonisée, une réunion extraordinaire a été exigée. Le Conseil a rendu son verdict il y a plusieurs mois : « les humains foulant Mars périront ». Le bail avait expiré, mes cocos.

— Mais...

— C'est un peu extrême comme solution, je le reconnais. Le Conseil préfère l'action au dialogue quand il doit s'occuper des espèces débiles. Ouais désolé, vous avez été catégorisés : « espèce à compréhension limitée, à tendance destructrice et auto-destructrice ». Par conséquent, vous n'êtes pas autorisés à quitter la Terre et son satellite. Dommage...

— Vous savez combien de personnes vous avez tué ? Combien de familles et d'enfants ? Nos familles...

Par une remontrance à peine audible, Cycnus ne parvenait pas à exprimer son ressentiment. La révélation le choquait et Zeus l'effrayait.

— Je le sais, répondit Zeus. J'ai tué exactement cent-cinquante-trois millions deux-cent-quarante-quatre-mille-neuf-cent-quatre-vingt-deux colons. Tu veux le décompte des animaux aussi ?

— Pourquoi avoir fait quelque chose de si horrible ?

— Je vous ai dit qu'on m'en avait donné l'ordre. Si ce n'avait pas été moi, ça aurait été un autre, pour un résultat similaire. Ou presque, étant donné que je vous ai sauvés. De rien. Grâce au cataclysme j'ai pu assister à un exode plus prenant que celui de l'Énéide. Au milieu des morts et de la panique, deux humains sont ressortis à mes yeux. Leur histoire d'amour m'a attendri – même si c'est vite devenu « plaintes et jérémiades entre Giselle et Robert ». Les récits dramatiques m'émeuvent davantage quand ils sont vrais. Celui-ci l'était particulièrement. Un pur condensé de l'histoire terrienne en moins d'une période de révolution.

— Ils sont tous aussi dégénérés ceux de votre genre ?

— Si seulement. Moi je vous ai volé deux choses : le sens de l'humour et un goût prononcé pour les explosions. Mes compatriotes n'ont retenu que vos physiciens, ce qui est assez barbant.

— Vous êtes tout seul sur Mars en fait, avança Éris, c'est pour ça que vous êtes...

— Humanisé ? coupa Zeus. Oui, ça fait longtemps que je suis ici. Les autres sont dans les lunes joviennes, pour m'occuper je capte toutes vos transmissions.

— Et quel est le rapport avec moi ?

— Tu te penses si importante, Éris ?

— Je dois bien l'être si vous avez pris le temps de nous sauver, de vous introduire dans mes rêves et d'utiliser Olympus Mons comme balise.

— Exact, en effet. Après avoir passé des milliers d'années en solitaire j'ai besoin de me trouver un partenaire, un complice. Je t'ai choisi, Éris. Tu t'es montrée forte, vaillante, aimante ; tu seras parfaite dans le rôle.

— Attendez voir... Qu'est-ce que vous trafiquez ? exigea Cycnus.

— Tu n'as pas voix au chapitre, humain gringalet. Ton sort est décidé.

Zeus pointa du doigt Éris.

— Ce cauchemar a deux fins possibles, ma grande. Tu ressors d'ici en compagnie de l'aimable Cycnus que tu n'aimes plus...

L'intéressé grogna en entendant ce qui n'était déjà plus une révélation et tourna la tête pour voir la réaction d'Éris.

— Ou alors ? pressa la femme, qui voulait passer cette vérité délicate.

— Ou alors tu me suis dans les étoiles. Il y a énormément de beautés à contempler et je peux te garantir que nous réaliserons de grandes choses.

— Et Cycnus dans tout ça ?

— Oui, et moi dans tout ça ?

— Il ne bougera pas de la planète.

— Il mourra...

— Vous mourrez dans tous les cas. Vous n'avez pas suffisamment de nourriture pour tenir jusqu'à une éventuelle expédition de secours qui débarquerait dans une année.

— À cause de vous ! Donc je reste avec Cycnus et nous mourrons, ou je pars avec un assassin extraterrestre, ravageur de monde ?

— C'est cela, approuva Zeus en riant. La mort sans espoir ou la vie avec promesses.

Éris se sentait piégée. Aucune décision ne lui semblait être la bonne. Elle ferma les yeux et refit le fil de sa vie. Puis elle s'imagina demeurer sur Mars, un vaisseau s'envolait en silence à la vitesse d'une comète, laissant derrière lui un couple d'humains abandonnés, au décès prémédité.
Elle s'imagina accepter l'offre de Zeus, monter dans son engin et partir dans l'espace. Être le premier humain à découvrir le système solaire.
Quand elle souleva ses paupières, son choix était fait.

— Éris, dis quelque chose ! Tu ne peux pas croire cet alien. Il se joue de nous. C'est le plus grand assassin de toute l'histoire de l'humanité ! Le Boucher de Mars. Restons ensemble, comme nous l'avons toujours été, Éris.

Cycnus s'approcha de son ancienne compagne, la prit par les épaules et la brusqua.

— Parle, bon sang !

— Tu voulais mourir, Cycnus... Tu me l'as répété, encore et encore.

— Je te veux toi. Que l'on soit tous les deux, pour toujours.

— Tu m'aimes ?

— Oui.

— Laisse-moi partir alors. Je peux vivre moi.

Des pleurs silencieux avaient rougi les yeux d'Éris et tordu sa voix ; elle faisait son deuil dès maintenant.

— Et moi ? Je crève comme un connard ici ?!

— Ne sois pas égoïste, Cycnus, dit Zeus avec un grand sourire.

— Ta gueule, toi ! Ferme ta gueule, putain ! Tout ça c'est de ta faute !

Le martien leva les mains, signe qu'il se taisait, mais ne se débarrassa pas de son air moqueur pour autant.

— Je ne te laisserai pas partir ! C'est impossible, je refuse !

— Il va falloir pourtant, Cycnus. J'ai choisi de vivre.

— Non ! NOON ! Ne m'abandonne pas... On peut tenter de survivre ; les Terriens se dépêcheront.

— Je choisis de vivre, annonça Éris, autant à l'adresse de Zeus que pour son ancien amant. Au revoir, Cycnus. Je t'ai aimé.

La jeune femme se sépara de l'humain. Elle se déplaça ensuite maladroitement vers Zeus et se posta à son niveau, face à lui, dos tourné à Cycnus. Ce dernier était vidé, vidé de tout. Il ne possédait plus de force, de courage ou de but. Il n'avait plus qu'une vie vacillante brisée. L'échine recourbée, il n'ajouta rien quand ils passèrent à sa portée et qu'ils se retirèrent des lieux. Tout était fini. L'émotion lui bloquait la trachée. Cycnus prenait conscience qu'Éris avait fait son choix depuis des jours et qu'en son for intérieur il s'en doutait lui aussi. Les regrets s'ajoutèrent au choc. Il avait vaincu le chaos mais le néant l'empoignait. Trouverait-il une nouvelle échappatoire ?

Mars et ses lunes, Déimos et Phobos, rapetissaient. Éris et Zeus étaient debout côte à côte, et admiraient la vue. Cette nouvelle paire ressentait honte et excitation, ils quittaient Mars définitivement. De l'espace, Olympus Mons leur rappelait ce qu'ils avaient perdu, ce qu'ils avaient obtenu, et à quel prix.

— Au fait, comment se fait-il que vous étiez seul ?

— J'étais le gardien de Mars. Ainsi que son prisonnier. Condamné à y vivre éternellement pour avoir formé à la télépathie Aqrxou Ednxou et par ricochet, causé la destruction du peuple Vénusien. J'aurais pu me présenter en Prométhée.

— Vous pourriez me l'apprendre ?

— Je vais t'enseigner un tas de choses, Éris. Je vais faire de toi une déesse.

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